Corps de l’article

À l’aube des années soixante, la Guadeloupe se transforme en véritable foyer d’émigration vers la France hexagonale (Constant, 1987 ; Domenach et Picouet, 1992; Pattieu, 2016 ; Haddad, 2018 ; Milia Marie-Luce, 2002). Un organisme public du nom du Bureau des Migrations intéressant les Départements d’Outre-mer (BUMIDOM) voit le jour et a pour mandat d’inciter et d’accompagner l’émigration des Français d’outre-mer vers l’hexagone. De 1963 à 1981, plus de 160 000 jeunes âgés de 18 à 25 ans quittent famille et entourage des anciennes colonies pour vivre en France hexagonale, munis d’un billet « aller simple » avec la promesse d’une formation professionnelle ou d’un emploi (Constant, 1987 ; Condon, 2008 ; Célestine, 2009 ; Haddad, 2018). Ce mouvement important de population prend naissance dans un contexte national d’expansion économique, de développement industriel et d’augmentation du nombre des emplois : une conjoncture qui rend nécessaire l’appel à une main d’œuvre extérieure spécifique (Constant, 1987). Après la Seconde Guerre mondiale, la France est en pleine reconstruction et connaît une industrialisation qui renverse les techniques de production artisanale au profit d’une production standardisée et de grandes séries. Le passage d’un travail traditionnel à un travail plus spécialisé change radicalement les modes de vies des Français en hexagone, tandis qu’en outre-mer, la crise de l’économie sucrière et le manque d’infrastructure offrent peu de perspective aux jeunes qui se présentent sur le marché du travail (Pattieu, 2016). Les départements d’outre-mer à l’instar de la Guadeloupe jouent un rôle capital dans le maintien de la grandeur de la France à l’échelle mondiale, car, en plus d’un positionnement stratégique, les anciennes colonies représentent un bassin de population et de main-d’œuvre considérable (Curtius, 2010). Par la mise en place du programme du BUMIDOM en 1963, les jeunes Ultramarins sont invités à prendre part à la modernisation du pays, depuis l’hexagone toutefois, et ce, souvent au détriment de leur territoire respectif. Comment les jeunes Ultramarins ont-ils répondu à cette invitation ? Soixante ans après la création du BUMIDOM, des participants abordent leur choix d’émigrer en France hexagonale. Comment s’est décidée et organisée leur migration ? Quid de leur famille restée en Guadeloupe ? A-t-elle joué un rôle dans leur choix de départ et de retour ? En quoi les relations familiales ont-elles influencé l’expérience migratoire ? Cet article s’articule sur fond d’intérêt pour la tension constante entre l’individuel et le collectif, entre la quête d’autonomie et le maintien du lien social.

Mobilité ou migration ?

Une des particularités du déplacement de population en provenance des outremers en France réside dans la catégorisation même du phénomène. Du point de vue de Michel Debré, premier ministre sous lequel est apparu le BUMIDOM, le déplacement des Ultramarins vers la France relève de la mobilité et non de la migration. En 1966, il déclare dans le cas de la Réunion notamment « qu’il ne parle jamais d’immigration ou d’émigration, car il s’agit de [citoyens] Français » (Curtius, 2010 : 141). Dans un projet d’article en 1981, il remplace « migration vers la Métropole » par « venue en Métropole » et substitue le terme de « Réunionnais en Métropole » à « migrant ». Debré identifie les vagues de déplacements comme des « va-et-vient » (Curtius, 2010 : 141), et les Antilles, la Guyane et la Réunion sont la France ; par conséquent la distance géographique, les spécificités culturelles et ethniques ne doivent en aucun cas créer un écart entre la République et ses anciennes colonies.

Il n’empêche que dès les premières années de leur mise en place, les déplacements infranationaux sont matière à tergiversation quand il s’agit de les nommer. En effet, les ressortissants d’outre-mer sont considérés comme des minorités nationales et lorsqu’elles quittent le territoire conquis, aussi terre natale et pays affectif, sont sans ancrage territorial en France (Lirus-Galap, 2016). Ces mouvements de population, bien qu’internes au territoire national, relèvent d’un système de relations complexes qui s’apparente d’une part à une logique nord-sud (Marie et Rallu, 2004), mais aussi, au sein d’un État unitaire, au rapport entre le pouvoir central et les collectivités territoriales, voire entre l’État et les minorités (Domenach et Picouet, 1992 ; Pattieu, 2016). Les migrants en provenance des départements d’outre-mer (DOM) « ne deviennent pas migrants par choix individuel dans une démarche de valorisation de personne en tant que citoyens en mobilité, mais un mouvement collectif de groupes sociaux exploités, ou désœuvrés, issus d’un même milieu social et économique » (Lirus-Galap, 2016 : 115). Ces déplacements se comprennent en fin de compte dans un rapport tantôt postcolonial (Vergès, 2017 ; Pattieu, 2016), tantôt colonial inachevé (Curtius, 2010 ), et ce processus ajoute « des problèmes de discrimination subtile, de racisme primaire, de confrontation entre racines et rhizomes, et par conséquent de quêtes identitaires » (Curtius, 2010 : 142).

À partir de la définition soumise et développée par le Groupe de recherche sur les migrations des jeunes (GRMJ), Emmanuelle Maunaye (2013) présente la migration « comme une mobilité géographique, avec une installation habituelle, dans une autre localité que celle où le jeune habite avec ses parents » (Maunaye, 2013 ; OIM, 2022). Cette définition exclut toute installation à l’intérieur de la même agglomération urbaine que les parents puisque dans ce cas on parlerait de déménagement plutôt que de migration. Contrairement à la mobilité, la migration suppose une installation habituelle, et implique une dimension durable et ancrée dans le temps, mais également dans l’espace – sans obligatoirement être définitive et irréversible. Alors qu’il existe plusieurs types de migration (internationale, interrégionale ou infrarégionale), celle qui qualifie le mieux le déplacement des Ultramarins vers la France serait davantage une migration infranationale : malgré le déplacement d’un océan et d’un continent à un autre, la migration s’observe à l’intérieur des frontières du pays qu’est la France, elle s’effectue au sein d’une même nation, et ce, en dépit de toutes les différences culturelles, sociales, sociétales, et économiques entre la société de départ et celle d’accueil.

