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Une séparation est généralement considérée comme étant hautement conflictuelle lorsque les parents sont séparés depuis au moins deux ans et qu’ils présentent toujours de hauts niveaux de colère, d’hostilité et de méfiance, qu’ils vivent une coparentalité dysfonctionnelle, qu’ils déplorent des incidents d’abus verbaux et/ou physiques et qu’ils recourent fréquemment aux tribunaux pour résoudre leur litige en matière de garde (Johnston et al., 2009 ; Levite et al., 2012). L’usage qui est fait de ce concept est généralement inconsistant étant donné qu’il n’en existe pas de définition consensuelle. Les familles vivant un conflit sévère de séparation sont hétérogènes et bien qu’un grand nombre d’écrits tentent de décrire le concept, il reste toujours difficile de départager les différentes problématiques associées, notamment les difficultés de contact parents-enfant, la violence conjugale et familiale et l’aliénation parentale (Polak et al., 2015 ; 2019 ; Sudland, 2020). Bien que ces problématiques réfèrent à des réalités différentes, elles sont souvent soulevées de façon simultanée dans une même situation familiale, ajoutant à la confusion conceptuelle et au défi de l’évaluation de ces situations complexes.

Quelques recherches suggèrent que les parents impliqués dans des conflits sévères suivant la séparation présentent des caractéristiques individuelles qui sont associées à une coparentalité dysfonctionnelle et qui alimentent le conflit parental et son maintien dans le temps (Leclair et al., 2017 ; Turbide, 2017). Certaines études suggèrent que ces parents pourraient se distinguer de la population générale de parents séparés en ce qui concerne leurs traits de personnalité (Johnston et al., 2005). Certaines études proposent que ces parents tendent à présenter une identité fragile[1] (Alary, 2015), peu d’introspection et d’empathie (Baker, 2006 ; Donner, 2006), une immaturité et une instabilité affective (Alary, 2015 ; Anderson et al., 2010), des comportements impulsifs (Alary, 2015 ; Baum et al., 2003), un attachement insécure (Saini, 20007), des distorsions cognitives (Alary, 2015), des mécanismes de défense immatures[2] (Alary, 2015 ; Donner, 2006 ; Gordon et al., 2008) et qu’ils semblent peu conscients de leur niveau de responsabilité dans le conflit avec l’ex-conjoint (Anderson et al., 2010 ; Donner, 2006 ; Saini et al., 2007). Les données de recherches sur les traits de personnalité des parents proviennent d’études cliniques et les travaux empiriques sur cette question restent limités. Ces caractéristiques individuelles des parents viendraient diminuer la qualité de la relation avec les intervenants psychosociaux et judiciaires qui les côtoient et compliquer leurs interventions (Houston et al., 2017 ; Saini et al., 2019). Les défis que posent ces parents impliqués dans des situations familiales hautement conflictuelles sont élevés et les professionnels intervenant auprès d’eux sont susceptibles d’entretenir des perceptions négatives à leur sujet.

Ces familles tendent à recourir à différents services et professionnels pour régler les conflits familiaux et à solliciter plusieurs systèmes simultanément, notamment le système judiciaire, la protection de la jeunesse et le système de santé et de services sociaux (Houston et al., 2017 ; Godbout et al., 2018). Ainsi, les familles vivant un conflit sévère de séparation sont prenantes pour les tribunaux, les avocats et les ressources psychosociales (Neff et al., 2004 ; Saini et al., 2013 ; Saini et al., 2019) et les procédures judiciaires et les interventions qui leur sont destinées requièrent généralement plus de temps (Poitras et al., 2017). De plus, les parents impliqués dans ces situations familiales entretiennent des attentes irréalistes à l’égard des professionnels et sont plus susceptibles d’utiliser les services dans l’objectif de se trouver des alliés dans le conflit (Malo et al., 2013 ; Saini et al., 2012). Ces différentes conduites alimentent les perceptions négatives des professionnels à leur égard. D’ailleurs, ces derniers expriment se sentir impuissants et envahis face aux demandes des parents et soulignent la nécessité de clarifier les besoins de ces derniers de même que leur rôle auprès d’eux (Doughty et al., 2020 ; Godbout et al., 2018).

De nombreuses études ont examiné les perceptions des professionnels intervenant auprès des clientèles dites exigeantes en raison des caractéristiques individuelles qu’elles présentent et des enjeux relationnels qu’elles soulèvent (Commons Treolar, 2009 ; Hansson et al., 2013 ; Hugo, 2001 ; Imbeau et al., & Simard, 2014 ; Westwood et al., 2010). Leurs résultats suggèrent une prédominance d’attitudes négatives et pessimistes des professionnels de la santé à l’égard de ces clientèles. En effet, les professionnels tendent à se méfier de ces clients difficiles, à redouter une utilisation exagérée des services et à craindre des plaintes disciplinaires (Bailey et al., 2020 ; Blanchet et al., 2018 ; Imbeau et al., 2014 ; Warshak, 2016). De plus, ils révèlent que les perceptions des professionnels sont associées à une moins bonne alliance thérapeutique, à des soins de moindre qualité et efficacité (Kealy et al., 2010). Ces études portent principalement sur les individus présentant des troubles de la santé mentale dans le système de la santé et peu d’entre elles s’intéressent aux familles vivant un conflit sévère de séparation. Pourtant, ces familles utilisent abondamment le système judiciaire, peuvent avoir elles aussi des problèmes de santé mentale et représentent un défi particulier tant pour les professionnels impliqués dans les systèmes de la justice que ceux de la santé.

Par ailleurs, des études se sont intéressées aux perceptions des professionnels en ce qui concerne certaines problématiques généralement associées aux familles vivant un conflit sévère de séparation, notamment l’aliénation parentale, l’hostilité persistante, les allégations d’abus sexuels et la violence conjugale (Goldfarb et al., 2019 ; Hans et al., 2014 ; Priolo-Filho et al., 2018 ; Saunders et al., 2011). Les perceptions des experts psychosociaux y ont été mesurées à l’aide de différentes mises en situation pour lesquelles ils devaient exprimer leur point de vue et émettre des recommandations. Les résultats suggèrent que les perceptions et croyances des professionnels sont associées aux décisions qu’ils prennent dans l’intervention auprès de ces familles et aux recommandations formulées en matière de partage de temps parental. À notre connaissance, aucune étude n’examine les perceptions des professionnels psychosociaux et juridiques sur les parents vivant des conflits sévères de séparation. La présente étude propose donc de pallier cette lacune.

