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Création et validation de l’Échelle des rôles paternels et facteurs de vulnérabilité chez les pères québécois

Depuis 1970, plusieurs études se sont penchées sur l’importance du père dans le développement de l’enfant (Lamb, 1997). Le père est considéré comme le premier agent de socialisation qui présente le monde extérieur à son enfant, ce qui ultérieurement influence la vie sociale de ce·tte dernier ·ère . Les pères sont essentiels dans la stimulation motrice de leurs enfants. Par exemple, lancer des petits « défis moteurs » aux enfants permettent de développer leur confiance motrice. Ces apprentissages se répercutent sur l’assurance des enfants à savoir qu’ils· elles ont à avoir un impact sur le monde extérieur (Goldman, 2022). Une autre étude note que l’engagement paternel pendant la période préscolaire est associé à de meilleurs résultats en lecture et en mathématiques chez les enfants plus âgés (Coley et al ., 2011). Les interactions entre le père et l’enfant font partie des prédicteurs du développement du langage de l’enfant. La tendance des pères à poser des questions ouvertes et à demander à leurs enfants de clarifier leurs idées permet à ces dernier·ère·s de développer un langage plus complexe (Lankinen et al ., 2020). Le rôle du père est donc essentiel dans le développement de l’enfant.

Au Québec, les pères se distinguent des pères canadiens par leurs attentes envers les politiques publiques. En effet, 77 % d’entre eux considèrent qu’il est primordial de disposer d’un congé de paternité et d’être encouragés à l’utiliser, contrairement à 65 % des pères canadiens. Ils accordent beaucoup plus d’importance à l’accès à des mesures de conciliation travail/famille que les pères des autres provinces. Les pères québécois sont plus enclins à soutenir l’idée que les deux parents doivent collaborer en équipe pour prendre soin des enfants et pour prendre les décisions majeures (Leduc, 2021). Néanmoins, la moitié des pères estime que leur rôle paternel est moins valorisé que celui des mères au sein de la société québécoise (Audy et al ., 2020 ; Legault, 2022 ; Regroupement pour la valorisation de la paternité [RVP], 2017; 2019).

Rôles paternels

Un rôle paternel est défini comme un ensemble d’attitudes, de valeurs et de croyances entretenues par le père qui influencent ses états mentaux et ses comportements dans la relation père-enfant (Beitel et Parke, 1998 ; Caty, 2020 ; David, 2017 ; Hagen et al ., 2016 ; Lamb et Tamis-Lemonda, 2004 ; Palkovitz, 1984 ; Schoppe, 2001). Il transparait dans l’exercice de la paternité et dans l’expérience subjective qui en découle (Kuscul et Adamsons, 2022).

Le rôle paternel est influencé par la culture et les normes sociales (Amato, 1998 ; Lamb, 2010 ; Miller, 2011 ; Turcotte et Gaudet, 2009 ; Vollmer et al ., 2015). Traditionnellement, en Occident, le rôle paternel était axé sur l’apport financier à la famille à titre de pourvoyeur (Amiot et al ., 2008 ; Barbeta-Viñas et Cano, 2017 ; Deslauriers et al ., 2009). La société favorise aujourd’hui l’adoption d’un rôle parental plus impliqué et égalitaire (Atkinson et al ., 2021 ; Dermott et Miller, 2015 ; Gatrell et Dermott, 2018 ; Singley et al ., 2018 ; Singley et Edwards, 2015). Une pluralité de rôles paternels émerge (St-Denis et St-Amand, 2010), les pères étant amenés à « définir eux‐mêmes les comportements qui y sont associés » (Conseil de la famille et de l’enfance, 2008). La communauté scientifique reconnait les rôles paternels comme étant multidimensionnels (Lamb et Tamis-Lemonda, 2004). Ces rôles comprennent dorénavant une implication directe et indirecte dans les tâches routinières de soins aux enfants ainsi qu’un soutien émotionnel et développemental (Barbeta-Viñas et Cano, 2017).

Dans leur modèle écologique, Turcotte et Gaudet (2009) rapportent d’autres facteurs pouvant être liés à l’environnement social élargi, tels que la situation financière, les conditions d’emploi et le soutien du réseau social des pères. Les auteures soulignent qu’au niveau du contexte familial, différentes caractéristiques liées aux mères (croyances à propos du rôle paternel, conditions d’emploi, pouvoir décisionnel), à la relation conjugale et coparentale ainsi qu’aux enfants (genre, âge, tempérament) peuvent influencer l’implication paternelle. Turcotte et Gaudet identifient plusieurs caractéristiques des pères pouvant impacter leur engagement paternel, notamment leur expérience avec leur propre père durant l’enfance, leurs attitudes et croyances à propos des genres, leur sentiment de compétence parentale, leur âge et leur statut socioéconomique.

Lamb et Tamis-Lemonda (2004) soulignent que différents chercheurs ont identifié des rôles paternels précis, tels que des « compagnons, soignants, conjoints, protecteurs, modèles, guides moraux, enseignants, soutiens de famille » [traduction libre] (p. 3). Ils déplorent toutefois la tendance à s’intéresser qu’à un rôle à la fois et suggèrent de considérer les différents rôles paternels simultanément.

Dans le contexte québécois, deux études portent spécifiquement sur les rôles paternels. Dans leur étude qualitative, Normand, Laforest et de Montigny (2009) concluent que les pères québécois de nourrissons perçoivent six rôles paternels mutuellement exclusifs. Le rôle passif est caractérisé par l’impuissance et l’inaction. Le rôle de présence réfère à l’importance d’être présent pour la famille. Le rôle de porte-parole permet de faire entendre les besoins de leur famille auprès de diverses instances tel le corps médical. Le rôle de soutien consiste à appuyer la mère dans les tâches ménagères (repas, épicerie) et à prendre soin d’elle (la faire rire, la rendre confortable physiquement lors de l’allaitement). Le rôle actif réfère à l’importance des pratiques efficaces dans les interactions directes avec l’enfant (soin, jeu). Le rôle de réconfort vise à apaiser l’enfant, à le mettre en confiance et à lui donner de l’affection.

