Depuis la fin de la guerre froide, les relations transatlantiques se sont distendues. Elles opposent de plus en plus une Europe soucieuse du respect des conventions internationales mais incapable de véritablement s’affirmer sur la scène internationale à une Amérique surpuissante, voire hégémonique, et qui tend à subordonner les relations internationales à un rapport de force militaire. De façon paradoxale, les évènements du 11 septembre, loin de rapprocher ces deux blocs dans un front commun contre l’hyper-terrorisme et la promotion des libertés ont, après un sursaut de solidarité, contribué à creuser un fossé de part et d’autre de l’Atlantique. Pour Cohen-Tanugi, cette mésentente, que la guerre en Irak a exacerbée, n’est pas un phénomène transitoire et fortuit. Elle relève au contraire d’une véritable « dérive des continents » qui doit être analysée à l’aune de l’histoire, de l’économie, des tendances lourdes de la politique internationale et des idéologies qui entretiennent une méfiance réciproque attentatoire à la lutte pour la promotion des libertés. Avocat international spécialiste des affaires européennes et transatlantiques, l’auteur se propose d’analyser les fondements et les effets pervers de ce divorce, en proposant une nouvelle alliance entre une Europe plus forte et une Amérique plus ouverte, plus à l’écoute du monde, et renouant avec l’internationalisme. Dans le premier chapitre, Cohen-Tanugi s’interroge sur la légitimité de l’anti-américanisme endémique, qui sévit en Europe comme au Moyen-Orient, et que les évènements du 11 septembre ont brutalement extériorisé. Si le procès de la puissance américaine n’est pas nouveau, sa dimension internationale et propagandiste a cristallisé les opinions publiques, en particulier contre une politique extérieure perçue comme oppressante et unilatérale. La lutte contre le terrorisme international, le discours de Bush sur « l’axe du mal » et la doctrine des « frappes préventives » qui sera mise en exécution en Irak ont exacerbé la perception d’une Amérique arrogante, impérialiste et utilisant la « raison du plus fort » pour guider ses interventions. Selon Cohen-Tanugi, cette politique extérieure ne traduit pas les dérives fondamentalistes et guerrières d’un président très contesté, mais reflète plutôt le traumatisme de la nation américaine tout entière suite aux attentats du 11 septembre. Trop enclins à oublier que leur sécurité a longtemps reposé sur la protection américaine, dont elle dépend encore jusqu’à un certain point, les Européens, en particulier les Français, n’auraient pas encore pris toute la mesure de ces évènements et de la nécessité d’un engagement beaucoup plus actif dans la nouvelle croisade contre le terrorisme international. Mais la pomme de discorde ne se limite pas à des malentendus récents sur la riposte à apporter face à la menace terroriste. Dans le second chapitre, Cohen-Tanugi en décrit les soubassements économiques et géopolitiques plus profonds. Après avoir rappelé la dette de l’Europe par rapport à l’Amérique qui, à travers le Plan Marshall, l’otan puis le projet d’unification européenne a largement contribué à la sécurité et à la prospérité du vieux continent, l’auteur décrit les principales sources de malentendus. D’abord, sur le plan économique et commercial, où les différends sont nombreux mais ne représentent somme toute qu’une très faible part du commerce transatlantique. Ensuite, sur le plan militaire, où les débats entre les atlantistes, les partisans d’une défense européenne autonome et les pacifistes divisent toujours les pays de la région en fonction de leur allégeance plus ou moins prononcée envers Washington. Enfin, ces malentendus se manifestent sur les plans idéologiques et culturels, où l’identité européenne se forge souvent contre les États-Unis, accusés notamment de cultiver un militarisme peu soucieux des conventions internationales et des droits de la personne. Ces antagonismes ne sauraient cependant occulter une « communauté de destin » entre …
Les sentinelles de la liberté. L’Europe et l’Amérique au seuil du xxie siècle.Cohen-Tanugi, Laurent. Paris,Odile Jacob, 2003, 226 p.[Notice]
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Olivier Boiral
Faculté des sciences de l’administration
Université Laval, Québec