Corps de l’article

Au Canada, environ 910 enfants et adolescents âgés de moins de 14 ans recevront annuellement un diagnostic de cancer et 170 d’entre eux en décèderont (Comité consultatif de la Société canadienne du cancer, 2016; Xie et al., 2018). Il s’agit de la maladie potentiellement mortelle la plus fréquente chez les enfants canadiens (Comité consultatif de la Société canadienne du cancer, 2016). Elle constitue une expérience familiale traumatique ayant d’importantes retombées, autant sur le devenir de l’enfant que sur celui des membres de sa famille (Long et Marsland, 2011 ; Parry et Chesler, 2005). Dans ce contexte, la famille devient vulnérable et subit des transformations à tout jamais (Van Schoors et al., 2015 ; Wilson et al., 2016). Bien que l’expérience familiale du cancer pédiatrique soit abondamment étudiée dans les écrits scientifiques actuels, celle de familles accompagnant l’enfant en contexte d’éloignement (FAECCÉ) du centre hospitalier spécialisé en oncologie pédiatrique (CHSOP), demeure encore peu explorée et les soins ainsi que les services offerts à ces familles sont très hétéroclites (Walling et al., 2019). Pourtant, il s’agit d’un contexte qui comporte son lot de défis familiaux additionnels (Daniel et al., 2013 ; Fluchel et al., 2014 ; Scott-Findlay et Chalmers, 2001 ; Walling et al., 2019).

Or, Rosenberg, Wolfe et al. (2014) précisent que les parents ayant un enfant atteint de cancer sont particulièrement vulnérables sur les plans psychosociaux et que ceux qui disposent de peu de ressources (ou facteurs de protection ou forces) favorisant leur processus de résilience le sont davantage. Malgré qu’un nombre grandissant d’auteurs soulèvent l’importance de mieux soutenir le processus de résilience de ces familles (Masera et al., 2013 ; McCubbin et al., 2002 ; Van Schoors et al., 2015), de ces parents (Brody et Simmons, 2007 ; Habibpour et al., 2019 ; Kawakami et al., 2013 ; Rosenberg et al., 2013 ; Rosenberg, Wolfe et al., 2014), de ces enfants et adolescents (Kim et Yoo, 2010 ; Nelson et al., 2004 ; Rosenberg, Yi-Frazier et al., 2014 ; Woodgate, 1999a ; 1999b), et de leur fratrie (Chin et al., 2018 ; Harper, 2011), aucune étude ne semble à ce jour s’être penchée sur l’exploration du processus de résilience des FAECCÉ.

Ainsi, le présent article vise à présenter des résultats issus d’une plus vaste étude, conduite entre 2015 et 2021, qui avait pour but d’ élaborer un programme d’intervention clinique en sciences infirmières (PICSI) qui renforce le processus de résilience des FAECCÉ (Simard, 2021). La première phase de cette recherche a entre autres permis d’explorer les facteurs de risque et de protection reliés au processus de résilience de ces familles. Différents contextes familiaux associés à l’émergence des facteurs de risque ont été dégagés et seront ici détaillés.

Définitions des concepts

La famille

Les définitions contemporaines de la famille vont au-delà des attributs traditionnels liés aux liens sanguins, à l’adoption et au mariage (Parse, 2009 ; Wright et Leahey, 2013). Ainsi, dans la présente étude, elle correspond à la définition « pratique » de Wright et Leahey (2013) soit que : «The family is who they say they are» (p. 55).

Le contexte d’éloignement

La définition adoptée au sujet du contexte d’éloignement est issue d’une réflexion initiale à l’égard du concept de ruralité, fréquemment retrouvé dans les écrits scientifiques. Il s’agit d’un concept qui fait pourtant plus référence à une densité populationnelle. Cependant, le contexte d’accompagnement d’un enfant malade en région urbaine, alors que ce dernier et sa famille proviennent d’une région rurale, est davantage lié à la distance à parcourir pour être au chevet de l’enfant, plutôt qu’à la densité populationnelle de leur région d’origine. En fait, le nécessaire exil des FAECCÉ est associé à l’absence de services pédiatriques hautement spécialisés dans les régions à faible densité de population. Une réalité rurale qui comporte son lot de défis :  la disponibilité limitée de services, l’éloignement des centres urbains majeurs, la petitesse des populations et la disposition d’infrastructures minimales (Castleden et al., 2010). En somme, le contexte exploré par cette étude est donc relié à l’éloignement, tantôt du milieu de vie habituel et des personnes chères, tantôt à celui du CHSOP, qu’à la notion de ruralité.

La résilience familiale

Walsh (2016b) et Delage (2008) abordent spécifiquement le concept de la résilience familiale en faisant référence à : (1) un processus dynamique, évolutif, durable et universel, secondaire à une expérience familiale traumatique (EFT) ; (2) une mobilisation des habiletés, des ressources et des forces dont dispose la famille ; (3) une capacité de mentalisation ou de signification de l’expérience vécue ; et (4) une croissance vers un bien-être, sans pour autant signifier un retour à la situation précédente. La résilience n’est donc pas une finalité en soi, mais plutôt un processus d’évolution familiale vers un bien-être, qui transcende les mécanismes d’adaptation et d’autonomisation, ou la référence à un quelconque trait de caractère, qui lui sont trop souvent associés. 

Cadres théoriques

Afin de mettre en lumière les facteurs influençant le processus de résilience des FAECCÉ, deux approches théoriques complémentaires ont été retenues : l’approche de soins fondée sur les forces de la personne et de la famille (ASFFF) de Gottlieb (2013) et la théorie du renforcement de la résilience (TRRF) de Walsh (2016b). Toutes deux proposent une approche humaniste et collaborative de soins, qui se veut centrée sur les forces et potentialités (facteurs de protection) de chaque personne et de chaque famille (unicité). La complémentarité de ces deux approches théoriques réside sur plusieurs principes communs, tels que l’holisme, l’humanisme, la collaboration, le développement, l’écologie, l’adaptation et l’autonomisation.

Plus précisément, l’ASFFF fait référence au processus de résilience issu de la TRRF, qui s’appuie sur le modèle de stress et d’adaptation familiale élaboré par Hill en 1949 et 1958 (ABCX model) et révisé entre autres par H. I. McCubbin en 1979 (Double ABCX model). Ce modèle soutient notamment que lorsque survient une EFT, comme celle de l’accompagnement d’un enfant atteint de cancer en contexte d’éloignement, les ressources et les forces (ou facteurs de protection) dont dispose habituellement la famille pour surmonter ses difficultés sont insuffisantes pour contrer les impacts (ou facteurs de risque) engendrés par la situation la rendant vulnérable (Figure 1).

Figure 1

Vulnérabilité familiale à la suite d’une expérience familiale traumatique (EFT)

Vulnérabilité familiale à la suite d’une expérience familiale traumatique (EFT)
(Tirée de Simard, 2021)

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Dans ce contexte, la théorie de Walsh (2016b) précise que, à la suite d’une EFT, des processus clés familiaux (ou forces ou facteurs de protection) peuvent être renforcés et ainsi permettre à la famille une croissance afin de recouvrer un niveau optimal de bien-être et de qualité de vie. Les cibles des interventions cliniques (ou des soins) dans l’ASFFF (Gottlieb, 2013) comme dans la TRRF (Walsh, 2016b) visent d’abord à bien évaluer les facteurs de risque familiaux présents dans l’expérience vécue pour aider la famille à les réduire, voire si possibles à les éliminer. Elles ont également comme objectifs d’ évaluer et de soutenir la famille dans la mobilisation d’un maximum de forces qui lui sont accessibles, qu’elles soient déjà présentes chez elle, à développer ou qu’elles proviennent des soins, des services ou des ressources professionnels mis à sa disposition. Cette mobilisation des forces de la famille aide à contrer les facteurs de risque présents et favorise la croissance familiale. Une condition essentielle à l’atteinte d’un niveau de bien-être et de qualité de vie optimal. Le renforcement et la mobilisation des processus clés de Walsh (2016b) deviennent de précieuses cibles pour des interventions cliniques centrées sur le processus de résilience familiale (Figure 2).