Une politique migratoire inédite

Après la départementalisation du 19 mars 1946, les tensions sont vives sur les territoires des anciennes colonies et les populations dénoncent une gouvernance à deux vitesses. L’économie des outre-mer est essentiellement basée sur une industrie sucrière qui s’essouffle, et le chômage ne cesse d’augmenter. Les jeunes adultes se présentent sur un marché du travail qui offre peu de perspectives d’emploi et de possibilités d’épanouissement, tandis que les idées révolutionnaires et indépendantistes rallient de plus en plus de voix, menaçant l’ordre établi. À la fin des années 1950, la Guadeloupe est en pleine crise économique et sociale. C’est essentiellement dans cette mouvance, et au nom d’une supposée explosion démographique dans les îles que naît le BUMIDOM en 1963. Pour bénéficier de l’encadrement de l’État, les candidats à la migration soumettent à l’antenne locale du BUMIDOM en Guadeloupe un dossier justifiant motivation, projet de formation et/ou projet professionnel (Pattieu, 2016). L’organisme a pour mission l’accès à l’information pour les futurs migrants ; la facilitation des regroupements familiaux ; la création de gestion des centres d’accueil et de transit ainsi que la coordination pratique des activités des différents organismes intervenants dans la réalisation des programmes concernés (Constant, 1987). En théorie, l’organisme est tenu de sélectionner les candidats, d’organiser et coordonner la mise en route et l’accueil en France hexagonale ainsi que d’assurer le placement des candidats, en formation ou activité professionnelle. Dans les faits les vœux de formation des ressortissants d’Outremer ne sont pas toujours honorés, et une fois en France hexagonale, bon nombre d’entre eux sont conviés à occuper des fonctions peu valorisées. Ils exercent pour beaucoup dans le secteur paramédical ou des emplois d’aide ménager, après avoir reçu une formation de base dans des centres – dont celui de Crouy-sur-Oucq en Seine-et-Marne qui sera le plus connu. Les Ultramarins se retrouvent dans des métiers de rang inférieur dans les domaines du bâtiment, de la métallurgie, ou encore dans le tertiaire, au sein des administrations publiques telles que la police, les douanes, la poste, les transports et la santé à titre d’aides-soignants ou encore d’agents hospitaliers (Curtius, 2010).

L’anthropologue Alain Anselin a analysé les différents statuts et missions du BUMIDOM qu’on retrouve dans les décrets officiels. Dans son livre L’émigration antillaise en France. Du bantoustan au ghetto (1979), il conclut que, contrairement à l’objectif annoncé :

« le rôle fondamental de l’organisme [n’a pas été] de donner aux candidats la qualification désirable qui leur [permettait] d’accéder aux meilleurs emplois correspondants à leurs capacités, mais bien d’assurer leur insertion économique optimale tant dans la production où leur exploitation [contribuait] à la croissance capitaliste, que dans les services publics où leur recrutement massif (ils ont qualité de citoyens français) aux postes inférieurs [a pallié] une pénurie notoire suscitée par une politique de bas salaires » (Anselin, 1979 : 109).

Partis dans l’espoir d’un avenir meilleur, les Français d’outre-mer comblent des besoins de main-d’œuvre qui ne tiennent pas compte de leur projet initial, et occupent généralement des postes délaissés par les Français hexagonaux, mais tout de même réservés aux citoyens de la nation; souvent des emplois auxquels les migrants étrangers ne peuvent avoir accès :

« Le pouvoir d’État procédera […] par extraction, pour maintenir le territoire sous tutelle, en modifiant sa structure démographique pour le faire produire en fonction de ses besoins économiques propres. Après la chute de la valeur des produits agricoles qui ne sont plus rentables (rhum, sucre, bananes), il va remplacer ce manque à gagner par des bras économiques réels, en constituant un sous-prolétariat d’Antillais en France. Entre 1963 et 1981, le système d’émigration, tel qu’il a été connu et appliqué par le BUMIDOM, a fait, de bon nombre d’entre eux des parias » (Lirus-Galap, 2016 : 115).

Le BUMIDOM est dissous en 1981 au profit de l’Agence Nationale pour l’insertion des Travailleurs d’outre-mer (ANT) ; elle sera quant à elle renommée en 1992 Agence de l’outre-mer pour la mobilité (LADOM) et est encore active aujourd’hui. S’il est vrai que l’histoire de l’émigration antillaise débute bien avant la politique de 1963 (Lirus-Galap, 2016 ; Giraud et al., 2009 ; Boutin, 2009), la politique du BUMIDOM reste inédite : elle consiste en une intervention symbolique de l’État qui, pour la première fois, institutionnalise le déplacement des populations, que ce soit par le biais de l’anticipation des départs, puis leur accélération plus nette entre 1968 et 1975 et enfin, les regroupements familiaux à partir 1974, tout cela au nom de la solidarité nationale (Pattieu, 2016). Dans les mémoires, le BUMIDOM incarne une institution mal aimée et une expérience fort déshonorante (Pattieu, 2016) puisque le programme renvoie aux conditions économiques et sociales des jeunes - et plus largement de leurs familles - qui causent le départ vers l’hexagone.

Des trajectoires individuelles aux répercussions collectives

Que ce soit par le vieillissement notable de la population, ou encore les transformations structurelles des familles en Guadeloupe, l’émigration a donné lieu à des changements démographiques conséquents et a transformé le paysage social de l’île (Crouzet, 2018). L’éloignement physique sur le long terme (OIM, 2022) a conduit à une redéfinition et une réorganisation des unités familiales. Ces dernières ont eu à se redéfinir, et maintenir les liens malgré la distance et les moyens de communication limités de l’époque (Beaugendre et al., 2016). À l’instar des réalités que connaissent les familles transnationales (Razy et Baby-Collin, 2011), les familles guadeloupéennes ont appris à faire famille dans des espaces géographiques différents (Gervais et al., 2021 ; Séraphin, 2016 ; Crouzet, 2018), et les candidats à la migration ont eu à surmonter certaines réalités et épreuves loin des leurs et de l’appui émotionnel et moral que la famille pouvait représenter. Les jeunes Guadeloupéens ont été confrontés à l’adversité inhérente au processus migratoire (Gervais et al., 2021 ; Legault et Fronteau, 2008) et que ce soit pour les migrants, ou pour les membres de la famille non migrants, la politique a entrainé des changements dans le quotidien et une nécessité d’adaptation. En outre, pour les jeunes Français d’outre-mer, la migration a fait l’objet d’enjeux d’intégration dans un environnement géographique, économique, social, et culturel bien différent de leur île. Dans ses spécificités et son déploiement, la migration a affecté l’espace territorial et symbolique qu’a quitté le migrant, mais aussi son entourage (Bonvalet et Lelièvre, 1995 ; 2005) qui l’a vu partir et le sait loin (Maunaye, 2013).

Dans cet article, la famille est abordée comme système social composé « d’adultes et d’enfants liés par des comportements destinés, les uns, à assurer et protéger la vie et la croissance de tous les membres, et les autres, à assurer la continuité de l’espèce » (Barudy, 1992 : 48). On s’accorde au fait que chaque famille porte une culture qui lui est propre et qui, bien qu’appartenant à une culture plus large, lui est vitale puisqu’elle permet aux membres de « se maintenir et de se sentir famille » (Barudy, 1992 : 49).

Que ce soit dans la décision d’émigrer, dans l’intégration au sein de la société d’accueil et même en cas de retour, lorsque la question s’impose dans les trajectoires, la famille influence la migration (Wanner et Fibbi, 2002 ; Gervais et al., 2021 ; Chamberlain, 1999). En réalité, qu’elle soit nucléaire ou élargie, le système qu’elle constitue est inévitablement affecté par l’expérience migratoire de ses membres et les relations jouent un rôle primordial dans les différentes phases du processus migratoire (Duvivier, 2010). La famille incarne le lieu où se prend la décision de migrer, où s’organise la migration et où se mettent en place les processus d’intégration (Wanner et Fibbi, 2002). En fin de compte, même quand elle semble individuelle, la migration fait intervenir le collectif : la migration est une histoire de famille, et plutôt qu’une stratégie adoptée par des individus isolés, elle s’observe comme un phénomène qui concerne aussi bien le candidat au départ que son entourage familial (Wanner et Fibbi, 2002).

