Corps de l’article

Introduction

Sous le prisme d’une approche anthropologique des politiques de la reproduction humaine, cet article analyse les parcours de vie de femmes sud-asiatiques récemment immigrées et habitant à Montréal, avec un accent particulier sur les désirs d’enfants et les reconstructions des projets familiaux. Pour réaliser cette discussion, nous nous proposons de suivre des parcours biographiques bien distincts, mais qui se regroupent en termes de projets migratoires. Ainsi, ces femmes se retrouvent dans différents statuts migratoires : demandeuses d’asile, réfugiées acceptées, résidentes permanentes issues de l’immigration économique ou de processus de parrainage et détentrice d’un permis de travail ouvert pour conjointe d’étudiant.

Après avoir présenté la problématique, le cadre théorique, l’approche méthodologique et les profils migratoires et socioéconomiques des femmes rencontrées, l’analyse de données nous montrera que les projets d’immigration avec les statuts migratoires et les projections post-migratoires qu’ils impliquent agissent comme une forme de gouvernance sur la négociation du rapport à la reproduction des femmes rencontrées et structurent les dimensions les plus intimes des identités. Ces projections recouvrent un éventail de dimensions comme des déstructurations de réseaux féminins familiaux d’entraide, des défis d’insertions socioprofessionnelles générés par les barrières systémiques, des conditions de vie précaires et des ruptures sociales, géographiques et symboliques avec les groupes d’appartenances. Cette discussion remet ainsi en cause l’idée selon laquelle l’immigration au Nord serait une expérience potentiellement libératrice pour les femmes venues du Sud. 

Problématique

Au Québec, on connaît encore peu les manières dont des enjeux structurels s’inscrivent dans les trajectoires de reproduction des femmes immigrantes, notamment celles originaires du Sud. Ces trajectoires peuvent être marquées par des enjeux spécifiques et ces derniers font référence aux précarités économiques, aux complexités liées aux différents statuts migratoires, tout comme celles reliées à l’expérience de discriminations, cette dernière dimension ayant été très récemment bien documentée dans des études sur la période périnatale des immigrantes, soit en Europe de l’Ouest (Griffith, 2015 ; Qureshi, 2015 ; Rico-Berrocal, 2022 ; Sauvegrain et Quagliariello, 2022 ; Sauvegrain et al., 2022). Si peu d’études québécoises adoptent un angle d’analyse capable de cibler plus particulièrement les enjeux structurels qui affectent la sphère de la reproduction des femmes immigrantes, plusieurs études menées dans d’autres territoires d’immigration – orientées selon un angle d’analyse politique et donc en mesure de mieux cerner les enjeux de pouvoir présent dans les trajectoires reproductives des femmes immigrantes – démontrent que cette dimension de la vie humaine s’inscrit dans un espace stratégique de contestations, de résistances, de réalisations de projets et de transformations individuelles et sociales. Ainsi, dans les sociétés d’immigration qui sont invariablement composées de groupes sociaux inégaux et divisées par race, classe, genre, groupe ethnique et statuts migratoires, certaines études ont documenté les effets de ces enjeux sur le domaine de la reproduction des personnes immigrantes ainsi que les réponses élaborées par les femmes et leurs familles afin d’y faire face (Fordyce, 2008 ; 2012 ; Fleuriet, 2009 ; Chavez, 2004 ; Castañeda, 2008 ; Shandy, 2008 ; Goldade, 2011 ; Seo, 2017).

Dans le cadre de cet article, nous nous penchons sur les projets familiaux et le désir d’enfant de femmes sud-asiatiques récemment immigrées et vivant à Montréal, un groupe pour lequel les oppressions vécues dans les parcours post-migratoires en fonction de concepts de race, genre et classe sont déjà démontrées (Karumanchery-Luik, 1997 ; Ralston, 1991 ; 1996 ; 1998 ; 2000 ; Samuel, 2010 ; Maitra 2013, 2022 ; Akram, 2022). Dans ce contexte, comment les vicissitudes des parcours migratoires redessinent-elles les projets familiaux des femmes rencontrées ? Quels sont les facteurs, notamment ceux issus des nouvelles conditions de vie, jouant sur ces redéfinitions ? Quelles sont les possibilités explorées par les femmes à cet égard et comment reconstruisent-elles leurs projets familiaux ? Comment se façonne le désir d’enfant ? Les barrières systémiques façonnées par la race, le genre et la classe, auxquelles se heurtent ces femmes démontrent que nous sommes très éloignées d’une vision idéalisée de libération des femmes issues des contextes patriarcaux du Sud en raison de leur déplacement au Nord. Au Canada, ces barrières ont été documentées au niveau de l’accès et de l’expérience de travail (Ralston 1991 ; 1998 ; Chicha 2012 ; Maitra 2013 ; 2022). Néanmoins, peu d’études se sont intéressées à mieux comprendre comment des forces structurelles s’inscrivent dans la sphère de la reproduction, et, plus spécifiquement, comment les difficultés vécues en termes d’insertion socioprofessionnelle affectent cette dimension intime des expériences féminines. D’autres dimensions comme les statuts d’immigrations demeurent également marginales dans ces analyses. Pour cette raison, nous adoptons un cadre théorique et conceptuel favorisant une lecture des manières selon lesquelles des enjeux structuraux puissants façonnent les projets familiaux et les désirs d’enfants, ainsi que les réponses formulées par les femmes à ces enjeux.

Cadre théorique et conceptuel

Approche politique de la reproduction

Cette discussion est guidée par l’approche critique et anthropologique des politiques de la reproduction (Ginsburg et al., 1991 ; 1995). La notion de reproduction avec laquelle opère ce cadre théorique s’éloigne des conceptions statiques à propos de la reproduction humaine tout en mettant en lumière les enjeux de pouvoir qui l’affectent et la façonnent. Cette approche signale que la reproduction sociale dépasse la procréation, car les enfants naissent à l’intérieur de contextes spécifiques de normes, valeurs, droits et positions sociales continuellement négociés. La notion de « politique » ajoutée à la reproduction fait référence à deux dimensions où le pouvoir agit. D’une part, il est question de reconnaître que les arrangements sociaux locaux où se déroulent les relations reproductives sont fondamentalement politiques, ce qui fait écho à la compréhension du pouvoir à la fois comme structurant des activités de la vie quotidienne et en même temps comme engagé par ces activités (Ginsburg et al., 1991). D’autre part, cette approche souligne que la reproduction humaine est également traversée par des forces structurelles comme celles engagées dans les institutions internationales, les hiérarchies sociétales et les politiques migratoires, par exemple ; et que ces forces répercutent sur l’organisation des contextes où les activités reproductives tiennent place.

Cette perspective favorise la mise en lumière d’une lecture de la reproduction qui considère les actions individuelles et collectives élaborées face à ces forces. Autrement dit, Ginsburg et al. (1995) puisent dans les traditions intellectuelles où la dialectique entre structure et pouvoir personnel est mise à profit. Les pouvoirs différentiels ne répriment pas seulement, ils produisent aussi des identités. Les rapports et enjeux de pouvoir doivent être pris en compte dans les analyses concentrées sur la reproduction humaine tout comme les logiques d’actions activées par les individus. À l’intérieur de ce cadre de travail, deux concepts centraux permettent d’observer simultanément la dialectique entre structure et action individuelle dans le domaine de la reproduction : le concept de reproduction stratifiée et celui de travail transformatif.