Pour bien comprendre les caractéristiques individuelles des parents vivant un conflit sévère de séparation, l’impact des systèmes de la justice, de la protection de la jeunesse et de la santé est à considérer. En effet, ces systèmes peuvent exacerber ou entretenir certaines caractéristiques individuelles des parents. Des études soulignent que le système de justice et, plus précisément le modèle contradictoire qui le caractérise, contribue à augmenter l’animosité et l’hostilité entre les parents, risque d’envenimer la situation familiale et nuit à la reprise d’une communication fonctionnelle et à la résolution du litige (Bala et al., 2017 ; Firestone et al., 2004 ; Pruett et al., 1999 ; Target et al., 2017 ; Ward, 2007). Ensuite, les principes généralement encouragés par ces systèmes, particulièrement en regard de la coparentalité, au partage du temps parental et au recours aux méthodes alternatives de résolution de conflits s’appliquent peu à ces familles (Godbout et al. 2017 ; Hardesty, 2002). En continuant d’intervenir de manière traditionnelle avec ces familles, les systèmes de la justice, de la protection de la jeunesse et de la santé sont susceptibles de les mettre en échec et d’exacerber leurs difficultés. De plus, des études soulignent que certains professionnels ont parfois tendance à minimiser ou à accorder peu de crédibilité à certaines allégations formulées par les parents se retrouvant dans des situations familiales conflictuelles, notamment en ce qui a trait à l’aliénation parentale et la violence conjugale (Bernier et al., 2019 ; Meier, 2020 ; Saini et al., 2020). D’autres études suggèrent plutôt que les parents impliqués dans des situations hautement conflictuelles rapportent ne pas se sentir compris, considérés et respectés par les professionnels gravitant autour d’eux (Lee‐Maturana et al., 2019 ; Poustie et al., 2018). L’ensemble des éléments mentionnés ici doivent être pris en compte dans la compréhension de ces familles parce qu’ils peuvent participer à entretenir la méfiance et l’hostilité des parents, générer une certaine résistance de leur part à l’égard des professionnels et faire échouer les tentatives de résolution de la situation (Bailey et al., 2020).

Afin d’offrir des services sur mesure aux familles vivant un conflit sévère de séparation, le protocole d’intervention psychojudiciaire Parentalité Conflit Résolution (PCR) a été développé en collaboration avec la Cour supérieure de Québec et soutenu par le ministère de la Justice du Québec. Les familles référées à ce protocole d’intervention ont été identifiées par la Cour comme étant celles présentant un niveau important de conflit, pour qui le système actuel ne convenait plus. Le protocole d’intervention a ainsi pour objectif de diminuer les conflits, améliorer la communication interparentale et protéger ou rétablir les liens parent-enfant[3]. Pour ce faire, un juge est saisi au dossier dans le but de faire une gestion personnalisée du dossier et de la famille et de donner une autorité et un cadre à l’intervention psychosociale. De plus, les parents assistent aux ateliers Faire équipe pour les enfants (FÉÉ) qui visent le développement d’une coparentalité positive, l’enseignement de conduites parentales favorables à l’accompagnement de leurs enfants, de même que la réduction des conflits et des interactions négatives entre les parents. Ces ateliers psychoéducatifs se déroulent en trois rencontres de trois heures. Finalement, une psychothérapie familiale de 45 heures est offerte aux familles par une intervenante en dynamique familiale (IDF) dans le but de soutenir les capacités parentales de même que la construction ou la reconstruction de liens positifs et respectueux entre les enfants et les parents. Les parents doivent être représentés par un avocat et ils s’engagent à travailler de façon collaborative avec les autres professionnels. Les intervenants psychosociaux et judiciaires impliqués ont l’autorisation de communiquer entre eux afin de tracer un bilan de l’évolution de la situation familiale et d’y apporter les ajustements nécessaires.

La force du protocole PCR repose sur la communication interdisciplinaire qui permet une cohérence des interventions et une cohésion de l’équipe (Cyr et al, 2020). Toutefois, ce travail interdisciplinaire se révèle être un défi important pour l’ensemble des intervenants suggérant ainsi que les professionnels impliqués ne partagent pas toujours la même compréhension des besoins de ces familles et des interventions les plus adaptées. En effet, les juristes et les psychothérapeutes ont probablement des visions différentes en ce qui concerne les enjeux personnels et dyadiques soulevés par ces familles. Cette recherche vise précisément à recueillir les observations des professionnels judiciaires et psychosociaux quant aux caractéristiques individuelles des parents et s’intéresse au défi que cela représente pour les services psychosociaux et judiciaires. Cette recherche constitue ainsi une première étape permettant de saisir la dynamique s’opérant entre les attentes des divers professionnels à l’égard de ces familles, le fonctionnement du système de justice familiale et le renforcement ou l’apaisement des caractéristiques individuelles faisant obstacle à un dénouement du conflit.

De façon générale, l’analyse des documents institutionnels est d’une grande pertinence pour relever les perceptions des professionnels, étant donné qu’ils donnent accès à des informations qui révèlent les enjeux discutés et les critères sous-tendant les décisions prises, et ce, en dehors de l’intervention du chercheur (Moliner et al., 2002 ; Pouliot et al., 2013). Les documents produits par les professionnels psychosociaux et judiciaires pour suivre l’évolution de leur travail auprès de leurs clients relatent factuellement leurs interventions ainsi que leurs interprétations de la situation. Ils constituent un matériau d’analyse très pertinent à la mise au jour des perceptions des juges et des psychothérapeutes au sujet des caractéristiques individuelles des parents.

Méthode

Afin de comparer les similitudes et les différences des perceptions des juges et des psychothérapeutes à l’égard des caractéristiques individuelles des parents impliqués dans des situations familiales hautement conflictuelles, une analyse de deux types de documents a été réalisée. D’abord, les questionnaires remplis par les psychothérapeutes participant au protocole PCR en lien avec leur suivi des familles. Ensuite, les décisions judiciaires rendues dans les situations familiales ayant été admises au protocole PCR et disponibles sur le moteur de recherche de l’Institut canadien d’information juridique (CanLII).