Figure 2

Cibles des interventions cliniques visant la croissance de la famille à la suite d’une EFT

Cibles des interventions cliniques visant la croissance de la famille à la suite d’une EFT
(Tirée de Simard, 2021)

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Walsh (2016b) propose neuf processus clés de la résilience (ou forces ou facteurs de protection familiaux) qu’elle regroupe à l’intérieur de trois principaux domaines du fonctionnement familial : les systèmes de valeurs et croyances, les modes d’organisation et les processus de communication (Figures 1 et 2). Le premier, lié à l’influence du système de valeurs et croyances familiales, correspond au sens donné à l’expérience vécue, à l’adoption d’une vision positive et à la capacité de transcendance et de spiritualité. Le second fait référence aux modes organisationnels de la famille, tant au niveau de la qualité de ses relations interpersonnelles (p. ex., connectivité et flexibilité), que des ressources socio-économiques dont elle dispose. Le troisième concerne les processus de communication familiale, soit la clarté des messages, l’expression ouverte des émotions et la résolution de problèmes en collaboration. Walsh (2012) mentionne qu’il ne s’agit pas de « traits » liés à une famille résiliente, mais bien de processus dynamiques au cours desquels les forces et les ressources familiales sont mobilisées pour favoriser la résilience des familles. Les trois domaines du fonctionnement familial et leurs neuf processus clés qu’elle décrit sont de précieux guides pour l’évaluation des forces familiales.

Recension des écrits

En fait, la rareté et la complexité du cancer pédiatrique ont pour conséquence que les soins et les traitements exigés sont principalement dispensés dans des CHSOP. Il s’agit de centres hospitaliers de soins tertiaires situés dans des régions urbaines (Scott-Findlay et Chalmers, 2001). Selon Statistique Canada (2021), près d’une personne canadienne sur cinq (soit : 17,8 %) habite en région rurale. L’expérience familiale d’accompagner un enfant atteint de cancer peut ainsi entrainer une séparation prolongée des membres de la famille chez environ 20 % des familles touchées et ce, allant de plusieurs semaines à plusieurs mois. En plus de subir les contrecoups associés au cancer pédiatrique, l’éloignement impose à ces familles des difficultés et des responsabilités additionnelles (Aitken et Hathaway, 1993 ; Walling et al., 2019).

Une recension des écrits scientifiques, spécifique à l’expérience des FAECCÉ, effectuée à partir des bases de données CINAHL, MEDLINE, ERIC, Psychology and Behavioral Sciences Collection, Social Work Abstracts, SocINDEX et ProQuest, à l’aide des mots clés suivants : (commuting ou rural ou distance) et (pediatric cancer ou childhood cancer ou children with cancer) et (family) a permis d’accéder à un total de 155 articles. De ce nombre, seulement six ont été analysés plus en profondeur, répondant aux présents critères de sélection : (a) utilisation d’une démarche scientifique rigoureuse ; (b) rédaction en anglais ou en français ; et (c) portée spécifique sur l’une ou l’autre des dimensions associées à l’expérience familiale d’accompagner un enfant atteint de cancer qui doit recevoir ses soins et traitements à plusieurs kilomètres de sa localité.

Au niveau des populations à l’étude, quatre de ces recherches ont été effectuées uniquement auprès des parents (Aitken et Hathaway, 1993 ; Daniel et al., 2013 ; Shepherd et Woodgate, 2011 ; Walling et al., 2019), une seule a été conduite chez différents membres de FAECCÉ (Scott-Findlay et Chalmers, 2001) et l’étude de Fluchel et al. (2014) ne précise malheureusement pas le type de liens entre les enfants et les soignants (traduction libre de caregivers) étudiés. Toutes portent sur les impacts familiaux généraux vécus, à l’exception de deux d’entre elles, dont l’objet d’étude est plus spécifique. De fait, l’étude d’Aitken et Hathaway (1993) s’intéresse au stress et aux stratégies de coping des parents et celle de Daniel et al. (2013) analyse les besoins liés à l’hébergement.

Cette courte recension permet tout de même de dégager des facteurs de risque familiaux rencontrés par les FAECCÉ qui sont regroupés en cinq catégories. Au regard de leurs besoins physiques, l’exigence d’une proximité avec l’enfant malade lors de ses hospitalisations au CHSOP, oblige les membres des FAECCÉ à dormir dans des environnements souvent défavorables à leur sommeil, faute de confort (p. ex., lits de fortune installés dans la chambre de l’enfant) ou de repères habituels (p. ex., Manoir Ronald McDonald ou chez un proche) (Daniel et al., 2013 ; Scott-Findlay et Chalmers, 2001). Scott-Findlay et Chalmers (2001) observent que « [l]e confort de la maison est à de nombreux kilomètres » (Trad. libre p. 211). Un contexte d’éloignement qui exige également la consommation de repas cuisinés au restaurant ou à la cafétéria de l’hôpital (Walling et al., 2019). En somme, il s’agit d’une expérience qui perturbe significativement les habitudes de sommeil et d’alimentation, mais aussi, qui nécessite une gestion des effets secondaires reliés aux traitements de l’enfant, qui sont accentués par les longs trajets en voiture (Scott-Findlay et Chalmers, 2001 ; Walling et al., 2019).

Sur le plan psychologique, les préoccupations et les émotions consécutives à l’éloignement sont nombreuses : peur, anxiété et doute liés aux conditions routières difficiles pouvant perturber l’accès au CHSOP (Aitken et Hathaway, 1993 ; Walling et al., 2019), aux responsabilités de soins infligées par l’inaccessibilité rapide à des soins spécialisés dans la localité (p. ex., héparinisation du cathéter central, administration de certains traitements de chimiothérapie à domicile), ainsi qu’aux soins disponibles dans leur localité. L’ambivalence à l’égard des rôles parentaux imposés (p. ex., père qui aimerait être plus souvent au chevet de l’enfant malade alors qu’il doit travailler) et la présence d’un stress immense vécu par la fratrie coupée de sa famille (Scott-Findlay et Chalmers, 2001 ; Walling et al., 2019) sont également soulevées.

Au plan relationnel, Scott-Findlay et Chalmers (2001) affirment que la vie en région rurale comporte de nombreux avantages et inconvénients. Souvent, une importante mobilisation de la communauté est observée pour offrir du soutien à la famille. Une offre massive qui peut parfois être accablante pour une famille qui est déjà submergée par la gestion des soins. Autrement dit, les FAECCÉ ont besoin de soutien, mais leurs relations avec leurs proches sont très difficiles à entretenir étant donné le contexte d’éloignement. En effet, les longues distances à parcourir en voiture restreignent grandement leurs contacts. Elles ont un accès très limité à des sources de soutien, et d’information provenant du CHSOP ou des membres de la famille demeurés dans la localité (Scott-Findlay et Chalmers, 2001 ; Walling et al., 2019). Scott-Findlay et Chalmers (2001) soulignent les impacts directs de l’éloignement sur les relations conjugales, parfois consolidées, parfois éclatées, sous les pressions et les obligations engendrées par la maladie de l’enfant. Ces auteurs précisent que les activités sociales et de loisirs sont principalement remplacées par les rendez-vous médicaux, les tests diagnostiques et les traitements.

