Ce rapport considérable de l’Unesco reprend dans une traduction française le World Social Science Report, ouvrage de référence qui datait de 1999. Fort de sa longue expérience à la tête de la prestigieuse Revue Internationale des sciences sociales (également publiée par l’Unesco), Ali Kazancigil a su réunir pour ce collectif une trentaine de chercheurs provenant de plusieurs disciplines, ainsi que des professionnels non universitaires, afin de tracer un bilan synthétique de l’état de la recherche en sciences sociales sur les cinq conti-nents. Plusieurs universitaires canadiens – tous anglophones – avaient d’ailleurs été sollicités pour des contributions : Elvi Whittaker (ubc), Ian McAllister (Dalhousie), Craig Mckie (Carleton), Rodney R. White (Toronto), Clyde Hertzman (ubc). Organisme universel par excellence, l’Unesco a également publié une édi-tion chinoise et une édition en langue russe, en plus de la version originale en anglais. La longueur des articles varie entre six et dix-neuf pages, si l’on exclut plusieurs encadrés. Ceux-ci touchent des questions spécifiques (la science, la communication, la mondialisation, l’environnement, les infrastructures, les comportements, le développement, les sphères professionnelles) ou des bilans nationaux de la recherche en sciences sociales centrés sur un pays ou même tout un continent (la Russie, l’Asie de l’Est, l’Asie du Sud, le Moyen-Orient, etc.). Le Pacifique et l’Océanie sont également couverts. Le champ des sciences sociales est ici compris de la manière la plus large possible : de la santé publique aux sciences cognitives, de l’économie à l’environnement, sans oublier la démographie, la sociologie et l’éducation. Plusieurs textes proposent une sociologie réflexive de la recherche et des chercheurs, ce qui en soi est original. Les approches interdisciplinaires et comparatives sont soulignées et fréquentes. À ce propos, l’article de Nadia Auriat sur les tendances de l’éducation et de l’emploi dans le domaine des sciences sociales illustre éloquemment l’approche privilégiée par les auteurs : fournir sur un aspect précis un bilan détaillé et déceler quelques tendances sur la manière dont se fait la recherche actuelle. Tout aussi stimulant, l’article de Victor Nemchinov sur « Les sciences sociales dans la Fédération de Russie depuis l’effondrement de l’Union soviétique » rappelle que des auteurs comme Freud et Max Weber n’étaient pas enseignés en urss avant la perestroïka, ce qui confirme que la science peut être enseignée de diverses manières et que certains fondements théoriques ou paradigmes ne sont pas si universels. Ce volumineux rapport ne se limite toutefois pas à un simple bilan faisant passivement état de la recherche actuelle. Les auteurs formulent des critiques, proposent des recommandations et des modèles de réformes, à une époque où les nouvelles technologies peuvent remodeler nos pratiques en matière d’éducation, pour le meilleur et pour le pire. Dans son article sur « Les incidences sociales des technologies de l’information et de la communication », Manuel Castells soutient que « le système scolaire a besoin de connaître certaines évolutions pour être à la hauteur de sa tâche : il faudra former les enseignants aux nouvelles technologies et aux nouvelles méthodes pédagogiques, ce qui implique un niveau d’éducation supérieur » (p. 274). La principale particularité du présent rapport est de nous renseigner sur les pratiques des chercheurs dans des pays dont nous connaissons peu les habitudes de recherches : l’Afrique sub-saharienne, le Moyen-Orient, le Pacifique, l’Amérique latine. On apprend sur les problèmes de recherche spécifiques qui y sont abordés, les modes de financement, les différents rapports entre le politique et le monde universitaire, le système de publications, la vie associative. Il est inutile de rappeler à quel point les conditions subjectives dans lesquelles se fait la recherche peuvent déterminer directement ses orientations, ses …
Les sciences sociales dans le monde.Kazancigil, Ali et David Makinson (dir.). Paris, Éditions unesco/Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2001, 402 p.[Notice]
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Yves Laberge
Département de sociologie
Chercheur associé,
Institut québécois des hautes études internationales,
Université Laval, Québec