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Introduction

À la suite de la déclaration de l’OMS, le 11 mars 2020, de l’occurrence d’une pandémie de la COVID-19 en provenance de la Chine, les autorités de santé publique des pays ont mis en place des mesures de protection contre la diffusion du virus, avec le recours au masque et l’établissement d’une distanciation physique régissant les contacts interpersonnels. À ces précautions, des décisions plus rigoureuses se sont ajoutées avec la mise en place d’un confinement, d’un couvre-feu et la fermeture des commerces, des lieux de sports et de loisirs, ainsi que des formes de confinement variables selon les pays. Cette situation et les contraintes associées ont affecté de façon diverse les différents segments de la population, dont les étudiant.e.s universitaires. Ils.elles ont dû réduire, avec la réclusion, leurs activités sociales et de loisirs en présentiel à une période de leur vie marquée par l’importance de l’acquisition de l’autonomie et de la sociabilité entre pairs. Ils.elles ont été amené.e.s à se couper de leur milieu universitaire et à suivre leurs cours en ligne, non sans conséquences sur leur formation académique.

Les répercussions psychosociales de ces contraintes sur la qualité de vie des étudiant.e.s ont commencé à faire l’objet de recherches dans le contexte espagnol. Dans la continuité de ces travaux, cet article propose de contribuer à mieux comprendre leur expérience vécue chez un groupe d’étudiant.e.s de l’Université de Salamanque, et ce, à partir d’une perspective qualitative encore peu utilisée. Après avoir dégagé les dimensions empiriques des travaux espagnols sur cette population, nous cernerons de nouveaux angles d’analyse non traités en Espagne et ce que révèle la revue des écrits scientifiques internationaux sur cette question. Nous exposerons ensuite notre cadre théorique d et sa méthodologie avant de présenter les principaux résultats en deux sections. La première s’attachera à situer les expériences des étudiant.e.s touchant les sphères de vie déjà étudiées en Espagne, tandis que la seconde explorera des problématiques de la qualité de vie dans des champs encore négligés, mais néanmoins importants. En conclusion, des perspectives de recherche qui découlent de cette analyse seront esquissées.

Les recherches espagnoles sur la qualité de vie des étudiant.e.s universitaires en période de COVID-19

L’Espagne a été l’un des pays européens les plus affectés par la pandémie. Deux états d’urgence ont été déclarés pour faire face au COVID-19, chacun accompagné de mesures de confinement. Le premier état d’urgence est entré en vigueur le 15 mars 2020 et a pris fin le 21 juin 2020. D’abord, d’une durée officielle de 15 jours, il a été prolongé pendant 99 jours. Pendant cette période, la population entière a été obligée de demeurer dans leur résidence et les sorties étaient réduites, sauf pour acheter de la nourriture, travailler ou pour des cas d’urgence. Le deuxième état d’urgence a été déclaré le 25 octobre 2020 et a pris fin le 9 mai 2021. Les communautés autonomes avaient toutefois une latitude plus grande dans les prises de décision et la modulation des mesures de protection. Pendant ces phases, les universités ont été fermées et les activités académiques tenues en ligne.

Dans ce contexte pandémique, les travaux sur les étudiant.e.s universitaires ont porté sur quelques dimensions dégagées à partir d’une perspective quantitative. Ainsi, les répercussions sur la santé mentale de cette population et du personnel d’une université (Odriozola-González et al., 2020) ont été cernées : 34,2 % des répondant.e.s rapportaient des niveaux de dépression modérés ou sévères, 28,1 % des états de stress et 21,3 %, une à un niveau élevé. Ces trois scores étaient plus élevés chez les étudiant.e.s que le personnel, mais avec des variations selon les domaines d’études (scores plus faibles dans les filières de l’ingénierie et de l’architecture ; plus élevés dans celles des sciences sociales, du droit et des arts et humanités). Le niveau d’études constituait également un facteur dans cette modulation, les étudiant.e.s de premier cycle étant plus affecté.e.s que ceux et celles à la maîtrise ou au doctorat. Ces tendances se retrouvent dans la population d’une autre université espagnole (Marques et al., 2021) où presque la moitié des répondant.e.s, soit 44,7 %, révélait un niveau élevé d’anxiété et de dépression. Le dysfonctionnement lié à la capacité d’exécution de tâches et au plaisir associé aux activités quotidiennes se retrouvait respectivement chez 53,6 % et 33,7 %.