Sur le plan financier, les coûts associés à l’éloignement sont imposants : essence, hébergement, alimentation, stationnement (Daniel et al., 2013 ; Fluchel et al., 2014 ; Walling et al., 2019) auxquels peuvent s’ajouter l’entretien domestique et le gardiennage des autres enfants lors des séjours de l’enfant malade au CHSOP (Scott-Findlay et Chalmers, 2001). Plusieurs FAECCÉ affirment avoir dû dépenser toutes leurs économies pour parvenir à « survivre » (Scott-Findlay et Chalmers, 2001).

Vivre loin du CHSOP exige chez les FAECCÉ beaucoup de débrouillardise et impose des responsabilités additionnelles qui ont aussi d’importantes répercussions au niveau social. Le peu de ressources spécialisées disponibles dans leur localité les oblige, entre autres, à prendre en charge une partie des soins et des traitements de l’enfant à domicile (p. ex., héparinisation du cathéter central, réfection de pansements, prélèvements sanguins) (Scott-Findlay et Chalmers, 2001). Elles n’ont pas le choix de se référer aux professionnels de la santé de leur localité, envers lesquels elles éprouvent des difficultés à développer une relation de confiance, souvent en raison de mauvaises expériences passées (Scott-Findlay et Chalmers, 2001 ; Walling et al., 2019). Pour plusieurs de ces familles, la période prédiagnostique a été difficile, étant marquée par une attente interminable, voire par des retards dans le diagnostic de l’enfant (Scott-Findlay et Chalmers, 2001 ; Walling et al., 2019). Ces auteures ajoutent que l’un des parents est souvent obligé de quitter son emploi et d’apprendre à conduire dans une ville où la circulation est plus achalandée que dans leur ville de résidence, ce qui peut générer un stress supplémentaire.

En somme, le cancer pédiatrique exige des soins et des traitements dans des CHSOP situés à de nombreux kilomètres du domicile des familles touchées. Un contexte d’éloignement qui entraine des difficultés d’accès rapide à des soins, des services et des ressources spécialisées en oncologie pédiatrique, des absences prolongées de leur localité de résidence, des modifications importantes au niveau des liens, des rôles et des responsabilités familiaux, ainsi que des activités quotidiennes (AVQ), domestiques (AVD) et des finances de ces familles (cf. figure 3) ; autant de facteurs pouvant compromettre leur processus de résilience, leur bien-être et leur qualité de vie. La promotion et le soutien du processus de résilience familiale s’intègrent à l’intérieur d’une approche humaniste et novatrice de soins, qui favorise la croissance et le bien-être des individus ayant à composer avec une telle EFT. Les quelques articles scientifiques disponibles au regard de l’expérience des FAECCÉ présentent plusieurs des facteurs de risque auxquels elles peuvent être confrontées, abordent très peu les facteurs de protection (forces familiales) qui les ont aidées et surtout ne spécifient pas le contexte dans lequel ils se manifestent.

Figure 3

Synthèse de la problématique liée à l’accompagnement d’un enfant atteint de cancer en contexte d’éloignement

Synthèse de la problématique liée à l’accompagnement d’un enfant atteint de cancer en contexte d’éloignement
(Inspirée de Simard, 2021).

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En conséquence, cette étude a entre autres cherché à répondre à la question suivante : « Quels sont les facteurs de risque liés à l’expérience de familles accompagnant un enfant atteint de cancer en contexte d’éloignement ? », et l’objectif a été d’explorer les facteurs de risque associés au processus de résilience de ces familles.

Méthodologie

Afin de décrire rigoureusement et simplement les facteurs liés au processus de résilience des FAECCÉ, nécessaires au développement du PICSI visé dans la plus vaste étude (Simard, 2021), une approche qualitative descriptive (Sandelowski, 1996 ; 2000 ; 2010) a été utilisée.

La méthode d’échantillonnage et de recrutement

Cette étude a été entièrement réalisée dans quatre centres hospitaliers affiliés au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Saguenay−Lac-Saint-Jean (CIUSSS du SLSJ), une région située au nord de la province de Québec, au Canada couvrant un territoire de 95 762 km2 (Centre intégré de santé et services sociaux du Saguenay-Lac-Saint-Jean, 2018). Les familles y habitant ont toutes plus de 200 km de route à parcourir pour se rendre au CHSOP le plus près. Une méthode d’échantillonnage non probabiliste par choix raisonné (Grove et al., 2013) à variation maximale (Creswell, 2013) a été utilisée afin de sélectionner trois différents échantillons : familles A (vivant actuellement l’expérience d’accompagnement), familles B (ayant vécu par le passé l’expérience d’accompagnement) et infirmières. Pour chacun des échantillons, des critères de sélection spécifiques ont été respectés. Ainsi les participants des familles A devaient : (1) être membres d’une famille dont un enfant est atteint de cancer ; (2) accompagner actuellement l’enfant en contexte d’éloignement ; (3) être âgé de 12 ans et plus ; (4) habiter la région du Saguenay−Lac-Saint-Jean (SLSJ) ; (5) parler le français ; et (6) être mentalement et physiquement disposé à participer à l’étude. Pour leur part, les participants des familles B devaient respecter les critères 3, 4, 5 et 6 en plus des deux suivants : (1) être membre d’une famille dont un enfant a été atteint de cancer ; et (2) avoir accompagné l’enfant en contexte d’éloignement. Ces deux premiers échantillons sont particulièrement différents au niveau du temps écoulé depuis le diagnostic de l’enfant. Ils ont été choisis afin d’assurer une richesse des données dans le respect de la dimension développementale (évolutive), intrinsèque au processus de résilience. Au regard de l’échantillon composé d’infirmières, les critères précédents 5 et 6 ont été respectés, en plus des suivants : (1) être infirmière dans un centre hospitalier du SLSJ ; et (2) prodiguer des soins aux FAECCÉ. Leur participation a particulièrement permis l’exploration des facteurs liés aux soins, ayant pu influencer le processus de résilience des FAECCÉ. Comme cette étude porte sur l’expérience d’accompagnement de l’enfant atteint de cancer, ce dernier n’a pas été ici interrogé.

Le contact initial avec des membres des familles s’est fait principalement grâce à l’implication d’un pédiatre et d’infirmières responsables du suivi des enfants atteints de cancer et de leur famille (n = 6 familles), mais aussi à celle d’un organisme à but non lucratif offrant du soutien à ces enfants et à leur famille à l’aide d’affiches appliquées sur les murs de leurs locaux et sur leurs sites électroniques, ainsi que par l’envoi d’une lettre explicative acheminée au foyer des familles éligibles (n = 1 famille). La technique d’échantillonnage par réseaux (ou par effet boule de neige) (Fortin et Gagnon, 2016) a permis le recrutement de membres de la famille élargie des FAECCÉ et d’autres membres de familles ayant un enfant atteint de cancer qu’ils côtoient (= 4 familles). Enfin, les infirmières ont été informées initialement du projet par leur infirmière gestionnaire et elles ont toutes accepté de participer à l’étude (n = 11 infirmières).

Le protocole de cette étude a été soumis aux comités d’éthique de la recherche du CIUSSS du SLSJ et de l’Université Laval (Québec, Canada). Afin d’obtenir une participation libre et éclairée, chacune des personnes a signé un formulaire de consentement détaillé. Dans le but de préserver leur anonymat, un code leur a été attribué et les documents ont été conservés dans un classeur sous clé. Étant donné la nature sensible des informations pouvant être partagées lors des entrevues, un service de consultation en psychologie était accessible aux personnes participantes.

