Les dix chapitres de ce nouvel opus de B. Rubin s’inscrivent dans le droit-fil des travaux généralistes qui analysent les conflits du Moyen-Orient. Mais, à la différence de nombres d’entre eux, l’auteur applique aux dirigeants arabes et iraniens la théorie du choix rationnel pour tenter de fournir une explication unique aux régimes politiques et conflits de cette région du monde. Le premier chapitre ouvre le questionnement général que l’ouvrage se propose d’explorer : comment expliquer que le Moyen-Orient n’arrive pas à sortir de son histoire tragique faite de sang, de violence et de dictature, demande l’auteur ? D’emblée, il récuse la lecture dominante qui imputerait les causes des malheurs de la région à la domination occidentale car cela obscurcit « les vraies causes » de la crise. Une crise qui se serait accentuée avec l’échec du processus de paix israélo-palestinien et qui serait en fait imputable au radicalisme arabe et islamique. Cette radicalisation, explique l’auteur, serait en fait l’outil utilisé par les leaders arabes et iraniens pour refuser la paix et ainsi éviter de s’exposer à un processus de démocratisation qui assurément leur ferait perdre le pouvoir. L’auteur s’efforce alors de démontrer cette thèse – celle de l’usage de solutions de facilité (trump issues) par les dirigeants de ces pays pour se maintenir au pouvoir – en tentant de montrer que la région du Moyen-Orient est la seule au monde à refuser pareillement le progrès, la démocratie et le libre-échange. Et ce, malgré les soutiens financiers désintéressés et purement humanitaire des États-Unis, ajoute-t-il (p. 25). Plus intéressants sont les quelques aspects rhétoriques que les pouvoirs en place dans cette région utilisent pour justifier leur attitude et dessiner un imaginaire moyen-oriental : la fierté de l’héritage civilisationnel mêlée à un complexe d’infériorité par rapport à l’Occident, la figure du héros intransigeant prêt à tout risquer pour remporter la victoire contre les ennemis et la nécessité avant toute chose de libérer la Palestine. Partant de ces éléments forts, la suite de l’ouvrage découpe des séquences qui observent des périodes et pays particuliers pour revenir à des dimensions générales en fin de volume. Ainsi le deuxième chapitre se concentre davantage sur la période des années 90 sans pour autant en faire une analyse précise. L’objectif est autre : asseoir la thèse de l’auteur notamment par l’examen d’une série de données statistiques sur la population et sur l’économie. Il relève ainsi que le Moyen-Orient, malgré d’importantes ressources financières liées au pétrole, accuse une des plus faibles progressions du pibper capita pour les années 1965-1999. Signe, selon l’auteur, que les dirigeants, au lieu de profiter des opportunités que la dernière décennie du siècle leur a offertes, ont préféré se replier sur de vieux repères, notamment celui de l’unité arabe par le nationalisme. L’auteur s’attache ensuite à souligner les ratages et les incompétences des différents régimes arabes au point de faire apparaître l’antiaméricanisme arabe comme un racisme « naturel », puisqu’il n’a pas de cause explicable, les États-Unis ayant, selon l’auteur, toujours dispensé une aide financière bienveillante. Le ton devient plus tranchant lorsque, en termes de bilan provisoire, Rubin donne son verdict sur l’état du Moyen-Orient à l’aube du xxie siècle : « le mauvais côté l’emporte » (p. 60). Un mauvais côté résumé en douze points qui détaillent, à la manière d’un réquisitoire, tout ce que la région ne possède pas ou n’a pas fait. Le ton du réquisitoire gagne en intensité lorsque, au chapitre suivant, l’auteur détaille la nature du système dictatorial propre au Moyen-Orient. Il y montre l’emprise tous azimuts de l’État sur les rouages de la société, à …
Rubin, Barry, The Tragedy of the Middle East, Cambridge, Cambridge University Press, 2002, 287 p.[Notice]
…plus d’informations
Daniel Meier
iued, Genève, Suisse