Les travaux concernant le rôle de la famille dans la migration font couramment appel à l’approche classique d’attractivité ou de répulsion (Haddad, 2018), ou encore aux théories mésosociales qui abordent le phénomène migratoire selon la logique de la force du réseau (Chamberlain, 1999 ; Beaugendre et al., 2016 ; Audebert, 2004 ; Hily et al., 2004). La singularité de la migration encouragée et accompagnée par l’État nous incite toutefois à accorder une place importante à l’imaginaire et aux représentations dans le choix du processus migratoire. Les représentations vis-à-vis de la société d’accueil - tout comme celles de la société de départ - circulent dans la société d’émigration. Elles sont nourries et véhiculées à la fois par l’institution qui initie et organise la migration, les futurs migrants et leur entourage. Si l’imaginaire conditionne la perception puis l’attachement du futur migrant comme de sa famille au pays d’établissement, il intervient dans la formation des aspirations et détermine la trajectoire y compris les conditions et la durée de la migration (Simon, 2008 dans Duvivier, 2010).

Autrement dit, la famille constitue une unité d’analyse, susceptible de créer des incitations à partir ou à rester (Haddad, 2018) et les relations entre ses membres sont régies par des normes qui peuvent encourager ou freiner la migration. L’existence et la transmission des valeurs familiales guident et orientent les parcours ; elles déterminent la manière de concevoir le monde et de se comporter, et engendrent un rapport à la migration qui marque les moments du départ et du retour dans l’expérience migratoire. On observe que les liens familiaux, les notions de soutien, d’obligation et les responsabilités sont renforcés et continuent d’être maintenus à travers les océans (Chamberlain, 1999). Il s’agit donc dans le présent article de comprendre comment les relations familiales ont influencé l’expérience migratoire des participants du BUMIDOM, et quels en sont les effets sur les parcours de vie. Nous nous intéressons spécifiquement aux mécanismes qui opèrent au sein du couple et de la famille élargie et interviennent dans le processus migratoire des Guadeloupéens ayant émigré en France hexagonale entre 1963 et 1981.

La tension constante entre les parcours individuels et le collectif ; entre ceux qui partent et leur entourage resté ou encore entre la quête d’autonomie et le maintien du lien social est central ici. Cette tension a influé sur les décisions de migration par le BUMIDOM, et explique en quoi le départ des jeunes donne lieu à des dynamiques sociales complexes, telles que des défis de construction identitaire, en lien étroit avec les enjeux du métissage culturel.

Cadre d’analyse et méthodologie

L’exercice s’inscrit dans une perspective plus large de thèse doctorale, qui a pour intérêt de confronter les motivations de départ avec l’expérience vécue. La démarche s’emploie à une meilleure compréhension de l’expérience migratoire et plus largement des parcours de vie des personnes originaires de la Guadeloupe qui ont participé à l’émigration antillaise vers la France hexagonale avec le BUMIDOM entre 1963 et 1981.

L’approche des parcours de vie (Elder, 1977 ; Gherghel, 2013 ; Gaudet, 2013) comme cadre d’analyse et méthodologie a été retenue. Dans sa dimension analytique, elle offre la possibilité de saisir les liens entre les trajectoires sociales, le développement individuel et le contexte sociohistorique (Gherghel, 2013), afin de mieux comprendre les dynamiques internes aux trajectoires. Par ailleurs, l’approche des parcours de vie permet de comprendre la migration comme processus affectant plusieurs sphères de la vie des migrants. En somme, cette démarche rend possible une mise en lumière des similitudes et divergences d’expériences (Bertaux, 2016 ; Martuccelli, 2006). Sur le plan de la méthode, il s’agit de saisir l’expérience des participants au programme du BUMIDOM, et ainsi de s’extraire des grandes lignes du programme au profit d’une reconstruction par le bas, d’une compréhension directe par les concernés des contraintes et opportunités de la migration dans la vie des migrants (Desmarais, 2009 ; Bertucci, 2012 ; Gaudet, 2013).

La recherche s’appuie sur les récits issus d’entretiens semi-directifs avec 31 participants de la politique du BUMIDOM originaires de la Guadeloupe. Grâce aux récits de vie, il nous est possible d’avoir accès au discours des participants, de saisir leur subjectivité et la tenue de l’expérience vécue (Bertaux, 2016 ; Savoie-Zajc, 1997 ; Desmarais et Grell, 1986). L’entretien semi-dirigé nous permet de couvrir de manière récurrente certains thèmes, tout en offrant une flexibilité et une liberté d’expression aux répondants. Au cours de l’entretien, les participants ont été conviés à se rappeler des moments clés de leur expérience migratoire, en identifiant les obstacles, les épreuves (Martuccelli, 2006), mais aussi le rôle des liens familiaux. Cette méthode nous est apparue la plus adéquate en vue du type de matériau que l’on souhaitait récolter.

Composé de 19 femmes et 12 hommes, l’échantillon compte des personnes âgées entre 64 à 87 ans au moment de l’entretien en 2022. Les participants ont pris connaissance de l’étude et se sont portés volontaires par suite d’annonces radiophoniques en Guadeloupe ou d’appels à participation réalisés par la chercheuse. Aucune rémunération n’a été proposée ou offerte pour participer à l’étude. Le consentement à participer de chaque personne a été donné de façon libre et éclairée. L’échantillon présente une diversité de profils sans toutefois avoir la prétention de se vouloir représentatif. Parmi les participants à l’étude, 24 résidaient en Guadeloupe, et 7 en France hexagonale, ce qui signifie que plus de deux tiers de l’échantillon a fait l’expérience du retour en Guadeloupe. Sur ces 31 entretiens, 25 se sont déroulés en présence, en Guadeloupe ou en France, au lieu de résidence ou dans un lieu public choisi par le participant. Les 6 autres se sont déroulés par téléphone au moment jugé convenable par les participants. Chaque entretien a été réalisé par la chercheuse, enregistré sur un dictaphone puis transcrit à l’aide du logiciel Noota. Une analyse de contenu a été effectuée manuellement par la chercheuse. Nous avons sélectionné et analysé des extraits d’entretiens faisant référence aux raisons, motivations, et conditions de départ (deuxième partie de notre guide d’entretien), ainsi que le contexte et les raisons de retour en Guadeloupe lorsque le cas s’y prêtait. Tout cela nous a permis d’établir des similitudes ou au contraire, des divergences récurrentes quant à la situation sociale, économique et professionnelle des candidats au moment du départ, mais aussi à la perception individuelle et familiale des sociétés de départ et d’accueil. Nous nous attardons finalement aux raisons qui ont motivé le départ ainsi qu’aux conditions de préparation à l’émigration.

