Traiter des tensions européennes et asiatiques en mettant l’accent sur ce qui se passe en Bosnie-Herzégovine et au Pakistan peut paraître curieux. Qu’y a-t-il de commun entre ces deux pays, entre les régions où ils se trouvent, les Balkans occidentaux d’un côté, l’Asie du Sud de l’autre ? La réponse est simple. Ces régions sont toutes les deux d’une grande complexité due à la juxtaposition de cultures et, de ce fait, présentent des problèmes identiques bien qu’à des échelles différentes. Elles symbolisent les tensions européennes et asiatiques. Les Balkans, dont le nom vient d’une montagne bulgare, s’étirent de la mer Adriatique à la mer Noire, de la plaine de Pannonie à la mer Méditerranée. Les Balkans occidentaux comprennent les territoires de l’ancienne Yougoslavie auxquels il faut ajouter l’Albanie. L’Asie du Sud comprend, selon la définition la plus communément admise, sept pays : l’Inde, le Pakistan, le Bangladesh, le Népal, le Bhoutan, le Sri Lanka et les Maldives. On y associe parfois, pour une compréhension plus complète des événements géopolitiques, à l’ouest, l’Afghanistan, au nord les républiques chinoises du Xinjiang et du Tibet et à l’est, le Myanmar. Certes, bien des différences séparent les Balkans occidentaux et l’Asie du Sud. Les dimensions d’abord. Il ne faut parcourir que quelques centaines de kilomètres pour traverser les premiers, mais plusieurs milliers de kilomètres pour aller du nord au sud ou de l’ouest à l’est de la seconde. De même, les chiffres de population n’ont rien à voir, quelques dizaines de millions d’habitants dans les Balkans occidentaux, un milliard et demi en Asie du Sud. Toutefois les ressemblances abondent : la diversité des populations, la multiplicité des cultures d’origine indigène et étrangère, l’existence de sociétés claniques (notamment en Albanie, dans la Province Frontière du nord-ouest au Pakistan et certaines régions de l’Inde, qui mériteraient une étude comparative), la présence significative de l’islam, la faillite des États, les conflits internes et externes intimement mêlés. Les Albanais, indigènes, peuvent être considérés comme les descendants des Illyriens par contraste avec les envahisseurs slaves arrivés aux viie et viiie siècles de régions voisines de l’Oural. Les Slaves incluent Serbes, Croates, Bosniaques, Slovènes et Macédoniens. La pratique religieuse, tombée en oubli à l’époque communiste, reprend. Les Albanais et les Bosniaques appartiennent à la religion musulmane. Ils furent convertis à l’islam pendant la période ottomane. Les Serbes sont essentiellement orthodoxes. Les Slovènes et les Croates se réclament du catholicisme. La Bosnie-Herzégovine est le pays le plus hétérogène. Les Bosniaques, musulmans, constituent presque 50 % de la population. Les Serbes, de confession orthodoxe, représentent environ 34 % de la population et les Croates, généralement catholiques, 15 %. Ces trois principales communautés parlent des langues voisines. À vrai dire, à l’époque de Tito, ces idiomes constituaient une seule et même langue, le serbo-croate, même si les alphabets étaient différents, cyrillique pour les Serbes, latin, légèrement modifié pour les Croates et les Bosniaques. Aujourd’hui, les trois langues ont tendance à diverger, bien que les différences portent surtout sur les termes culturels et religieux. La communauté juive de Bosnie-Herzégovine, constituée de descendants venus d’Espagne au moment de l’Inquisition, est en forte diminution depuis les conflits armés des années 1990. Balkanisation, Macédoine, voilà des termes qui symbolisent bien, dans notre vocabulaire courant, le mélange de choses dissemblables, la mixité des cultures et des civilisations présentes dans les Balkans. C’est un salmigondis semblable que l’on retrouve en Asie du Sud où les communautés sont innombrables, ce qui semble logique dans un ensemble aussi vaste. Les Dravidiens (comme les Tamouls et les Télougous du sud de l’Inde, les Brahouis du Balouchistan...) sont considérés comme les …