Dans une plus récente étude, Caty (2020) a réalisé des entrevues semi-structurées portant sur la perception des rôles paternels auprès de dix pères considérés comme vulnérables en raison de leurs caractéristiques sociodémographiques telles que la précarité financière ou la faible scolarité. L’analyse thématique du discours révèle la présence de six rôles paternels, soit le père protecteur, le père éducateur, le père stimulateur, le père passeur, le père présent et le père modèle . Plutôt que des catégories exclusives, ces rôles sont des facettes du rôle paternel qui peuvent se chevaucher (p ar exemple, un père peut être à la fois modèle et stimulateur). Le discours des pères démontre une cohérence dans les descripteurs de rôle conceptuellement distincts les uns des autres. Le père protecteur a pour fonction d’assurer la sécurité physique, affective et matérielle de son enfant. Le père éducateur prend en charge trois thèmes : faire la discipline, enseigner les règles sociales et les règles de sécurité. Le père stimulateur favorise les activités et les jeux plus physiques comme se tirailler avec son enfant. Le père passeur accorde une importance au fait de transmettre à son enfant des valeurs, des champs d’intérêt et des habiletés qu’il possède. Le père présent souhaite jouer un rôle actif dans la vie de son enfant par son investissement affectif et privilégier du temps de qualité avec ce dernier. Le père modèle aspire à être une référence pour son enfant, notamment par le savoir-être et le savoir-faire.

Mesures des rôles paternels

Différents auteurs ont tenté de mesurer les rôles paternels à partir de concepts connexes, tels que l’identité, les attitudes, l’adaptation et l’engagement paternel. L’engagement du père a d’ailleurs longtemps été mesuré en fonction du temps passé avec l’enfant ou du nombre d’interactions avec l’enfant, ne permettant toutefois pas d’évaluer la qualité de leur relation (David, 2017 ; Fagan et al ., 2014 ; Lamb et Tamis-Lemonda, 2004). Selon Lamb et ses collègues (1987), l’engagement se divise en trois dimensions, soit l’interaction, la disponibilité et la responsabilité. Conceptualisant l’engagement paternel comme étant multidimensionnel, Paquette et al . (2000) ont développé, en français, le Questionnaire de l’engagement paternel , structurés en cinq facteurs : l’engagement positif, les soins indirects, la frustration, la chaleur et l’attention ainsi que le contrôle et le processus. Plus récemment, Singley et ses collègues (2018) ont créé le Paternal Involvement with Infants (PIWIS). Bien que l’engagement paternel soit lié aux rôles paternels, ces concepts diffèrent. Les études sur l’engagement paternel sont pertinentes, mais Lamb et Tamis-Lemonda (2004) rapportent qu’elles ne parviennent pas à mettre en lumière ce que font les pères lorsqu’ils sont disponibles ni pourquoi ils le font. À cet égard, ils suggèrent des études futures portant sur une conceptualisation plus complète des rôles paternels.

Le Role of the Father Questionnaire (ROFQ), développé et validé par Palkovitz (1980), vise à déterminer dans quelle mesure un parent estime que le rôle du père est important dans le développement de l’enfant, la compétence des pères en tant que donneur de soin, ainsi que les besoins et les capacités des jeunes nourrissons. Il comporte 15 items sur une échelle de Likert en cinq points, les scores les plus élevés reflétant une attitude selon laquelle les pères seraient capables et devraient faire preuve d’engagement et de sensibilité à l’égard de leurs enfants. Les sous-échelles mesurent l’étendue, le degré et le temps d’implication de chaque parent dans les tâches de soins à l’enfant de même que la perception de leur compétence dans l’exécution de ces tâches et le degré de confort y étant associé. Les propriétés psychométriques de l’outil ne sont cependant pas disponibles. Bien que le questionnaire ait été développé pour les pères de nourrissons, il a été adapté pour les pères d’enfants d’âge préscolaire par McBride et al . (2005). L’adaptation du ROFQ inclut 14 items. Les auteurs rapportent que cet instrument s’avère fiable, l’alpha de Cronbach variant de 0,58 à 0,83. Découlant du ROFQ, le questionnaire What is a Father  ? (WIAF) de Schoppe (2001) a 15 items portant sur les croyances sur le rôle des pères traditionnels et non traditionnels. Bruce et Fox (1999) ont développé la Father Role Salience Scale (RSS) qui comporte 10 items à propos du rôle paternel, sur une échelle de Likert en cinq points. Cet outil qui s’avère fiable, l’alpha de Cronbach étant de 0,61. Une méthode d’évaluation alternative, simple et facile, identifiée par Maurer et ses collaborateurs (2003) consiste en l’utilisation d’un diagramme circulaire. Fournissant une liste de rôles au père, ce dernier doit dessiner proportionnellement chaque partie du cercle en fonction de l’importance qu’il accorde à chaque rôle. D’autres ont tenté de mesurer les rôles paternels à l’aide de sondages populationnels (RVP, 2019), ces derniers ne faisant pas l’objet d’étude de validation.

Malgré ces multiples mesures, il n’existe actuellement aucun outil validé en français à notre connaissance permettant d’évaluer directement les rôles paternels, et ce, dans le contexte québécois. Il est ainsi pertinent de créer un instrument de mesure en se basant sur la conceptualisation de Caty (2020) puisqu’elle est issue du vécu subjectif des pères. Elle s’appuie sur six rôles paternels auxquels les pères s’identifient comme parent. Il s’agit d’ailleurs d’un échantillon de pères québécois. Il est possible de croire que les rôles identifiés par Caty s’appliqueraient à tous les pères, et non pas seulement à ceux présentant des facteurs de vulnérabilité. Les rôles identifiés semblent ainsi concorder avec la recension des écrits de Lamb et Tamis-Lemonda (2004) et les résultats qualitatifs de Normand et al. (2009), et ce, à partir d’un échantillon plus récent de pères avec et sans facteurs de vulnérabilité.

Facteurs de vulnérabilité des pères

Le concept de vulnérabilité a longtemps été perçu comme une accumulation de facteurs de risque objectivement observables et quantifiables associés aux caractéristiques socioéconomiques, culturelles et relationnelles des personnes. Cette conception de la vulnérabilité, dite particulière, domine au sein des réseaux publics qui offrent des services aux familles dans le besoin (Lacharité et al ., 2021). La précarité économique, la détresse psychologique et l’immigration récente sont quelques-uns des facteurs pouvant accroître la vulnérabilité des parents. Le cumul de ces conditions rend les parents plus vulnérables et fragilise l’expérience parentale (Caty, 2020). Ainsi, le concept de vulnérabilité dont il est question dans la présente étude va au-delà de la précarité financière des pères, car elle s’intéresse davantage aux difficultés paternelles sur le plan psychosocial.

