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La sécurité humaine est un con-cept récent dans l’étude des relations internationales et a été popularisé par le premier rapport du pnud sur le « Développement humain » publié en 1994. La première approche remonterait aux écrits du norvégien Johan Galtung et de ses recherches sur la Paix durant les années 1960-1970. Pour Galtung, l’approche réa-liste de la paix par la négation devait être corrigée par une approche positive liée à la quête d’une justice sociale. John Burton en 1972 explique l’origine de bon nombre de conflits par la privation des besoins humains individuels. L’approche libérale américaine tente de redéfinir la sécurité en fonction de toutes les menaces à la qualité de vie des habitants d’un État. Brown et Ullman estiment que les menaces non militaires peuvent mettre en péril le bien-être des populations et leur sécurité ultime. Dans les années 1990, de nombreux critiques ont avancé que la véritable sécurité humaine ne serait atteinte que par l’émancipation des individus de la tutelle des États. Enfin les constructivites estiment que la sécurité humaine correspond à une reconstruction des normes ainsi qu’à un changement des comportements au sein du système international. Ces changements graduels entraînent les différents acteurs à encourager et institutionnaliser les interventions humanitaires d’ingérence défiant la souveraineté des États.
Le Canada, grâce à son ministre des Affaires étrangères, Lloyd Axworthy, a donné une nouvelle impulsion à ce concept et s’est fait le porte-parole de la « sécurité humaine durable », rejoint en mai 1999 par un informel « Groupe des onze » réuni à Bergen pour réfléchir sur les nouvelles normes de relations internationales en matière d’actions humanitaires.
Cet ouvrage est consacré à l’étude d’une vision de la sécurité qui a connu un retentissement diplomatique certain depuis quelques années notamment auprès des Nations Unies. Pour Jean-François Rioux, qui a dirigé ce livre, la sécurité humaine ne parle pas uniquement de sécurité nationale ou étatique mais replace le concept au coeur même de l’individu et de ses besoins essentiels.
L’ouvrage est divisé en trois grands thèmes. Le premier thème, « Conceptualisation de la sécurité humaine », vise à offrir une introduction aux tenants et aboutissants de cette approche, ainsi que des perspectives critiques. Charles-Philippe David et Jean-François Rioux se penchent sur les formes individuelles de la doctrine et tentent de démontrer les ruptures qu’elle implique avec la conception traditionnelle des relations entre États. Daniel Colard présente ensuite les sources juridiques de la sécurité humaine et défend l’idée que ce concept reflète le progrès des relations internationales en direction du droit, de la démocratie et du développement. Jean-Jacques Roche et Keith Krause offrent une perspective plus critique du concept de sécurité humaine afin d’en démontrer les déficiences dans une perspective d’émancipation.
La deuxième partie s’intitule « Thèmes de la sécurité humaine » et vise à développer certains thèmes mis de l’avant par les promoteurs de la doctrine pour les placer dans des situations concrètes. Guy Morissette décrit l’accès à l’eau potable comme un objectif international de première importance pour toute politique étrangère qui s’inspire de la sécurité humaine. Claude Garcin prend l’exemple de la Cour pénale internationale pour montrer comment la lutte contre l’impunité devient un enjeu majeur dans les rapports internationaux. Jean-François Guilhaudis étudie l’utilité du concept dans la solution des problèmes de sécession des États dans le système international actuel. Bernard Adam et Jean-Paul Hébert traitent ensuite de la question du trafic des armes dans cette perspective.
La troisième partie se nomme « Mise en oeuvre de la sécurité humaine » et cherche à identifier les tentatives faites par les États et les organisations internationales pour intégrer dans leurs activités des politiques inspirées par la sécurité humaine. Josiane Tercinet démontre que des considérations assimilables à la sécurité humaine ont influencé les activités des Nations Unies depuis ses débuts, notamment en Afrique, dans les campagnes anti-sida ou pour l’environnement. Michèle Bacot-Décriaud et Frédéric Ramel démontrent le cheminement de ces idées dans les institutions européennes et économiques internationales qui les ont intégrées à leurs activités de programmes humanitaires et de développement socio-économique. Jean Daudelin montre comment la politique de sécurité humaine pourrait affecter les politiques d’aide au développement. Enfin Jean-François Rioux se sert d’une réflexion sur la politique de défense du Canada pour illustrer certaines des difficultés que l’adoption de la doctrine de la sécurité humaine pourrait représenter pour les forces armées.
L’ouvrage se termine par trois études de cas. Haglund démontre comment la sécurité humaine est devenue importante au Canada jusqu’à servir de justification politique au Kosovo. Jean-Paul Joubert reproche aux Occidentaux de se servir de la sécurité humaine pour atteindre leurs propres objectifs nationaux. Enfin, Stanislav Kirschbaum étudie le processus de démocratisation de l’Europe centrale.
Ce livre est d’abord le fruit d’une longue réflexion sur la sécurité humaine engagée dès le début de sa création en 1996 par la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques. Les chercheurs de la Chaire, qui ont beaucoup publié sur ce sujet ces dernières années, ont voulu éditer, en collaboration avec des chercheurs français, suisses et belges, un ouvrage de référence destiné à un vaste public comprenant à la fois universitaires, diplomates et étudiants en relations internationales. C’est un ouvrage qui ne se veut pas exhaustif mais qui est tout de même remarquable par l’étendue des thèmes abordés. Si le concept de sécurité humaine suscite critiques et réserves chez certains spécialistes du droit international, c’est qu’il remet en cause la conception traditionnelle des relations internationales basée sur la prééminence et la souveraineté des États sur les individus. Il ne fait aucun doute, en lisant cet ouvrage, que le concept de « sécurité humaine globale » sera amené à se développer dans les années à venir, notamment sous l’impulsion de trois facteurs : le développement des échanges internationaux qui facilitent voyages, migrations et déplacements à travers le monde, la mise en place d’organismes internationaux de Justice internationale et enfin une prise de conscience citoyenne sur la façon d’aborder les relations internationales. Il s’agit donc ici d’un ouvrage essentiel pour qui veut comprendre les enjeux à venir en termes de sécurité globale. On pourra regretter cependant que l’ouvrage ne contienne pas d’avis de spécialistes venant de pays d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine : le danger est que le concept de sécurité humaine soit assimilé par certains à une doctrine élaborée par des « pays riches » et qui ne pourrait trouver d’écho favorable que dans le cadre de sociétés démocratiques avancées.