Le concept de reproduction stratifiée fait référence aux « rapports de pouvoir par lesquels certaines catégories ou personnes sont habilitées à se nourrir et à se reproduire, tandis que d'autres en sont dépourvues[1] » [notre traduction] (Ginsburg et al., 1995 : 3). Ce concept met en évidence que le travail reproductif consistant à porter des enfants est différemment vécu, valorisé et récompensé en fonction des inégalités basées sur des hiérarchies de classe, de race, de groupe ethnique, de sexe et de statut migratoire, ces inégalités étant structurées par des forces sociales, économiques et politiques (Colen, 1995). Le terme d’« actions transformatives » sous-entend des actions caractérisées par des « efforts pour maintenir la continuité dans des circonstances transformées et les efforts pour transformer les circonstances afin de maintenir la continuité. Ces efforts couvrent les domaines du travail, des ménages et de la communauté[2] » [notre traduction] (Mullings, 1995 : 133). Autrement dit, cet angle analytique permet d’identifier les réponses et l’engagement des femmes face aux diverses inégalités structurelles qui rendent hostile le contexte où elles vivent, telles que celles dérivées des positionnements de classe, de genre et de race. Cette perspective de la reproduction demande la mobilisation d’une approche fluide de l’identité si on souhaite analyser les réponses féminines aux enjeux structurels.

Identité et stratégies identitaires

La fluidité de l’identité est bien soulignée dans la définition suivante réalisée par la sociologue Isabelle Taboada-Leonetti : « l’identité comme l’ensemble structuré des éléments identitaires qui permettent à l’individu de se définir dans une situation d’interaction et d’agir en tant qu’acteur social ». L’identité constitue essentiellement un « sentiment d’être » par lequel un individu éprouve qu’il est un « Moi » différent des « autres » (1998 : 43). Toutefois, l’identité ne se réduit pas à un sentiment d’être et la dimension relationnelle de l’identité est mise également en évidence : « au sein des réseaux d’interaction, familiaux et sociaux, qui situent un individu dans le monde à chaque moment de sa vie, se construit et se reconstruit inlassablement l’ensemble de traits qui le définit, par lequel il se définit face aux autres, et est reconnu par eux » (Lipiansky et al., 1998 : 22). De cette manière, il n’y a que des identités en situation, produites par les interactions.

La notion de stratégie identitaire (Camilleri et al., 1998) apparaît comme la suite logique de cette compréhension de l’incontournable aspect interactionnelle de l’identité et les possibles contestations individuelles et collectives de définitions identitaires. Ces luttes peuvent être opérationnalisées dans la notion de « stratégie identitaire » qui est le résultat de l’élaboration individuelle et collective des acteurs et actrices, notamment en face d’assignations identitaires, dans laquelle entre une part importante de choix et d’indétermination. Les stratégies identitaires doivent être saisies comme des réponses créatives des acteurs et actrices aux assignations identitaires faites par autrui, c’est-à-dire généralement les groupes majoritaires déterminants des rapports sociaux :

« Les stratégies identitaires […] apparaissent comme le résultat de l’élaboration individuelle et collective des acteurs qui expriment, dans leur mouvance, les ajustements opérés, au jour le jour, en fonction de la variation des situations et des enjeux qu’elles suscitent – c’est-à-dire des finalités exprimées par les acteurs – et des ressources de ceux-ci. » (Taboada-Leonetti, 1998 : 49)

Ainsi, lors de la mise en place d’un processus stratégique, ce qui est surtout en jeu est la situation qui contient le rapport entre les individus, bien au-delà des identités individuelles. De plus, les finalités constituent un aspect central des stratégies identitaires (Kastersztein, 1998), puisque l’anticipation des effets détermine et structure l’action. Les réponses stratégiques ne sont donc pas simplement conjoncturelles, elles sont toutes et toujours finalisées.

Parcours de vie

Particulièrement adaptée à l’étude des parcours migratoires (Dioh et al. 2021), l’approche du parcours de vie donne l’opportunité d’analyser les jeux entre les multiples éléments supracités et ce, selon une vision processuelle (Carpentier et al, 2013 ; Demazière et al., 2004 ; Demazière, 2011). La perspective du parcours de vie adoptée dans cet article est celle d’organiser la complexité de la vie sociale en tenant compte de la temporalité, du contexte sociohistorique, des contraintes structurelles et des capacités actancielles (agency) des acteurs sociaux en situation d’interrelation (Carpentier et al., 2013). L’approche du parcours de vie invite à voir la période périnatale non plus comme un processus basé principalement sur des repères biologiques, mais plutôt comme une réalité expérientielle impliquant des interactions continuelles entre l’individu, la structure sociale et l’univers de sens et de relations sociales où se déroule sa trajectoire.

Approche méthodologique

Les analyses présentées dans cet article sont basées sur la réalisation d’un travail ethnographique plus large[3] et concentrée sur la période périnatale et l’immigration menée pendant treize mois (de janvier 2015 à janvier 2016) au sein d’un quartier montréalais. Celui-ci accueille une proportion importante de ressortissantes sud-asiatiques venues notamment de l’Inde, du Pakistan, du Bangladesh et du Sri Lanka. La recherche a compté sur la collaboration de certaines organisations communautaires[4] et d’un service formel de santé (centre local de services communautaires, CLSC[5]) œuvrant dans le territoire où s’est déroulée cette enquête. Ces services m’ont donné accès aux activités auxquelles prenaient part les femmes du quartier. Les organismes communautaires m’ont permis d’aborder directement les potentielles interlocutrices, tandis que les soignantes du service de santé se chargeaient du premier contact avec les femmes enceintes. Certaines participantes ont été recommandées par d’autres femmes lors de ces activités.

La participation extensive dans le temps m’a aidé à développer une compréhension graduelle de certaines dynamiques, de prendre conscience de certains jeux d’alliance et de certains conflits. J’avais toujours le soin de rendre le plus explicite possible mon positionnement, mes intérêts et mes activités. Le fait d’être moi aussi une femme immigrante du Sud, mais à l’extérieur de leurs groupes sociaux, a contribué au partage de leurs points de vue et leurs critiques du contexte socioculturel perçu comme majoritaire. En effet, nous étions des immigrantes venues de pays du Sud, en face de personnes québécoises et occidentales. Nos positions périphériques nous réunissaient dans un lien de confidences à propos de nos perceptions et expériences d’échanges avec le groupe majoritaire. Toutefois, ces liens de confidences établis sur la base d’une reconnaissance mutuelle d’un positionnement social occupé dans le contexte québécois n’excluaient pas les asymétries également présentes dans nos rapports, se traduisant notamment dans la dimension de la scolarité. Je soulève l’hypothèse selon laquelle les femmes sans grade universitaire demeuraient inconfortables de préciser certaines données factuelles par rapport à leur niveau d’éducation puisqu’elles savaient que j’étais une chercheuse universitaire.