Vulnérabilité ordinaire

La vulnérabilité « ordinaire » ou « universelle » est un phénomène inhérent au fait d’être parent (Lacharité et al ., 2021). Dès qu’une personne devient parent, elle devient plus vulnérable à l’influence de facteurs internes et externes. Cette conception de la vulnérabilité est plutôt axée sur l’expérience subjective des parents de ce qui les fragilise au quotidien. La vulnérabilité ordinaire peut avoir un impact sur la qualité de l’expérience parentale. Elle comprend trois composantes : le manque de confiance en ses capacités parentales, le manque de gratification retirée de l’exercice du rôle parental et le manque de repères orientant leurs choix comme parent (Lacharité, 2020). Sans ignorer les facteurs de risque de la vulnérabilité particulière, Lacharité (2020) considère que la vulnérabilité ordinaire permet de compléter un modèle plus global de la vulnérabilité. Il n’y aurait pas de facteurs plus importants que les autres. Ainsi, les résultats de ses recherches ont démontré que les facteurs de risques objectifs dans le domaine de la vulnérabilité particulière (situation socioéconomique, structure familiale, immigration, etc.) expliquent 55,60 % de la variance des composantes de vulnérabilité ordinaire (Lacharité et al ., 2021). Par exemple, un père jeune vivant une précarité financière est plus à risque de se sentir anxieux et moins compétent dans l’exercice de son rôle qu’un père plus nanti économiquement.

Sentiment de compétence parentale (manque de confiance). Le sentiment de compétence parentale renvoie à la perception subjective de sa propre compétence dans son rôle de parent, et donc sa capacité à remplir adéquatement son rôle parental (Côté et Lacharité, 2021 ; Ferketich et Mercer, 1995). D’une part, le sentiment de compétence parentale réfère à la composante subjective du rôle de parent. Cette notion fait référence au degré d’aisance, d’accomplissement personnel, de valorisation, de reconnaissance de ses habiletés q ue le parent attribue à son rôle parental ainsi que l’importance qu’il y accorde. D’autre part, le sentiment de compétence parentale représente la confiance du parent en ses habiletés et aptitudes liées à son rôle parental (Côté et Lacharité, 2021). S elon Trudelle et Montambault (1994), le sentiment de compétence parentale du parent permettrait de soutenir la compétence « réelle » du parent. Cette conclusion n’est toutefois pas unanime, puisqu’il est difficile de déterminer la présence d’une relation causale entre le sentiment de compétence parentale et la compétence parentale « réelle » du parent (Cardinal, 2010).

Manque de gratification. Le manque de gratification que le père retire de l’exercice de son rôle parental est une des composantes de la vulnérabilité ordinaire (Lacharité, 2020). Le fait de se sentir utile et important dans la vie de son enfant est déterminant dans l’exercice du rôle de père (Lacharité et al ., 2021). Selon Mouton et Tuma (1988), cela renvoie au sentiment de contentement d’un parent à l’égard de ses responsabilités parentales envers son enfant.

Stress parental. Dans la présente étude, le stress parental est considéré comme un facteur de vulnérabilité, dans la mesure où il serait inhérent au fait de devenir parent. En effet, les pères doivent faire face à une multitude de situations nouvelles, vivre des déséquilibres, de l’imprévisibilité et ne pas être toujours en contrôle des événements qui se produisent (Moffette, 2013). Le stress parental réfère à un état de malaise psychologique lié à l’éducation de l’enfant (Lacharité et al ., 1992). Le sentiment de stress parental serait en lien à la fois avec les événements et les contraintes liées à la vie des parents et à la perception de manquer de repères dans l’exercice du rôle de parent (Lacharité, 2020). Les travaux de Deater-Deckard et Scarr (1996) révèlent que le stress vécu par les parents a un impact crucial sur la santé mentale et le fonctionnement des parents (mères et pères), et des enfants ainsi que sur le fonctionnement de leur relation. Le stress parental affecte négativement la qualité du parentage et la satisfaction que le parent retire de son rôle (Booth et al ., 2018 ; Lacharité et al ., 2021). Ainsi, plus le niveau de stress parental est élevé, plus les comportements parentaux sont dysfonctionnels (Abidin, 1990).

La présente étude s’intéresse à trois facteurs de vulnérabilité : le manque de gratification, le sentiment de compétence parentale et le stress parental. Comme discuté plus haut, le manque de confiance et le manque de repères de la vulnérabilité ordinaire sont inclus respectivement dans le sentiment de compétence parentale et le stress parental (Lacharité, 2020). Ils ne seront donc pas abordés comme tels, mais bien comme faisant partie de ces deux concepts.

Objectifs de recherche

En somme, il est possible de constater qu’il n’existe pas d’outil validé en français permettant de déterminer les rôles auxquels les pères s’identifient. La présente étude vise à développer un nouvel outil pour mesurer les rôles paternels et examiner ses propriétés psychométriques. La conceptualisation de l’outil s’appuie sur les résultats récents de Caty (2020), qui a souligné six rôles paternels à partir du discours de pères ayant été interrogés sur leur expérience de la paternité. De plus, il apparaît pertinent d’explorer s’il existe un lien entre la perception du rôle paternel et les facteurs de vulnérabilité ordinaire. L’étude étant exploratoire, aucune hypothèse n’est posée.

Méthode

Participants et déroulement

L’échantillon non probabiliste est composé de 462 pères vivant au Québec et ayant au moins un enfant de moins de 12 ans. L’âge des enfants se limite à 12 ans pour pallier l’impact des enjeux liés à l’adolescence sur les variables à l’étude, tel que la séparation de l’enfant de ses parents et le développement de son indépendance (Hôpital de Montréal pour enfants, 2018). Les pères sont âgés de 22 à 65 ans ( M = 36,82 ; ÉT = 6,33) et ont entre un et sept enfants ( M = 1,96 ; ÉT = 0,90). Les pères ont en moyenne 5,81 années d’expérience de paternité ( ÉT = 4,59 ; min  = 0,02 ; max = 39). L’état civil des pères se distribue ainsi : 45,70 % sont en union de fait, 27,70 % sont mariés, 17,70 % sont en couple et 8,90 % sont célibataires, séparés, divorcés ou veufs. De plus, 82 % des pères vivent dans une structure familiale intacte, 9,40 % ont une famille monoparentale et 9,40 % ont une famille recomposée. En ce qui concerne le niveau de scolarité des pères, 29,70 % ont un diplôme d’études secondaires, 18,60 % un diplôme d’études collégiales, 4,40 % un certificat universitaire, 27 % un baccalauréat, 15,30 % une maitrise ou un doctorat, et 4,60 % n’ont aucun diplôme. Pour l’aspect financier, 38,10 % des pères rapportent avoir un revenu très suffisant, 40,50 % un revenu suffisant, 17,10 % un revenu insuffisant et 2,20 % un revenu très insuffisant.