La collecte et l’analyse des données

La collecte des données s’est effectuée par le biais d’entrevues semi-structurées (n = 26) d’une durée moyenne de 60 minutes. Elles ont été réalisées à l’aide de guides d’entrevue portant sur les facteurs clés de la résilience de Walsh (2016b) et adaptés à chacun des groupes de personnes participantes. Selon la préférence de chacune des personnes participantes, elles ont été conduites de manière individuelle auprès de 30 % d’entre-elles (n = 6 membres de familles A, 6 membres de familles B et 3 infirmières), alors que 70 % de ces personnes (n = 14 membres de familles A, 13 de familles B et 8 infirmières ; 11 entrevues de groupe) ont opté pour une entrevue de groupe (unité familiale ou équipe d’infirmières). Afin de maximiser la participation des familles du groupe A, elles ont été invitées à participer à l’entrevue en dehors d’une période d’hospitalisation de l’enfant au CHSOP. La collecte des données s’est déroulée de décembre 2014 à avril 2015. Les guides d’entrevues ont été inspirés des principes proposés par Creswell (2013) et les questions élaborées dans le respect des cadres théoriques adoptés (Gottlieb, 2013 ; Walsh, 2016b). Ces guides ont été validés auprès de quelques personnes (n = 3). Pour faciliter la description approfondie des trois échantillons, des données sociodémographiques ont été collectées à l’aide de formulaires autoadministrés.

Les entretiens ont été enregistrés, retranscrits puis analysés à l’aide du logiciel NVivo 12, en respectant les principes de l’approche de Miles et al. (2014). Il s’agit d’une approche itérative d’analyse qui assure la richesse des données et qui mise sur le principe de saturation des données (Fortin et Gagnon, 2016), ici obtenue après une douzaine d’entrevues. La codification s’effectue en deux cycles, soit d’abord par l’établissement de codes initiaux ; et par la suite de thèmes plus significatifs (pattern codes). Au cours du premier cycle d’analyse, les codes ont été attribués à la fois de manière déductive, en reliant les données pertinentes aux facteurs clés de la résilience de Walsh (2016b) et inductive, en les insérant dans de nouveaux codes lorsqu’elles ne pouvaient pas être associées aux facteurs clés (codes émergents). Considérant l’importante quantité de codes initiaux, une analyse plus approfondie centrée sur la recherche d’influences et d’effets, appelée thinking causationally (Saldana, 2015 : 39), a permis l’atteinte d’un plus haut niveau d’analyse des significations (Miles et al., 2014). D’autres précautions méthodologiques, comme la codification interjuges (trad. Libre de intercoder agreement) (étudiante-chercheuse, chercheuse indépendante spécialisée en oncologie pédiatrique et directrices de la thèse) (Creswell, 2013), ainsi que le retour aux personnes participantes (Creswell, 2013 ; Miles et al., 2014) et la tenue d’un journal de bord ont été adoptées pour assurer la rigueur de cette analyse.

Résultats

Au total, 50 personnes ont été rencontrées dans le cadre des 26 entrevues semi-structurées (Tableau 1). Le tableau 2, présenté en annexe, fournit le détail des données sociodémographiques relatif à chacun des trois échantillons.

Tableau 1

Portrait du nombre et de la provenance des personnes qui composent la population à l’étude, ainsi que du nombre et du type d’entrevues semi-structurées conduites auprès d’elles

Portrait du nombre et de la provenance des personnes qui composent la population à l’étude, ainsi que du nombre et du type d’entrevues semi-structurées conduites auprès d’elles
(Tiré de Simard, 2021)

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Les facteurs de risque rencontrés par les FAECCÉ

Les résultats ont permis de répondre à la question de recherche et d’attester que l’éloignement est une dimension faisant partie intégrante de l’expérience vécue par tous les membres de FAECCÉ. Cette expérience d’éloignement se vit à l’intérieur de deux principaux contextes soit : lorsque les familles sont loin du CHSOP, dans leur localité, ou encore lorsqu’elles sont au CHSOP, éloignées de leur milieu de vie habituel. Comme en témoigne la figure 4, à chacun de ces deux contextes sont associées des situations familiales bien particulières auxquelles des facteurs de risque spécifiques peuvent y être reliés. Le Tableau 3 fournit le détail des facteurs de risque liés à ces différents contextes. Afin de les relier au processus de résilience, ils ont été regroupés selon les trois domaines du fonctionnement familial proposés par Walsh (2016b).

Figure 4

Différents contextes d’éloignement associés à l’expérience des FAECCÉ

Différents contextes d’éloignement associés à l’expérience des FAECCÉ
(Tirée de Simard, 2021).

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Facteurs de risque familiaux dans la localité

Lorsque les FAECCÉ sont éloignées du CHSOP, les dimensions associées à leur expérience dépendent du contexte dans lequel elles se trouvent. En fait, il y a des facteurs de risque liés à l’annonce du diagnostic, certains autres au retour dans la localité après les séjours au CHSOP, et d’autres sont perceptibles au quotidien.

Lors du diagnostic

Toutes les familles participantes ont reçu l’’annonce du diagnostic de l’enfant dans leur localité. Elles expriment avoir vécu un choc qui a été accentué par une importante perte de sens, entre autres liée à l’incertitude au regard de ce qui les attendait au CHSOP, situé loin de leur domicile.

« Là on a eu le diagnostic, [enfant malade] a un cancer, il faut s’en aller de chez nous précipitamment […] Je ne sais pas vers où je m’en vais, qu’est-ce qui va se passer, où je vais me retrouver. […] Je suis partie dans le néant. » (Mère FAG.2/E2)

Elles soulignent que l’urgence de débuter les traitements au CHSOP, a exigé une planification et une organisation précipitées des AVQ et AVD des membres restant à la maison, ainsi que du nécessaire pour le séjour des membres devant quitter la localité pour accompagner l’enfant malade.

« En plus de l’apprendre [diagnostic de l’enfant], [enfant malade] doit être transféré rapidement au CHSOP. Je crois que c’est cela qui est le plus rough, parce premièrement, tu ne t’attends pas à un diagnostic comme celui-là, puis de deux, tu te fais dire : “faites vos bagages !” ». (Mère FBI.2/E4)

Il s’agit donc d’une expérience difficile et subite, qui entraîne une surcharge émotive qui est vécue tout au long du trajet vers le CHSOP : « [a]lors disons qu’il y a un choc énorme au début, et ce choc-là doit se vivre sur la route. Alors ça, il ne faut pas l’oublier ! ». (Grand-mère FAG1/E2)

Lors du retour à la maison

Le retour à la maison est marqué par un problème d’accès à l’équipe du CHSOP, avec qui les familles ont développé une relation de proximité, de confiance ainsi que des sentiments de sécurité et d’affection, au fil du temps passé quotidiennement ensemble. La distance vient altérer ces liens, d’autant plus que les moyens de communication avec les membres de l’équipe du CHOSP ne sont pas toujours optimaux : « [p]our [équipe CHSOP], c’est plus facile de nous rejoindre que nous, […] On craignait qu’ils nous aient oubliés. Alors à tous les jours, quand on revenait du travail : “Et puis, est-ce qu’ils ont appelé ?”, […] “Avons-nous un message ?” » (Père FAG.5/E9).

Il y a la nécessité d’accéder à des soins pour répondre aux besoins de l’enfant dans la localité, les FAECCÉ doivent recréer des liens de confiance, de sécurité et d’affection avec les membres de l’équipe de soins de leur hôpital régional : une nouvelle équipe qui n’est pas spécialisée en oncologie pédiatrique.

« Là-bas [CHSOP], j’avais une certaine sécurité, parce que j’avais tous les soins, j’avais des infirmières à qui je pouvais parler. Mais quand je revenais ici [localité], je pleurais tout le long [trajet routier], parce que là, on aurait dit que je n’allais plus être capable d’avoir le même support que là-bas. » (Mère FBI.2/E4)

Il s’ensuit une insécurité et une méfiance envers cette nouvelle équipe : « [c]’est certain que si j’avais une question à poser, tu sais, si c’était [CHSOP] qui me répondait, ils étaient des dieux pour moi. Alors que si c’était ici [localité]… et bien, j’essayais de faire confiance aussi, mais… » (Mère FAI.2/E3)

Au cours de cette expérience de retour, la perte des liens significatifs créés au CHSOP, tant avec les membres de l’équipe de soins, qu’avec d’autres familles ayant un enfant atteint de cancer est soulevée.