Cette étude s’inscrit dans un projet de recherche plus large qui a été approuvé par le comité éthique de l’Université de Montréal (CERAS-2014-15-214-D) et qui visait l’évaluation du protocole d’intervention PCR.

Échantillon

Huit familles ont été recrutées par la coordonnatrice de la chambre de la famille (Cour supérieure) du district judiciaire de Québec et se sont engagées dans le protocole PCR. Pour participer au protocole PCR, les familles doivent répondre aux critères suivants : 1) dynamique coparentale caractérisée par une hostilité élevée, de la disqualification et du dénigrement ; 2) difficultés d’accès entre l’enfant et l’un des parents, et 3) antécédents judiciaires (jugements antérieurs non respectés, expertises psychologiques ou psychosociales multiples ou contre-expertises)[4].

Les huit familles ayant pris part au protocole d’intervention PCR ont également participé à la recherche. Seule une famille n’a pas reçu de services psychologiques et donc aucun questionnaire n’a été rempli.

Les 14 parents impliqués dans le projet de recherche PCR sont âgés entre 26 et 50 ans. La majorité vivait en union de fait avant la séparation alors que seulement deux couples étaient mariés. La durée de l’union variait entre deux et dix ans pour la plupart des participants, un seul couple a vécu ensemble pendant plus de vingt-cinq ans. Les parents étaient séparés depuis en moyenne 5,69 années (ÉT=1,55). Une situation à risque élevé de rupture de lien parent-enfant est rapportée dans 7 familles impliquées. Une famille a été exclue du projet PCR en raison de problèmes aigus de santé mentale de l’un des parents. La psychothérapeute a tout de même rempli le questionnaire concernant son suivi avec cette famille qui est incluse dans la présente recherche.

Procédure

Données provenant des psychothérapeutes.

Quatorze questionnaires pré-intervention (n=7) et post-intervention (n=7) ont été complétés par les trois psychothérapeutes ayant travaillé auprès des familles recrutées pour participer au protocole de recherche PCR (Cyr et al., 2017). L’expérience professionnelle de ces psychothérapeutes varie entre 12 et 34 années de pratique et toutes se spécialisent dans l’intervention familiale à la suite de la séparation parentale. Deux d’entre elles ont été ou sont encore médiatrices accréditées et deux d’entre elles ont réalisé, au cours de leur carrière, de nombreux mandats d’expertise psychologique en matière de garde et de droits d’accès. Les questionnaires remplis par les psychologues abordaient principalement l’intervention, notamment les objectifs poursuivis, les impasses et les progrès observés, ainsi que l’évolution de la situation familiale.

Décisions judiciaires.

Vingt-trois décisions judiciaires prononcées par 4 juges dans le district de Québec entre les années 2014 et 2017 ont été recueillies par le biais du moteur de recherche CanLII. Le mot-clé « PCR » a été utilisé afin d’identifier les décisions judiciaires pertinentes à notre étude. Les 23 documents analysés sont notamment des demandes d’admission au protocole (n=2), des décisions suivant des audiences préliminaires et de suivi (n=12), des demandes de retrait (n=1) et des jugements finaux (n=8). Ainsi, plusieurs documents (1 à 6 par famille) ont été analysés pour chacune des situations familiales. Le jugement final consiste en une analyse détaillée de la situation familiale et de l’évolution du dossier à travers l’intervention psychojudiciaire. Un jugement final par famille a été analysé. Ensuite, les demandes d’admission et de retrait du protocole sont de courts documents expliquant l’inclusion ou le retrait de la famille dans le protocole d’intervention. Enfin, la nature et la longueur des décisions suivant des audiences préliminaires et de suivi varient selon les requêtes effectuées par les parties, mais elles visent généralement à traiter des urgences ou à faire le suivi du respect des ordonnances effectuées préalablement.

Description des analyses

Données provenant des psychothérapeutes.

Pour chaque questionnaire complété par les psychothérapeutes, les caractéristiques individuelles des parents ont été repérées, comptabilisées et regroupées en catégories. Une analyse de contenu thématique a été effectuée à partir des extraits pertinents des questionnaires qui ont été regroupés sous des thèmes dans le but d’identifier et de décrire les caractéristiques individuelles des parents.

Décisions judiciaires.

Les décisions judiciaires ont également été analysées par analyse de contenu thématique. Pour ce faire, les segments des jugements relatifs aux caractéristiques individuelles des parents ont d’abord été repérés, puis les caractéristiques énoncées par le juge pour décrire les parents ont été identifiées, codées et résumées par des thèmes.

Ensuite, une nouvelle analyse de contenu thématique a été conduite sur tous les documents en faisant ressortir les points de convergence et de divergence entre professionnels et les systèmes dans lesquels ces caractéristiques s’expriment.

L’ensemble des analyses a été réalisé par la chercheuse principale et deux autres chercheuses ont analysé une partie du matériel en parallèle. Toutes les catégories ont été discutées et revues par l’équipe de recherche.

Résultats

Caractéristiques individuelles des parents

Les juges et les psychothérapeutes identifient plusieurs caractéristiques individuelles chez les parents ayant participé au protocole PCR. L’analyse des documents permet de relever 7 caractéristiques individuelles reconnues par les professionnels comme contribuant au conflit, soit la méfiance, l’opposition, l’impulsivité, le manque d’empathie, le manque d’introspection et d’autocritique, les mécanismes de défense immatures, ainsi que les perturbations sur le plan de la personnalité et de la santé mentale. De façon générale, les caractéristiques individuelles identifiées par les professionnels sont les mêmes pour les pères et les mères. La présente section vise à approfondir chacune des caractéristiques identifiées par les professionnels.

Méfiance.