La recherche a inclus trois méthodes complémentaires de collecte de données. La première correspondait aux entrevues biographiques et concentrées sur la périnatalité auprès des femmes sud-asiatiques récemment immigrées (moins de dix ans) et ayant vécu au moins une partie de leur grossesse à Montréal, l’accouchement et la période du postpartum. Au total, trente-neuf femmes ont été interviewées, dont vingt-cinq répondaient aux critères de sélection (corpus principal). Les quatorze autres ont contribué à la compréhension d’enjeux sur la périnatalité et l’immigration, mais ont été exclues de l’analyse centrale.

J’ai réalisé simultanément des études des cas. Grâce à cette méthode, j’ai pu côtoyer 8 femmes dans les services de santé, fréquenter leurs espaces domestiques et les accompagner dans des visites à des lieux de cultes ou à des ressources communautaires. J’ai pu également discuter avec des liens familiaux, notamment les maris, et 3 maris ont participé à des entrevues. De ce groupe, 7 femmes font partie du corpus principal de la recherche. Les études de cas ont permis d’aller au-delà des entrevues dans la mesure où elles favorisaient l’approfondissement de plusieurs thèmes abordés et aussi d’avoir accès à différents moments de leurs expériences périnatales.

Enfin, la troisième méthode correspond aux observations participantes menées dans plusieurs espaces de sociabilité du quartier où s’est déroulée cette enquête, tels que les centres communautaires participants à la recherche et les activités de groupe pré et postnatales organisées par le CLSC.

La diversité des langues parlées a fortement complexifié cette recherche. Ainsi, j’ai initialement compté sur l’aide d’interprètes afin de réaliser des entrevues dans la langue maternelle des interlocutrices à cette recherche (trois l’ont été selon cette formule). Toutefois, je me rendais progressivement compte que les interactions effectuées dans la présence de traductrices révélaient trop souvent des réponses répétitives et un inconfort s’invitait dans certaines situations. J’ai décidé qu’il était plus pertinent de se passer de la présence de ces intermédiaires, et de conduire toutes les autres entrevues en anglais. Les verbatims présentés dans cet article ont donc tous été traduits en français par mes soins.

Ainsi, ce choix a fait partie d’une posture d’éthique de la recherche. Tout au long du processus, j’ai accordé une grande importance à la dimension éthique. Cette posture s’est concrètement traduite par un souci de préserver la confidentialité des interlocutrices. À l’anonymisation des entrevues, la suppression de tous les éléments susceptibles de permettre une identification quelconque s’y est ajoutée, à savoir les noms des liens sociaux ou des services fréquentés (au-delà du CLSC utilisé par toutes les femmes). De plus, j’ai essayé d’adopter une approche respectueuse des biographies, c’est-à-dire de ne pas poser certaines questions ou de ne pas essayer d’approfondir certaines réponses si je jugeais identifier une non-volonté à répondre, voire un inconfort. L’exemple du niveau de scolarité qui sera exploré dans la section subséquente illustrera ce point.

Profil migratoire et socioéconomique des interlocutrices

Au moment de la première entrevue, les femmes appartenant au corpus principal étaient âgées de 21 à 42 ans, avaient entre un et trois enfants ou étaient enceintes, habitaient à Montréal depuis deux à dix ans et possédaient divers statuts migratoires (demandeuses d’asile, réfugiées, résidentes permanentes, permis de travail). Elles étaient toutes originaires de l’Inde, du Pakistan, du Bangladesh ou du Sri Lanka et les principales langues parlées à la maison étaient le gujarati, le tamoul, l’ourdou, le pendjabi, le bengali et le cingalais. Les confessions religieuses déclarées étaient l’islam, l’hindouisme, le christianisme, le bouddhisme et le sikhisme. Toutes les femmes appartenant au corpus principal étaient mariées et en relations hétérosexuelles et la majorité (n=22) se trouvait dans un modèle de famille nucléaire.

Les femmes présentaient un profil socioéconomique quasi similaire malgré les grands écarts retrouvés dans le niveau d’éducation, même si je ne dispose pas d’informations précises à ce sujet en raison de la sensibilité de la question. Ainsi, cinq femmes possèdent des diplômes de « Master », tandis que trois autres sont titulaires des diplômes de cours supérieurs. Ces informations étaient généralement livrées spontanément au cours de l’entrevue, alors que pour les autres interlocutrices rencontrées, aborder le sujet de la scolarisation s’est avéré un peu délicat et parfois confus ou inconfortable. Deux femmes ont cité avoir suivi le high school à Montréal, sans nécessairement préciser d’avoir terminé le programme d’études, alors que sept femmes résument leurs réponses au fait de ne pas avoir « beaucoup étudié » et ne fournissent pas d’information plus précise à ce sujet. Malgré ces écarts, les familles appartenaient en majorité aux couches moyennes ou aisées du continent sud-asiatique et toutes les femmes avaient expérimenté, à des degrés variés, une perte de statut et la précarité en contexte migratoire. La majorité des femmes rencontrées (n=20) ont mentionné lors des entrevues l’expérience de vivre une mobilité socioéconomique descendante dans leurs contextes de vie montréalais. Dans le même ordre d’idées, les femmes constituant le corpus central et participant aux études de cas (n=7) ont déploré à de multiples reprises leur niveau de vie comparativement à celui dont elles jouissaient avant d’immigrer. Ces remarques soulignaient surtout la précarité de leurs logements, la difficulté de se déplacer à cause du prix des transports en commun, le prix de l’épicerie ou encore l’impossibilité d’engager des aides ménagères. Toutes les femmes étaient au foyer et aucune ne disposait d’une source de revenus propre.

Présentation des résultats. Reconstruire des projets familiaux, désirer des enfants : enjeux structuraux, liens sociaux et stratégies identitaires

Cette section de résultats discute les liens identifiés entre des éléments des parcours et expériences migratoires, notamment des enjeux structurels, et le terrain intime de la reproduction. Afin de bien analyser les manières dont ces éléments s’inscrivent et façonnent les parcours de femmes rencontrées, nous allons d’abord analyser les liens entre la déstructuration des réseaux sociaux de soutien et les décisions d’interrompre (de manière volontaire et souvent définitive) la mise au monde des enfants, situation documentée surtout dans les parcours de vie de femmes parrainées par un membre de la famille (natale ou d’adoption, soit le père ou le mari). Ensuite, l’accent se déplacera vers des liens entre le désir d’enfant, la reconstruction des projets familiaux et les difficultés dans les tentatives d’intégrer le monde du travail spécialisé, situations vécues par les femmes dont le projet professionnel était inhérent au projet migratoire. Enfin, nous nous attarderons sur des parcours migratoires bien différents, mais marqués par des barrières structurelles aussi percutantes : il s’agit des demandeuses d’asile, avec les instabilités de statuts migratoires qu’elles éprouvent et les réponses formulées par les femmes aux contraintes exercées tantôt par l’exil forcé, tantôt par le refus de la demande d’asile.