Les participants ont été recrutés à travers le Québec par le biais d’organismes communautaires, de Centres de la Petite Enfance (CPE), d’écoles alternatives et de la plateforme Facebook. Le recrutement s’est fait en fonction des critères d’inclusion suivants : être âgé de 18 ans et plus, avoir au moins un enfant âgé de 12 ans et moins, vivre au Québec et bien comprendre le français. Par l’intermédiaire du formulaire de consentement, les participants étaient informés que leur participation reposait sur une base volontaire, tout en préservant l’anonymat et la confidentialité des résultats. Les participants avaient la consigne de remplir le questionnaire en ligne d’une durée de 25 minutes en une seule passation. Quatre cartes cadeaux d’une valeur de 25 $ ont été tirées au hasard parmi les participants. L’approbation du comité d’éthique de la Faculté des lettres et sciences humaines de [établissement anonymisé] a été obtenue avant de commencer le recrutement.

Instruments de mesure

Variables sociodémographiques

Le questionnaire sociodémographique a été conçu par l’équipe de recherche pour recueillir des informations sur le père et sa famille. Les participants étaient invités à remplir 14 questions à choix de réponses ou réponses courtes (âge, occupation, état civil, âge de l’enfant, milieu de vie, consommation de substances, présence de diagnostic de santé mentale, etc.).

Rôles paternels

L ’ Échelle des rôles paternels (ERP) est un instrument visant à évaluer le degré d’identification des pères aux comportements correspondant à chaque rôle paternel déterminé par Caty (2020 ; voir Tableau 1). L’instrument de mesure de type auto rapporté est développé en se basant sur la méthode en trois phases de Boateng et al . (2018) : développement d’items, développement d’échelles et évaluation d’échelles. Au total, l’outil comporte 45 items. La majorité des items ont été formulés par les chercheuses, lesquels s’appuient sur les formulations utilisées dans la description des rôles paternels par Caty (2020). Des items supplémentaires proviennent d’échelles existantes, dont le Questionnaire d’ouverture sur le monde (QOM) de Boucheneb (2021). Les items du QOM ont été sélectionnés par validité de contenu. Le QOM évalue deux dimensions : la stimulation et le contrôle. Douze items mesurant la stimulation ont servi à créer les items du père stimulateur, protecteur et éducateur. Quatre items mesurant le contrôle ont inspiré la création d’items du père modèle : la composante « vouloir montrer l’exemple » a été ajoutée (par exemple, aider l’enfant à affronter ses peurs en représentant un modèle à suivre).

Les items sont sous forme d’échelle de type Likert en dix points (1 « tout à fait en désaccord » à 10 « tout à fait en accord »), permettant aux participants de nuancer leur opinion (Hogan, 2017 ; Preston et Colman, 2000). Certains items incluent également une modalité « ne s’applique pas » dans le cas où ils ne seraient pas adaptés à un enfant en plus bas âge. Plus le résultat à la sous-échelle est élevé, plus le participant présente un haut degré d’adhésion à ce rôle paternel.

Les items ont d’abord fait l’objet d’un consensus entre les chercheuses. Ils ont ensuite été soumis à une chercheuse ayant une expertise du domaine de la relation père-enfant. Afin de prétester le questionnaire, deux pères ont rempli la version initiale de l’instrument, puis la compréhension qu’ils avaient des différentes questions a été explorée avec eux lors d’un bref entretien qualitatif individuel. Il est à noter que les deux pères qui ont participé au prétest n’ont pas participé à la passation de la version finale.

Vulnérabilité ordinaire

Trois autres questionnaires ont été utilisés pour mesurer les facteurs de vulnérabilité ordinaire : le manque de gratification, le sentiment de compétence parentale et le stress parental.

Sentiment de compétence parentale. L’ Échelle du sentiment de compétence parentale mesure la perception subjective des parents quant à leur compétence à assurer leur rôle de parent (Côté et Lacharité, 2021). Cet instrument est une version abrégée québécoise du Parenting Sense Of Competence de Gibaud-Wallston et Wandersman (1978, cité dans Johnston et Mash, 1989). Validée par Côté et Lacharité (2021), l’échelle totale contient 12 items et a une bonne cohérence interne ( α = 0,81 ; α = 0,81 dans cet échantillon). Par souci de cohérence avec le reste du questionnaire, la cotation de l’échelle de type Likert a été inversée allant de 1 « fortement en désaccord » à 6 « fortement en accord » . Plus le score à l’échelle est élevé, plus le sentiment de compétence parentale est élevé (Côté et Lacharité, 2021 ; Lavoie et Fontaine, 2016).

Manque de gratification. Six items d’un sondage de Gagné (2019) portant sur l’état des lieux sur la paternité au Québec ont été sélectionnés et inversés par Lacharité et al . (2021) afin d’évaluer le manque de gratification. Par souci de cohérence avec le reste du questionnaire, les items sont reformulés pour être répondus avec une échelle de type Likert en six points allant de 1 « Fortement en désaccord » à 6 « Fortement en accord ». Un score moyen des six items a été calculé ; plus le score de cette échelle est élevé, moins le père se sent gratifié dans son rôle. L’outil a une bonne cohérence interne au sein de l’échantillon (α = 0,84).

Stress parental. L’ Indice de stress parental – version courte mesure l’ état de malaise psychologique lié à l’éducation de l’enfant, c’est-à-dire le stress du parent lorsqu’il élève son enfant (Bigras et al. , 2009). Il s’agit de la version francophone du Parental Stress Index Short Form originalement élaboré par Abidin (1990). Cet outil comporte 36 items avec une échelle de type Likert en cinq points allant de 1 « Fortement en désaccord » à 5 « Fortement en accord ». Le score de stress parental est calculé à partir de la somme des résultats aux items. Un score supérieur à 90 indique un niveau élevé de stress parental, alors qu’un score inférieur à 90 reflète un niveau moyen de stress parental (Bigras et al ., 2009). L’instrument a une bonne cohérence interne au sein de l’échantillon (α = 0,91).

Tableau 1

Items de la version originale de l’Échelle des rôles paternels

Items de la version originale de l’Échelle des rôles paternels

Notes.1 Ces items ont un niveau d’échelle « Ne s’applique pas ». 2 Ces items n’ont pas été retenus dans la solution finale.