La méfiance est une caractéristique identifiée chez les parents impliqués dans ces situations familiales hautement conflictuelles tant par les psychothérapeutes (n=3 familles) que dans les décisions judiciaires rendues (n=4). Les professionnels soulèvent de la méfiance pour la majorité des familles (n=5), tant chez les pères que chez les mères. L’objet de la méfiance n’est toutefois pas le même dans tous les dossiers. Pour certains parents, la méfiance vise l’autre parent et se perçoit à travers l’attribution de mauvaises intentions à l’autre parent : « [l]e père a la perception que la mère parle contre lui et sa famille. Il croit même que la mère épie ses faits et gestes ainsi que ceux de sa conjointe » (décision judiciaire, audience de suivi, famille 7).

Alors que pour d’autres parents, la méfiance a plutôt comme objet l’intervention et se manifeste notamment par la perception d’alliance entre l’intervenant et l’autre parent par des attentes réservées face à l’intervention et par une résignation devant la possibilité de changement :

« [l]e père a mis du temps à faire confiance à mon rôle et à la possibilité que j’aide la famille. Il était très porté à interpréter que je prenais pour la mère, sans comprendre que notre objectif était la reprise du lien mère-enfants » (questionnaire post-intervention famille 7).

La méfiance envers l’intervention s’observe également par la remise en question de l’efficacité de la méthode : « [e]lle dit ne pas être certaine de l’efficacité de la mesure dans le contexte d’une reprise réelle de contacts avec son fils » (décision judiciaire, audience de suivi, famille 1).

Opposition.

Des manifestations d’opposition sont remarquées chez les familles tant dans les écrits des psychothérapeutes (n=6) que dans les décisions judiciaires rendues (n=5). Les professionnels identifient de l’opposition chez au moins 1 des parents dans tous les dossiers, chez les mères (n=5) et chez les pères (n=3). Deux types d’opposition décrits par les professionnels sont soulevés : l’opposition active et passive. D’une part, l’opposition active se manifeste par un refus de collaborer ou un non-respect des ententes prises avec le psychothérapeute : « [l]e non-respect des ententes par la mère. Sa difficulté ou son opposition à respecter les consignes d’intervention recommandées » (questionnaire post-intervention famille 2), et :

« [l]a mère ne respecte pas certaines consignes demandées. À titre d’exemple, elle demeure présente dans la salle d’attente pendant les rencontres père-fils. Elle cogne à la porte du bureau de consultation avant la fin des rencontres père-fils » (décision judiciaire, jugement final, famille 3).

L’opposition active s’observe également dans quelques cas par un retrait total du protocole d’intervention (n=2).

D’autre part, l’opposition passive se manifeste plutôt par un manque d’engagement et de mobilisation du parent ; limitant ainsi les effets de l’intervention tels que mentionner dans cet extrait : « [l]a principale impasse est la non-mobilisation du père qui agit comme modèle pour l’enfant » (questionnaire post-intervention famille 1) et « [l]a mère ne semble pas croire possible que la situation s’améliore. Elle se plie à l’ordonnance, elle semble coopérante, mais elle manifeste une résistance passive » (questionnaire préintervention famille 8). L’opposition passive s’observe également dans les décisions judiciaires :

« [l]e dossier ayant été repéré comme étant un dossier à haut niveau de conflit, celui-ci peut bénéficier du programme spécial PCR. Toutefois, vu les nombreux manquements de monsieur en regard de sa participation à ce programme, notamment aux rencontres du programme FÉE, son manque de collaboration auprès de l’IDF et ses manquements répétés à l’égard des rencontres avec sa travailleuse sociale, la soussignée retire le dossier du programme PCR » (décision judiciaire, jugement final famille 4).

L’opposition des parents semble s’inscrire dans l’histoire de la problématique familiale et provoquer des mouvements de progression et de recul, notamment en ce qui a trait aux contacts entre les parents et les enfants.

Impulsivité.

L’impulsivité est énoncée sporadiquement dans les dossiers, tant dans le discours des psychothérapeutes (n=3) que dans les décisions judiciaires (n=2), et concerne tant les pères que les mères. D’une part, les psychothérapeutes mettent davantage l’accent sur l’agressivité verbale et le manque de respect qu’ont certains parents à leur égard lors des rencontres d’intervention : « [l]a mère devient irrespectueuse, lorsqu’elle est confrontée par rapport à des propos violents, dénigrants ou au dénigrement du père qu’elle effectue » (questionnaire post-intervention famille 2). D’autre part, l’évocation de l’impulsivité dans les décisions judiciaires fait référence à la prise de décision rapide, au changement de position spontané, plutôt qu’au caractère dangereux ou à la prise de risque.

« Pendant cet échange, X a dit à sa mère qu’il veut faire une sortie avec son père et madame s’est dite d’accord pour être présente à la rencontre de planification de cette sortie. Or, deux jours après cet accord consenti entre tous, la mère nous a laissé un message téléphonique signifiant qu’elle n’est plus d’accord avec cette planification de sortie père-fils » (décision judiciaire, jugement final, famille 3).

Du point de vue du juge, dans le cadre de procédures judiciaires, alors que les parents sont représentés par un avocat et que la parole et le respect des engagements sont importants, ce revirement pourrait témoigner d’une certaine impulsivité. Cela pourrait également être interprété comme une stratégie consciente d’un parent pour nuire aux accès parent-enfant, tel que le suggère cet extrait de la même décision judiciaire : « [i]l est évident que l’attitude de la demanderesse, consciemment ou non, fait en sorte que X n’est pas induit à reprendre contact avec son père ».

Manque d’empathie et de sensibilité parentale.

Le manque d’empathie des parents est une caractéristique mentionnée uniquement dans les décisions judiciaires (n=4). Le discours des psychothérapeutes, quant à lui, révèle plutôt un manque de sensibilité parentale chez les participants (n=3). Ces caractéristiques sont identifiées tant chez les pères que chez les mères. Le manque de sensibilité parentale sous-tend une difficulté dans la lecture adéquate des besoins et des signaux de détresse de l’enfant, de même qu’une difficulté à répondre à l’enfant de façon chaleureuse, prévisible et cohérente. Le manque d’empathie témoigne quant à lui d’une incapacité à comprendre l’état émotionnel et le point de vue de l’autre. Bien que le manque d’empathie et le manque de sensibilité parentale soient deux concepts différents, ils réfèrent tous deux à la capacité de reconnaître les besoins de l’autre et de les distinguer de ses propres besoins. En effet, ces deux caractéristiques individuelles se déploient dans la relation à l’autre, soit à l’égard de l’enfant :

« La mère ne voit pas ou très peu ce qu’elle doit améliorer dans son attitude et reproduit des comportements inadéquats. […] La difficulté de la mère à entendre les besoins de son fils et respecter son rythme. Elle les perçoit comme des caprices et de la manipulation » (questionnaire post-intervention famille 2).