Dans un souci d’éthique et d’anonymat, toutes les informations causant l’identification des interrogés ont été retirées ; seuls des prénoms fictifs et l’âge des candidats au moment du départ aident à situer les propos de ces derniers. Certaines réalités communes, comme le partage de l’expérience migratoire ou encore l’origine guadeloupéenne de la chercheuse, se sont avérées des atouts, à la fois dans le recrutement des participants, dans les interactions avec ces derniers et les échanges lors des entretiens. Ayant moi-même émigré de la Guadeloupe à l’âge de 17 ans dans le but poursuivre mes études au Québec, plusieurs parallèles et liens ont été possibles; aussi la compréhension de certaines réalités évoquées dans les entrevues a été facilitée du fait de mon propre parcours. Par ailleurs, la compréhension et connaissance du créole, langue maternelle et locale, ont été un précieux avantage. La plaine perception de certaines expressions et émotions a été possible par la maitrise commune de la langue et de ses codes. De manière générale, les discussions autour de la participation au programme du BUMIDOM constituent un sujet sensible, voire tabou en Guadeloupe. Finalement, la mise en relation et la création d’un lien de confiance ont été facilitées par ces points communs entre les participants et la chercheuse (Olivier de Sardan, 2000). Il reste qu’une démarche d’objectivation a dû être initiée afin de garantir le maintien de la distance nécessaire au bon déroulement de la recherche.

Cette étude a été possible par le concours précieux des participants au programme du BUMIDOM qui ont démontré sérieux, intérêt et engagement pour le projet. L’étude a été réalisée dans une perspective d’échange, et résulte de la somme d’expériences et moments de partages uniques entre les participants et la chercheuse. Enfin, par la prise en compte de la singularité du récit et de l’expérience de chaque participant, et compte tenu du respect à l’égard de l’intimité partagé avec la chercheuse, cette recherche répond aux enjeux éthiques.

Dans la prochaine section, il est constaté que les liens conjugaux et familiaux conditionnent la migration, et ce tout au long du processus migratoire. On s’attarde par la suite aux logiques opérant dans l’imaginaire au sein des espaces familiaux, et qui nourrissent les représentations menant à la migration.

Les influences des relations familiales

Dans plusieurs entretiens, il ressort que la décision de migrer a été prise par considération pour la famille. Dans la présente section, nous analysons l’influence des mécanismes au sein du couple, mais aussi entre membres de la famille élargie dans les motivations de départ et la durée de migration. Certains participants, souvent au nom du lien conjugal, ont décidé d’émigrer puis de revenir en Guadeloupe. Autrement l’attachement à la cellule familiale a été moteur de l’organisation du voyage.

Au nom du lien conjugal

Paul a 24 ans lorsqu’il rencontre Annie en Guadeloupe. Il fait partie du personnel auxiliaire à La poste et se voit offrir une opportunité d’emploi en France. Jeune et ambitieux, il souhaite devenir ingénieur en mécanique. Il part en juillet 1966 en promettant le mariage à Annie et sa famille. Elle se rappelle : « Il est venu voir mes parents pour leur dire qu’il va partir en métropole et qu’il a l’intention par la suite de me faire entrer en France pour me marier ». (Annie)

Tenu par son affection envers Annie et la promesse qu’il lui avait faite à elle, mais aussi à sa famille, il a dû revoir son projet migratoire :

« J’ai passé des concours pour faire quelque chose qui me plaisait et avoir l’opportunité d’être déjà sur place pour devenir ingénieur en mécanique. […] Dans cette optique, je suis arrivé aux PTT[1]. J’ai voulu quitter PTT pour continuer mes études en mécanique auto puisque c’était mon objectif de base, mais j’avais un obstacle entre guillemets qui était que j’avais fait une promesse d’épouser madame. J’avais donné un délai et si je voulais le respecter, il fallait que je garde la position que j’avais. Je ne pouvais pas me permettre d’aller dans l’incertain » (Paul).

Deux phénomènes s’observent dans le cas de Paul et Annie. La trajectoire professionnelle de Paul, comprise dans son parcours migratoire est réorientée du fait de sa promesse d’engagement envers Annie et sa famille. Ce dernier, déterminé à honorer ses engagements dans les temps impartis, renonce à ses études qui représentent pourtant ses objectifs initiaux de départ. Il exprime par le terme d’« obstacle » sa promesse, et ceci renvoie au lien conjugal qu’il partage avec Annie. Par ailleurs, la trajectoire professionnelle et les choix d’installation en France de Paul influencent la trajectoire d’Annie qui, un peu moins d’un an après le départ de son fiancé se retrouve à son tour en France grâce au concours du BUMIDOM. Cette dernière qui ne comptait pas quitter la Guadeloupe l’a pourtant fait au nom du lien qui l’unit à celui qui deviendra son époux. Parmi les spécificités de la politique du BUMIDOM, le dispositif de regroupement familial, comme son nom l’indique, a permis à des époux et fiancés de se retrouver en France, tout comme à des enfants de rejoindre leurs parents ou encore à des parents plus âgés de rejoindre leurs enfants partis avec le BUMIDOM. De cette façon, Paul a pu bénéficier de financement du BUMIDOM pour recevoir Annie en France.

Le retour en Guadeloupe de plusieurs femmes interrogées résulte de la volonté de leur époux de revenir vivre sur l’île. Sylvie est arrivée en France à 19 ans avec l’autorisation de ses parents et est devenue infirmière. Elle s’est mariée et a eu quatre enfants en France. Elle a travaillé dans le même hôpital pendant une quinzaine d’années avant de suivre son mari qui souhaitait retourner en Guadeloupe. Si, dès son départ de la Guadeloupe, elle dit avoir eu comme projet le retour dans son île, la vie a entre-temps suivi son cours. Son mari a finalement amorcé le retour, et presque toute la famille a suivi :

« Il est rentré d’abord, un an avant moi. Comme on avait un pavillon là-bas [en France], moi, je suis restée pour mettre les choses en marche. J’ai réuni les enfants j’ai dit : “Ouais ben votre papa a décidé de partir, moi je vais le suivre”. J’ai ma fille aînée qui […] voulait rester en France […]. Les trois plus jeunes ont suivi. Elles sont rentrées avec moi, elles ont passé leur baccalauréat en Guadeloupe et sont par la suite reparties en France pour poursuivre leurs études » (Sylvie).

Sylvie et son époux avaient des projets une fois en Guadeloupe comme la construction d’une nouvelle maison. Le projet ne s’est pas réalisé, car son mari est subitement décédé quelques années après leur retour. Sylvie n’est pourtant jamais repartie vivre en France. À noter que dans ce cas, c’est la trajectoire de Sylvie, ainsi que celle de ses filles qui a été influencée par le choix de son époux.

Quant à Alice, elle a suivi son époux « qui ne supportait plus la France ». Ceci est également l’expérience d’Hélène dont l’époux a amorcé la fin de l’expérience migratoire. Elle raconte qu’il disait tout le temps : « je veux rentrer aux Antilles, je veux rentrer chez moi. J’en ai marre ». Elle a fait tout son possible pour trouver du travail en Guadeloupe parce qu’il n’était pas question qu’elle soit mère au foyer. Quelques années après leur retour en Guadeloupe, ils se sont séparés ; son mari avait une deuxième famille. Elle regrette d’être rentrée en Guadeloupe.

