Les premières années d’indépendance de l’Ukraine ont été marquées par un déchirement continuel entre sa volonté de rapprochement avec l’Occident et une dépendance encore considérable envers la Russie. Dans cet ouvrage, Roman Wolczuk analyse la politique étrangère et de sécurité de l’Ukraine lors de ses dix premières années d’indépendance selon trois axes (azimuts) régionaux : nord-est (les deux voisins slaves, soit la Russie et la Biélorussie); ouest (les pays d’Europe centrale, soit la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie, la Hongrie, la Roumanie et la Moldavie) ; et sud (les pays riverains de la mer Noire, soit la Bulgarie, la Turquie, la Géorgie et encore la Russie et la Roumanie). La structure retenue permet à Wolczuk de démontrer que le comportement de Kiev selon ces trois axes, tant dans ses relations bilatérales qu’au sein des différentes institutions régionales auxquelles elle participe, est déterminé par deux objectifs fondamentaux : se rapprocher des institutions européennes et occidentales (l’Union européenne et l’otan), et échapper à la domination russe. D’abord selon l’axe nord-est, avec ses deux voisins slaves, l’Ukraine a voulu développer des relations bilatérales harmonieuses, tout en se montrant hésitante devant les nouvelles stratégies de domination de la Russie, comme la Communauté des États indépendants (cei) ou le Traité de sécurité collective. Kiev a rapidement et agressivement cherché à établir puis protéger sa souveraineté nouvellement acquise, mais s’est vue forcée de progressivement reconnaître l’inévitabilité de la force centrifuge exercée par les nombreux liens économiques, historiques et culturels qui subsistaient. Wolczuk illustre bien le dilemme entre dépendance économique et volonté d’autonomie politique avec l’exemple de la cei. Kiev reconnaît dès le début des années 1990 que son économie est encore très dépendante de la Russie et que les liens commerciaux vers l’ouest et le sud ne se développent guère; elle n’a donc d’autre choix que de participer aux structures économiques qui regroupent certains anciens membres de l’urss. Mais le maintien et le développement de liens économiques et surtout politiques et sécuritaires avec Moscou ne peut que nuire à l’avenir européen qu’une Ukraine fragile et isolée entrevoit pour elle-même. Kiev a donc hésité à participer aux institutions davantage politiques, par exemple en refusant initialement de ratifier le Traité de sécurité collective. Selon l’axe occidental ensuite, Kiev a cherché à développer des relations harmonieuses et productives avec ses voisins d’Europe centrale et à promouvoir sa candidature aux institutions régionales (comme l’Accord de libre-échange d’Europe centrale), toujours avec l’objectif sous-jacent de réduire sa dépendance envers la Russie et de se rapprocher des institutions occidentales. De leur côté, pour la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie et la Roumanie, le développement de relations de bon voisinage sur leur flanc oriental était une condition préalable à l’admission au sein de l’ue et de l’otan. En 1994 par exemple, la Roumanie, qui souhaitait à tout prix être admise au sein de l’otan, s’est empressée de négocier des solutions, plutôt favorables à Kiev, aux quelques litiges frontaliers qui les opposaient (Bessarabie, Île de Serpents notamment). Toutefois, les quatre membres du Groupe de Visegrad ne voulaient paraître, aux yeux de Bruxelles, trop proches d’un pays encore dépendant de la Russie et qui progressait très peu sur la voie des réformes. Ils ont donc refusé de développer outre mesure leurs liens bilatéraux avec Kiev, et ont rejeté ses demandes répétées d’être admise au sein de l’Accord de libre-échange d’Europe centrale. L’étude des défis pour Kiev dans l’atteinte de ses objectifs selon l’axe occidental permet à Wolczuk de bien présenter au lecteur la difficulté inhérente au dilemme fondamental de la politique étrangère …
Analyse de politique étrangère : Ukraine’s Foreign and Security Policy 1991-2000.Wolczuk, Roman. England, Curzon Press, 2003, 288 p.[Notice]
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Thomas Juneau
Ministère de la Défense nationale
Gouvernement du Canada, Ottawa