« Le père prétend que le comportement de la mère est maladroit à l’endroit des enfants. Il explique que lors de la première fin de semaine d’accès, elle serait allée sur le terrain de son compagnon malgré le fait qu’elle s’est engagée à ne pas mettre ce dernier en présence des enfants. La mère a admis y être allée. Les enfants ont l’impression que la mère ne les écoute pas et qu’elle parle constamment contre le père et sa conjointe » (décision judiciaire, audience de suivi, famille 7).

Cet extrait provenant d’une décision judiciaire laisse croire que le juge considère que le manque d’empathie ou de sensibilité parentale est une caractéristique contribuant au conflit dans ce dossier et qu’elle est pertinente à l’analyse de la situation familiale. Dans un contexte de rupture de lien parent-enfant, le manque de sensibilité d’un parent peut également compromettre la reprise de contact entre son enfant et lui-même :

« Elle admet qu’au cours du mois de juin, elle a été plus insistante par ses textos pour tenter de communiquer avec X. Elle n’a reçu aucune réponse à ces textos de la part de l’enfant, sauf quelques jours avant l’audience pour lui demander de cesser les envois » (décision judiciaire, audience de suivi, famille 1).

Finalement, le manque d’empathie peut se manifester à l’égard de l’autre parent :

« Le père doit respecter les jugements et tenter de chausser parfois les souliers de la mère pour éviter des disputes que son comportement contribue à créer. Il doit faire un effort pour comprendre que la mère peut penser différemment de lui » (décision judiciaire, jugement final, famille 5).

Dans cet extrait, le juge utilise son autorité pour dénoncer le manque d’empathie d’un parent et le recadrer dans son comportement.

Déresponsabilisation et externalisation de la faute.

La déresponsabilisation est identifiée tant dans le discours des psychothérapeutes (n=5) que dans les décisions judiciaires (n=4). Les parents, les mères comme les pères, semblent peu conscients de leur niveau de responsabilité dans le conflit avec l’ex-conjoint, tendent à projeter sur l’autre le blâme et font parfois preuve d’un certain manque d’introspection et d’autocritique. Certains parents peinent à s’expliquer la tournure des évènements : « [l]a mère se dit toujours blessée par la situation et a de la difficulté à comprendre comment elle a pu devenir pour son fils ce monstre, cet être à éviter » (décision judiciaire, audience de suivi, famille 1). D’autres parents reconnaissent difficilement leurs comportements : « [m]adame est peu consciente qu’elle dénigre monsieur aux yeux de X et réalise peu l’impact de ses paroles » (décision judiciaire, jugement final, famille 3) ; « [i]l ne m’a jamais été possible de faire des entrevues cohérentes avec le père et il n’a démontré aucune autocritique face à son discours inapproprié envers ses enfants » (questionnaire post-intervention famille 4) ; et :

« [e]lle ne manifeste pas d’autocritique et pour elle, elle n’a rien à se reprocher ni à changer. […] La grande difficulté de la mère à accepter de regarder sa part dans le conflit. Sa méfiance et son intolérance à la moindre remarque concernant des attitudes ou comportements à modifier » (questionnaire post-intervention famille 8).

Comme les parents ont peu de capacités introspectives et se déresponsabilisent du conflit, ils tendent à s’en remettre régulièrement à l’histoire conjugale et aux fautes de l’autre parent pour expliquer et justifier leurs propres comportements, et projeter le blâme sur l’autre, notamment par de fausses allégations ou par des sous-entendus :

« [e]lle exagère la portée du conflit de garde avec monsieur. […] Elle lui prête de fausses intentions et doute de ses motivations. Elle lui reporte la totalité des fautes, donnant peu de détails et évitant de se remettre elle-même en question » (décision judiciaire, jugement final, famille 3).

L’externalisation de la faute constitue, aux yeux des professionnels, une stratégie immature de gérer le conflit avec l’autre et les juges et les psychothérapeutes l’identifient dans quatre dossiers. Ces stratégies sont d’ailleurs dénoncées de façon véhémente par les professionnels qui tentent de recadrer les parents soit dans l’intervention réalisée par les psychothérapeutes ou dans les ordonnances faites par les juges :

« [l]a mère voit le père comme un être violent pouvant être hautement nocif pour les enfants. Elle devrait envisager la possibilité de consulter un professionnel de son choix pour l’aider à cesser de percevoir le père ainsi. Les faits exposés ne permettent nullement de démontrer une telle perception » (décision judiciaire, jugement final, famille 5).

Mécanismes de défense immatures.

L’utilisation de mécanismes de défense immatures par les parents est mentionnée tant dans les décisions judiciaires que par les psychothérapeutes. Dans les décisions judiciaires, en particulier lorsqu’il n’y a pas d’expert au dossier, les juges ne nomment pas directement les mécanismes de défense. Certaines affirmations des juges en lien au conflit parental évoquent toutefois l’utilisation de mécanismes de défense immatures tels le clivage, la projection, l’identification projective, le déni, etc. Étant donné que la présence de mécanismes de défense immatures chez les parents impliqués dans des situations familiales hautement conflictuelles est documentée dans les écrits scientifiques (Alary, 2015 ; Jonhston et al., 2005), nous avons tenté d’extraire ceux que les psychothérapeutes et les juges de la présente étude identifiaient chez les familles ayant participé au protocole PCR.