Villa et al. (2020b) ont réalisé une recherche panuniversitaire sur le bien-être. Ces derniers rapportent un faible pourcentage de stress sévère (8,1 %), mais une anxiété modérée ou sévère chez près du tiers des répondant.e.s (28,7 %). Cette anxiété est atténuée en milieu urbain dans le cas d’un confinement au domicile familial et de bonnes conditions financières, tout en restant plus marquée chez les femmes que chez les hommes. Quant à la consommation de drogues, de tabac et d’alcool, elle n’est pas très forte : 92,3 % des répondant.e.s disent ne pas avoir consommé de cannabis, 82,2 % ne pas avoir fumé et 64,7 % ne pas avoir consommé de bière pendant le confinement.

L’évaluation de l’activité physique parmi cette population indique que 38,1 % des répondant.e.s n’ont pas fait d’exercice physique, alors que 35,9 % ont passé 2 à 4 heures par semaine à cette activité et 26 % plus de 4 heures, sans différences entre les hommes et les femmes. Une autre étude (Rodríguez-Larrad et al., 2021) constate une réduction de l’activité physique modérée et vigoureuse, en particulier chez les hommes, et une augmentation du temps de sédentarité avec l’amplification des activités liées aux technologies d’information et de communication (TIC).

Les usages des TIC ont aussi fait l’objet de recherches. Selon Villa et al. (2020b), les TIC auraient servi à plusieurs fonctions : s’informer (5,1 heures par semaine) et regarder des séries ou des films (13,4 heures par semaine), avec une préférence pour les comédies et les drames chez les femmes et pour les films d’action chez les hommes. Gómez-Galán et al. (2020) rapportent un recours élevé aux réseaux sociaux ainsi qu’une forte dépendance à ces technologies.

Les répercussions du confinement sur la vie académique ont été évaluées (Villa et al., 2020a). Les étudiant.e.s dans leur très grande majorité rapportaient que le virage vers le virtuel a été raté par leur université, bien que les cours ont maintenu un niveau pédagogique équivalent à celui du présentiel. Ils.elles étaient aussi nombreux à considèrer leur rendement académique comme moins bon qu’avant la pandémie et celui des promotions antérieures, ce qui se répercute sur la moyenne des notes d’évaluation. Les commentaires collectés rapportent les difficultés rencontrées dans le processus des cours en ligne (critères d’évaluation, ajouts de travaux académiques, annulation des travaux pratiques). L’évaluation des professeur.e.s indique des profils divers, certain.e.s continuant à maintenir une qualité pédagogique tandis que d’autres semblent avoir abandonné tout intérêt pour les cours et les étudiant.e.s. En termes d’avenir professionnel, cette étude suggère que pour cette population la pandémie aura un effet négatif sur le marché du travail futur déjà bien marqué par le chômage.

Ces premières recherches permettent de cerner les répercussions de la COVID-19 sur la qualité de vie des étudiant.e.s universitaires espanol.e.s dans certaines sphères. Cependant, elles négligent d’autres dimensions soulevées dans les travaux sur cette population publiés dans les pays occidentaux.

Les recherches internationales sur la qualité de vie des étudiant.e.s en période de COVID-19

La recension met en évidence des dimensions importantes de la qualité de vie des étudiant.e.s universitaires ayant été affectées par la pandémie et le confinement. Les caractéristiques de ce confinement, variable selon les pays, ne sont pas toujours explicitées dans les articles. Les recherches rapportées ici ont été menées en très grande majorité à partir de perspectives quantitatives, basées sur des échantillons de convenance et des questionnaires en ligne privilégiant souvent des tests standardisés. Quelques études qualitatives (Black et al., 2020) ou utilisant une méthodologie mixte (Barthou et al., 2021 ; Lischer et al., 2021) permettent de mieux cerner les expériences de vie personnelles autour de cet événement.

Répercussions sur les configurations résidentielles

Dans plusieurs contextes, le confinement a eu des répercussions sur les configurations résidentielles. Aux États-Unis (Son et al., 2020) et en France (Barthou et al., 2021), une majorité d’étudiant.e.s universitaires, suite au confinement, rapportent des changements dans leur mode de résidence avec le retour au foyer familial. Plus des deux tiers des étudiant.e.s de l’Université d’État du Texas sont revenus vivre avec leurs parents, tandis que le reste a choisi d’autres modes résidentiels (nouveau domicile, co-résidence avec amis ou autres membres de la famille, ou domicile temporaire). Les étudiant.e.s étant resté.e.s en résidence indiquent une réduction des interactions sociales avec leurs colocataires, de leur autonomie et une augmentation des sources de distraction (Son et al., 2020). Si en France (Barthou et al., 2021), la relocalisation a atténué l’isolement social et contribué àl’accès à un espace de vie plus grand et à la nature, des étudiant.e.s expriment une ambivalence face à cet arrangement qui, tout en permettant de renforcer les liens familiaux, constitue néanmoins une source de tensions et de conflits interpersonnels. Pour ceux et celles qui ont traversé le confinement en étant seul.e.s, cette situation a entraîné un manque d’interactions sociales mal vécues (solitude, stress et angoisse).