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Résultats

Analyse factorielle

Afin de mettre en évidence la structure sous-jacente de l’ERP, une analyse factorielle exploratoire (AFE) de type alpha-maximisation avec rotation oblique de type oblimin a été conduite sur les 45 items de l’outil. Ce type d’analyse permet de maximiser la fiabilité des facteurs et de considérer les corrélations possibles entre les échelles (T abachnik et al ., 2007 ; Berger, 2021) . Les postulats ont été respectés. La taille de l’échantillon surpasse le ratio de dix participants par variable (462 > 450; Nunnally et Bernstein, 1994) et la valeur de 0,002 du déterminant de la matrice de corrélations indique l’absence d’une matrice d’identité ou d’une matrice singulière. Le test de sphéricité de Bartlett significatif (χ 2 (325) = 2476,56, p < 0,001) et la mesure de l’adéquation de l’échantillon Kaiser-Meyer-Olkin de 0,82 indiquent que la matrice de corrélation peut être soumise à l’AFE. Pour la gestion des données manquantes, quatre items ont indiqué un seuil de plus de 5 % de valeurs manquantes. Le test MCAR de Little ( p < 0,001) révèle un patron de données manquantes non aléatoires. L’imputation des données manquantes a été effectuée pour pallier ce problème. De plus, toutes observations incomplètes ont été retirées de l’analyse. Ensuite, quatre items ont été exclus de l’analyse, parce qu’ils n’étaient pas suffisamment discriminants. La distance de Cook ( Max = 0,07) indique l’absence de scores extrêmes multivariés. Selon la qualité de représentation des items, 13 items ont été exclus puisqu’ils présentaient des indices de communautés inférieurs au seuil de 0,20 (Floyd et Widaman, 1995). L’observation des coefficients de saturation souligne qu’un seul item présente une saturation sur plus d’un facteur (Tabachnik et al ., 2007) et deux items ne saturent sur aucun facteur. Ces trois items sont retirés de l’analyse.

L’analyse révèle une structure en quatre facteurs qui permettent d’expliquer 33,24 % de la variance commune. Les résultats de cette analyse mettent en évidence 26 items pertinents sur les 45 items de la version originale. Afin de vérifier la cohérence interne de chacun des facteurs, les scores des sous-échelles sont créés en calculant la moyenne de leurs items respectifs. Pallant (2001) indique qu’une valeur d’Alpha Cronbach supérieure à 0,60 est considérée comme une fiabilité élevée et un indice acceptable (Nunnally et Bernstein, 1994). En retirant un item à la fois, aucun alpha de Cronbach n’a une valeur supérieure à 0,925 confirmant que tous les items sont pertinents à l’échelle (Stafford et Bodson, 2006).

Le Tableau 2 présente la solution finale en quatre facteurs, leur alpha de Cronbach et les coefficients de saturation de chaque item. Les items regroupés sous le même facteur suggèrent que le facteur 1 représente le rôle de transmission, le facteur 2 le rôle de discipline, le facteur 3 le rôle d’engagement et le facteur 4 le rôle de stimulation. Le rôle de transmission réfère à la volonté de donner de soi à son enfant (partage des loisirs, des valeurs, des habiletés, etc.). Le rôle de discipline concerne l’application de sanctions lorsque l’enfant transgresse les règles. Le rôle d’engagement est déterminé par le fait d’être disponible pour son enfant, de le réconforter quand il en a besoin et d’être soucieux des sources de dangers potentiels pour son enfant. Le rôle de stimulation consiste à favoriser les jeux physiques et l’exploration ainsi qu’encourager l’enfant à sortir de sa zone de confort en lui donnant des défis. Le Tableau 3 présente les statistiques descriptives et les corrélations des rôles paternels de l’ERP.

Tableau 2

Analyse factorielle exploratoire de l’Échelle des rôles paternels

Analyse factorielle exploratoire de l’Échelle des rôles paternels

Note. Les coefficients de saturation inférieurs à 0,32 ne sont pas présentés.

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Tableau 3

Statistiques descriptives et matrice de corrélations de l’Échelle des rôles paternels

Statistiques descriptives et matrice de corrélations de l’Échelle des rôles paternels

Note.N = 455. * p < 0, 05. ** p < 0,01. 

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Corrélations 

La recherche vise également à déterminer s’il existe des liens entre les rôles paternels et les facteurs de vulnérabilité. Pour ce faire, des analyses de corrélations de Pearson sont effectuées. Les postulats de base sont vérifiés : la distribution des variables ne s’éloigne pas de la normalité selon le test Kolmogorov-Smirnov (p < 0,01) et le postulat de linéarité est respecté selon les diagrammes de dispersion. Le tableau 4 présente les statistiques descriptives et les corrélations entre les rôles paternels et les facteurs de vulnérabilité.

Tableau 4

Statistiques descriptives et matrice de corrélations des rôles paternels et des facteurs de vulnérabilité

Statistiques descriptives et matrice de corrélations des rôles paternels et des facteurs de vulnérabilité

Note.N = 450. ** p < 0,01. 

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Le sentiment de compétence parental a un lien significatif faible et positif avec le rôle de transmission (r 2 = 0,08), de discipline (r 2 = 0,05) et d’engagement ( r 2 = 0,05). Les pères qui se reconnaissent dans ces rôles rapportent se sentir compétents dans l’exercice de leur paternité. Le sentiment de compétence parental a un lien modéré et positif avec le rôle de stimulation (r 2 =  0,14). Plus le père se sent compétent, plus il adhère au rôle de stimulation.

Le manque de gratification a un lien significatif modéré et négatif avec le rôle de transmission ( r  2 = 0,16), d’engagement ( r 2 = 0,12) et de stimulation ( r 2 = 0,13). Les pères qui se reconnaissent dans ces rôles rapportent retirer de la gratification dans l’exercice de leur parentalité. Il n’existe pas de lien significatif entre le manque de gratification et le rôle de discipline ( p = n.s.). L’indice de stress parental a un lien significatif faible et négatif avec le rôle de transmission ( r 2 = 0,04), d’engagement ( r 2 = 0,04) et de stimulation ( r 2  = 0,08). Les pères qui s’identifient à ces rôles rapportent se sentir moins stressés dans l’exercice de leur parentalité. L’indice de stress parental a un lien faible et positif avec le rôle de discipline ( r  2  = 0,08). Les pères qui adhèrent à ce rôle rapportent se sentir plus stressés dans l’exercice de leur parentalité. 