Remises en cause du désir d’enfant et transformations des liens sociaux familiaux

Plusieurs femmes remettent en cause leur désir d’enfant dans la mesure où elles souhaitent de mettre en œuvre une diminution de la fécondité comme réponse au contexte de vie montréalais. Les interlocutrices parrainées par un membre de la famille natale (n=2) et celles ayant été parrainées par leurs maris (n=12) et qui ne possédaient pas de projet professionnel prémigratoire affirment modifier leurs projets familiaux par la diminution temporaire ou permanente du nombre d’enfants antérieurement planifiés. Ces femmes expriment un sentiment de débordement issu de leur rôle de mères et épouses à cause de transformations dans les réseaux féminins familiaux provoquées par l’expérience migratoire. Selon leurs points de vue, ces transformations ont impliqué un appauvrissement de l’entraide féminine, et ce, même si elles ont toujours accès aux liens sociaux féminins transnationaux. Si la période périnatale est connue pour dynamiser les échanges transfrontaliers (Fortin et al., 2007 ; Le Gall et al., 2009 ; Montgomery et al., 2010), il n’en demeure pas moins que, de manière réelle et souvent inéluctable, ces liens ne pourront pas porter un soutien concret au quotidien, en tout cas pas à long terme. En conséquence, dans le but pragmatique de mieux gérer certains aspects de leur vie quotidienne comme les tâches au foyer et les soins aux enfants déjà nés, elles repensent leurs désirs d’enfants et choisissent d’avoir moins d’enfants que ce qu’elles souhaitaient auparavant ou d’espacer les grossesses.

Hanifa (Inde), parrainée par le mari, mère de deux fils et sans aucun lien familial à Montréal, inscrit sa décision de ne plus avoir d’enfant, au moins temporairement, dans son contexte de vie dépourvu d’entraide sociale :

« Ici, je dois penser : "Ils sont si petits, ils doivent être plus grands ; sinon j'aurai des ennuis avec deux jeunes enfants." En Inde, je peux dire : "oh, ma mère va s’occuper de lui, et j’ai encore un bébé, c’est bon." En Inde, j'ai de la famille. Ils peuvent nous aider. Tout comme je n'ai pas besoin de cuisiner, je n'ai pas besoin de faire tous les travaux, car tout le monde est autour de moi pour m'aider. Voilà pourquoi. »[6] [notre traduction]

Ces femmes évaluent leurs situations et mettent en œuvre par la suite une décision cohérente pour ne pas s’attirer des ennuis. Il est intéressant de remarquer que ces réflexions se retrouvent également dans les récits des femmes parrainées par la famille natale et possédant des liens familiaux féminins sur place. De plus, une série d’autres enjeux peuvent s’ajouter à ces parcours et complexifier davantage leurs planifications.

À cet égard, nous analyserons l’expérience de la première grossesse de Vishani durant laquelle elle a très peu pu compter sur son réseau familial féminin malgré la présence de sa mère à Montréal. En effet, Vishani ne revient pas habiter chez sa mère afin de se faire « prendre en charge » pendant quelques mois avant et après l’accouchement, comme il en est habituellement le cas pendant cette période dans sa localité d’origine : « ma mère m'a demandé de venir. Elle m’a dit : « ok tu peux venir chez moi… » Ma mère habite (référence à une zone particulière dans un quartier de Montréal). […] Mais mon mari est très timide pour venir chez ma mère[7] » [notre traduction]. Après avoir réfléchit sur cette première expérience périnatale à Montréal, elle décide de ne pas avoir un autre enfant dans son contexte actuel de vie. Le lien entre ces modifications intentionnelles des projets familiaux et la déstructuration du réseau d’entraide familial est mis en évidence dans le récit suivant où elle affirme désirer un deuxième enfant seulement à condition de s’intégrer dans une situation de famille élargie dans son contexte d’origine : « parce que j'ai un gros soutien là-bas […]. Ici, personne ne s'en soucie, tu sais. Je suis seule, je n'ai personne qui me soutient, c'est pour ça que je ne veux pas de bébé[8] » [notre traduction]. Pour bien comprendre les séquences de décisions de Vishani – ne pas rejoindre sa mère dans son foyer natal à l’occasion de sa première expérience de grossesse, puis éviter une deuxième grossesse en raison du manque de soutien – nous devons revenir sur son parcours migratoire. Née au Sri Lanka, elle est venue à Montréal avec sa fratrie et sa mère afin de rejoindre son père lorsqu’il a eu sa demande d’asile acceptée. Après avoir passé plusieurs années à Montréal, Vishani revient avec son père dans son pays d’origine pour la réalisation de son mariage arrangé avec un fiancé. Vishani parraine, à son tour, son mari pour qu’il vienne la rejoindre à Montréal. Le récit de Vishani montre donc les manières selon lesquelles les particularités de son parcours migratoire, dans lequel s’inscrit le parrainage de son mari, ont joué sur sa décision de ne pas aller habiter temporairement chez sa mère :

« Ici [dans son foyer où l'entrevue a eu lieu], il est comme "ok c'est chez moi". Quand il va là-bas [chez la mère de Vishani] […], il n'est plus le même. Ici, il a plus de liberté. […] Donc je pense que d’accord, ce n’est pas un bon endroit pour moi de venir rester chez ma mère pendant trois mois, deux mois. Même après l'accouchement, j'y reste encore deux, trois mois. Ça va faire environ cinq mois que je reste là-bas. Alors mon mari, il vient parfois : que va-t-il faire ? Donc je ne veux pas aller chez ma mère. […] Je suis restée chez mon mari[9] » [notre traduction].

Cette déstabilisation de la manière connue selon laquelle le réseau féminin familial s’occupe des femmes enceintes se relie aux nouvelles configurations de genre complexes et contradictoires qui se mettent en place en contexte migratoire. Notons dans cette situation familiale de Vishani l’inversion du principe de virilocalité présente dans plusieurs territoires de l’Asie du Sud et qui implique que l’épouse doit vivre avec le mari et sa famille (Bates, 2013). Autrement dit, c’est le conjoint de Vishani qui vient à Montréal la rejoindre, ce qui est donc inhabituel. À ce sujet, la recherche effectuée par la sociologue Katherine Charsley (2005) sur les mariages transnationaux auprès de Pakistanais en Angleterre peut nous aider à comprendre dans cette situation d’inversion du principe de virilocalité la décision de Vishani de ne pas rentrer chez sa mère. Charsley (2005) discute des hommes sud-asiatiques parrainés par des femmes également sud-asiatiques auparavant installées en Angleterre qui vont habiter au foyer de leur belle-famille ou au moins à leur proximité. Cette configuration familiale inhabituelle impliquerait une restructuration des relations de pouvoir au sein du ménage, dans laquelle ces hommes expérimenteraient une perte de pouvoir en raison du manque de soutien de leurs propres parents et de la proximité culturellement inhabituelle de la famille de la femme (Charsley, 2005). De cette manière, la décision de Vishani peut être interprétée comme une manière de protéger son mariage et son conjoint déjà mis à l’épreuve par l’expérience d’immigration.

