Comptes rendus : Théorie, méthode et idées

Understanding Ethnic Conflict. The International Dimension.Taras, Raymond C. et Rajat Ganguly. New York, Longman, 2e éd., 2002, 317 p.[Notice]

  • Joseph Maïla

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  • Joseph Maïla
    Faculté de sciences sociales et économiques
    Institut catholique de Paris

De tous les ouvrages de politologie consacrés aux conflits ethniques, celui de Taras et Ganguly est sans doute l’un des plus clairs et des plus synthétiques. Se présentant comme un manuel destiné aux étudiants en relations internationales, il est autant pédagogique que prospectif. Pédagogique, car l’ouvrage se propose comme une mise au point conceptuelle des paradigmes permettant de saisir la réalité des conflits ethniques, multipliant les définitions, détaillant les théories et modèles sociologiques relatifs à l’identité culturelle. Prospectif, car il est parcouru en filigrane par la question de l’opportunité et de la légitimité de l’intervention, spécialement celle des États-Unis, dans les conflits internes. Divisée en deux grandes parties, l’analyse porte dans un premier temps sur le conflit ethnique et la politique internationale et, dans un second temps, sur des cas choisis de conflits. La première partie de l’ouvrage est axée sur les approches du conflit ethnique. Approche notionnelle, tout d’abord, qui vise à faire le tri entre les diverses définitions et interprétations que l’on peut donner à un type de conflictualité difficile à analyser. On sait les objections majeures faites à la catégorie de « conflit ethnique ». Elle serait un concept « fourre-tout » qui cacherait essentiellement des réalités soit économiques, soit de seule compétition politique. Dans les deux cas, l’idée d’un conflit purement culturel et d’affrontement identitaire serait factice et illusoire. En rappelant les différentes approches sociologiques du conflit (culturaliste, constructiviste, instrumentaliste…), ses interprétations diverses selon des schémas d’échec de la modernisation, de la mobilisation ou de l’intégration, les auteurs mettent le lecteur sur les voies d’une appréhension intellectuelle qui donne à la conflictualité ethnique toutes ses dimensions et lui rend toute sa complexité, loin du déni a priori de toute rationalité ou du préjugé d’inconsistance qui en sont les modes les plus usités d’intelligibilité. Un deuxième chapitre replace le conflit ethnique dans la perspective du droit international actuel : du droit des minorités à celui de l’autodétermination des peuples avec les questions soulevées par les revendications séparatistes et les sécessions d’États. Les troisième et quatrième chapitres de cette partie traitent de « l’internationalisation du conflit ethnique » et de l’intervention internationale comme instrument de règlement des conflits. Des développements intéressants sont consacrés aux trajectoires d’internationalisation. Ces dernières peuvent dériver des interventions de parties extérieures au conflit s’ingérant dans les disputes civiles. Elles peuvent apparaître aussi comme des conséquences inévitables dues au trafic d’armes ou de drogue ainsi qu’aux jonctions de réseaux terroristes favorisées par le développement de la guerre. L’internationalisation d’un conflit par le biais des flux transnationaux de populations déplacées et réfugiées qu’il peut occasionner est aussi à souligner. Quant à la recherche des solutions, elle s’inscrit dans les perspectives de restauration progressive de la paix que sont le peacekeeping, le peacemaking et le peacebuilding onusiens sans oublier l’intervention des États ou, de plus en plus, celle des ong comme médiateurs et facilitateurs de paix. Dans la deuxième partie de l’ouvrage, cinq cas sont retenus allant des problèmes soulevés par les rapports de la Russie avec ses minorités, aux cas du Québec, du Sri Lanka, de l’Érythrée et de la Yougoslavie. Vastes problèmes, qui n’ont ni les mêmes racines, ni le même contexte, ni les mêmes moyens de résolution. La disparition de l’Union soviétique va réveiller les sentiments nationalistes et identitaires durement réprimés dans l’espace de son empire. Le cas tchétchène, bien analysé dans l’ouvrage, est révélateur de la résurgence d’un nationalisme longtemps immergé. Le conflit tchétchène diverge du cas de l’Érythrée et du séparatisme qui conduisit ce pays à se séparer de l’Éthiopie, bien qu’ironie du sort, ce soit le lâchage par Moscou d’Addis-Abeba …