Discussion

L’objectif de l’étude était de développer et d’explorer les propriétés psychométriques d’un instrument mesurant les rôles de pères. La conceptualisation de Caty (2020) a été utilisée pour la création de l’outil, mais la structure factorielle de ce dernier révèle quatre rôles au lieu de six. La différence entre la structure théorique et expérimentale peut être expliquée notamment par le fait que les pères de l’échantillon n’avaient pas tous des facteurs de vulnérabilité particulière contrairement aux pères de l’étude de Caty (2020). D’autre part, il se peut que les construits de Caty n’étaient pas conceptuellement assez distincts pour se refléter comme tels dans une étude quantitative.

Par ailleurs, les quatre facteurs de l’ERP ont des cohérences internes acceptables. Bien qu’une valeur d’alpha minimale de 0,8 soit généralement acceptée selon Kline (1999), une cohérence interne inférieure à 0,7 peut être attendue et acceptable lors de la mesure de construits psychologiques en raison de la diversité des construits mesurés. Les sous-échelles de l’ERP contiennent entre trois et neuf items chacune. Ce nombre réduit d’items peut influencer la valeur de l’alpha qui serait alors plus faible. Il importe de mentionner que les rôles de pères ne sont pas mutuellement exclusifs et qu’il s’agit de construits qui se chevauchent. L’ERP est en premier lieu constituée de questions formulées à partir des six rôles énumérés par Caty (2020) qui se sont par la suite regroupés en quatre facteurs. Il est possible qu’une cohérence interne plus faible au sein des sous-échelles soit causée par le chevauchement des questions entre les différents facteurs et entre les construits même des rôles de pères. Bien que les cohérences internes aux sous-échelles et les pourcentages de variances expliquées par l’ERP ne soient pas suffisants pour justifier une utilisation diagnostique pour le moment, il est possible d’en faire un usage d’accompagnement des pères par des intervenant·e·s pour leur permettre de gagner une meilleure compréhension d’eux-mêmes et de comment ils définissent leur paternité.

Dans une vision plus exploratoire, la présente étude visait à vérifier l’existence de liens entre les rôles paternels identifiés par l’ERP et les facteurs de vulnérabilité ordinaire (sentiment de compétence parentale, manque de gratification et stress parental). Les analyses suggèrent qu’il y a bel et bien des liens entre les deux groupes de variables. Les résultats confirment effectivement les conclusions d’études antérieures sur le sujet. Les paragraphes suivants approfondiront les résultats en fonction des rôles paternels.

Rôle de transmission

Plusieurs ouvrages se sont penchés sur le rôle de transmission avec une connotation plus négative telle la transmission intergénérationnelle des traumas (Mew et al., 2022; Yehuda et Lehrner, 2018). Dans la présente étude, le rôle de transmission a une connotation plus positive. En effet, il réfère à la volonté des pères de transmettre de leur personne à leur enfant. Ils cherchent à partager des valeurs, des intérêts, des habiletés communs, ainsi que de bonnes manières avec leur enfant en montrant l’exemple par leurs attitudes et leurs comportements. Le rôle de transmission semble se centrer plus sur le besoin des pères d’instaurer une filiation que celui de leur enfant. La connotation des items suggère le besoin des pères d’avoir un enfant à leur image avec qui ils ont des affinités (« je souhaite transmettre un peu de moi à mon enfant », « j’essaie d’apprendre des habiletés à mon enfant dans lesquelles je suis bon »). Le rôle de transmission propose une association complémentaire du père passeur et du père modèle. Cela peut s’expliquer par les ressemblances conceptuelles partagées par ces deux rôles paternels. Pour partager des valeurs communes avec leur enfant, les pères doivent leur montrer comment les incarner dans leurs comportements quotidiens, ce qui justifie pourquoi un item du père éducateur s’est joint à ce facteur. Le rôle de transmission identifié par cet article concorde avec les résultats d’autres recherches. Tout d’abord, l’étude qualitative de Kamal (2016) auprès de neuf pères révèle également le rôle de transmission que les pères s’attribuent. Les résultats de l’ouvrage confirment ces résultats puisque les pères soulignent l’importance qu’ils accordent au fait d’inculquer de bonnes valeurs à leurs enfants et de partager leurs connaissances avec ces derniers. Par la suite, Donnat (2004) a observé la transmission de passions au fil des générations et l’apport des parents dans ce processus. Il semblerait que la transmission soit un rôle parental relativement nouveau. Les participants de 29 à 44 ans sont plus nombreux à avoir transmis des passions à leur enfant que les participants de 60 ans et plus (Donnat, 2004).

Les analyses de la présente étude montrent un lien significatif entre le rôle de transmission et le sentiment de gratification et de compétence dans le rôle de père. Malgré le peu d’études sur la transmission de valeurs et d’intérêts des pères aux enfants, ces résultats appuient ceux de Kamal (2016). Les participants de son étude déclarent retirer une satisfaction à contribuer au développement de leur enfant, notamment en leur transmettant des connaissances, des habiletés et des compétences.

Une hypothèse pour expliquer ce lien pourrait être qu’un père qui partage des affinités avec son enfant retire plus de gratification de son rôle, parce que son besoin de filiation est comblé lorsqu’il remarque que son enfant lui ressemble. Par le fait même, un père qui comprend la transmission comme étant une partie intégrante du rôle de père pourrait se sentir compétent lorsqu’il voit les effets de celle-ci chez son enfant ; un enfant lui ressemblant et partageant avec lui des habiletés, des valeurs et des intérêts.

Par la suite, les analyses révèlent qu’il y a une association significative et négative entre le niveau de transmission des pères et leur indice de stress parental. Plus un père se sent stressé, moins il adhère au rôle de transmission. Vu le peu de recherche portant sur le rôle paternel de transmission, il n’est pas possible de comparer les résultats du présent ouvrage à des études existantes. L’indice de stress parental mesure le bien-être, la satisfaction et l’aisance du parent dans sa relation avec l’enfant et la perception du parent de la difficulté de l’enfant. Ainsi, un père n’étant pas satisfait ou à l’aise dans sa relation avec son enfant pourrait moins adopter des rôles qui s’appuient sur la qualité de cette relation comme la transmission.