« Ça devient un support interne quand tu arrives là [CHSOP], […] toutes les personnes qui y résidaient provenaient de l’extérieur. […] C’était tout le temps la même “gang” […] Ça devient comme une autre famille. » (Grand-père FBG.2/E7)

Les aller-retour nécessaires de la localité vers le CHSOP impliquent une adaptation continue des AVQ-AVD et de la routine familiale. En effet, elles subissent des changements lors de l’absence des membres de la famille au CHSOP, et doivent dorénavant être continuellement adaptées en fonction des exigences liées à la maladie (p. ex., soins, traitements, contrôles de suivi) : « [q]uand tu reviens ici, la routine est difficile à réinstaller parce que là, les deux petits [fratrie] se sont pris une routine. » (Mère FBI.6/E10)

Le retour de l’enfant malade à la maison peut rappeler la gravité de sa maladie, souvent « normalisée » en présence d’autres enfants atteints de cancer au CHSOP.

« Là-bas [CHSOP], tu es toujours avec des gens qui ont le cancer, donc ça devient quasiment une normalité. Tu ne te sens pas toute seule. Tandis que quand tu arrives [localité], je me suis sentie toute seule. […] Je me suis dit : “Je suis toute seule à [hôpital de la localité] à avoir un enfant malade ?” On dirait que ça ramène, le drame. » (Mère FAI.2/E3)

Pour les membres de la famille ayant demeuré dans la localité en raison de leurs obligations et n’ayant pas pu voir, par exemple, l’évolution des changements imposés par la maladie sur l’enfant, ce constat peut être difficile. Certains parlent d’un choc vécu au regard de la nouvelle apparence de l’enfant : « [s]es cheveux, c’est un choc ! Quand il part, il a ses cheveux. Il revient, il n’a plus de cheveux ! » (Fratrie FAG.5/E9)

Au quotidien

Le quotidien des FAECCÉ est également perturbé par la distance du CHSOP. Une majorité des familles a exprimé ressentir une responsabilisation accentuée à l’égard des soins de l’enfant dans leur localité : « Quand les familles reviennent de [CHSOP], elles ont eu vraiment une prise en charge globale. […] Elles ont une équipe interdisciplinaire autour d’elles. […] Ici [hôpital dans la localité], il n’y a rien ! Elles deviennent “l’intervenante pivot” pour leur enfant. » (Infirmière IG.2)

Or, la fréquentation de deux milieux de soins simultanément peut nuire au développement d’un sentiment d’appartenance à une équipe de soins :

« [l]es enfants [habitant près du CHSOP] étaient là à chaque semaine à [CHSOP], mais pas moi donc là, moi j’allais à [hôpital de la localité], puis on n’a pas de “gang” à [hôpital de la localité]. Ensuite, j’allais à [CHSOP], je ne faisais pas partie de la “gang” non plus. » (Mère FBG.1/E6)

L’organisation des AVQ-AVD et la routine familiale sont certes perturbées, mais elles demeurent en constants ajustements en fonction des visites au CHSOP, qui sont parfois reportées à la dernière minute en raison de l’état de santé de l’enfant (p. ex., résultats de la formule sanguine anormaux), ou de conditions routières difficiles (p. ex., tempête de neige) : « [p]arce que si les examens sanguins ne sont pas beaux, parfois il n’ira pas à [CSHOP] pour son traitement. Cela fait en sorte que les parents attendent après l’examen pour savoir s’ils vont pouvoir partir. » (Infirmière IG.2)

Ces ajustements continuels au niveau de l’organisation familiale exigent une redistribution des rôles et responsabilités familiaux, et ce, particulièrement pour assurer la relève parentale au chevet de l’enfant lors des séjours au CHSOP : « [l]e premier mois et demi au moins, la mère était toujours là [au CHSOP], soit avec son mari, soit avec mon épouse [Grand-mère]. […] Moi je faisais la navette entre les deux pour remplacer le mari par la grand-mère. » (Grand-père FAG.1/E2)

Les longs trajets routiers souvent nécessaires pour se rendre au CHSOP, entrainent une perte de temps et demandent de conduire dans des conditions routières difficiles, en raison d’intempéries (p. ex., neige, fortes pluies), ce qui peut générer un certain stress : « [l]e trajet, c’est long. Surtout en hiver […] C’est mon mari qui prend le volant jusqu’à [CHSOP]. Parce que moi, à [CHSOP], ça me stresse trop. […] Je n’aime pas ça conduire quand il ne fait pas beau. » (Mère FBI.6/E10)

De longues traversées qui peuvent s’accompagner d’effets secondaires vécus par l’enfant, par suite des traitements reçus au CHSOP : « [d]es cinq heures en auto, quelquefois, cela n’avait pas de sens ! Malade à s’arracher la vie » (Amie FBG.1/E6).

Finalement, le contexte d’éloignement est à l’origine de plusieurs facteurs de risque pour les FAECCÉ, et ce, à la fois lorsqu’elles ont dans leur localité, tout autant que lorsqu’elles sont au CHOSP :

« [l]es gens disaient : “Hey ! C’est agréable, tu reviens pour une semaine [dans la localité] !” Je pleurais tout le long durant le retour. […] J’étais tiraillée, entre avoir le goût de revenir ici, pour voir ma fille et mes parents, ou mon chum quand il restait ici, et le fait d’être obligée de m’éloigner des services [CHSOP]. […] Quand je repartais [pour le CHSOP], je pleurais tout le long parce que là, j’avais vu ma fille un peu, mais je ne la reverrais plus pendant combien de temps ? Et là, il fallait que mon chum s’occupe de tout. » (Mère FBI.2/E4)

Facteurs de risque familiaux au CHSOP

Lorsque des membres de FAECCÉ doivent quitter leur localité pour le suivi ou les hospitalisations de l’enfant malade au CHSOP, cela a d’importantes répercussions sur l’ensemble de la cellule familiale. L’analyse qualitative effectuée permet de cibler deux principales conséquences : une distanciation des personnes chères, ainsi qu’une distance avec le milieu de vie et les repères habituels.

Distance avec les personnes chères

Les nombreux rendez-vous de suivi et les hospitalisations de l’enfant au CHSOP impliquent que les membres de la famille qui l’accompagnent s’éloignent fréquemment, sur de longues périodes, des personnes qui leur sont chères dans leur localité. « Mon beau-père et ma mère étaient à [CHSOP] avec mon frère, donc je ne les voyais pas souvent » (Sœur FBI.2/E4). Ce contexte occasionne un isolement de certains membres de la famille et engendre des facteurs de risque autant chez ceux présents au CHSOP que chez ceux dans la localité. En fait, peu importe l’endroit, les membres semblent vivre des pertes de pouvoir et de sens considérables, qui se traduisent entre autres à travers des sensations d’impuissance, de perte de contrôle et de manque :

« [m]oi c’est ça que j’ai trouvé le plus difficile : de savoir que ma femme et ma fille sont là-bas [CHSOP]. Ma fille relativement en danger, en gros traitements de fou et moi être comme impuissant, être à dix milles et pas être capable de m’en occuper, et de m’occuper de mon épouse qui elle, était débordée et dans les émotions fortes. » (Père FAG.2/E2)

Une perte de pouvoir qui semble être ressentie par les membres des FAECCÉ lors des séjours au CHSOP :

« [c]e qui est le plus difficile, c’est d’être loin de chez eux, loin de leur environnement immédiat, loin de leur famille, loin des services qu’ils connaissent. […] En étant hospitalisé au [CHSOP], ils n’ont plus leur appartenance à leur milieu de vie » (Infirmière II.3).