Dans deux dossiers différents, un juge et un psychothérapeute relèvent l’utilisation de la projection comme mécanismes de défense, soit la propension à attribuer aux autres ses propres vécus inacceptables (Chabrol et al., 2018) : « [e]lle transfère ses propres craintes à X, qui en vient à endosser ses peurs » (décision judiciaire, jugement final, famille 3) et « [m]onsieur craint tout contact avec la mère. Cette anxiété semble contaminer l’enfant et nourrir son rejet de la mère » (questionnaire préintervention famille 1). Le déni, c’est-à-dire la tendance à faire abstraction de certaines informations dans l’environnement susceptibles de perturber l’individu (Chabrol et al., 2018), est aussi identifié par des juges (n=2) : « [i]l ne croit pas que la rupture de lien aura un effet sur son développement et s’appuie sur le fait qu’actuellement son fils va bien » (questionnaire post-intervention famille 1). Ainsi, il ressort que l’utilisation de ces mécanismes de défense immatures peut mener à des distorsions cognitives et à de fausses perceptions qui tendent à gagner en rigidité dans le temps. Ces mécanismes de défense semblent compliquer tant les relations familiales que les relations avec les professionnels impliqués dans le dossier.

Perturbations sur le plan de la personnalité et de la santé mentale.

Les psychothérapeutes identifient de nombreux traits de personnalité pouvant compromettre l’efficacité de l’intervention, de même que la collaboration des parents à l’intervention. Les psychothérapeutes (n=4) relèvent des traits de personnalité tels que des traits limites, passifs agressifs, vindicatifs/paranoïaques chez six parents. Dans un dossier (s’ajoutant aux quatre autres déjà identifiés), l’intervention n’a pas été complétée considérant la présence d’un trouble de santé mentale important chez un des parents qui l’empêchait de collaborer à l’intervention. Les diagnostics de santé mentale des parents ne sont pas relevés dans les décisions judiciaires.

Caractéristiques individuelles des parents et systèmes interpersonnels

L’analyse des décisions judiciaires et des questionnaires complétés par les psychothérapeutes révèle que les professionnels identifient des caractéristiques individuelles qui contribuent au conflit entre les parents, tels que la méfiance, l’opposition, l’impulsivité, le manque d’empathie, le manque d’introspection (déresponsabilisation), des mécanismes de défense immatures, ainsi que des traits de personnalité dysfonctionnels.

Des analyses supplémentaires ont permis de regrouper ces différentes caractéristiques selon leur mode d’expression. Ainsi, ces caractéristiques semblent se manifester dans des systèmes interpersonnels distincts, soit dans les systèmes intimes parent-parent et parent-enfant, mais également dans les systèmes plus larges comprenant les relations avec les intervenants judiciaires et psychosociaux (voir Figure 1). Certaines caractéristiques, notamment le manque d’empathie et d’introspection, l’impulsivité et les mécanismes de défense immatures, s’observent plus clairement dans les systèmes familiaux, soit à l’égard des proches. Or, ces caractéristiques se manifestent de façon moins évidente en relation avec les intervenants psychojudiciaires, malgré que ces derniers soient en mesure de les identifier. Enfin, la méfiance et l’opposition semblent plutôt traverser tous les systèmes et s’actualiser tant dans les systèmes intimes, que dans l’intervention psychosociale et le système de justice.

Figure 1

Caractéristiques individuelles des parents et leur expression dans les systèmes interpersonnels

Caractéristiques individuelles des parents et leur expression dans les systèmes interpersonnels

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Discussion

L’objectif de cette étude était de documenter les perceptions des professionnels judiciaires et psychosociaux à l’égard des caractéristiques individuelles des parents impliqués dans un conflit sévère de séparation et ayant participé au protocole PCR. Un des résultats principaux est que les professionnels psychosociaux et judiciaires identifient surtout des caractéristiques qui réfèrent au fonctionnement psychologique des parents et qui sont cohérentes avec les écrits scientifiques (Alary, 2015 ; Birnbaum et al., 2010 ; Fidler et al., 2010 ; Gordon et al., 2008 ; Johnston et al., 2005 ; Leclair et al., 2017). Les pères et les mères ne se distinguent sur le plan des caractéristiques relevées par les professionnels, ce qui suggère que le genre du parent ne semble pas lié aux caractéristiques identifiées par les professionnels. D’abord, la méfiance est largement documentée dans les écrits scientifiques portant sur les familles vivant un conflit sévère de séparation (Francia et al., 2019 ; Target et al., 2017). En effet, les parents semblent constamment dans un état d’alerte face aux éventuels motifs cachés de l’autre parent et cela entrave l’échange d’informations concernant l’enfant et la coparentalité de façon générale (Gulbrandsen et al.,2018). De la même façon, les parents tendent à avoir peu confiance dans le système de justice et les intervenants psychosociaux et rapportent se sentir jugés et non respectés par les professionnels (Bosch-Brits et al., 2018 ; Poustie et al., 2018 ; Treloar, 2019). La présente étude permet de confirmer que les parents impliqués dans des situations hautement conflictuelles tendent à manifester une importante méfiance et à faire preuve d’opposition ; ces caractéristiques semblant généralisées à l’ensemble de leurs relations. Ces caractéristiques peuvent représenter un défi tant pour le maintien de l’alliance thérapeutique avec le psychothérapeute que pour l’établissement d’une coparentalité positive au long cours. Des décisions judiciaires soulèvent certains manquements à des ententes prises. Ainsi, les résultats suggèrent que les divers professionnels impliqués auprès de ces parents devraient favoriser des objectifs réalistes et qui tiennent compte de la méfiance importante que les parents tendent à entretenir. La coparentalité parallèle qui exige un minimum d’échanges entre les parents pourrait s’avérer plus adaptée aux parents impliqués dans un conflit sévère de séparation. De la même façon, l’autorité du juge pourrait assurer une certaine collaboration des parents à l’intervention afin qu’ils se conforment aux objectifs thérapeutiques auxquels ils ont consenti. Des sanctions ou modifications à l’ordonnance apparaissent être des outils importants auprès de parents qui ne respectent pas leurs engagements (Bala et al., 2016 ; Fidler et al., 2020).