Conséquemment, Vishani révise son désir d’enfant et la possibilité de mettre en place la taille de famille auparavant idéalisée (deux ou trois enfants). On peut y voir l’ambiguïté de cette situation. D’un côté, il est probable que l’organisation de la maisonnée de Vishani lui offre un plus grand pouvoir sur cette dimension de sa vie, et lui permet d’affirmer son désir personnel de ne plus avoir d’enfants supplémentaires (Jeffery et al., 1997) : « Ma mère voulait que j’ai un autre bébé plus vite, ma mère a dit : "oh c’est trop tard maintenant […] !" Plus vite un autre bébé ! J’ai dit : "non, non"[10] » [notre traduction]. D’un autre côté, ce désir personnel se construit comme une réponse aux complexités liées aux nouvelles reconfigurations sociales en contexte migratoire, impliquant souvent des reconstructions de normes de genre et de parenté. À ces reconfigurations, la précarité économique s’y ajoute et s’exprime dans l’expérience de Vishani par l’insatisfaction relative aux conditions matérielles d’existence : « cet appartement est trop sombre et trop petit[11] » [notre traduction]. Pour elle, les caractéristiques de son logement participent à sa décision de ne pas avoir un deuxième enfant, au moins temporairement. À travers la mise en lien entre l’impossibilité de se procurer un logement plus adéquat et son désir d’enfant, Vishani nous permet de comprendre une des manières selon lesquelles se répercutent dans la sphère de la reproduction des inégalités sociales au niveau du logement. En effet, une étude récente met en évidence la question du caractère inabordable du logement pour certains groupes d’immigrants au Canada, avec des niveaux plus élevés de difficultés parmi les immigrants asiatiques (Singh, 2022). Dans cette étude, il est argumenté que les ménages sont plus susceptibles d’être inabordables dans les provinces plus peuplées et les grandes régions métropolitaines aux prises avec le coût de vie élevée, les disparités raciales et le faible revenu. De plus, l’impact est beaucoup plus grave pour les locataires, toutes des réalités auxquelles Vishani fait face.

Désirs d’enfant, projets familiaux et difficultés des parcours socioprofessionnels

Nous nous penchons maintenant sur la particularité d’un groupe de femmes hautement scolarisées pour lesquelles le projet professionnel constitue une dimension distincte de leurs parcours migratoires. Pour certaines de ces femmes, les projets de maternité peuvent se redéfinir en tant qu’une réponse aux difficultés d’intégration professionnelle vécues au fil des processus d’installation à Montréal. Pour Mizha (Pakistan, 1er enfant) et Rabiah (Bangladesh, 1er enfant), cette redéfinition s’élabore au cours de la grossesse et dès les premiers mois de vie de l’enfant, tandis que pour Prama (Inde, 1er enfant), la décision même d’avoir un enfant s’érige comme une réponse aux obstacles de l’insertion socioprofessionnelle. Plusieurs études ont déjà démontré que la construction du désir d’enfants peut s’insérer dans une logique stratégique face à un contexte de vie contraignant (Ouédraogo et al., 2017 ; Laurent 2017). D’une manière analogue, certaines de nos interlocutrices déploient des stratégies identitaires de valorisation personnelle via la maternité dans le but de répondre aux barrières systémiques rencontrées en contexte migratoire lorsque les projets professionnels étaient inhérents aux projets migratoires.

Ces femmes reconnaissent leurs parcours éducatifs différenciés et déplorent les travaux ouvriers pratiqués par certaines femmes venues d’un même contexte d’origine tel que le travail en restaurant ou en manufacture. Comme nous explique Mizha : « Par exemple, je suis M. Sc. Master en [domaine d’études]. Et mon mari aussi [domaine d'études], et comme ça, on est des gens bien éduqués, et on fait un boulot de livreur, ça veut dire qu'on gaspille notre talent[12] ». [notre traduction]. Les confrontations entre les projets de migration et les possibilités réelles, de même qu’entre l’identité mythique et les rapports objectifs avec le pays d’immigration, rendent nécessaires des remodelages de l’identité (Taboada-Leonetti, 1994). La maternité se montre comme une possibilité pour l’ajustement de la définition et de la valorisation de soi dans un contexte d’intégration professionnelle difficile. L’échange avec Mizha et son mari traduit bien cette situation lorsqu’ils comparent l’événement de la grossesse à l’acquisition d’un bon travail :

Mari : « Avant [la grossesse] elle se mettait parfois en colère. La plupart du temps, elle se mettait en colère, je me mettais en colère, je devenais dépressif, mais maintenant, 99 % du temps, nous sommes pour la plupart heureux ».

Mizha : « Parce que nous avons quelque chose ! Enfin! Surtout quand nous sommes arrivés ici et que j'essayais de trouver un travail, mais je n'ai pas réussi à trouver un bon travail. Et je me sentais tellement déprimée ».

Mari : « Qu'est-ce qu'on fait ? Qu'est-ce qu'on fait ? Juste s'asseoir à l'intérieur, [(Mizha : oui !] aller toujours au [centre d'achat et de loisirs], aller au centre-ville, des trucs, ceci, ceci, cela… Mais maintenant c'est totalement changé. Elle a obtenu un très bon travail [en parlant du fait d’être enceinte et de pouvoir par la suite devenir mère][13] » [notre traduction].

Certains des enjeux découlant de la rencontre entre l’expérience périnatale et « l’envers de l’imaginé » en terre d’accueil peuvent être observés dans cette citation (Duclos, 2008). Les déceptions professionnelles, dans ce contexte, paraissent faire référence à des représentations identitaires qualifiées par des valeurs différentes ou contradictoires qui s’expriment assez souvent dans la rencontre entre des individus appartenant à des groupes minorisés et des structures macrosociales du contexte migratoire. Cette dynamique semble s’inscrire dans un processus de construction d’une identité décalée ou paradoxale spécifique aux individus relevant de groupes minorisés et fait référence aux situations où le regard que la personne porte sur elle-même ne correspond pas au regard que les autres portent sur elle (Bolzman, 2002). La difficulté d’intégration au marché du travail dépasse ainsi la dimension d’exclusion économique, puisqu’elle entraîne une privation de l’ordre de la rupture des appartenances et rend impossibles les échanges d’images identitaires au sein du groupe professionnel restreint et peut déclencher une exclusion symbolique de l’individu de ce système sociétal (Taboada-Leonetti, 1994). Dans le cadre de cette dévalorisation de l’identité professionnelle, Mizha, appuyée par son mari, opère un ajustement identitaire à travers le détournement par la maternité.

Un autre cas d’ajustement identitaire comparable est fourni par Rabiah. Dans un premier temps, Rabiah planifie sa grossesse en fonction de l’insertion de son conjoint dans une position professionnelle stable : « Ma grossesse a été planifiée […] quand il (son mari) a obtenu son doctorat, j'ai pensé : ok, c'est le bon moment pour moi de concevoir mon bébé[14] ! » [notre traduction]. Après s’être dévouée entièrement à la grossesse et à la maternité jusqu’au 6e mois environ de sa fille, Rabiah commence ensuite à tenter de s’intégrer professionnellement, mais cela s’avère plus difficile que prévu. Dès notre première rencontre, elle démontre une forte inquiétude à l’égard de son parcours professionnel. Nous avons pu directement observer lors de diverses rencontres avec Rabiah que cette inquiétude s’est progressivement accrue au fil de nos échanges et des différentes recherches de travail et tentatives de contacter des employeurs potentiels. La non-reconnaissance de son diplôme et la barrière de langue paraissent composer les obstacles les plus expressifs. Face à toutes ses difficultés liées aux processus d’insertion professionnelle, Rabiah démarre un processus de resignification de la maternité émergée de la rencontre entre maternité et frustrations professionnelles comme suggère la note d’observation ci-dessous :

« Je suis assise sur le canapé de Rabiah tandis qu’elle se trouve assise par terre, à jouer avec sa fille. Elle a les jambes croisées. Elle penche sa tête vers le bas et dit ensuite en me regardant : "Parfois, je me sens déprimée. Je peux voir sur Facebook tout le monde dans mon pays, mes amis, ils ont un bon travail. Et je suis là, je ne fais rien. Parfois, j’ai l’impression de gâcher ma vie"[15]. Immédiatement après, elle contemple sa fille et m’interroge : "Elle est mon bonheur, n'est-ce pas ?"[16] » [notre traduction] (Note de terrain, 12/05/2015).