Dans plus d’une situation partagée, l’initiative de la migration est prise par l’homme au sein des couples. Les épouses (ou fiancées) rejoignent alors la France dans le cadre du regroupement familial du BUMIDOM. Si cette migration atteste du rôle de soutien de la femme (Condon et Byron, 2008), elle remet en question l’autonomie et l’émancipation de cette dernière en contexte migratoire, puisqu’au nom du lien conjugal les femmes ne sont pas toujours à l’initiative de leur choix de migrer que ce soit au moment du départ ou lors du retour en outre-mer (Condon, 2020). Leur séjour en France étant lié au statut et au parcours de leur conjoint, elles se retrouvent, pour beaucoup, dans une situation de « dépendance ». Alors que la migration des hommes répond à une quête d’amélioration de la situation économique, il n’en est pas toujours de même pour ces candidates qui émigrent au nom du lien familial et conjugal et sans réel projet personnel. Si certaines, une fois en France décident de gagner en autonomie, et t’intégrer le marché de l’emploi, pour plusieurs, leurs réalisations se restreignent à la sphère privée. Leurs activités se comprennent comme des contributions au maintien du foyer, et sont peu ou pas reconnues par la société. Cette invisibilité se répercute à la fois sur le statut social, la position et l’évolution au sein de la société d’accueil (Morokvasik, 1984).

Entre indépendance et appartenance

La cellule familiale motive les départs et détermine la durée et les modalités de séjour. Les récits reflètent l’existence d’une tension constante chez les candidats à la migration entre quête d’indépendance et gestion du sentiment d’appartenance. Ces influences a priori externes aux migrants interviennent considérablement dans la manière dont s’organise l’expérience migratoire. Si certains participants décident de partir, car ils aspirent à davantage d’autonomie vis-à-vis de leur entourage, pour d’autres, c’est pour maintenir le lien et leur place au sein de cette dernière que le choix du départ s’effectue. Ainsi, la décision du retour- ou à défaut celle d’effectuer des allers-retours fréquents -, est motivée par l’importance des liens familiaux. Quant au temps du retour, il s’impose à l’oubli ou au déracinement.

En quête d’autonomie

Pour les jeunes Ultramarins, la migration est l’occasion de s’émanciper de la famille ; elle représente un passage vers l’autonomie pour les hommes comme pour les femmes. Elle offre un accès à la mobilité géographique, à un plus large choix de modes de vie, en même temps qu’à l’espoir d’une promotion sociale à travers un emploi rémunéré et stable (Condon, 2008). C’est entre autres le cas d’Anne qui n’a pas attendu l’autorisation de ses parents et qui est partie sans leur réelle approbation. Issue d’une famille qu’elle définit comme protectrice et d’une mère décrite comme étant contrôlante, elle a vu dans sa participation à l’émigration l’occasion de gagner en autonomie :

« J’ai passé le concours, mais sans rien dire à mes parents. J’avais 22 ans. Sans rien leur dire. […] Ils disaient toujours “Quand tu seras majeure…”, mais une fois que tu étais majeure… c’était “tant et aussi longtemps que tu seras chez moi, tu n’es pas encore majeure” [rire][2]. […] Et puis quand on a eu les résultats […] c’est à ce moment-là que je leur ai dit que j’avais réussi le concours et que c’était pour partir en France. Alors évidemment, branle-bas de combat. Mon père a fini par dire : “de toute façon, nous n’avons rien à signer, et si nous t’empêchons de partir, tu diras que c’est notre faute si tu ne fais pas ta vie”[3] […] Mes parents voulaient que je reste à leurs pieds. Il n’était pas question que je m’en aille. Il n’était pas question que je m’éloigne… » (Anne)

Hélène est également partie pour mettre de la distance avec sa mère et gagner en autonomie. Son choix d’émigrer provient d’ailleurs de la relation conflictuelle avec cette dernière ; la migration consiste en une porte de sortie et la participante exprime clairement sa détermination à s’émanciper de sa mère. Dans un contexte culturel où il est mal perçu de quitter le cocon familial célibataire, et où il est difficilement possible de se loger sans emploi, Hélène a été stratégique. L’émigration représentait à la fois une opportunité d’épanouissement professionnel, d’indépendance financière, et d’acquisition de son indépendance vis-à-vis de sa mère :

« Cette année-là je devais passer en terminale […]. Mon père était un homme très gentil, mais ma mère était très dure. Et avec ma mère on ne pouvait pas avoir un petit copain. Avec ma mère, c’était vraiment difficile. C’est ce qui m’a motivée à partir. Parce ma mère était très dure […]. Quand ma camarade de classe m’a parlé du BUMIDOM, je n’ai pas pensé à terminer mes études, je me suis dit je m’en vais. Et quand j’ai passé l’examen pour l’école préparatoire pour devenir infirmière, je l’ai dit à ma mère. Lorsque ma mère m’a demandé quand est-ce que je reviendrai, pour avoir la paix, je lui ai dit “Écoute maman, dès que les études seront finies, je reviendrai”. Mais dans ma tête je me suis dit “tu pourras toujours m’attendre” » (Hélène).

Dominique vit en France depuis 1972 et ne compte pas revenir vivre sur l’île. Elle dit être partie de la Guadeloupe sans se retourner. Elle avait alors 23 ans et a voulu fuir sa mère, son éducation et sa représentation de la vie d’une jeune Guadeloupéenne de l’époque :

« En fait je voulais partir de la maison. Non pas que j’étais malheureuse, mais maman, elle avait la main prise sur moi. J’étais l’ainée des filles et en fait, c’est comme si, on dirait que j’étais la bonne à tout faire. Même si nous avions une femme qui venait pour… la bonne à tout faire justement […] Pour maman, il fallait que je parte mariée avec un Antillais, chose que je ne voulais pas du tout [rire] » (Dominique).

Plusieurs témoignages rendent compte des rapports conflictuels des jeunes adultes encore chez leurs parents, notamment entre mères et filles à l’origine du choix de la migration. Les témoignages précédents renvoient à un rejet par les filles d’une société matrifocale (Mulot, 2000; 2013), et plus spécifiquement du rôle traditionnel de la mère guadeloupéenne stricte (Mulot, 2023). L’émigration représente l’idée d’un nouveau souffle, une opportunité de continuer sa vie dans un nouvel environnement. L’émigration est une réponse pour qui cherche à se libérer d’une situation familiale pénible ou insupportable (Condon, 2008).

Des conditions d’existence au sentiment d’appartenance

Pour d’autres, conscients de la situation économique et sociale de leur famille souvent précaire, la migration incarne l’opportunité d’améliorer son sort, mais aussi celui de l’entourage. Céline envisage la migration parce que le départ représente une opportunité unique d’aider financièrement ses parents :

« J’étais insouciante à vue d’œil, mais je ne perdais pas de vue que mes parents, c’était difficile pour mes parents, pour notre scolarité. Puisque à l’époque, les livres n’étaient pas offerts, il fallait qu’ils achètent tout le matériel scolaire pour mon frère et moi, nous étions tous les deux scolarisés ; mon frère étant au collège donc c’était très difficile, je ne perdais pas ça de vue. Même si nos parents ne nous disaient pas que c’était difficile, mais j’en avais conscience » (Céline).