Rôle de discipline

Selon les résultats de la recherche, le rôle de discipline renvoie à pénaliser son enfant lorsqu’il transgresse les règles établies par l’autorité parentale. Le rôle de discipline repose sur trois items découlant du rôle de père. Cela peut être expliqué par le fait que les différentes formes de discipline aident les parents à éduquer et guider leur enfant (Nieman et al ., 2004). Le rôle de discipline est étroitement lié à la dimension de contrôle dans la théorie de la relation d’activation. Selon cette théorie les pères doivent imposer des limites à leur enfant afin de maintenir un cadre sécuritaire à son besoin de stimulation. Ils ne doivent pas seulement adopter le rôle de camarade de jeu, mais aussi avoir la capacité de faire respecter leur autorité auprès de leur enfant (Paquette, 2004). Malgré sa connotation pouvant sembler négative, il est nécessaire de souligner que la discipline est essentielle à l’éducation des enfants. Selon Cloutier et Renaud (1990), la discipline des parents permet d’orienter la conduite et les acquis de l’enfant ce qui, accompagné d’encouragements, peut moduler sa conception de la réussite. L’enfant intériorise seulement les règles qui lui sont imposées, d’où l’importance pour un parent d’exercer des comportements de discipline.

Les analyses de la présente étude suggèrent qu’il n’y a pas de lien significatif entre le rôle de discipline et le manque de gratification. Toutefois, quelques recherches se sont intéressées aux liens entre la satisfaction familiale des parents (satisfaction des interactions familiales) et l’utilisation des mesures de discipline négatives (punitions physiques, ignorer l’enfant, etc.). L’utilisation de discipline négative est associée à une plus faible satisfaction familiale chez les parents (Carvalho et al ., 2018 ; Lawrence et al ., 2021). L’absence de lien entre ces deux variables dans le présent ouvrage est possiblement attribuable au fait que le type de discipline mesuré n’est connoté ni positivement ni négativement.

Les analyses révèlent également que plus les pères adhèrent au rôle de discipline, moins ils auront tendance à se sentir compétents dans leur rôle de parent. Selon Easterbrooks et Goldberg (1984), les pères en transition à la parentalité (enfants de 20 mois) qui se sentent moins compétents dans leur rôle parental ont des attentes inappropriées, telles qu’obéir à la lettre, envers leurs tout-petits, notamment sur le plan de la discipline. L’étude de Bachand (2013) portant sur les enfants d’âge scolaire stipule que plus les pères se sentent compétents dans leur rôle paternel, plus ils ont tendance à exercer un contrôle parental, référant à la dimension de discipline.

Finalement, les analyses soulignent que plus les pères adhèrent au rôle de discipline, plus ils ont tendance à se sentir stressés dans leur rôle de parent, ce qui confirme les résultats antérieurs (Verhoeven et al ., 2017). La similitude des résultats entre les deux études est à interpréter avec prudence puisque le rôle de discipline ne correspond pas tout à fait à la discipline négative mesurée par Verhoeven. Plusieurs autres écrits scientifiques démontrent qu’un niveau de stress élevé chez les parents augmente l’utilisation de la discipline comme pratique éducative (Burgess et Conger, 1978 ; Morin, 1996). Un parent stressé manifeste moins de patience à l’égard de son enfant et adopte des comportements éducatifs plus sévères.

Rôle d’engagement

Le rôle d’engagement renvoie à la disponibilité des pères pour leurs enfants. Les pères considèrent leurs enfants comme leur priorité et s’engagent activement dans leurs soins et leur sécurité. Ce rôle regroupe les items du père présent, éducateur ainsi que protecteur. Le père protecteur veut assurer la sécurité physique et affective de son enfant en le consolant en cas de besoin et en prévenant des blessures potentielles. Le père éducateur enseigne les règles de sécurité à son enfant. Le père présent passe la plupart de son temps libre et s’implique activement auprès de son enfant qu’il considère comme sa priorité. Le concept commun à ces trois rôles est l’engagement paternel, s’appuyant sur les trois piliers stipulés par Lamb et ses collègues (1987) : l’interaction directe des pères avec leur enfant (réfère au père présent), la disponibilité des pères (réfère au père présent) et la responsabilité paternelle (tâche d’éducation et de soin ; réfère aux pères éducateur et protecteur). De plus, une étude visant à évaluer la sensibilité paternelle en situation de jeu libre révèle l’importance de l’engagement paternel pour la qualité de la relation père-enfant, notamment par la mise de limites et des comportements démontrant une disponibilité physique et affective (Bissonnette, 2019). 

Les analyses révèlent que plus les pères valorisent l’engagement envers leurs enfants, plus ils se sentent gratifiés et compétents dans leur rôle parental. La présente étude appuie les résultats antérieurs qui révèlent que plus les pères se sentent compétents et sont satisfaits ou valorisés dans leur rôle parental, plus ils sont engagés auprès de leurs enfants (Beitel et Parke, 1998 ; Bouchard et al ., 2007 ; Minton et Pasley, 1996 ; Turcotte et al. , 2001). McHale et Huston (1984) montrent que les pères s’impliquent davantage dans les tâches associées aux soins et les activités de loisirs avec leurs enfants lorsqu’ils se perçoivent comme ayant les compétences et aptitudes requises pour le faire. Une autre hypothèse serait que, puisque les pères engagés passent nécessairement beaucoup de temps avec leurs enfants, ils développeraient une relation de proximité avec ces derniers les outillant à mieux reconnaître et répondre à leurs besoins. La réponse adaptée des pères aux besoins de leur enfant renforcerait ainsi leur confiance en leurs aptitudes parentales et ils retireraient aussi une satisfaction de leur rôle parental.

Pour finir, les analyses indiquent que plus les pères valorisent l’engagement envers leurs enfants, moins ils ressentent du stress en lien avec leur rôle de parent. Une fois de plus, cela confirme les résultats de plusieurs études antérieures ayant montré un lien bidirectionnel entre les variables. En effet, une étude regroupant 145 pères portugais révèle que les participants ayant un niveau de stress parental plus élevé sont moins engagés auprès de leur enfant (Simões et al ., 2010). Ces résultats sont cohérents avec les résultats d’autres études internationales (Crnic et al. , 2005 ; Guajardo et al ., 2009 ; Whiteside-Mansell et al ., 2007). De plus, des programmes d’intervention pour augmenter le degré d’engagement des pères envers leur enfant d’âge préscolaire ont permis de diminuer le niveau de stress parental (Fagan et Iglesias, 1999).