Cette association établie entre la frustration issue de son manque d’insertion professionnelle et le supposé accomplissement personnel généré par la maternité démontre à nouveau une voie à travers laquelle les difficultés structurelles inhérentes à la trajectoire d’établissement sont traduites dans le terrain intime et privé de la maternité. La signification accordée à la maternité acquiert ainsi une connotation liée aux difficultés vécues en contexte migratoire. Chercher un épanouissement et le bonheur par le biais de la maternité permettrait ainsi de répondre par l’accomplissement du devoir de jeune mère à la frustration professionnelle générée par la rencontre avec le contexte migratoire. Dans les diverses occasions où nous avons pu observer l’inquiétude de Rabiah par rapport aux difficultés d’accès au marché du travail, elle démontrait souvent ressentir une sorte de réconfort dans son rôle de mère et dans sa capacité à s’occuper de sa fille : « J’essaie toujours de lui donner tout mon temps, j’essaie ça[17] » [notre traduction]. Si la structure de l’identité de Rabiah s’appauvrit à cause de l’affaiblissement de l’identité professionnelle, elle retrouve dans la maternité une nouvelle possibilité de redéfinition et valorisation de soi : « Je suis mère maintenant. Ça c’est un gros changement, tu sais[18] ? » [Notre traduction].

Dans le cas de Prama, le désir d’enfant se construit comme une réponse aux obstacles érigés dans ses tentatives d’intégrer le monde professionnel. Afin de compenser l’impossibilité de réaliser le projet professionnel, l’anticipation du projet familial suscite le désir d’enfant : « si j'ai un bébé, je peux changer tout mon monde. Et ça a déjà changé je pense (rires). […]. Avec un bébé on peut passer des années et des années plus facilement[19] » [notre traduction]. Le désir d’enfant découle d’un souhait de changer son expérience migratoire teintée par des difficultés, déceptions et amertumes. L’analyse de cette expérience commence dès l’origine du projet migratoire pour lequel Prama est celle qui a entamé les démarches administratives. Il s’agit de la seule femme rencontrée qui s’est retrouvée comme requérante principale du processus d’immigration. Hautement qualifiée dans un domaine identifié comme prioritaire dans la politique migratoire québécoise, la prise de contact avec des entreprises locales avant même de quitter l’Inde a constitué une partie importante de l’étape prémigratoire.

Malgré les projections positives concernant l’accès à un emploi dans le champ d’activités auquel elle a été formée en Inde, cela ne se concrétise pas une fois installée en territoire montréalais. De plus, la non-reconnaissance de son diplôme de maitrise à l’occasion de la demande officielle de validation de diplômes s’ajoute à cela. Lorsque le récit de Prama met en lumière ces éléments, il révèle les contenus de ses expériences d’entrevues aux postes de travail : « Ils m'ont posé des questions : "êtes-vous Québécoise ?" Je ne sais pas pourquoi ils posent cette question : "êtes-vous Québécoise ?" »[20] [Notre traduction]. Si Prama affirme son identité à l’occasion de ces interactions dérangeantes en répondant : « est-ce que j'ai l'air d'une Québécoise ? Je suis Indienne ! »[21] [Notre traduction]. Prama fait face, à cause de ces entrevues infructueuses, à l’interaction entre plusieurs facteurs jouant négativement sur son accès au monde du travail spécialisé, y compris la possible barrière systémique d’appartenance ethnique.

Ces barrières s’avèrent pour Prama progressivement insurmontables. Le monde du travail spécialisé étant inaccessible, Prama rejoint un emploi dans une manufacture qui l’a conduit à une fatigue extrême. Simultanément à ses expériences éprouvantes, le mari de Prama, beaucoup moins qualifiée comparativement à elle, décroche facilement un emploi dans une entreprise indienne installée à Montréal. Il progresse rapidement au sein de cette entreprise, ce qui l’amène à s’inscrire dans un cours pour une qualification professionnelle. Selon Prama, cela lui donne une nette sensation de progression professionnelle et d’épanouissement personnel. La décision d’avoir un enfant est directement inscrite dans ce contexte spécifique de sa vie : « alors je n’ai pas de travail […] Je me sens vraiment seule parce que mon mari a un travail. Ensuite, nous avons commencé à essayer d’avoir un bébé »[22] [notre traduction]. Cette décision paraît d’autant plus significative dans la mesure où elle est en contradiction avec ses plans initiaux : « Même si je n'étais pas prête. Je pensais : "Non, je ne suis pas prête pour un bébé maintenant" »[23] [notre traduction]. Prama poursuit son récit et nous éclaire davantage à propos des liens entre désir d’enfant et l’expérience migratoire hostile : « Parce que je me sens vraiment seule ici et quand je regardais les autres bébés, je… Oh ! Je suis vraiment seule, pourquoi je n'ai pas de bébé ? Si j'ai un bébé, je peux changer tout mon monde »[24] [notre traduction].

Désirer un enfant, mettre en œuvre un projet familial : ces expériences personnelles et intimes deviennent un lieu où certaines femmes agissent stratégiquement afin de répondre à ce qui leur échappe en contexte montréalais. Désirer un enfant et reconstruire un projet familial permet d’accéder au se constituer mère : la maternité devient une manière de contester l’appauvrissement de dimensions identitaires à cause de l’expérience de la solitude et de l’inaccessibilité à une identité professionnelle valorisée. La superposition des parcours socioprofessionnels décevants et la construction du désir d’enfant et des projets familiaux, ou encore les significations accordées à l’enfant déjà né hissent la maternité au rang de stratégie identitaire. En effet, les récits de Mizha, Rabiah et Prama nous démontrent que la maternité peut constituer un point d’ancrage pour la réinterprétation de la trajectoire personnelle et la reconstruction de l’image de soi. Devenir mère paraît faire partie de la mise en place d’un processus de relativisation de l’importance de la vie sociale et professionnelle à cause de l’inaccessibilité à la carrière souhaitée.