Lors des entretiens, à la question « Comment définiriez-vous la situation économique de votre famille à l’époque ? », la quasi-totalité des participants mentionne les difficultés financières du foyer avant l’émigration. Étonnamment, ils précisent – sans qu’on ne leur demande directement - ne jamais manquer de quoi se nourrir ou se vêtir. Spontanément, les participants réfutent la notion de « pauvreté » au profit d’expressions telles que « les choses étaient difficiles », « ce n’était pas facile à l’époque ». D’une part, cette attitude récurrente nous interpelle quant à l’état de conscience vis-à-vis de la situation de la famille, mais elle explique aussi le rapport au programme du BUMIDOM qui représente une chance à saisir afin de s’offrir un avenir et ainsi de contribuer à l’amélioration des conditions de la famille. Si la survie de l’entourage ne dépend pas de l’émigration (Barou, 2001), les avantages visés par l’expérience migratoire à l’instar du gain de compétences constituent des incitatifs. Quand elle est motivée par l’amélioration du sort de l’entourage, la migration relève d’un engagement envers la famille qui influe sur la durée et les conditions (Chamberlain, 1999). Gaspard a d’ailleurs inscrit son expérience migratoire dans un laps de temps bien défini : « Je voulais faire électricité. J’étais le premier à partir de ma famille. J’ai dit “bon, je pars et je vais revenir dans six mois” [pleurs] » (Gaspard).

Pour autant, la cause de l’émigration n’est pas tant le désir de mettre sa famille à l’abri du besoin que la volonté d’apporter sa contribution. La famille intervient dans la migration selon une dynamique dite transterritoriale, par les relations entre ceux qui restent et ceux qui partent (Haddad, 2018). L’individu est influencé par ses liens avec les membres de la famille qu’il laisse derrière lui. Même dans une démarche d’individuation et d’individualisation, les vies des individus sont interdépendantes (Elder et al.,. 2004 dans Gherghel, 2013). Les actions de l’entourage ont des effets sur la vie et les choix du candidat à la migration, de même que les choix individuels des migrants entrainent des conséquences pour les autres personnes qui appartiennent à son milieu (Gherghel, 2013). Pour cette raison, une fois séparés, les migrants et les membres de leur famille non migrants gardent le contact et maintiennent le lien, ce qui facilite pour plusieurs l’adaptation et pallie le sentiment d’absence de l’autre côté de l’océan (Beaugendre et al., 2016). Les familles correspondent par lettre, puis par téléphone, mais pas seulement. Quand cela est possible, il arrive que certains parents restés en Guadeloupe aident financièrement les migrants par mandats postaux, et ce, malgré des situations sociales et économiques difficiles. Renversant l’idée selon laquelle les migrants partent pour réussir et soutenir leur famille qui se trouve dans une situation économique précaire (Barou, 2001), cela laisse entrevoir une logique d’investissement où l’aide apportée au migrant l’engage par la suite à être redevable envers ses relations restées en Guadeloupe.

Allers-retours

Pour bon nombre d’interrogés, on note des déplacements fréquents entre la France et la Guadeloupe. Cette importante mobilité exprime un déchirement constant entre deux environnements, et la difficulté à s’ancrer dans une société ou l’autre. Si parmi les migrants certains disent avoir émis le souhait de revenir en Guadeloupe après leur formation ou leur expérience de travail, ils ont multiplié les allers-retours afin de pallier le manque des proches et le mal du pays, mais aussi pour maintenir le lien. Par exemple, Patrick rentre souvent en Guadeloupe dans l’attente du retour définitif sur l’île :

« Je vivais en France, mais c’est tout. Dans mes rêves, je voyais toutes les petites rues de Gros-cap, de l’Anse Maurice, partout. Je vivais en France. Le corps était en France, mais l’âme était en Guadeloupe » (Patrick).

Il revient également à quelques reprises que des participants, partis jeunes, s’organisent pour retourner au pays dans l’espoir de rattraper le temps perdu avec leurs parents, notamment leurs pères et mères. Ils parviennent parfois à passer du temps de qualité dans les dernières années de vie de leurs parents, mais il arrive aussi qu’il soit trop tard et que leurs parents s’en aillent avant le « retour au pays ». D’autres désirent retourner vivre en Guadeloupe afin que leurs enfants vivent les plaisirs qu’ils ont connus dans les milieux ruraux, empreints de liberté comme le révèlent les récits de leurs souvenirs.

Quand vient le temps du bilan après plusieurs décennies en France, plusieurs participants reconnaissent tantôt la précarité de leur vie en Hexagone, tantôt les limites de leur épanouissement dans cet ailleurs qui, plusieurs décennies après leur première arrivée, ne s’est jamais réellement transformé en « chez-soi ». La question du sentiment d’appartenance à une société ou à l’autre reste complexe et souvent irrésolue. Si, pour certains, l’appartenance à une des deux sociétés est claire, pour d’autres, une double appartenance à leur île natale et à l’hexagone est assumée; plusieurs développent tout au long de leur parcours un sentiment d’étrangeté (Otmani, 2022) et ne se retrouvent ni ne s’identifient à leur société de départ ou encore à leur société d’accueil (Marie, 2002 ; Fouquet, 2007 ; Lanthier, 2012).

Que ce soit au nom du lien conjugal, comme expression de l’appartenance et de l’engagement envers sa famille ou, au contraire, dans l’intention de s’en défaire, la migration et ses conditions sont influencées par les relations familiales. Dans kes départements insulaires, l’émigration est socialement acceptée, sinon encouragé. Les membres des familles des migrants sont enclins au départ. Il existe une culture de la migration, et cet environnement propice à l’émigration, résulte d’un imaginaire et des représentations construites, nourries et véhiculées.

Imaginaire et représentations de la société d’accueil

Les Ultramarins naissent une « valise à la main » (Danican, 2022). Dès le jeune âge, il est appris que pour réussir, il faut tôt ou tard partir de sa société insulaire pour l’ailleurs. Cet apprentissage s’effectue au sein de la cellule familiale. Les représentations et l’imaginaire construits de la société de départ et de celle d’accueil sont véhiculées en partie par l’organisme encadrant, mais surtout par l’entourage et la famille des participants qui par l’éducation ou la divulgation de valeurs et mœurs influencent le processus migratoire, tant dans le choix du départ que celui du (non) retour. Lorsque la famille nourrit l’imaginaire, la France hexagonale devient un « pays rêvé » et les représentations de la société d’accueil dans les unités familiales locales sont telles qu’elles conduisent à la désillusion.

Dans la lignée des travaux de Sayad pour qui la migration est souvent saisie dans son contexte d’immigration et rarement dans celui d’émigration (Sayad, 1975), nous accordons un intérêt singulier à l’environnement qui conditionne les candidats à l’émigration et aux mécanismes qui s’opèrent au sein de la société d’origine. Le processus d’émigration n’étant aucunement anodin, il est rendu possible par la société d’origine qui le véhicule dans son imaginaire et perpétue la partance de ses membres (Belaidi, 2015). Cet imaginaire donne lieu à une perception de la migration qui s’incruste dans la société d’origine, et ce, compte tenu des conjonctures historiques qui l’accompagnent pour configurer le potentiel de la société d’accueil (Belaidi, 2015).

Pays rêvé

La situation économique et sociale de la Guadeloupe pendant les années du BUMIDOM laisse entrevoir peu d’opportunités aux jeunes. Avant de se tourner vers l’antenne locale du BUMIDOM, plusieurs participants ont déjà acquis une expérience professionnelle et ont essayé d’entrer sur le marché du travail, mais sans succès. Par exemple, Rosie, élevée en grande partie par sa grand-mère, quitte l’école dès 18 ans et enchaine les petits boulots en tant que femme de ménage. À 20 ans, elle obtient un billet d’avion par le biais du BUMIDOM :

« Je suis arrivée en classe de 3e et puis, fin 3e en Guadeloupe… à l’époque pas d’industrie, donc pas de débouché, pas d’école ni de formation. Alors bon ben voilà, donc j’ai dû prendre la décision de partir avec le BUMIDOM » (Rosie).