Répercussions positives sur la santé psychologique

Contrairement aux études montrant une détérioration de la santé mentale des étudiant.e.s espagnoles suite au confinement, des recherches internationales notent des répercussions faibles ou même absentes sur l’état mental. En Italie, Capone et al. (2020) ne constatent pas un effet particulier sur la santé mentale ou le stress académique comparativement à la période prépandémie. En Suisse, seule une minorité de répondant.e.s de l’Université de Lucerne, soit 6,1 %, rapporte une anxiété sévère (Lischer et al., 2021). En France, selon Barthou et al. (2020) pour près de la moitié des étudiant.e.s, le confinement a été vécu agréablement et autour de 30 % des répondant.e.s considèrent cette expérience comme un moment important de pause, de ressourcement et de réflexion personnelle. Ces conclusions rejoignent celles d’une recherche qualitative auprès d’étudiant.e.s américains inscrits dans une filière de santé qui répertorient plusieurs conséquences positives de cet événement (Brammer, 2020) : gestion personnelle du temps qui a accru la flexibilité et la liberté pour l’accomplissement d’activités personnelles, accroissement des interactions sociales avec la famille et les amis, support des pairs et des professeurs, ce qui démontre une adaptation optimale au contexte de la pandémie et du confinement.

Répercussions sur l’alimentation

Des études montrent une détérioration des habitudes alimentaires comme c’est le cas chez les étudiant.e.s de la province de la Saskatchewan au Canada où l’on constate une réduction des apports nutritionnels et caloriques pendant la pandémie, comparativement à la période précédente (Bertrand et al., 2021), avec des différences entre les hommes et les femmes pour la consommation de zinc, de vitamines B3 et de cholestérol. Aux États-Unis, une grande majorité d’étudiant.e.s (70 %) rapportent des modifications dans leurs modèles alimentaires (augmentation de l’ingestion de nourriture, temporalités irrégulières, sauts de repas, réduction de l’appétit), tandis qu’une minorité affirme mieux manger en cuisinant à la maison (Son et al., 2020).

Stratégies de gestion (coping)

Plusieurs recherches internationales ont cerné les stratégies de gestion (coping) utilisées par les étudiant.e.s pour maîtriser les conséquences du confinement sur leur qualité de vie. De façon générale, le niveau d’auto-efficacité et l’exercice physique ont contribué significativement à la résilience mentale des étudiant.e.s (Ihm et al., 2021). D’autres études américaines rapportent la diversité des modes de gestion privilégiés (Son et al., 2020 ; Black et al., 2020 ; Wang et al., 2020 ; Prasath et al., 2021) pouvant être classés en plusieurs catégories : stratégies d’évitement (ignorer les nouvelles sur la pandémie, dormir plus longtemps, se distraire, boire ou manger) ; recours aux loisirs (passe-temps, exercices, musique, lecture, dessin, planification d’activités) ; recours à des activités de type spirituel ou psychologique (méditation et respiration, approches spirituelles, recadrage positif, maintien des routines, bonne alimentation) ; emploi des TIC (utilisation des applications, de sites, des médias sociaux et du streaming, suivi des tendances pandémiques) ; appel aux réseaux de support, en particulier à travers les TIC (aide des réseaux familiaux, amicaux, collègues de cours, professeurs, superviseurs). Par contre, les services d’aide psychologique des universités ne sont pas mis à contribution pour des raisons diverses, notamment un inconfort à faire appel à des étrangers et à discuter de problèmes personnels à cause d’un manque de confiance à leur égard.

Perspectives théoriques

Deux grandes perspectives théoriques ont été privilégiées dans cette recherche. La première renvoie à la qualité de vie ; elle couvre les sphères de vie relevées dans les écrits qui recoupent celles proposées par Montreuil et al. (2009). Ces auteurs préconisent le recours à une approche qualitative pour mieux explorer l’expérience vécue dans les différentes sphères et ses interprétations. La seconde renvoie à la sociologie des usages qui analyse les dispositifs technologiques, les stratégies d’appropriation par les individus (Proulx, 2005 ; Millerand et al., 2018) et leurs répercussions positives et négatives sur leur qualité de vie (Çikrıkci, 2016).