Malgré le sens positif accordé à la maternité et son choix stratégique, elle demeure une réaction face aux discriminations subies avec de fortes implications sur les asymétries de genre puisqu’elle contribue à placer les femmes dans l’espace privé du foyer. Nous sommes proches de la situation documentée par Banerjee et al. (2020) à l’occasion d’une recherche sur les femmes sud-asiatiques monoparentales aux États-Unis lorsque ces autrices décrivent les « paradoxes inégaux » vécus en contexte migratoire qui marginalisent davantage ces femmes. Ces paradoxes seraient créés par l’interaction des forces structurelles comme les politiques migratoires (aspect clairement démontré dans notre étude par les réglementations à propos de la validation de diplômes étrangers) avec d’une part des discours racialisés qui se traduisent dans notre recherche par les probables discriminations à l’emploi et, d’autre part, les idéologies de genre (Banerjee et al. 2020). Ces paradoxes se présentent y compris dans les situations où les maris sont dépendants de leur épouse pour l’obtention du visa, telle que pour Prama, ce qui aurait pu théoriquement lui accorder une position sociale moins marginalisée par rapport à celle de son mari. De plus, toutes les femmes n’ont pas les mêmes possibilités pour déployer des stratégies, parce que cela dépend des ressources sociales et symboliques possédées par chacune. Dans la discussion suivante, nous verrons que le statut migratoire devient une ressource fondamentale pour le déploiement de stratégies identitaires liées à la reproduction.

Désir d’enfant, désir d’appartenance et ruptures dans les parcours de vie des demandeuses d’asile

Certaines de nos interlocutrices agissent stratégiquement sur le terrain de la reproduction à travers l’augmentation de la fécondité dans le but de reconstruire leur identité ethnique et de remodeler leurs appartenances sociales. Cette stratégie a été observée dans les parcours de vie compliqués de réfugiées et demandeuses d’asile pour qui le statut migratoire s’avère à cet égard une ressource clé dans la mise en place de ces stratégies. Dans cet ordre d’idées, il est important de prendre en compte les différents moments du processus de régularisation du statut migratoire au Canada dans lequel se trouvent Malika, Padmalay, Ada et Veena. Au moment de notre première rencontre, Malika avait déjà été acceptée, Ada était en attente de la première réponse du gouvernement canadien, tandis que Padmalay et Veena attendaient, après un premier refus, la réponse de l’appel à l’aide humanitaire.

Dans le cas de Malika, l’immigration forcée a eu comme conséquence à la fois l’isolement social réel et l’isolement subjectif à cause de l’impossibilité de mettre en œuvre certaines pratiques sociales significatives compte tenu de l’éloignement du réseau familial. La décision d’avoir un troisième enfant s’inscrit dans une tentative de déjouer ces ruptures sociales et symboliques : « Ensuite j'ai décidé que j'avais besoin d'un enfant de plus. Parce que j'ai besoin d'une famille plus grande ici, un peu plus grande ici. Parce qu'ils ne sont que deux et ils s'entraident. […] Parce que chaque chose qui me manque, je ne veux pas que mes enfants en manquent. Ensuite, j'ai opté pour la troisième grossesse »[25] [notre traduction] (Malika, Inde, 3e enfant). Le désir d’un troisième enfant s’inscrit dans un désir d’assurer une continuité symbolique par le biais de la reproduction physique : « Au Canada, j'ai besoin de plus d'enfants. Parce que tu sais […] on a tellement de coutumes, mais là on est seul, toutes les coutumes nous manquent »[26] [notre traduction]. Si Malika semble toutefois être en quête de continuité culturelle à travers la mise au monde d’un troisième enfant, elle remet simultanément en question certaines redéfinitions dans les normes de parenté avec lesquelles elle est familière.

La décision d’avoir un troisième enfant contrarie la norme de la petite famille caractéristique de son groupe familial natal resté en Inde. Son groupe familial renouait, selon Malika, avec les pratiques familiales de « tout le monde » : « à cause de ma situation, j'ai besoin d'une famille plus grande. Sinon, nous n'aurions que deux enfants. Un garçon et une fille. Même ma mère, elle n'avait que deux enfants, comme tout le monde ; j'ai un frère et il y a moi »[27] [notre traduction]. La décision d’avoir un troisième enfant illustre combien dans certains contextes de changements, une norme doit être modifiée justement pour tenter d’assurer les continuités identitaires et culturelles (Segato, 2006). Bien que le choix d’avoir un troisième enfant s’inscrive pleinement dans la tentative de continuer certaines pratiques sociales sur lesquelles s’ancrerait un mode de vie « à l’indienne », Malika ne met pas en œuvre une production identitaire incontestée et figée.

Comme Malika, Ada décide de changer sa planification familiale prémigratoire qui correspondait à avoir seulement deux enfants afin de tenter d’avoir un garçon selon notre échange ayant lieu chez Lyn[28] à l’occasion d’une célébration de fin du ramadan. Ada s’y présente pour que la mère de Lyn regarde son ventre et lui indique s’il s’agit d’un fœtus masculin ou non. Autour de la table remplie de plats typiques, Ada confie en aparté :

« Tu sais ? (Elle baisse la tête et le regard). Je veux un garçon. J'aime les filles, je ne sais pas pourquoi, j'aime les filles. Mais j'ai déjà deux filles et maintenant mon mari veut un garçon. J'ai dit d'accord. Toute ma famille aussi, ma mère, mon père, tout le monde veut un garçon maintenant parce qu'il n'y a que moi et ma sœur, ils n'ont que des filles. Parce que mes parents vivaient une situation économique difficile, je te l'ai dit, dans mon pays c'est compliqué. […] Et ma maman elle a toujours eu l'idée que si elle avait un troisième enfant ce serait un garçon. »[29] [notre traduction]

Selon Ada, son désir pour un garçon s’explique davantage par une dynamique familiale que par une supposée culture sud-asiatique de préférence au fils : « J’aimerais avoir un garçon pour les membres de ma famille, d’abord pour ma famille. Ils veulent que j'aie un garçon, si Dieu me le donne. Et deuxième option, j’ai déjà deux filles, donc un garçon, ça va. Ce n'est pas à cause de la culture »[30] [notre traduction]. La possibilité de tenter d’accomplir le désir familial est possible en sol canadien grâce aux conditions matérielles acquises : « parce qu'ici tout est gratuit : l'école, tu n'as pas à payer, tout est comme gratuit, mais dans mon pays tu ne peux pas faire ça. Ici, c'est facile de prendre soin de ton bébé »[31]. Ada décrit les facilitateurs de la maternité en contexte canadien : « après, c'est très facile de s'occuper du bébé, parce que dans mon pays, les couches coûtent très cher. […] Donc tu ne peux pas te permettre. Il est donc très difficile de payer [aussi] les médecins dans notre pays »[32] [notre traduction]. Ainsi, la troisième grossesse d’Ada en contexte canadien met notamment de l’avant l’importance des conditions matérielles pour la mise en place de son projet familial. L’accès aux biens et services favorisés par son statut au Canada permet à Ada et son mari de contourner la rationalité économique qui serait selon son récit présente dans son lieu d’origine, le Bangladesh. Pour Ada, cette accessibilité a modifié un vecteur macrostructurel sur son parcours de vie, lui donnant l’occasion d’envisager une troisième grossesse et de tenter d’accomplir l’idéal familial.