De même, pour Suzanne à qui on demande ce qu’elle faisait l’année de ses 22 ans, elle répond qu’elle ne travaillait pas et qu’elle est restée plusieurs années à chercher du travail : « Quand j’ai quitté l’école, j’avais 19 ans. Je suis restée trois ans à chercher du travail » (Suzanne). Même si le BUMIDOM n’incarne pas toujours le premier choix, mais plutôt celui du dernier recours compte tenu des circonstances, il demeure que, « dans les esprits […] la perspective d’une carrière métropolitaine était incontestablement synonyme de promotion » (Marie, 2002 : 26).

Il n’est pas sans rappeler qu’en invitant les jeunes à migrer, les autorités gouvernementales ont pour ambition de diminuer la croissance démographique (Domenach et Picouet, 1992) en vue de diluer les protestations sociales et l’émergence des idées révolutionnaires de l’époque. Le BUMIDOM dans sa raison d’être, son essence même, a pour rôle d’encadrer et de structurer les comportements individuels des migrants en les incitant à migrer et incarner de « nouveaux rôles » dans la société d’accueil. Pour y parvenir, l’institution rend la migration attrayante. Par le biais de son slogan « l’avenir est ailleurs », l’organisme oriente l’imaginaire et influence la décision de départ des candidats. Dès lors, on ne peut pas faire abstraction du véhicule volontaire et intentionnel par l’institution de l’idée que l’émigration est nécessaire à la réussite de ceux qui aspirent à un avenir meilleur, et qui, conscients de leurs conditions désirent s’en extraire. En adhérant à la perspective d’un avenir en dehors de leur département d’origine, les candidats à l’émigration s’inscrivent dans une démarche a priori rationnelle et voient en l’émigration le choix le plus raisonné qui soit. Partir devient indispensable pour la réalisation de soi et de projets futurs, surtout que la récente Loi de la départementalisation de 1946 fait de l’émigration organisée un avantage de la citoyenneté française (Pattieu, 2016 ; Milia Marie-Luce, 2002). L’encadrement inédit de l’émigration promis par le BUMIDOM rassure à la fois les candidats et l’entourage. La prise en charge intégrale du billet d’avion, la promesse et l’offre de placement en formation ou en emploi sont des éléments contribuant à rendre l’expérience sécurisante. Plusieurs interviewés reconnaissent avoir fait confiance au BUMIDOM parce qu’il incarnait une institution gouvernementale stable et fiable.

Dans le système qu’est la migration (Mabogunje, 1970 dans Piché, 2013 ; Piché, 2013 ; Danican, 2022), on observe un processus dynamique, régi par les interactions entre migrants potentiels et la société accueil (Haddad, 2018). Face au manque d’opportunité professionnelle en Guadeloupe, on ne peut qu’imaginer prétendre à un ailleurs avec une meilleure qualité de vie. Patrick voulait devenir cuisinier et désirait se former en France. Il dit que le BUMIDOM lui a offert un cadre, lui a permis de se fixer un objectif et lui a offert une sécurité :

« Mon rêve, c’était de partir en France. J’ai été obligé de partir parce que je n’avais pas d’avenir et je m’en suis sorti » (Patrick).

À travers les échanges entre migrants et non migrants, le savoir sur la migration et des représentations dotées d’une dimension normative se met en place au sein des familles (Haddad, 2018). Pour Haddad, la famille est un site de production de normes et de représentations encadrant la migration. Selon l’auteure, les membres d’une famille ou de l’entourage en migration représentent une source d’information privilégiée, faisant circuler les enseignements liés à leur expérience au sein de leur famille restée dans la société de départ. Les primomigrants fournissent aux migrants potentiels des conseils sur comment migrer, entretenant une culture de la migration (Haddad, 2018).

Betty est partie avec le BUMIDOM à l’âge de 24 ans et a vécu 50 ans en France avant de revenir vivre en Guadeloupe. Elle doit son expérience à un membre de sa famille déjà installé en France et l’ayant encouragé :

« Je suis partie parce que je voulais aller travailler […] Parce qu’ici ça ne m’inspirait pas et surtout, je voulais aller travailler et me cultiver là-bas [France], parce que j’entendais que là-bas, on pouvait réussir » (Betty).

La participante associe la France à un lieu de culture, mais aussi de réussite. Il en est de même pour Romain, qui s’est construit une idée de la France à partir de son observation des personnes de passage ou en vacances en Guadeloupe :

« - Et tu savais quoi de la France avant de partir ?

Rien ! [rire]. Ce que je savais, c’est que les gens qui revenaient de la France en vacances avaient toujours un style différent. Ils rapportaient toujours quelque chose et ils parlaient français sans accent. Alors donc il y avait quelque chose d’extraordinaire ! [4] » (Romain)

Cette idée de différence, d’opulence, ou encore de la maitrise d’un français « sans accent » - à l’inverse de la perception dévalorisante de l’accent des français originaires des Outre-mer- sont autant d’éléments qui reflètent la subjectivité du migrant et surtout qui font état d’une perception construite et fantasmée de la France hexagonale. Le candidat à la migration est motivé à faire partie d’un groupe, d’un mouvement, il désire n’être associé qu’à certains types de personne qu’il catégorise et qui devient sa représentation homogène et globale des personnes évoluant en France hexagonale. Leur savoir de la France depuis la société d’origine constitue sa représentation de la société d’accueil et nourrit l’imaginaire migratoire. Cette perception, a priori individuelle est en fait collective : elle se retrouve et s’avère récurrente dans d’autres entretiens. Il arrive que certains migrants aient construit leur perception de ce qu’est la France à partir de cartes postales ou encore de l’image projetée de fonctionnaire du gouvernement français de passage sur l’île. La décision de migrer, comme « calcul individuel », n’est en réalité pas tout à fait rationnelle (Lee ,1966 dans Piché, 2013 : 21), car « ce ne sont pas tant les caractéristiques objectives que les perceptions individuelles des lieux d’origine et de destination qui provoquent la migration » (Lee, 1966 in Piché, 2013 : 22). Enfin, l’« ailleurs » dont il est question dans le slogan du BUMIDOM exprime, pour reprendre les termes de Fouquet :

« Un espace d’imaginaires dépositaires des aspirations à un mieux-être et à un mieux vivre. Il reste porteur d’une dimension géographique, les esprits le cristallisant presque exclusivement autour des sociétés du Nord. Mais il demeure néanmoins largement du domaine de l’imaginaire, car il se construit surtout sur la base de représentations et fantasmes élaborés sur ces sociétés, qui n’ont pas ou peu d’équivalents dans le tangible » (Fouquet 2007).