La présente étude révèle que les parents présentent peu d’empathie et de sensibilité parentale et qu’ils tendent à se déresponsabiliser et à rejeter le blâme sur autrui. Ces caractéristiques sont bien documentées dans les écrits scientifiques sur les familles vivant un conflit sévère de séparation (Alary, 2015 ; Anderson et al., 2010 ; Donner, 2006 ; Gordon et al., 2008 ; Saini, 2007). Ainsi, les professionnels doivent formuler des objectifs thérapeutiques réalistes et cohérents en regard des caractéristiques individuelles que présentent les parents. Par exemple, un travail psychologique individuel pourrait parfois être bénéfique préalablement à des rencontres coparentales qui demandent une capacité à se remettre en question et à se mettre dans la peau de l’autre (Deutsch et al., 2020). Les résultats amènent à s’interroger sur la capacité des parents impliqués dans un conflit sévère de séparation à réussir une véritable coparentalité du fait qu’ils sont généralement peu coopératifs, ont peu de regards critiques sur eux-mêmes et démontrent une faible capacité de remise en question d’eux-mêmes, de leurs conduites et de ses effets sur l’autre, sur les enfants et sur l’ensemble des intervenants du système psychojudiciaire. Les résultats permettent d’appuyer l’idée que l’établissement d’une coparentalité parallèle et d’une communication minimalement fonctionnelle est un objectif probablement plus réaliste auprès de cette population (Davis et al., 2015 ; Drozd et al., 2019). Ces résultats soulèvent également des questions quant à la meilleure trajectoire de services psychosociaux pour favoriser leur efficacité (Cyr et al., 2020 ; 2021). De récentes études suggèrent que des interventions individuelles préalables sont nécessaires afin de rendre les parents disponibles à travailler la communication et la coparentalité.

L’opposition constatée par les professionnels dans la présente étude est appuyée dans le rapport de recherche du projet pilote sur la gestion des dossiers judiciaires à haut niveau de conflit présenté au ministère de la Justice du Québec. Ce rapport révèle que les psychothérapeutes sondés à la suite de l’intervention observent que les familles se sont montrées ambivalentes face au changement tout au long du processus et que les progrès réalisés restent fragiles à la fin de celui-ci (Cyr et al., 2017). Ces résultats confirment la collaboration de surface des parents identifiée par les professionnels et soulignent la nécessité d’un accompagnement à long terme pour espérer des changements profonds dans la dynamique des familles vivant un conflit sévère de séparation.

L’impulsivité apparaît généralement comme une caractéristique typique chez les parents impliqués dans des situations hautement conflictuelles (Alary, 2015 ; Baum et al., 2003). En effet, les écrits scientifiques suggèrent que ces parents tendent à être envahis par leurs affects, à être réactifs, à connaître des difficultés de gestion des émotions et à être plus à risque de perdre le contrôle rapidement et à adopter des comportements impulsifs et peu réfléchis (Alary, 2015 ; Baum et al., 2003 ; Malo et al., 2013). Les résultats de la présente étude ne permettent pas de confirmer cela. L’impulsivité n’est pas ressortie comme étant caractéristique de la majorité des dossiers, laissant croire que les conduites des parents impliqués dans des situations familiales hautement conflictuelles sont davantage calculées et réfléchies. D’une part, l’effet positif du système judiciaire et de la représentation par avocat, qui imposent un cadre permettant d’éviter les écarts de conduite, peut expliquer ce résultat. D’autre part, comparées aux familles en protection de la jeunesse, les familles vivant un conflit sévère de séparation qui se retrouvent à la Cour Supérieure tendent à avoir un statut socio-économique plus élevé et une meilleure éducation (Houston et al., 2017) et qu’elles se présentent de façon plus socialement acceptable (Ezzo et al., 2007 ; Resendes et al., 2012). Ainsi, l’expression de leur colère et de leur hostilité ne se traduit possiblement pas à travers l’impulsivité, mais elle pourrait plutôt s’exprimer de façon subtile et détournée (Baker et al., 2006). Ces parents auraient tendance à exercer un contrôle excessif sur leurs affects et à présenter une façade froide, distante et rigide (Alary, 2015). Les résultats de la présente étude doivent être interprétés avec prudence, compte tenu des limites des analyses qualitatives effectuées à partir de documents. L’impulsivité peut avoir été observée par les professionnels sans qu’elle ne transparaisse dans les documents qu’ils ont rédigés.

Les caractéristiques individuelles des parents identifiées par les professionnels suggèrent que les parents impliqués dans des situations familiales hautement conflictuelles sont vulnérables. Ils ont des caractéristiques individuelles communes aux personnes ayant un trouble de la personnalité (Hertzmann et al., 2016), ce qui sous-entend des difficultés importantes au niveau identitaire et relationnel. La prise en compte des caractéristiques individuelles des parents s’avère donc déterminante tant dans l’établissement de l’alliance thérapeutique, le déploiement de stratégies d’intervention adaptées et l’efficacité de l’intervention. D’ailleurs, les pratiques généralement encouragées par les systèmes de justice et des services sociaux, particulièrement en ce qui a trait aux moyens mis en œuvre pour établir une coparentalité coopérative et une garde partagée, s’appliquent difficilement aux familles vivant un conflit sévère de séparation (Godbout, et al., 2017 ; Hardesty, 2002). Ainsi, il est important de soulever l’idée que la méfiance et l’opposition des parents pourraient être justifiées par l’octroi de services inaptes à leurs besoins.

De toute évidence, les chercheurs et les professionnels soulignent la nécessité de développer des interventions ciblant les besoins spécifiques de ces familles (Polak et al., 2020 ; Quigley et al., 2014). En ce sens, les résultats de la présente étude appuient la pertinence de proposer un cadre thérapeutique strict et prévisible qui a fait ses preuves dans l’intervention auprès des individus présentant des troubles de la personnalité (Yeomans et al., 2015). Le protocole d’intervention PCR est d’ailleurs une initiative en ce sens proposant la saisie d’un juge au dossier, une communication constante entre tous les professionnels impliqués auprès de la famille et la possibilité pour le juge de modifier son ordonnance ou d’appliquer des sanctions aux parents récalcitrants.