À cause du refus de sa demande d’asile, les mêmes facteurs structurels facilitant, pour Malika et Ada, le déploiement de stratégies dans le domaine des projets familiaux limite les choix de Veena. Cette femme et sa famille ont quitté l’Inde suite aux fortes tensions déclenchées dans son contexte d’origine en raison de son mariage non approuvé par les membres de sa famille natale. Une fois en contexte canadien, Veena tombe enceinte en même temps que sa demande d’asile est refusée. Cela a un fort impact sur son expérience de grossesse, et celle-ci acquiert un aspect dramatique. Dans ce contexte difficile, malgré son désir d’avoir un enfant garçon (elle est déjà mère de deux filles), Veena décide d’interrompre sa troisième grossesse compte tenu de la précarité de son statut en sol canadien : « Pas maintenant. Parce que je ne sais pas ce qui va arriver à notre vie, alors pourquoi suis-je à nouveau enceinte ? »[33] [notre traduction]. Les liens compliqués entre les politiques d’immigration et les corps des femmes (Shandy, 2008 ; Castañeda, 2008) sont ainsi dévoilés par l’instabilité du parcours de vie de Veena, conséquence au moins en partie du refus de la reconnaissance de sa demande d’asile au Canada. Le lien causal établit par Veena entre interruption de grossesse – malgré son désir d’avoir un troisième enfant garçon – et refus de la demande d’asile de sa famille illustre de manière concrète certains des mécanismes de la reproduction stratifiée au Québec.

Certaines femmes peuvent toutefois tenter à travers leurs stratégies déployées dans le domaine de la reproduction d’exercer une sorte de travail transformatif face aux contraintes structurelles imposées par les politiques d’immigration. Le cas de Padmalay (Inde) démontre que la décision « d’accepter » une troisième grossesse constitue une tentative de s’identifier au contexte canadien. Devant une troisième grossesse non planifiée, elle décide surtout d’aller de l’avant après une négociation avec son mari : « J'ai décidé avec mon mari : J'avorte ou j’ai le bébé ? Mon mari me dit d'accord, pas de problème, nous allons prendre un bébé. J'ai décidé, ok, pas de problème ! Parce que j'avais très honte parce que c'est mon troisième ! En Inde, presque tout le monde a seulement deux enfants. […] Tout le monde me demande : "pourquoi trois enfants ? Pourquoi un troisième bébé ? " »[34] [notre traduction]. On peut noter qu’au sein de la négociation du couple, la décision d’accepter cette troisième grossesse s’est inscrite dans une tentative d’identification au Canada, comme nous explique son mari présent lors d’une rencontre : « nous sommes au Canada, nous pensons que c'est une bonne chose d'avoir un bébé canadien »[35] [notre traduction]. Pendant la tentative d’intégrer la nation canadienne après les menaces subies en Inde ayant motivé leur départ, avoir un enfant au Canada semble constituer une partie importante du processus d’identification à cette nation désirée. Cette hypothèse est renforcée par le choix même du prénom du bébé. Contrairement aux autres enfants connus au long de cette recherche qui avaient tous des prénoms originaires de l’Asie du Sud, le bébé de Padmalay reçoit un prénom typiquement canadien-anglais.

Ainsi, si d’un côté la décision d’avoir un troisième enfant les écarte de l’idéal indien de deux enfants comme souligne le discours de Padmalay, d’un autre côté l’acceptation de la troisième grossesse par le couple dans le contexte mentionné pourrait représenter une stratégie d’intégration sociale dans un contexte d’instabilité de leur situation légale au Canada. Cela fait écho aux travaux de Seo (2017) auprès des femmes Shans donnant naissance en Thaïlande et de Goldade (2011) sur les femmes originaires du Nicaragua au Costa Rica. Ces deux études démontrent les processus conduits par les femmes à travers lesquels l’acte de donner naissance se façonne comme une stratégie pour s’attribuer une identité (Seo, 2017) et un sens d’appartenance sociale sans pour autant revendiquer la citoyenneté (Goldade, 2011). Dans ces deux cas, les femmes sans papier en question s’assurent une sécurité partielle à travers la grossesse et la naissance en créant des liens concrets avec l’État. Les propos de Padmalay et son mari abondent dans le même sens lorsqu’ils montrent leur collection de documents relatifs aux soins périnataux reçus dans les institutions québécoises de santé publique. Ils sont soigneusement organisés dans leur dossier d’appel à l’aide humanitaire. Si le statut migratoire peut s’avérer une limite dans les tentatives de composer avec les vicissitudes des parcours migratoires, comme le cas de Veena le démontre bien dans notre étude, l’instabilité du statut migratoire peut dynamiser les processus identitaires à travers les diverses tentatives explorées par les personnes immigrantes pour créer des liens avec les nations désirées.

Conclusion

En analysant des parcours biographiques uniques de femmes sud-asiatiques récemment immigrées à Montréal, cet article s’est concentré sur les liens établis entre désirs d’enfant, projets familiaux et projets d’immigration. L’analyse nous a montré que ces projets d’immigration et leurs projections post-migratoires agissent comme une forme de gouvernance du rapport des femmes à la reproduction et structurent les dimensions identitaires les plus intimes. En effet, désirs d’enfant et projets familiaux se façonnent souvent en réponse à la confrontation entre les expériences migratoires effectivement vécues et les diverses dimensions liées aux projets migratoires.

Tout d’abord, les femmes parrainées par les membres de la famille natale ou par le mari témoignent d’un lien établi entre la décision de ne plus avoir d’enfants de manière définitive ou temporaire et les déstructurations générées par les trajectoires migratoires dans les réseaux féminins familiaux d’entraide. Face à un contexte de vie dépourvue de liens sociaux significatifs capables de les soutenir concrètement et au quotidien, elles évaluent leurs situations actuelles et mettent en œuvre la décision (temporaire ou définitive) de ne plus avoir d’enfants. Dans des parcours de femmes ayant un projet professionnel inhérent au projet migratoire et ceux de demandeuses d’asile, il en ressort que des enjeux identitaires sont à l’origine de stratégies observées dans le terrain intime de la reproduction. Ces stratégies impliquent des diversifications dans les sens accordés à la maternité, l’anticipation d’une grossesse ou une augmentation de la fécondité. Elles sont déployées par les femmes dont les parcours migratoires sont marqués par une forte remise en question de leur identité sociale et subjective, par le biais de la non-reconnaissance professionnelle ou par des ruptures drastiques avec les liens sociaux et les appartenances identitaires prémigratoires dans certains parcours de demandeuses d’asile.

À travers la reconstruction des projets familiaux, certaines femmes rencontrées sont en train de négocier une (re)production des identités et des structures d’appartenance au fil de leurs parcours de vie, tout cela dans un entrelacement entre passé et présent, entre continuités et discontinuités avec des normes significatives qui circulent dans un champ transnational. Dans leurs parcours, ces normes sont remises en question, critiquées, voire contestées et transgressées, mais ces actions peuvent être limitées par des enjeux structurels comme le statut migratoire. Si cette réflexion nous aide à tenter de dépasser une vision binaire d’opposition entre contextes de départ (qui seraient dans une vision stéréotypée, figée et oppressante) et d’arrivée (qui serait lui plus dynamique et libérateur), elle indique aussi le besoin de prendre en compte dans des recherches futures les dynamiques de changements présentes dans leurs sociétés de départ, et comment cela s’inscrirait dans les parcours des femmes. Toutefois, elle nous permet déjà de situer notre approche dans une critique à l’idée reçue de libérations des femmes venues du Sud grâce à la possibilité de vivre dans le Nord.