La désillusion

« Le désir de départ et celui du retour sont des lieux d’imaginaires changeants, aux formes souvent foisonnantes et difficilement saisissables. » (Noiriel, 2006 : 159)

Lors des entretiens, le discours se ternit à l’arrivée des migrants en France, notamment quand il s’agit de décrire les souvenirs des premières impressions en sol hexagonal. En effet, il revient fréquemment de la désillusion ou de la déception vis-à-vis de la France qui, en fin de compte, ne correspond pas aux attentes des jeunes migrants guadeloupéens. Ces attentes ont été nourries dans l’imaginaire à la fois collectif et individuel envers le pays d’accueil, perçu comme l’Eldorado. Les basses températures du mois de mai, le temps grisâtre, le paysage urbain caractérisié par l’absence de verdure, la vétusté des bâtiments ou encore l’insalubrité sont souvent mentionnés dans les récits comme ayant marqué négativement l’arrivée des participants par le BUMIDOM, ce qui démontre bien l’existence préalable d’attente et d’expectative. Il est également possible d’observer que les attentes liées aux promesses directes du BUMIDOM, notamment en rapport avec le choix de formation ou l’offre d’emploi motivant le départ, n’ont pas été respectées.

Éléa s’est retrouvée au centre de préformation de Crouy-sur-Oucq en Seine-et-Marne où il lui a été inculqué les rudiments du métier de femme de ménage ou personnel de maison, en dépit du projet de formation personnel qu’elle a exprimé au BUMIDOM avant d’émigrer. Face à la désillusion, elle quitte le centre au bout de quelques semaines.

« - Tu es restée combien de temps là-bas ?

Je ne suis pas restée très longtemps en fait. J’ai fait un mois quand même. C’était largement suffisant ! Le peu de temps que je suis restée, c’était traumatisant, c’était blessant, c’était tout à la fois […] Dès le lendemain de mon arrivée, on nous dit qu’ils nous font les cours, on nous présente nos journées, ce qu’on aura à faire. Alors on se rend compte que le matin il faut qu’on aille à l’école, mais à l’école on nous apprend la bienséance : “merci madame, bonjour monsieur”. Merci ? Mais dans ma tête je me dis mais moi je suis venue pour faire un stage de couture. En quoi ça peut me servir ? Et c’est là qu’on nous dit qu’en fait on est destinée à aller travailler chez des gens, aller faire le ménage. On nous dit qu’il y a des personnes qui vont venir nous chercher, des couples, qui vont venir, en fait choisir qui veut bien […] c’était un mensonge de mauvaise qualité. On s’était fait avoir [rire]. On nous apprenait à êtres polies, à laver la vaisselle, à repasser pff moi je savais faire ça, mes parents m’avaient appris à faire ça… ce n’était pas le but de ce voyage-là. À partir de là, c’était très dur à vivre parce que tous les soirs les filles pleuraient » (Éléa).

De ce témoignage, il en ressort l’idée d’une invalidation des acquis et savoirs obtenus dans la société de départ, y compris au sein de la cellule familiale. Au centre de formation, il semble y avoir eu la nécessité d’inclure l’apprentissage des formules de politesse aux jeunes femmes adultes originaires des sociétés ultramarines. La plupart des participantes du BUMIDOM ont dû passer par l’étape de « préformation » au Centre de Crouy-sur-Ourcq afin d’être formatées aux bonnes pratiques domestiques. Les récits d’expérience à l’instar de celui d’Éléa se sont avérés fréquents. Ils témoignent d’une négation de l’apprentissage initial et préalable à la migration. Cette formation signifie une remise en question de l’éducation donnée par la famille des migrantes et renforce la dimension humiliante selon laquelle les Ultramarins ne sont pas en mesure de bien se tenir.

Pour beaucoup, l’imaginaire de l’émigration a vite laissé place aux réalités de la migration, constituées de maintes épreuves à surmonter. Dans leur malheur et déception, plusieurs ont dû faire preuve de courage et de résilience dans un pays qui leur était plus inconnu que familier. Lorsqu’il s’agit toutefois de raconter épreuves et désillusions du fait d’un imaginaire migratoire, il apparait des personnes déterminées qui se disent fières du chemin parcouru plusieurs années plus tard.

Conclusion

Dans les années suivant le BUMIDOM, l’émigration antillaise s’est envolée à tel point qu’on dit des Antillais qu’ils composent la « troisième île » en France hexagonale (Anselin, 1990). La politique d’émigration s’est progressivement inscrite dans une logique dite de mobilité, en témoignent les services de l’Agence de l’Outre-mer pour la mobilité (LADOM) vers la France hexagonale. L’intention politique reste encore aujourd’hui la même et tient en un engagement clair de l’État à promouvoir et accompagner l’émigration des DOMs vers la France hexagonale. Pour autant, peut-on justifier au seul nom de la « continuité territoriale » l’intérêt politique à maintenir ces flux importants de population ? Quels en sont les impacts sur les sociétés de départ ? L’histoire des déplacements des populations ultramarines reste encore peu connue et la complexité des trajectoires demeure invisibilisée dans des rapports ambigus entre l’État et ses anciennes colonies. La migration des « nationaux de couleurs » (Constant, 1987) soulève également la question de la contribution et du sentiment d’appartenance que celle des enjeux identitaires au sein des familles et à travers les générations prises entre des « ici » et « là-bas ».

Soixante ans après la création du BUMIDOM, des participants ayant émigré en France depuis la Guadeloupe ont partagé le récit de leur expérience migratoire. Aux questions « Comment s’est décidée et organisée leur migration ? » et « La famille a-t-elle joué un rôle dans l’expérience de départ et de retour ? », il en ressort que les représentations et l’imaginaire construits tant de la société de départ que de celle d’accueil, véhiculés par l’organisme encadrant, tout comme par les candidats eux-mêmes et leur entourage ont influencé le processus migratoire du choix de départ, à celui du (non) retour. Dans les récits considérés, la famille incarne le lieu où se prennent les décisions, faisant d’une migration a priori individuelle un projet collectif. En réalité, que ce soit dans la perception de l’émigration précédant le départ, pendant la migration ou lorsque la question du retour se pose et s’impose, la famille, par les liens et relations qu’elle suppose, exerce une influence notable sur les trajectoires individuelles. Les vies des individus et membres des familles présents dans la société d’accueil ou celle du départ s’en trouvent indéniablement liées : les choix des uns affectent le cheminement des autres et, inversement, faisant paraitre les limites de l’individualisation des trajectoires, notamment en contexte migratoire. En poursuivant la réflexion, il serait désormais pertinent d’interroger les effets de la politique du BUMIDOM sur la redéfinition des rôles parentaux et conjugaux en Guadeloupe afin de mieux saisir la complexité des dynamiques familiales actuelles sur ce territoire (Beaugeandre et al., 2016). Plusieurs contributions insistant sur la fragilisation des relations familiales au cours de la migration pourraient d’ailleurs être considérées (Gervais et al., 2021 ; Lanthier, 2012 ; Condon et Byron, 2008). En somme, interroger les conséquences de politique à l’instar du BUMIDOM sur la famille et son organisation revient à considérer l’institution qu’est la famille comme un indicateur des changements au sein de la société guadeloupéenne contemporaine. Puisque l’histoire des individus et des membres de leur entourage s’entremêle donnant lieu à des trajectoires collectives, il devient alors possible d’appréhender les transformations profondes (économiques, sociales, démographiques et culturelles) des sociétés de départ à partir de l’examen des mutations familiales.