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Au cours de la dernière décennie, la promotion et la préservation de la démocratie sont devenues des piliers centraux du système interaméricain. En effet, nous n’avons qu’à évoquer l’adoption par les États de l’hémisphère en 1991, à Santiago au Chili, de la Résolution 1080 permettant à l’Organisation des États américains (oéa) de prendre les mesures nécessaires afin de promouvoir et de défendre la démocratie représentative. Ou encore, nous pouvons rappeler la signature du Protocole de Washington en 1992 prévoyant la suspension de l’organisation régionale s’il y a interruption de l’ordre constitutionnel. Comment expliquer cette prise en charge des questions liées à la démocratie par l’oéa, organisme confiné historiquement aux questions de sécurité traditionnelles ?
C’est dans le cadre des événements entourant le cinquantenaire de la création de l’oéa en 1998, et afin de répondre à l’engouement depuis la fin de la guerre froide des cercles académiques pour l’étude des institutions internationales, que le Centre d’études internationales (cei) de l’Université de los Andes en Colombie, avec l’appui de l’Unité pour la promotion de la démocratie (upd) de l’oéa, a réuni un groupe de travail composé de seize chercheurs provenant de douze pays de l’hémisphère. Ce groupe avait pour objectif d’aborder de façon compréhensive une grande variété d’enjeux se rapportant à la relation existant entre le système interaméricain, en particulier l’oéa, et la démocratie dans l’hémisphère.
L’approche théorique qui oriente les quatorze articles de cet ouvrage est le constructivisme. Celui-ci, contrairement à d’autres approches dans le champ des relations internationales tels le néo-réalisme et l’institutionnalisme néo-libéral, postule que les identités et les intérêts de l’État sont définis en termes de la construction sociale de la subjectivité. Ainsi, les règles formelles caractérisant les diverses institutions internationales acquièrent une signification seulement lorsque les États participent dans des « processus de connaissances collectifs ». Arlene B. Tickner, compilatrice de la publication, affirme que ce n’est que dans l’optique constructiviste qu’il est possible de comprendre l’importance qu’a acquise la démocratie dans l’oéa. Elle est le produit des changements dans les préférences et les identités des États membres, eux-mêmes issus des interactions mutuelles, facteurs de construction d’une conscience hémisphérique démocratique.
L’ouvrage peut être divisé selon trois thèmes. Le premier thème concerne l’analyse de l’évolution du système interaméricain, plus particulièrement depuis la création de l’Organisation des États américains en 1948, et de la relation de celui-ci avec le renforcement de la démocratie dans l’hémisphère. Pour ce faire, non seulement la trajectoire du système interaméricain est examinée en termes généraux (chap. 1) mais sont abordés également le rôle des États-Unis (chap. 2), le développement des principes de non intervention et de souveraineté (chap. 3), l’importance du thème des droits humains (chap. 4), et les programmes stratégiques comme l’Alliance pour le progrès (chap. 5) pour la promotion de la démocratie. Nous pouvons également inclure dans ce premier thème les chapitres 6 et 7 qui font l’analyse du rôle de l’oéa dans divers conflits caribéens et d’Amérique centrale tant pendant qu’après la guerre froide.
Le deuxième thème, quant à lui, s’intéresse aux mécanismes multilatéraux mis en place pour la résolution des problèmes de l’hémisphère. Ces derniers ont reçu une impulsion définitive lors de l’adoption de l’Engagement de Santiago en 1991, et plus particulièrement de la Résolution 1080, laquelle permet à l’oéa d’intervenir en cas d’interruption de l’ordre constitutionnel démocratique dans les pays membres. Ainsi, les chapitres 8, 9, 10 et 11 examinent quatre cas pour lesquels la Résolution 1080 fut évoquée afin d’éviter une rupture de l’ordre constitutionnelle, c’est-à-dire Haïti (1991), le Pérou (1992), le Guatemala (1993) et le Paraguay (1996).
Enfin, le troisième axe explore l’influence d’un nouveau thème, le narcotrafic, et d’un nouvel acteur, le Canada, sur le système interaméricain. En guise de conclusion, le dernier chapitre offre une série de réflexions au sujet du régime démocratique interaméricain.
Bien que l’oéa ait servi les intérêts des États-Unis durant la guerre froide dans leur lutte contre le communisme, et ce, en violation de plusieurs des principes de la charte de l’Organisation, la conclusion générale qui émane de l’ouvrage est que depuis la fin de la guerre froide et le retour de la démocratie en Amérique latine, l’oéa joue un rôle important dans la promotion et la préservation de la démocratie dans l’hémisphère. Toutefois, nous pouvons nous demander quel rôle peuvent jouer d’autres acteurs internationaux de la région, tels l’aléna et le Mercosur, pour favoriser la consolidation de la démocratie. Ainsi, comment expliquer l’« ouverture protégée » du Mexique, grand défenseur du principe de non-intervention, à l’égard des activités de la Commission interaméricaine des droits humains (cidh) à partir de 1994 sur son propre territoire ? Cela s’explique-t-il, comme l’avance Covarrubias Velasco dans le chapitre 3, du fait que la cidh fait partie intégrante d’une organisation internationale gouvernementale à laquelle s’est associé volontairement le Mexique ou, faut-il plutôt y voir une incidence de l’adhésion de ce dernier à l’aléna ? Dans la même veine, bien que l’oéa ait joué un rôle important afin d’éviter une rupture de l’ordre constitutionnel au Paraguay en 1996, comme le rapportent à la fois Burrell et Shifter (chap. 2) et Mora (chap. 11), il faut rappeler le rôle de premier plan qu’à joué le Mercosur afin de mettre fin à la tentative de coup d’État. Des recherches en ce sens méritent d’être poursuivies.
Également, devant l’incidence négative, dont font part Pardo et Tickner (chap. 13), de la lutte antidrogue que mènent les États-Unis sur la consolidation de la démocratie et, plus récemment, devant les agissements du gouvernement américain à l’égard le coup d’État avorté en avril 2002 au Vénézuela contre Hugo Chavez, nous pouvons nous demander si la démocratie est véritablement au sommet des valeurs défendues par le système interaméricain, ou du moins de son principal acteur.
Cela étant dit, les articles de l’ouvrage, qui s’adressent à tous ceux et celles s’intéressant à l’évolution du système interaméricain et aux mesures multilatérales adoptées pour défendre la démocratie dans l’hémisphère, sont bien écrits, bien documentés et pertinents.