Un dépaysement qui peut s’accompagner d’une sensation d’irréalité :

« [q]uand j’étais à l’hôpital là-bas [CHSOP], les gens me demandaient comment je vivais cela. Et là, j’avais l’impression d’être dans une quatrième dimension. C’était comme irréel. Je n’étais pas là pour m’occuper de ma famille [dans la localité]. Ça me stressait énormément » (Mère FAG.2/E2).

Pour les membres dans la localité, la situation apparaît irréelle et insensée en raison du chamboulement qu’elle inflige : « [c]’est un peu comme un rêve. Tu n’es pas fonctionnelle, mais il faut que tu interviennes dans le concret. […] Il fallait que je prenne [frère]. […] mais on n’est pas organisés dans notre tête, parce qu’on est chamboulés » (Tante FAI.4 /E3). Une mère a mentionné l’humilité nécessaire devant l’aide apportée par les personnes de sa communauté :

« J’ai eu des dons. Cela prend vraiment beaucoup d’humilité. […] C’est beaucoup de gêne. Mais en même temps, tu en as besoin aussi. Tu as le goût de dire : “Ah, non !” Que tu es gênée, mais tu n’as pas le choix ! » (FAI.2/E3)

Cette empathie massive de la communauté a certes des retombées positives sur le vécu de la famille, mais elle peut constituer un facteur de risque. En fait, elle peut s’accompagner d’une perte d’intimité : « [o]n dirait que ton histoire ne t’appartient plus. J’ai fait l’objet d’un article dans [journal local] avec une photo de [enfant malade]. Personne ne m’a appelée pour ça. En même temps, les gens s’emparent de ton histoire » (Mère FAI.2/E3).

Au niveau émotionnel, en plus de la peine dégagée précédemment, il y a un sentiment de vide qui s’installe, autant chez les membres présents au CHSOP que chez ceux dans la localité : « [c]’est la perte de vue, j’étais tout le temps avec [enfant malade] ! On faisait toujours des trucs ensemble, on se parlait. Le fait qu’il parte [au CHSOP], cela a créé un vide » (Fratrie FAG.5/E9).

La culpabilité et l’inquiétude semblent faire partie de l’expérience vécue par les FAECCÉ :

 « [c]ela a été la partie la plus difficile de se sentir séparés. Par le fait même, tu te sens coupable parce que tu dis, je quitte [fratrie] en le laissant à la maison puis ce n’est pas ça que tu voudrais nécessairement, mais nous avions pris la décision que [père] allait continuer son travail et être à la maison avec [fratrie] » (Mère FBI.5/E7).

Cette culpabilité est décrite par les membres de la famille dans la localité : « [u]n sentiment de culpabilité, parce que la vie continue pour nous. […] Du fait que moi je venais aider. Je faisais ce que je pouvais, à la mesure de mes moyens. Je retournais chez-moi, dans ma vie après » (Amie FBG.1/E6).

La communication familiale semble beaucoup plus ardue. Bien évidemment à cause des moyens de communiquer qui sont plus restreints et accessibles, mais aussi en raison d’une difficulté d’expression des émotions vécues à distance.

« Si on avait pu, [utilisation d’une plateforme de communication virtuelle par caméra], l’application [virtuelle] ne fonctionne pas dans un hôpital. On avait beau parler à [fratrie], envoyer des messages textes, mais quelquefois on voulait voir son visage. Puis, j’imagine que lui voulait voir […] dans quel environnement il est [enfant malade]. » (Père FAG.5/E9)

Une distance physique qui nuit à la communication des éléments du quotidien, mais aussi à l’expression des émotions au sein de la famille : « [c]e qui était difficile aussi, c’est que [fratrie] doit rester ici [localité]. […] Comment elle se sent ? On n’est pas là pour soit la réconforter, ou soit discuter avec elle » (Mère FBI.2/E4). L’expression des émotions passe souvent en second plan puisque lors des séjours au CHSOP, les soins et traitements occupent une place prépondérante : « [q]uand on était à [CHSOP], on était là-dedans [les soins et traitements]. Ce sont les traitements, mais tu ne parles pas de tes états d’âme quasiment » (Grand-mère FAI.1/E3).

La fratrie est grandement touchée qu’il s’agisse de problèmes de concentration : « [c]’est sûr que je m’ennuyais tout le temps. À l’école, cela me déconcentrait. Je pensais tout le temps à eux [qui étaient au CHSOP]. Donc, j’avais de mauvaises notes tout le temps » (Sœur FBI.2/E4) ; d’un sentiment d’abandon : « [n]ous étions moi et mon ex là-bas [au CHSOP] et mon autre garçon était ici [dans la localité]. Il avait juste quatre ans, alors il disait qu’on l’avait abandonné » (Mère FBI.1/E1) ; ou d’une impression d’être dans l’ignorance : « [l]à, je suis à l’école et je me dis : “OK, il a ses résultats en ce moment, il a eu sa chimio.”, “OK, est-ce qu’il va bien ?” […] J’ai été le dernier même, à savoir dans quel environnement il était » (Fratrie FAG.5/E9) ; sans compter les changements de comportements observés et les attentes parfois irréalistes à leur égard : « [fratrie], il y a eu des impacts sur lui. Tu sais, le fait de ne rien comprendre. […] Il n’était plus le même petit garçon. C’est comme si on lui avait demandé d’être adulte, d’être plus vieux que son âge, sans comprendre. » (Mère FBI.5/E7)

Pour certains autres très jeunes membres de la fratrie, il peut devenir difficile de comprendre ce qui se passe. L’incompréhension semble être à l’origine d’une certaine souffrance : « [m]ême si on essayait de maintenir une stabilité auprès de [fratrie], en le faisant garder toujours par ses grands-parents, malgré tout, je pense que c’est lui qui en a le plus souffert. […] Qui a le plus souffert de l’éloignement » (Mère FBI.5/E7).

La distance physique affecte les relations. Les liens familiaux et amicaux peuvent être modifiés, voire distancés, comme pour permettre aux FAECCÉ de se consacrer davantage à l’enfant malade : « [m]oi j’étais la confidente de ma mère. J’étais son amie et je suis comme sortie du cercle pour m’occuper de [enfant malade] pendant deux ans. […] Je le regrette aujourd’hui. […] J’étais comme figée là-bas » (Mère FBG.3/E11). Le soutien de la famille élargie devient difficile : « [c]’est parce qu’on est loin. S’il avait été traité à [localité], je suis sûr que nos amis auraient pu être là » (Père FBG.1/E6). 

Distance du milieu de vie et des repères habituels

Les nombreux séjours au CHSOP nécessaires plongent les FAECCÉ dans un environnement urbain qui ne leur est pas familier, et au sein duquel elles doivent rapidement s’adapter. « — Mère : Moi, je n’étais pratiquement jamais allée à [ville du CHSOP]. […] — Tante : On arrive d’ailleurs. Tu es à [ville de la localité], tu es isolée. C’est comme le village gaulois d’Obélix et Astérix. Et là, ils t’envoient dans la grande ville » (Famille FAG.4/E8). Il faut alors qu’elles établissent de nouveaux repères : « [o]n ne sait même pas s’il y a une épicerie proche de l’hôpital. […] On ne connaît pas [ville du CHSOP] en arrivant ! » (Mère FBG.1/E6). De plus, elles doivent conduire leur voiture dans une ville à forte densité de circulation, soit un contexte où certains membres ont exprimé s’être sentis inexpérimentés : « [p]arce que moi conduire à [ville du CHSOP], non ! Je n’aime pas ça. […] cela me stresse » (Grand-mère FBG.2/E7).

Dans ces grandes villes, il est parfois difficile de trouver un moyen de transport efficace pour les déplacements d’un hôpital à l’autre, exigés par les traitements de l’enfant.

