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Les accords de Dayton sur la Bosnie et la crise du Kosovo ont suscité une littérature relativement importante de la part des spécialistes de relations internationales. Cet intérêt est motivé par l’idée que la gestion de ces deux conflits pouvait préfigurer le système international qui peu a peu se dessine dans le courant des années 90. Beaucoup d’auteurs ont privilégié l’approche constructiviste qui paraît fournir un cadre d’analyse intéressant et novateur et présente aussi l’immense avantage de rompre avec le paradigme réaliste, de souligner son obsolescence et donc de lui « régler son compte » alors qu’il avait donné pendant longtemps l’impression de constituer un horizon indépassable de l’analyse de relations internationales. L’ouvrage de Rory Keane s’inscrit dans cette lignée de travaux marqués par un profond effort de réflexion théorique à partir duquel est analysée la situation en Bosnie suite aux accords de Dayton.
L’ouvrage est organisé en six chapitres dont les trois premiers sont consacrés à l’approche théorique divisant le livre en deux parties à peu près égales en volume, la deuxième étant consacrée à l’étude de cas. L’analyse théorique qui est développée dans les trois premiers chapitres s’avère très intéressante en raison de son originalité. En effet, l’auteur ne se limite pas à reprendre les théories existantes, mais se livre à une véritable élaboration personnelle dont il se propose de vérifier la validité sur le terrain. Les chapitres 2 et 3 respectivement intitulés : Reconstituting sovereignty : the creation of dispersed vertical and horizontal sovereignty et The Nation State : a constructed entity nous offrent une réflexion originale et stimulante. On a bien compris que l’auteur n’aime pas l’État et son attachement à le relativiser amène le lecteur sur des pistes à notre connaissance peu explorées telle la théorie des souverainetés verticales et horizontales éclatées. Le chapitre 3 s’appuie sur une analyse historique dans laquelle l’auteur réalise avec bonheur une synthèse très claire de la genèse de l’État en général ainsi que de la genèse des nationalismes dans les Balkans. Le chapitre 1 intitulé Human security and international Relations est de facture plus classique. Les qualités de la synthèse qui est faite de la théorie de la sécurité humaine sont suffisamment rares pour mériter d’être soulignées. Ces qualités sont moins évidentes dans ce que nous appelons la deuxième partie qui est constituée des chapitres 4, 5 et 6, le chapitre 7 formant la conclusion. L’auteur a eu le courage comme il le souligne dans sa préface de ne pas se limiter à proposer une élaboration théorique sophistiquée. Il a voulu aussi faire une étude de cas pour vérifier dans la pratique ses hypothèses théoriques. L’exercice est courageux et effectivement trop souvent absent de ce genre de travaux comme il le souligne aussi. Saluons donc la prise de risque qui est méritoire. Il ne nous a pas semblé toutefois que l’auteur malgré toutes les précautions avait évité tous les écueils. Certes son analyse est très documentée mais on se perd parfois dans l’analyse factuelle, ce qui surprend d’autant plus que le contraste est grand avec les chapitres consacrés à l’analyse théorique. Nous avons aussi l’impression que seules les variables susceptibles d’illustrer les préférences théoriques de l’auteur sont étudiées et que d’autres variables qui auraient moins « collé » avec ses hypothèses ont été laissées de côté. L’auteur a le courage de dire que finalement les accords de Dayton n’ont que très modestement contribué à mettre en place des mécanismes et des modes de fonctionnement qui vérifieraient ses hypothèses théoriques. Ce constat n’enlève rien à l’intérêt de cet ouvrage, bien au contraire. Il nous offre une réflexion novatrice qui mériterait d’être développée tant les très grandes crises internationales que nous connaissons et le délitement de nombre d’États appellent à « inventer » des solutions nouvelles pour parvenir à plus de sécurité. Un ouvrage original, peut-être moins parfait que bien d’autres publications, mais qui a le mérite d’ouvrir des pistes de réflexions.