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Sixième pays du monde par son poids démographique, le Pakistan fait l’objet depuis quelques années, de toutes les attentions géopolitiques dirigées sur l’Asie centrale. Cette réédition d’un ouvrage publié une première fois en 1999, coïncide avec l’intérêt grandissant pour l’une des régions les plus dynamiques du globe. Ce manuscrit diffère des autres volumes sur le sujet par son analyse très pointue d’une période de l’activité politique pakistanaise. Écrit dans un style alerte, très journalistique, le volume est composé de sept textes courts, d’une brève chronologie des 60 dernières années et d’une liste de 17 ouvrages de référence. Bien que les auteurs couvrent un large éventail de sujets, le volume est organisé autour de deux thèmes : les enjeux régionaux et la problématique identitaire.
Le thème des enjeux régionaux est examiné dans trois chapitres. Jaffrelot démontre que le Pakistan est, depuis son origine, au carrefour de conflits régionaux et internes. L’explication repose sur les séquelles de la partition avec l’Inde d’une part et, d’autre part, sur une centralisation excessive de l’État refusant de reconnaître droit de cité aux identités régionales dans un pays musulman. Racine soutient que la nation pakistanaise ne peut échapper au fait qu’elle existe par opposition à l’Inde. Cette situation a entraîné des lectures divergentes d’une histoire commune. Il démontre que la logique de la partition reposait sur un refus de voir les musulmans d’une Inde indépendante subir la férule de la majorité hindoue. Mais la partition n’a pas permis de trouver la sécurité promise par l’émergence d’un État indépendant. Grare analyse les intérêts économiques et stratégiques du Pakistan sur l’approvisionnement énergétique en Asie centrale. Après avoir été le principal relais d’approvisionnement de la résistance afghane, le Pakistan entendait devenir la principale voie de transit des hydrocarbures, suite à l’embargo imposé par les États-Unis à l’Iran. Mais le pays dut revoir à la baisse son ambition de devenir l’un des principaux acteurs du commerce régional. En effet, Grare démontre que la fonction géopolitique du Pakistan dépend davantage de l’évolution de la politique américaine et russe depuis dix ans.
Le deuxième thème du volume, la problématique identitaire, est analysé dans des chapitres sur : 1) les Mohajir à Karachi, ces migrants musulmans des provinces indiennes du Nord à majorité hindoue (Samad) ; 2) le poids démographique du Punjab dans la structure du développement économique, du recrutement militaire et de l’administration gouvernementale (Talbot) ; 3) les partis islamistes pakistanais (Blom) ; 4) la dynamique des forces centripètes et centrifuges au Pakistan (Lafrance) ; et 5) le récent isolement diplomatique du Pakistan (Jaffrelot). Deux chapitres sont particulièrement intéressants. Blom analyse fort habilement l’islamisation des structures politiques et sociales, mais surtout la stratégie de l’État dans sa gestion des relations avec les partis religieux. Il existe trois grands types de mouvements politiques islamistes : jihadistes, sectaires et constitutionnalistes qui conservent une influence sur la scène politique. Mais, depuis la fondation du Pakistan, chacun a connu des scissions internes à l’occasion d’élections ou de débats constitutionnels. La relative démocratisation du régime les a affaiblis en stimulant la personnalisation de la direction et les conflits internes. De façon davantage marquée, la radicalisation des partis islamistes et leur activisme en Afghanistan, au Cachemire et dans les réseaux transnationaux a considérablement réduit leur base sociale. Lafrance analyse les fondements du problème pakistanais sous deux volets. D’abord, il démontre que la localisation du coeur culturel, politique et historique du pays se situe entre le Punjab et le Cachemire. Il en résulte que les événements, dont ce territoire est le théâtre, entraînent obligatoirement le Pakistan dans une spirale d’interactions. Ensuite, les jeux démocratiques et économiques qui consistent à élaborer, défendre et appliquer des programmes destinés à créer la richesse, ont plutôt reproduit des structures, des hiérarchies et une accumulation de réseaux de clientèle qui faussent le sens même de la pratique élective et le fonctionnement de l’administration.
Comme dans la plupart des ouvrages collectifs, il existe une inégalité des approches, styles et pertinences. Le volume aurait mérité une conclusion qui synthétiserait les thèmes et les éléments soulevés et réitérerait certaines des questions posées. Néanmoins le volume est intéressant et permet de clarifier les informations récentes sur la situation politique du Pakistan.