« Il fallait voyager […] de [CHSOP] à [CH offrant des traitements de radiothérapie]. Au début, on a fait du taxi, on a même essayé le transport en commun. Et là, un moment donné, on s’est dit : “Non, non ! C’est le taxi !” […] À un autre moment donné, [enfant malade] a été hospitalisé et cela s’est fait en ambulance. Tu sais, c’est compliqué le transport à [ville du CHSOP]. » (Mère FBG.1/E6)

Les membres des FAECCÉ au CHSOP évoluent dans un environnement qui leur est étranger. Leurs AVQ-AVD sont chamboulées et ils doivent établir une nouvelle routine de vie. Au niveau de l’alimentation, l’accès à des installations pour cuisiner n’est pas toujours optimal. « — Mère : Là [CHSOP], tu ne peux pas faire de la bouffe. Tu ne peux pas faire livrer de la bouffe. — Tante : Mais quand on a eu la chambre au [hébergement à proximité du CHSOP], là on pouvait faire une épicerie » (Famille FBG.3/E11). Ils éprouvent parfois des difficultés à se libérer pour aller manger : « [j]e ne pouvais pas la laisser toute seule [enfant malade]. Alors, je ne pouvais pas aller à la cafétéria si quelqu’un n’était pas là. » (Mère FAG.2/E2) Certains ont mentionné avoir dû faire abstinence, c’est-à-dire se priver de nourriture et de boissons : « [j]’ai été deux semaines sans manger. Et ça aussi c’est une autre histoire, manger quand tu es toute seule là-bas là. Ils [personnel du CHSOP] vont amener à manger à l’enfant, mais toi tu es toute seule. Tu ne peux pas partir […] Tu ne manges pas là » (Mère FAG.2/E2).

Relativement au sommeil des FAECCÉ, des membres ont relevé de l’inconfort au niveau des installations disponibles. « — Grand-père : Le parent qui est tout seul, toute la journée et la nuit [au CHSOP]. C’est épuisant. Parce que les chaises, ce n’est pas confortable. La banquette [pour dormir], on n’en parle même pas. — Grand-mère : Tu couches une nuit, mais l’autre nuit, tu es bien contente que ça soit un autre [rires] » (Famille FBG.2/E7). Elles ont également soulevé la présence d’une importante fatigue : « [m]oi je dirais que c’est difficile sur le plan physique. C’est fatiguant parce que ça prend des valises, ça exige de manger à l’extérieur, de demeurer au [hébergement à proximité du CHSOP], de faire le ménage au [hébergement à proximité du CHSOP]. Quand on quitte, on est déjà fatigué de la semaine qu’on a faite. […] Donc ça prend beaucoup d’énergie » (Grand-mère FAG.1/E2). Leurs habitudes d’hygiène sont aussi perturbées : « [m]ême pas pouvoir aller prendre ma douche quand je veux » (Mère FAG.2/E2).

Des tentatives de maintien de la routine et des AVQ-AVD sont effectuées, autant de la part des membres présents au CHSOP qu’en ce qui concerne ceux ayant dû rester dans la localité.

« Tu sais, quand tu as un enfant malade, mais que tu en as deux autres qui sont à la maison, qui ont le goût de continuer à rire, puis ils veulent faire des activités, puis, tu sais, pour eux, oui, ils ont un frère malade, mais la vie n’est pas finie. […] mais quand tu arrives ici [localité], tu veux profiter de tes enfants, et puis tu veux qu’ils continuent à s’amuser, puis qu’ils aient leurs activités. Et puis, tu ne veux pas que ça change trop leur train-train. » (Mère FAG.4/E8)

La routine et les AVQ-AVD familiales doivent être minutieusement planifiées avant chacun des départs de l’enfant et sa famille vers le CHSOP : « [e]t puis, de ce qui était difficile aussi, c’était que la grande [fratrie] restait ici. C’était toute la logistique qui était reliée à ça » (Beau-père FBI.2/E4).

La distance de leur localité perturbe les activités sociales et les loisirs des FAECCÉ, tantôt annulées, tantôt célébrées au CHSOP. Les occasions de se rassembler deviennent difficiles pour les FAECCÉ : « [o]n ne savait pas s’ils [membres au CHSOP] sortiraient pour Noël. Il y avait des commandes de faites pour un repas à Noël. […] Il a fallu tout annuler ça, parce qu’il n’y avait aucune certitude » (Grand-mère FAG.2/E2) ; « [c]ette année on a passé le Jour de l’an au [CHSOP] [rires] » (Mère FAG.5/E9).

Comme mentionné précédemment, l’expérience familiale des FAECCÉ implique la modification des rôles et responsabilités au sein de la famille. Il y a initialement des ajustements pour permettre le maintien d’une routine et des AVQ-AVD familiales dans la localité lors des séjours de l’enfant au CHSOP, ce qui exige l’implication de la famille élargie pour assurer la relève parentale : « [q]uand on le gardait [fratrie], quelquefois, on n’avait pas le choix. On allait travailler, c’était les arrière-grands-parents qui gardaient » (Grand-père FBG.2/E7). Elle impose plusieurs contraintes et elle force l’adoption de nouveaux rôles et responsabilités. L’emploi des parents est particulièrement touché. Un père a soulevé que ses responsabilités ont dû être modifiées par son employeur : «  [à] l’ouvrage, quand je me suis fait engager, j’étais supposé être chef de chantier. Je me suis contenté d’être homme à travailler, point ! » (FAG.2/E2). Des parents ont même été dans l’obligation de cesser temporairement leur emploi : « [e]lle [mère] avait décidé de laisser son emploi, de tomber sur un certain chômage, en tout cas une assurance là » (Grand-mère FAG.1/E2), ou d’épuiser leur banque de congés liée à leur travail : « [d]onc, s’ils ne pouvaient pas eux autres [parents] y aller [au CHSOP], c’était nous autres [grands-parents]. On se prenait des congés en conséquence, des journées pour maladie, des journées parentales, des vacances, que j’ai tous épuisés [rires] » (Grand-père FBG.2/E7).

Toujours relativement à l’emploi, certains parents ont exprimé avoir été contraints de devoir continuer à travailler : « [c]’est ça que j’ai trouvé le plus dur moi, le fait d’être obligé d’aller travailler, d’essayer de faire abstraction de tout ça et de continuer à travailler » (Père FAG.2/E2).

Cette expérience d’accompagnement en contexte d’éloignement exige l’adoption de nouveaux rôles pour les membres présents au CHSOP, souvent les parents, qui deviennent en accéléré des soignants : « [l]es antibiotiques, quand elles ont vu que mon mari était bon là-dedans, parce que là-bas, à [CHSOP], il a aidé les infirmières.. […] Puis, elles lui avaient montré comment hépariniser, puis tout ça » (Mère FBI.3/E1). Le contexte semble causer une pression sur le rôle parental des FAECCÉ : « [t]u sais, elle [mère de l’enfant] fait tout. Elle va à [CHSOP], elle ne manque jamais un traitement. […] Elle en prend gros sur ses épaules » (Amie FAI.5/E5) ; « [j]e ne sais pas, mais on dirait qu’il faut que tu sois une mère encore plus parfaite ! » (Mère FAI.2/E3)

Les FAECCÉ doivent continuellement faire preuve d’une grande capacité d’adaptation à ces différents contextes d’éloignement, qui comportent chacun leur lot de facteurs de risque familiaux, pouvant compromettre leur processus de résilience.

Enfin, l’étude et l’évaluation des différents contextes d’éloignement au sein desquels elles se retrouvent sont primordiaux afin d’ajuster les soins, les services et les ressources et de répondre le mieux possible à leurs besoins. En plus de rencontrer des difficultés d’accès à ces derniers dans leur localité, leur offre au CHSOP lors du diagnostic de l’enfant est jugée précoce et surabondante. Les FAEECÉ expriment ne pas avoir ressenti de besoin dans l’immédiat, étant davantage préoccupées par le devenir de leur enfant.