Rôle de stimulation

Le rôle de stimulation est étroitement lié au concept de comportements parentaux de stimulation qui favorisent chez l’enfant l’affirmation de soi, la prise de risques et le dépassement des limites (Majdandžić et al ., 2016). Avec la relation d’activation, ces comportements font partie de l’ activation parenting (AP). L’AP est définie comme étant une combinaison de stimulation, de déstabilisation et de mise de limites (Feldman et Shaw, 2021 ; Stevenson et Crnic, 2013a, 2013b). Dans la présente étude, le rôle de stimulation illustre bien les dimensions de stimulation et de déstabilisation alors que l’aspect de mise de limite semble être mieux représenté dans le rôle de discipline . En plus des items du père stimulateur, le rôle de stimulation comporte aussi certains items du père modèle. Il a été avancé qu’u n moyen utilisé par les pères pour encourager l’ouverture chez leur enfant est d’adopter une posture de modèle. Selon le concept de modélisation stimulante (comportement parental de stimulation), un enfant reproduira une action devant laquelle il·elle a des appréhensions, parce que son père l’aura fait avant lui·elle (Majdandžić et al ., 2016). En jouant le rôle de modèle, les pères favorisent la stimulation de l’enfant. Les comportements parentaux de stimulation ainsi que le père stimulateur de Caty (2020) semblent bien mesurés par le rôle de stimulation de notre étude.

Les analyses révèlent que plus les pères stimulent leurs enfants, plus ils retirent de la gratification de leur rôle parental et se sentent compétents. Un haut sentiment de compétence et de gratification pour des pères exhibant fréquemment des comportements de stimulation envers leur enfant pourrait être attribuable au fait que ces comportements sont concrets et ont des retombées positives rapidement observables sur l’enfant. Par exemple, un père défiant son enfant pourrait se voir gratifié et se sentir compétent comme parent quand l’enfant réussit le défi. Il est aussi possible que les pères se sentent compétents lors de comportements stimulateurs puisque la stimulation est un rôle plus souvent associé aux pères dans la société occidentale. Cependant, aucune recherche appuyant ces liens n’a été recensée.

Les analyses indiquent que plus les pères stimulent leurs enfants, moins ils se sentent stressés dans leur rôle parental. Ces résultats appuient au moins une autre étude ayant trouvé une corrélation négative entre des items attribués à l’utilisation des comportements parentaux de stimulation par les pères et le PSI-SF également adopté dans la présente étude (Verhoeven et al ., 2017). Lessard (2008) a démontré un lien significatif entre le stress parental et la qualité de la relation père-enfant. Une hypothèse pourrait être que l’adhésion au rôle de stimulation améliorerait la qualité de la relation père-enfant, ce qui diminuerait par la suite le stress parental des pères. Ces liens ne peuvent en revanche pas être appuyés pour l’instant.

Conclusion

L’ERP permet de supporter plusieurs recherches et conceptualisations concernant la paternité et la manière dont les pères conçoivent leurs rôles auprès de leur enfant. En s’appuyant sur la recherche de Caty (2020) pour développer l’ERP, l’outil a été construit à partir de la subjectivité du discours des pères. Les analyses révèlent que l’outil a une bonne fidélité. Bien que les alphas soient trop faibles pour une utilisation clinique, des intervenant·e·s peuvent y recourir dans un contexte d’accompagnement auprès de pères. Il est recommandé dans une recherche future d’effectuer une analyse factorielle confirmatoire de l’ERP. Il est à noter que l’outil semble moins bien adapté pour les pères avec plusieurs enfants. Comme le tempérament influence l’interaction parent-enfant (Turcotte et Gaudet, 2009), il est possible que plusieurs pères aient répondu aux items en pensant à plusieurs de leurs enfants à la fois. Cela peut limiter la fiabilité du questionnaire, en entrainant un manque de cohérence entre les réponses. La consigne de penser à ses enfants de manière plus globale devrait être ajoutée au guide d’administration. De plus, le fait que l’outil soit autorapporté peut laisser place à un certain biais de désirabilité sociale (par exemple, un père pourrait surévaluer son implication auprès de son enfant pour paraître plus présent).

Cette étude semble être une des premières à identifier quantitativement le rôle de transmission. Des recherches ultérieures pourraient approfondir les connaissances sur le caractère plus positif de la transmission paternelle et explorer ce rôle et leurs besoins sous-jacents. Les rôles paternels et les facteurs de vulnérabilité ordinaire n’avaient encore jamais été mis en lien. Cette recherche offre une contribution nouvelle à la recherche sur la paternité et sur ce qui fragilise les pères au quotidien.

Toutefois, l’échantillon n’est pas tout à fait représentatif de l’ensemble des pères québécois. En effet, 82 % des participants ont une structure familiale intacte alors que moins des deux tiers des familles au Québec sont intacts. De plus, 46,74 % de l’échantillon a atteint ont un diplôme de niveau universitaire tandis que ce pourcentage s’élève à 26,10 % pour les hommes au Québec (Statistiques Canada, 2021). Par ailleurs, les pères recrutés pour l’étude étaient volontaires et aucune méthode spécifique visant à bonifier la représentativité n’a été utilisée pour le recrutement. Une recherche ultérieure portant sur la validation de l’ERP pourrait comporter un recrutement à plus grande échelle afin de s’assurer de la généralisation des résultats à l’ensemble des pères québécois. Une étude longitudinale sur les rôles paternels et leur évolution selon l’âge de l’enfant pourrait être intéressante étant donné que les pères concevraient leurs rôles comme fluctuant avec l’âge de leur enfant (Normand et al ., 2009).

La manière dont les pères vivent leur paternité et conçoivent le lien avec leur enfant est davantage méconnue. Cette étude permet de contribuer à l’avancement des connaissances sur la perception qu’ont les pères de leur rôle paternel ainsi que certains facteurs de vulnérabilité qui s’y rattachent. Bien que l’outil soit moins adapté à une utilisation clinique, il est un outil d’accompagnement intéressant pour des intervenant·e·s œuvrant auprès de pères. L’approche préconisée dans cette recherche met l’accent sur ce que les pères ont, plutôt que sur ce qu’ils n’ont pas. Cette vision pourrait permettre aux intervenant·e·s d’utiliser les forces des pères, soit les rôles paternels auxquels ils adhèrent, comme levier de mobilisation en plus de travailler les problèmes qui les amènent à solliciter de l’aide. Les intervenant·e·s pourront se baser sur ce que les participants de la présente étude ont rapporté afin de brosser un portrait plus global des pères : jusqu’à quel point ils se sentent compétents, gratifiés et stressés dans leur rôle parental.