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Le livre de Tanja A. Börzel, Senior research fellow au Max-Planck-Project Group on the Study of Common Goods à Bonn en Allemagne, est de facture très – trop universitaire. La thèse de l’auteur, formulée à plusieurs reprises dans le livre, est que l’euro-péanisation force les gouvernements centraux à partager certaines de leurs prérogatives avec les régions en ce qui concerne la politique européenne des États européens.
Selon, l’auteur, les pays européens agissaient généralement selon la logique d’un État centralisé lorsqu’il était temps de déterminer les politiques européennes à adopter. Non seulement avaient-ils le monopole de la définition de « l’intérêt national », mais ils déterminaient également seuls les positions de leur pays face à l’Union européenne. Certains pays avaient recours à des consultations ad hoc plus ou moins formelles, mais peu de mécanismes étaient institutionnalisés. Les politiques des États européens ont pourtant d’importants effets dans les champs de compétence des acteurs subétatiques. Dans certains cas, ces politiques renforçaient même le pouvoir du gouvernement central vis-à-vis des régions. Prenons l’exemple du Fonds de cohésion créé par le traité de Maastricht. Ce Fonds a, entre autres, pour objectif de financer des infrastructures et des politiques sur les questions d’environnement. À la suite de la signature d’un traité impliquant un transfert de souveraineté de l’entité subétatique à l’État fédéral, ce dernier a des pouvoirs souvent supérieurs à ceux des régions pour déterminer une politique qui sera mise en oeuvre dans la région et dans les champs de compétence de l’entité subétatique. On assiste ainsi en Europe, à la suite des effets de l’intégration européenne, à une centralisation croissante des pays. Plusieurs régions dénonceront ces transferts de souveraineté au plan européen.
Pour dénoncer cet état de fait, de nombreuses régions feront pression sur leur gouvernement « national » et sur les institutions européennes pour qu’un plus grand rôle soit accordé aux régions en Europe. L’auteur s’intéresse plus particulièrement aux changements institutionnels en Allemagne et en Espagne. En Allemagne, nous dit l’auteur, le fédéralisme coopératif va être renforcé et les Länder vont se faire octroyer un plus grand rôle en ce qui concerne la politique européenne de l’Allemagne. En Espagne, les premières années vont être caractérisées par une augmentation significative des conflits. À partir des années 1990 cependant, les relations entre Madrid et les communautés autonomes vont tranquillement se normaliser, le « fédéralisme » espagnol devenant de plus en plus coopératif.
Les transformations analysées par l’auteur sont bien connues des lecteurs d’Études internationales et de ceux qui s’intéressent à la paradiplomatie.
Paul Gérin-Lajoie, ministre de l’Éducation du Québec dans les années 1960, a prononcé un discours devant le corps consulaire à Montréal le 12 avril 1965 qui annonçait déjà les changements qu’analyse Mme Börzel. Dans son discours, Gérin-Lajoie déclarait : « Il fut un temps où l’exercice exclusif par Ottawa des compétences internationales n’était guère préjudiciable aux intérêts des États fédérés, puisque le domaine des relations internationales était assez bien délimité. Mais de nos jours, il n’en est plus ainsi. Les rapports interétatiques concernent tous les aspects de la vie sociale. C’est pourquoi, dans une fédération comme le Canada, il est maintenant nécessaire que les collectivités membres, qui le désirent, participent activement et personnellement à l’élaboration des conventions internationales qui les intéressent directement. Il n’y a, je le répète, aucune raison que le droit d’appliquer une convention internationale soit dissocié du droit de conclure cette convention. Il s’agit des deux étapes essentielles d’une opération unique. Il n’est plus admissible non plus que l’État fédéral puisse exercer une sorte de surveillance et de contrôle d’opportunité sur les relations internationales du Québec. »
Le phénomène n’est donc pas seulement attribuable à l’intégration européenne. De plus, les régions européennes font des relations internationales à l’extérieur de l’Europe ; l’européanisation n’explique donc pas tout. La mondialisation, le désir d’attirer des investissements étrangers et de stimuler les échanges commerciaux sont des facteurs qui font en sorte que les régions réclament un rôle en relations internationales. De plus, les régions qui ont une conscience nationaliste comme la Catalogne, le Pays basque ou la Flandre sont également motivées par des aspirations d’ordre culturel.
En somme, ce livre est un peu lourd, limité dans son explication mais tout de même intéressant pour ceux qui s’intéressent au régionalisme.