« Tu déménages à [ville du CHSOP], […] tu es en suradaptation, et là, on te bombarde d’infos de services. Je pense que ce n’est pas le temps. Tu n’en as pas besoin parce que là, ce que tu veux, c’est de savoir ce qu’il a [enfant malade] et qu’est-ce qu’ils vont faire avec ton enfant. Le reste, tu n’es peut-être pas disposé […] Parce que tu n’es pas prêt. […] C’est peut-être plus quelques mois après ? » (Oncle FAG.3/E5)

Ce n’est en effet que quelques mois plus tard que les besoins familiaux se font sentir et voilà que la famille est de retour dans sa localité avec un accès aux soins, services et ressources, limité.

Cette expérience d’accompagnement exige une séparation prolongée des membres de la famille, étant vécue différemment selon que les membres soient au CHSOP ou dans leur localité. Ils doivent continuellement s’adapter à divers contextes d’éloignement, qui comportent chacun leur lot de facteurs de risque familiaux, pouvant compromettre leur processus de résilience. Le regroupement de ces facteurs, selon les domaines du fonctionnement familial liés à ce processus (Walsh, 2016b), illustre bien qu’ils sont tous directement perturbés en raison du contexte d’éloignement. En plus de devoir composer avec l’annonce du cancer chez leur enfant, les FAECCÉ subissent d’importants contrecoups additionnels autant au niveau de leurs valeurs et croyances (p. ex. : perte de sens), de leur organisation familiale (p. ex. : redéfinition des rôles et responsabilités au sein de la famille, perturbation de la routine et des repères habituels) que de leurs modes de communication (p. ex. : difficultés de partage des émotions et de moyens de communication).

Discussion

En plus d’appuyer les dimensions associées à l’expérience des FAECCÉ déjà décrites dans les écrits scientifiques (Aitken et Hathaway, 1993 ; Daniel et al., 2013 ; Fluchel et al., 2014 ; Scott-Findlay et Chalmers, 2001 ; Shepherd et Woodgate, 2011 ; Walling et al., 2019), attestant de leur complexité et de leur diversité, l’analyse plus approfondie des facteurs de risque auxquels peuvent être confrontées les FAECCÉ permet de réaliser qu’ils sont davantage reliés à des contextes environnementaux d’éloignement spécifiques et simultanés. Ainsi, l’approche axée sur le renforcement du processus de résilience (Walsh, 2016b) des FAECCÉ utilisée dans cette étude a permis de dégager les facteurs liés aux domaines du fonctionnement familial qui peuvent influencer leur expérience, et ce, pour chacun des environnements (CHSOP et localité) au sein desquels elles évoluent. Les résultats présentés attestent qu’une famille comme tout unifié, ainsi que tous ses membres subissent des contrecoups dans les trois domaines du fonctionnement familial proposé par Walsh (2016b) : leurs systèmes de valeurs et croyances, leurs modes d’organisation et leurs processus de communication. Il s’agit d’importants impacts qui les rendent vulnérables et qui peuvent compromettre leur processus de résilience.

En outre, les résultats indiquent que les membres de ces familles sont souvent dans différents contextes en même temps. Il est important de rappeler que, pour réduire la vulnérabilité familiale, les cibles des interventions cliniques consistent à bien évaluer les facteurs de risque en cause, ici tantôt présents dans l’environnement du CHSOP et tantôt dans celui de la localité, afin de les réduire ou de les éliminer le plus possible et de mobiliser un maximum de forces (Gottlieb, 2013) ou facteurs de protection familiaux. Ces derniers ont été dégagés lors de la plus vaste étude (Simard, 2021). Or, considérant que les membres sont susceptibles de ne pas se retrouver ensemble dans un même contexte au même moment, et que chacun est appelé à vivre à l’intérieur de plusieurs de ces contextes en peu de temps, les cibles d’interventions ne peuvent être travaillées isolément selon que les facteurs de risque sont présents dans un contexte environnemental ou dans l’autre, puisqu’ils exerceront une influence de manière globale sur la vulnérabilité de ces familles. Les deux principaux contextes environnementaux d’éloignement (loin du CHSOP et loin de la localité) précisés dans cette étude doivent être intégrés aux soins, et ce, autant à ceux appliqués au CHSOP que dans la localité de ces familles. L’intégration clinique soulève l’importance d’une bonne évaluation de leur vulnérabilité (Kazak et al., 2018 ; Wiener et al., 2015), d’une communication efficace entre les membres de l’équipe de soins issus de ces deux environnements de soins (Patenaude et al., 2015), mais surtout, d’une approche de soins centrée sur la famille (Koumarianou et al., 2021 ; Salvador et al., 2019 ; Shoghi et al., 2019 ; Toruner et Altay, 2018). À ce propos, Toruner et Altay (2018) précisent que devant la complexité des expériences vécues en contexte de soins oncologiques pédiatriques, une telle approche est essentielle.

Finalement, cette conceptualisation de l’éloignement n’était pas clairement établie à ce jour. Elle n’est pas actuellement intégrée dans la pratique clinique, et ce, autant dans les CHSOP que dans les hôpitaux régionaux. Ainsi, chacun des milieux de soins (CHSOP et localité) ne détient qu’une portion de la réalité de ces familles. Dans une perspective familiale écosystémique qui considère l’influence mutuelle de la famille et des environnements ou contextes au sein desquels elle évolue, il s’agit ici de précisions contextuelles s’avérant essentielles pour une réelle prise en compte des dimensions associées à l’expérience vécue par les FAECCÉ. Walsh (2016a : 617) précise : « [a] holistic assessment attends to the varied contexts, aiming to understand the constraints and possibilities in each family’s position ».

Les limites de cette étude

Une première limite est liée à l’homogénéité de la population étudiée, qui ne permet pas d’explorer l’expérience d’accompagnement d’un enfant atteint de cancer, sous l’angle d’une diversité culturelle (Wiener et al., 2013). Une seconde limite est relative au recrutement des familles basé sur leur volontariat, ce qui peut représenter un biais de sélection (Smith et Noble, 2014). En effet, Wewers et Ahijevych (1990) précisent que ce type de recrutement peut attirer des personnes ayant un statut socioéconomique supérieur et étant davantage scolarisées. Or, seulement 41,67 % des membres des FAECCÉ participantes avaient un revenu annuel inférieur à 60 000 $/année et une scolarité de niveau secondaire ou professionnelle. Une troisième limite réside dans la sélection des personnes participantes ayant vécu l’expérience d’accompagnement dans le passé. Cette situation occasionne un biais de mémoire chez ce groupe de personnes. Cependant, la diversité des échantillons (familles A et B, infirmières), et l’obtention de la saturation des données permettent de contourner ce biais.

Conclusion

En plus de vivre les contrecoups associés à l’annonce du cancer de leur enfant, les FAECCÉ sont confrontées à de nombreux facteurs de risque additionnels pouvant compromettre leur processus de résilience, et ainsi les rendre vulnérables. Les résultats présentés soulignent particulièrement la nature complexe, multidimensionnelle, mais surtout contextuelle, liée à l’expérience traumatique vécue par ces dernières. Ces derniers appuient l’importance d’une approche familiale systémique et d’interventions spécifiques d’accompagnement, qui tient entre autres compte des forces de ces familles et de l’unicité de leurs expériences, tant dans la pratique clinique que dans la gestion et l’organisation des soins et des services, dans les localités, tout comme dans les CHSOP. Ces résultats ont servi de précieuses pistes ayant permis le développement d’un programme d’intervention clinique en sciences infirmières qui renforce le processus de résilience des FAECCÉ, dans une vaste région nordique du Québec (Canada) (Simard, 2021).