Bien que les professionnels judiciaires et psychosociaux utilisent un langage différent pour décrire les familles vivant un conflit sévère de séparation, ils identifient sensiblement les mêmes caractéristiques individuelles chez les parents. En effet, les juges sont portés à évaluer le comportement des parents, de même que la cohérence et la crédibilité de leur discours ; leur niveau d’analyse est factuel. Dans les décisions judiciaires examinées, nous constatons que les juges utilisent peu la parole du psychologue-IDF et adoptent peu de concepts psychologiques pour justifier leur ordonnance et réfléchir au meilleur intérêt de l’enfant. De leur côté, les psychothérapeutes tendent à faire usage d’un vocabulaire diagnostique et s’intéressent davantage au monde interne et aux intentions et motivations des parents. Les juges et les psychothérapeutes arrivent à des conclusions semblables, malgré qu’ils relèvent des indices différents pour décrire les parents. La cohérence des observations entre les juges et les psychologues peut s’expliquer par le fait que les juges étaient volontaires à participer au protocole PCR. En effet, les juges de la Cour supérieure sont des généralistes qui n’ont pas nécessairement pratiqué comme avocat familialiste. Or, leur implication dans l’intervention PCR peut révéler leur sensibilité aux enjeux particuliers des parents vivant un conflit sévère de séparation. De la même façon, les juges s’étant prononcés dans ces situations étaient en contact avec les psychothérapeutes dès le début de l’intervention et étaient sensibles à l’importance du fonctionnement individuel et familial sur le maintien du litige dans le temps. Ensuite, le contexte particulier du protocole d’intervention PCR peut avoir eu un effet sur la façon dont les juges rédigeaient les décisions judiciaires. Il est possible que le contexte ait amené les juges à rendre des décisions plus concises et centrées sur les solutions, invitant tant les avocats que les psychothérapeutes à avoir un rôle très actif dans l’identification de la problématique, de même que dans les modalités d’intervention à proposer.

Les perceptions qu’ont les professionnels judiciaires et psychosociaux à l’égard des familles vivant un conflit sévère de séparation apparaissent plutôt négatives. Une étude suggère d’ailleurs que les professionnels présentent parfois des biais cognitifs face à ces familles, voire se méfient de leur discours, en niant ou minimisant certaines de leurs inquiétudes ou allégations de violence conjugale et familiale (Meier, 2020). Cette attitude des différents systèmes (de la justice, de la santé et de la protection de la jeunesse) impliqués auprès de ces familles peut avoir comme effet de renforcer les défenses et les attitudes négatives des parents (Bala et al., 2017 ; Hardesty, 2002 ; Target et al., 2017). Bien que les écrits scientifiques soulignent les caractéristiques individuelles des parents qui expliquent les difficultés relationnelles et le maintien du conflit dans le temps, il est nécessaire de rappeler que ces familles subissent un stress important et traversent possiblement une des épreuves les plus difficiles de leur vie (Bosch-Brits et al., 2018 ; Target et al., 2017). Les différents professionnels impliqués auprès de ces familles doivent rester sensibles à leur détresse vécue. La présente étude permet d’ailleurs de faire ressortir l’interaction entre les caractéristiques des parents et les différents systèmes relationnels dans lesquels ils sont impliqués. Ainsi, les professionnels ont un certain rôle à jouer dans la modulation des caractéristiques individuelles des parents et peuvent prévenir leur exacerbation. Afin de favoriser l’adoption d’une posture nuancée, ouverte et flexible, la supervision professionnelle est un incontournable pour les professionnels. Certaines études démontrent que les professionnels deviennent plus empathiques et se sentent plus compétents dans leur travail à la suite de formations visant les attitudes des cliniciens envers des clientèles exigeantes (Bouchard et al., 2010 ; Kravitz, 2004 ; Meier, 2020 ; Shanks et al., 2011). L’étude pilote portant sur le protocole PCR, les rencontres de supervision hebdomadaires ont constitué un des éléments clés de la capacité des intervenants à conserver leur neutralité et à ajuster leurs interventions auprès de ces familles (Cyr et al., 2017). Dans le cadre de la présente étude, nous constatons tout de même une perception négative des parents, alors que les psychologues et les juges sont sensibilisés aux défis que suscite cette clientèle.

Cette étude permet de documenter les perceptions des professionnels psychosociaux et de la justice avec une méthode différente que celle habituellement utilisée dans les études ayant des objectifs semblables. L’analyse de documents permet l’accès à des informations traduisant assez fidèlement le raisonnement des professionnels, mais comme les décisions judiciaires se concentrent sur les éléments factuels de la situation familiale, certaines caractéristiques individuelles des parents peuvent avoir été écartées de l’analyse du juge. Cette limite doit être prise en compte dans l’interprétation des résultats. De la même façon, le contexte particulier du protocole PCR qui vise à résoudre le litige et diminuer le niveau de conflit peut expliquer le fait que les professionnels rapportent principalement des observations négatives en ce qui a trait aux caractéristiques individuelles des parents. Les professionnels ont pu se centrer davantage sur ce qui continuait de faire entrave à l’intervention plutôt que de discuter des changements et de l’évolution au sein de la famille. Afin de pallier cette limite, il pourrait être intéressant de conduire une étude similaire auprès de professionnels non impliqués dans une intervention psychojudiciaire pour comparer leurs perceptions des caractéristiques individuelles des parents. Le petit échantillon et la diversité des documents analysés limitent la possibilité de généraliser les résultats. L’anonymat des décisions judiciaires engendre également des limites dans cette étude. D’une part, les informations relatives aux familles sont peu disponibles dans les décisions judiciaires consultées et limite la généralisation des résultats. D’autre part, l’anonymat empêche le croisement des données qui auraient pu permettre une meilleure description des situations familiales étudiées.

La présente étude souligne la pertinence de s’intéresser aux perceptions des professionnels à l’égard des familles vivant un conflit sévère de séparation qui s’avèrent déterminantes pour l’intervention, étant donné leur influence sur les attitudes et les comportements des professionnels. Une recherche visant à mesurer l’effet des perceptions des professionnels sur l’alliance thérapeutique et le succès de l’intervention permettrait d’identifier de façon plus précise les perceptions qui affectent l’intervention. Cette étude est nécessaire afin de mesurer les associations entre les perceptions des professionnels et la prise de décisions, notamment en regard des stratégies d’intervention et des modalités de garde. Enfin, il serait intéressant de voir comment la formation et la supervision professionnelle peuvent venir réduire les perceptions négatives en augmentant la sensibilité des professionnels à l’égard des enjeux soulevés dans les familles vivant un conflit sévère de séparation.