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L’élaboration de la politique étrangère des États-Unis est d’une telle complexité qu’elle constitue, désormais, un champ d’étude à part entière des sciences sociales anglo-saxonnes et, notamment, de la science politique. Bien qu’abondante, la littérature francophone sur le sujet aborde généralement la politique étrangère américaine sous des angles spécifiques : place de l’idéologie (E. Marienstras), rôle de la présidence (M.-F. Toinet), poids du Conseil de sécurité nationale (C.-P. David), influence du style national (S. Hoffmann)… L’originalité de cet ouvrage tient donc à sa capacité à proposer une vue d’ensemble qui agrège ces différentes contributions. Au-delà des apports du droit constitutionnel et de la science administrative, les professeurs David, Balthazar et Vaïsse ont recours aux diverses approches de la science politique américaine et des relations internationales. De la sorte, les auteurs ajoutent aux connaissances sur la politique étrangère des États-Unis grâce à un effort d’analyse qui porte tant sur les fondements que sur les mécanismes et les acteurs de cette politique. Rédigées individuellement par chaque auteur, les trois parties du livre traitent successivement des fondements, des acteurs et de la formulation de la politique étrangère américaine.
Dans la première partie, consacrée aux lieux d’élaboration de la politique étrangère, Louis Balthazar se concentre sur la Constitution, le cadre culturel et les grands courants de pensée. En déterminant la nature du régime politique, le cadre constitutionnel (chap. 1) définit l’essence des pouvoirs et organise leurs rapports. Il est essentiel, notamment, de prendre en considération le legs des Pères fondateurs (fondements de l’Union, Convention de Philadelphie) pour déchiffrer le fonctionnement des institutions et les débats constitutionnels relatifs à l’autorité du Congrès et à la suprématie du président. Parce que l’histoire et la géographie ont conduit les Américains à se forger une vision singulière du monde, le cadre culturel (chap. 2) occupe, lui aussi, une place cruciale dans la définition du « style national » de la diplomatie. Persistant à travers les époques, ce style prend sa source dans des éléments historiques (fondamentalisme, individualisme, libéralisme, rejet de l’histoire) autant que politiques (isolationnisme et souverainisme). Il se manifeste par une destinée manifeste (ethnocentrisme, isolement culturel, paranoïa) et une pensée experte (consensus idéologique), mais reste susceptible d’évoluer. Toutefois, le consensus idéologique sur les objectifs (puissance, paix, prospérité et principes) n’exclut pas l’existence de débats animés autour des moyens à prendre pour promouvoir ces buts (chap. 3). L’histoire des grands courants de pensée politiques (débat originel Hamilton/Jefferson, typologie établie par W. Mead) permet, ainsi, une meilleure compréhension des controverses contemporaines autour de l’isolationnisme, de l’idéalisme, du réalisme ou de l’interventionnisme libéral. David Grondin complète cette analyse des grands courants de pensée politiques par une étude du cadre théorique présentant les différentes approches académiques (chap. 4). Ainsi, les différentes écoles de pensée préconisent pour les États-Unis sur la scène internationale une attitude, pour les uns (R. Kagan, W. Kristol et C. Krauthammer) unilatéraliste, pour les autres (écoles institutionnaliste, équilibriste et idéaliste) multilatéraliste voire, pour les derniers (écoles souverainiste, mondialiste et isolationniste antimondialiste), minimaliste.
Dans la deuxième partie de l’ouvrage, Charles-Philippe David met l’accent sur l’importance de l’Exécutif dans la formulation de la politique étrangère américaine. Ainsi, le président (chap. 5) jouit d’une autorité « impériale » qu’il tire de pouvoirs formels (chef de l’État et du gouvernement), mais également du War Powers Act de 1973 et de ses qualités intrinsèques de leader. Il en découle différents styles présidentiels (pointés par J. Barber, F. Greenstein, R. Dallek ou T. Preston), ainsi que différents systèmes de gestion (compétitif, formel ou collégial). En raison de sa complexité, la machinerie étatique confère aux acteurs bureaucratiques (chap. 6) un poids considérable dans le processus d’élaboration de la politique étrangère. Outre les acteurs bureaucratiques classiques (départements d’État et de la Défense), l’auteur souligne le rôle repensé des services de renseignement (nsa, cia, département de la Sécurité intérieure…), ainsi que l’implication accrue des ministères traditionnels (Trésor, Justice, Immigration, Commerce, Énergie…). Tout au long du septième chapitre, l’auteur décrypte le rôle particulièrement influent du conseil de sécurité nationale (nsc) qualifié de « centre du pouvoir à la Maison-Blanche » et qui a progressivement éclipsé le département d’État. De comité de coordination, le nsc s’est au fil du temps métamorphosé en organisation présidentielle de planification et de mise en oeuvre de la politique étrangère.
Dans la dernière partie, l’historien Justin Vaïsse souligne le rôle prépondérant, au regard des autres démocraties libérales, du pouvoir législatif et, plus généralement, de la société civile. Ainsi, par-delà les seuls pouvoirs que confère la Constitution de 1787 au Législatif, l’histoire nous enseigne l’existence d’une étroite corrélation entre l’évolution de la politique étrangère américaine dans le sens d’une introversion et le regain d’influence du Congrès (chap. 8). Bien qu’indirecte, l’influence qu’exerce l’opinion publique (chap. 9) sur la conduite de la politique étrangère n’en reste pas moins certaine. D’une part, l’humeur de l’opinion traduit une perception du monde à laquelle les élus ne peuvent rester insensibles. D’autre part, l’opinion publique se manifeste à travers les médias qui, réciproquement et en dépit d’une couverture contrastée des affaires internationales, contribuent à la former. Il en résulte une interaction très forte entre l’opinion, les médias et le président. Enfin, la société civile (chap. 10) proprement dite s’avère particulièrement active dans la formulation de la politique étrangère. Ainsi, les think tanks contribuent à la vitalité du débat d’idées, tandis que d’autres groupes de pression – économiques, religieux, « citoyens » ou ethniques – défendent des intérêts particuliers. Même si l’influence de ces lobbies n’est pas aisée à mesurer, elle s’exprime par le vote, l’argent, les réseaux et/ou une grande capacité d’organisation.
Finalement, l’ouvrage dresse un portrait exhaustif du processus d’élaboration de la politique étrangère des États-Unis, mettant parfaitement en évidence la diversité des acteurs, l’intensité des débats contradictoires et les longs arbitrages qui la caractérisent. Véritable introduction à l’étude de la politique étrangère américaine, ce livre servira de point de départ à une réflexion plus approfondie. Les auteurs s’adressent, donc, à un public élargi dont ils ne manqueront pas de stimuler l’intérêt.