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À l’image de nombreuses notions en Relations internationales, la notion de sécurité est aussi centrale qu’elle est difficile à saisir. D’un côté parce qu’elle est omniprésente dans les discours des décideurs politiques, avec pour conséquence une dimension symbolique particulièrement ambiguë, soulignée dès les années cinquante par Arnold Wolfers. De l’autre, parce que même en tant qu’outil analytique elle est l’une des notions les plus contestées de la discipline, au dire de l’un de ses meilleurs spécialistes, Barry Buzan. En effet, selon que l’on est sécuritaire traditionnel, élargi ou critique, les conceptions relatives au sujet de la sécurité, à ses enjeux, et à sa nature, varient : malgré la définition de Wolfers qui voit dans la sécurité l’absence de menaces (réelles ou perçues comme telles) sur les valeurs fondamentales, il n’y a aucun accord sur le référent de la sécurité (l’État, la société, l’individu, l’humanité ?), la nature des menaces (militaires, économiques, culturelles, écologiques ?), ou les valeurs qu’il s’agit de protéger (la souveraineté, l’identité, la prospérité, l’émancipation ?).
À elle toute seule, cette richesse de la notion de sécurité aurait justifié un ouvrage francophone de synthèse sur les théories de sécurité. A fortiori, les attentats du 11 septembre ont rendu une telle synthèse encore plus impérieuse : non seulement il est difficile de comprendre ces attentats si on ne maîtrise pas les concepts de sécurité nationale, sociétale ou humaine ; non seulement on ne saurait expliquer les conséquences de ces attentats si on oublie que la sécurité, loin de se réduire à une donnée objective, est aussi un acte de langage et relève d’un processus de sécurisation et de désécurisation ; mais aussi et surtout, du point de vue de la discipline des Relations internationales, ces attentats constituent un excellent test empirique auquel les différentes conceptions de la sécurité doivent se confronter et qui, de ce fait, est susceptible de les départager quant à leur pertinence heuristique. À lire la conclusion de C.-P. David et J.-J. Roche, c’est très exactement dans cette perspective que l’ouvrage sur « Les théories de la sécurité » semble s’inscrire, en ce qu’il souligne la crédibilité que ces attentats rendent à la conception réaliste de la sécurité : « La fin de l’affrontement Est-Ouest avait suscité (…) l’espoir d’un avenir inédit où les générations futures auraient été préservées du fléau de la guerre. Née de manière spontanée, cette croyance a été entretenue par une littérature abondante, où les impératifs de sécurité étaient relativisés par rapport à d’autres problématiques (économiques, environnementales, culturelles...). Les attentats du World Trade Center ont confirmé l’inanité de ces réflexions trop iréniques qui, pour s’opposer à la lecture réaliste du devenir du monde, avaient repris l’illusion positiviste d’une humanité réconciliée avec elle-même, qui aurait quitté l’âge de la guerre pour se concentrer sur l’exploitation rationnelle des ressources de la nature. » Reste que cette conclusion est l’arbre qui cache la forêt : contrairement ce que laisse espérer le titre du livre, cet ouvrage, publié dans une collection de manuels d’initiation, ne tient que très partiellement ses promesses d’être un résumé pédagogique permettant au lecteur de se faire une idée claire sur les théories de la sécurité.
Le principal problème concerne la structure d’ensemble de l’ouvrage. S’y côtoient deux parties d’importance inégale, et qui sont bien davantage juxtaposées l’une à l’autre qu’elles ne sont intégrées dans une réflexion d’ensemble. La première partie, intitulée « Les approches traditionnelles de la sécurité : la conceptualisation des pratiques », n’a qu’un rapport indirect avec ce qu’un théoricien des relations internationales entend par « théories de la sécurité ». Quatre chapitres s’y succèdent, deux de nature plutôt théorique, portant sur la conception de la guerre chez Clausewitz et la notion d’équilibre des puissances, et deux de nature juridique, consacrés à la sécurité par la négociation et à la sécurité par la sécurité collective. Entre ces quatre chapitres, on cherche en vain un hypothétique fil rouge qui donnerait la cohérence à son ensemble : quelle relation entre la sécurité par le recours à la guerre et la sécurité par l’équilibre des puissances censé éviter ce même recours à la guerre ? quelle différence entre la sécurité par la négociation et celle par la sécurité collective ? La deuxième partie, qui analyse « les nouvelles approches » de la sécurité, les tentatives de « redéfinition » dont cette notion a fait l’objet, est beaucoup plus familière aux internationalistes, en ce qu’elle rappelle les débats théoriques qui ont vu le jour parmi les spécialistes des études sécuritaires, des réalistes aux critiques en passant par les libéraux et les constructivistes. Pourtant, l’on ne voit pas en quoi la conception réaliste de la sécurité constitue une nouvelle approche par rapport aux approches traditionnelles (mal-)traitées dans la première partie. Par ailleurs, le dernier chapitre, qui analyse l’impact du 11 septembre sur la notion de sécurité, n’est mis en rapport avec les deux autres chapitres de cette partie que de façon allusive. Il est vrai que ce chapitre est issu d’un autre ouvrage dirigé par C.-P. David, portant sur ces mêmes attentats, et mélangeant analyses théoriques sur les causes et significations de ces attentats et considérations normatives sur le comportement à adopter après les attentats, ce qui là encore pose le problème entre le titre et le contenu du livre.
À ces faiblesses formelles s’ajoutent des insuffisances substantielles. Au-delà des résumés superficiels que donnent de certaines notions ou théories les encadrés qui accompagnent le texte principal (il en est ainsi, entre autres, de la notion de communauté de sécurité, ou de la théorie de la paix démocratique), et sans parler de l’utilisation acritique d’une notion telle que celle de « communauté (ou collectivité) internationale », omniprésente dans les développements des auteurs, l’ouvrage de C.-P. David et J.-J. Roche souffre d’une absence de délimitation claire de l’objet « sécurité ». Ce n’est pas parce que cette notion est un concept contesté qu’elle doit être confondue avec des notions telles que « paix » ou « stabilité » ; tout au contraire, il appartient d’autant plus aux analystes de tenter de mettre de l’ordre dans ces appellations peu contrôlées dans le discours commun que les notions de sécurité et de paix sont volontiers associées dans la pratique et la rhétorique politiques internationales, ainsi dans le chapitre vii de la Charte des Nations Unies relatif au maintien de la paix et de la sécurité internationales : l’opération « Liberté en Irak » ne montre-t-elle pas que la sécurité internationale n’équivaut pas nécessairement à la paix internationale, tant la conception dominante de cette sécurité, synonyme de stabilité de l’ordre existant, conduit précisément à des recours à la force contre les acteurs perçus comme susceptibles de troubler ladite sécurité ?
Rien de tel dans le manuel de C.-P. David et J.-J. Roche. En se contentant de recycler hâtivement des réflexions de qualité inégale, celui-ci ne contribue guère à rendre plus accessibles les débats existants en matière de sécurité.