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Cet ouvrage n’a pas été écrit par un expert universitaire, mais par un pacifiste engagé. Loin de le disqualifier, cette précision vise à mettre en valeur le fait que Rahul Mahajan nous livre ici une analyse plutôt équilibrée de la politique étrangère américaine. Parmi la masse des travaux publiés ou mis à jour, le plus souvent à la hâte, dans le sillon des attaques suicides contre le Word Trade Center et le Pentagone, l’effort de Mahajan est plus que louable. Il cherche autant à souligner les contradictions apparentes et les visées « impérialistes » des États-Unis, qu’à distinguer soigneusement les faits et les opinions personnelles. L’auteur ne réussit pas à tous les coups, mais on ne saurait non plus ignorer que son militantisme est traversé d’un souci constant d’objectivité. Contrairement à plusieurs textes cherchant à expliquer la montée de l’intégrisme et son versant antiaméricain, celui de Mahajan ne confond pas explication et justification. L’introduction est très claire sur ce point et l’auteur tient d’ailleurs à dénoncer la vague de conformisme qui, aux États-Unis et un peu partout dans le monde, assimile critique et trahison à la patrie, dissension et défaitisme.
The New Crusade est divisé en trois sections, qui examinent successivement les mythes entourant la guerre au terrorisme, l’utilisation stratégique des interventions humanitaires et, enfin, l’avenir de la lutte antiterroriste.
Les « mythes » que Mahajan décrit et réfute ne sont rien d’autre que les principales justifications avancées par l’administration Bush avant et pendant la guerre contre le régime taliban, régime accusé d’abriter les responsables du réseau terroriste Al-Qaida, ces derniers étant les commanditaires présumés des attentats du 11 septembre. L’auteur en compte dix-neuf. À court terme, ces mythes ont servi à légitimer l’intervention armée en Afghanistan mais, à moyen terme, leur but est de rendre acceptable une politique étrangère axée sur l’intimidation et la soumission de tous les pays aux diktats de Washington. Cette politique, selon Mahajan, est d’une myopie remarquable : elle ne peut que renforcer le ressentiment et la haine contre l’Amérique.
Le premier de ces mythes fondateurs, nous explique l’auteur, est l’idée selon laquelle la guerre était nécessaire pour éviter la destruction des États-Unis. Malgré ce qu’en dit le gouvernement Bush, l’attaque terroriste du 11 septembre ne fut pas perpétrée, comme celle de Pearl Harbor, par une puissance militaire étrangère. Ce ne fut pas non plus une attaque contre « la liberté », mais plutôt contre l’expansionnisme américain, soutient Mahajan en se basant principalement sur les déclarations télédiffusées d’Oussama ben Laden.
Une autre série de mythes pivote sur la diplomatie et la conduite des opérations de guerre. Les États-Unis n’ont pas renoncé à l’unilatéralisme et, de fait, ce dernier a été renforcé par la logique manichéenne voulant que « ceux qui ne sont pas avec nous, sont contre nous ». L’auteur dénonce cette logique simpliste et l’instrumentalisation contre tous les dissidents, notamment ceux qui condamnent à la fois le terrorisme et la guerre en Afghanistan. C’est la « crédibilité de l’empire » qui aurait motivé cette guerre, et non pas le désir de vengeance du peuple américain. Enfin, Mahajan dénonce le faux caractère humanitaire de l’intervention américaine ainsi que la complicité avec l’Alliance du Nord et avec d’autres groupes armés ailleurs dans le monde qui terrorisent les populations locales. Au passage, la perception trop idyllique de la liberté de presse aux États-Unis est également écorchée.
La deuxième partie du livre aborde plus en détail l’instrumentalisation des interventions humanitaires, en la resituant notamment dans le cadre plus vaste de la logique « impérialiste » américaine. Pour Mahajan, les États-Unis ne fournissent pas de l’aide aux populations civiles par pur altruisme. Ils poursuivent d’autres objectifs : dissimuler les effets désastreux de leur politique étrangère, camoufler la brutalité des opérations militaires ou bien asseoir leur pouvoir politique et économique. L’analyse des interventions humanitaires en Afghanistan, en Somalie, au Kosovo et au Rwanda permet à l’auteur de mettre en évidence l’opportunisme de Washington. Une « dépravation » confirmée par les nombreuses dérobades américaines concernant la vente de médicaments à bas prix aux Africains malades du sida. Des jugements de ce type ainsi que certaines affirmations sur l’évolution de l’impérialisme risquent ici d’agacer le lecteur et même de discréditer la solution proposée par l’auteur, à la fois sensée et chimérique : des interventions humanitaires dépourvues de toute dimension néocolonialiste.
Les réflexions sur l’avenir de la guerre contre le terrorisme, qui closent le livre, se fondent sur un exposé des contradictions qui traversent la politique étrangère américaine, contradictions qui sont d’autant plus apparentes dans le cas des pays arabes (Washington, pour s’assurer le contrôle du pétrole, supporte des élites prédatrices et autoritaires, dont l’impopularité les rend dépendantes de l’aide américaine). Sur ce même plan, Mahajan ne manque pas non plus de souligner, chiffres à l’appui, que l’industrie américaine de l’armement attise les conflits dans de nombreuses régions en vendant des armes aux belligérants et aux gouvernements qui ne respectent pas les droits de la personne. Cette stratégie, soutient l’auteur, n’aidera certainement pas à conjurer la naissance et l’expansion des « États voyous », phénomène que le refus américain de ratifier le traité sur la Cour pénale internationale rend encore plus difficile à endiguer par des moyens pacifiques. Cette somme de contradictions prépare doublement le terrain pour la guerre contre le terrorisme : elle exacerbe le ressentiment et la violence dans le tiers monde tout en justifiant le militarisme et l’impunité des États-Unis.
Pour ne pas conclure sur une note pessimiste, Mahajan affirme qu’il ne faut pas perdre espoir. La guerre contre le terrorisme donne aux pacifistes et autres militants progressistes une occasion unique de démontrer que la raison est de leur côté.
Il serait sans doute dommage que ce livre ne soit lu que par un public informé et le cercle restreint d’activistes auquel il semble destiné. L’engagement de l’auteur en faveur de la paix ne limite pas la portée de l’analyse ni sa pertinence. Les étudiants universitaires y trouveront un excellent exemple de ce que l’on peut accomplir en identifiant clairement les postulats qui guident une recherche.