Méthodologie

Cette recherche descriptive et exploratoire a utilisé une approche qualitative, par le biais d’entretiens auprès de 12 participant.e.s (6 hommes et 6 femmes) dont l’âge se situait entre 21 et 25 ans.). Tout.e.s les étudiant.e.s sont de l’Université de Salamanque (Espagne) et leur recrutement a été fait par un échantillonnage par boule de neige, de manière volontaire, à partir d’un premier étudiant universitaire. Ce nombre est suffisant dans le cadre d’une étude portant sur une expérience vécue (Savoie-Zajc, 2007), dans notre cas, le confinement à la suite de la pandémie de la COVID-19. Le profil de ces étudiant.e.es est le suivant : de classe moyenne, tout.e.s avaient une aide financière de leurs parents pour leurs études, 2 avaient aussi une bourse et 3 travaillaient à temps partiel. Leur origine est diversifiée. Parmi les femmes, seule l’une d’entre elles est de Salamanque, 3 viennent de la province d’Estrémadure, et 2 d’autres des communautés autonomes d’Espagne (Ciudad Real, Îles Canaries). Chez les hommes, 2 sont de Salamanque et 4 de provinces diverses (Îles Canaries, Pays basque, Galicie et Ciudad Real). Sur le plan religieux, 9 d’entre eux ne rapportaient aucune religion, deux se déclaraient catholiques, et un athée. Ils.elles étaient inscrit.e.s dans plusieurs filières. Parmi les femmes, quatre suivaient des études en ergothérapie, l’une était en médecine et la dernière dans un programme d’information et documentation (gestion, traitement, conservation et diffusion de l’information et des documents). Chez les hommes, deux suivaient un cursus en médecine et deux en psychologie. Les deux derniers étaient respectivement inscrits en communication audiovisuelle et en sciences politiques. Deux étudiant.e.s étaient de niveau maîtrise et les autres en premier cycle. Les étudiant.e.s ont accepté de répondre à une entrevue semi-structurée en profondeur, d’une durée d’une heure à une heure trente, et de compléter un questionnaire portant sur leur profil sociodémographique. Les entretiens ont été effectués en ligne par Skype et enregistrés entre mai et juin 2021. Le canevas de l’entrevue est en partie inspiré par celui de la recherche en cours portant sur les étudiant.e.s internationaux au Québec (Frozzini et al., 2020). Les thèmes abordés comprenaient les différentes dimensions de la qualité de vie (physique, psychologique, interpersonnelle, sociale, environnementale et spirituelle) telles que définies par Montreuil et al., (2009) ; les dispositifs technologiques utilisés dans le champ de la communication ; les usages entourant ces technologies et leurs répercussions. Le contenu des entretiens a été retranscrit et codifié sur Excel afin de dégager les catégories par thématique pour ensuite les rattacher à chaque section de l’entrevue.

Les principes éthiques de la recherche concernant le consentement libre et éclairé, la possibilité de se retirer de la recherche à tout moment ainsi que la confidentialité et l’anonymat ont été respectés. Les prénoms utilisés dans le texte sont des pseudonymes.

Résultats des analyses qualitatives

Nous présenterons d’abord les données empiriques issues de nos entretiens qui viennent compléter celles déjà rapportées dans les recherches effectuées auprès des étudiant.e.s espagnol.e.s.

Répercussions négatives sur la qualité de vie psychologique

Des étudiant.e.s rapportent des inquiétudes face à l’occurrence des maladies provoquées par la contamination par le virus de la COVID-19 et à ses répercussions sur leurs proches. Plusieurs répondantes ont noté des changements dans leur état psychologique entre la période de préconfinement et le confinement, marqués par des niveaux plus élevés d’anxiété, des variations dans les états affectifs, des inquiétudes, des peurs et des idéations suicidaires, liées aux incertitudes de la situation et à l’absence de solutions :

« Avant le confinement, je n’avais eu aucune anxiété, aucun stress, aucun problème de sommeil, aucune démotivation, aucune dépression, seulement un peu d’anxiété pendant les examens et c’était tout. Pendant le confinement, j’ai eu peur à cause de l’incertitude face à tout ce qui se passait dans le monde et mes peurs ont augmenté. En novembre, ça m’est arrivé un jour où je préparais à manger, j’ai commencé à avoir des vertiges et j’ai pensé que c’était une baisse de mon taux de sucre ou de ma pression artérielle, ce qui m’arrive parfois, mais c’était très fort et je ne pouvais pas respirer et ma colocataire […] a eu très peur et quand elle m’a vue dans cet état elle a appelé l’ambulance, ils m’ont emmenée à l’hôpital et ils m’ont dit que c’était une très forte crise d’anxiété, et c’est là que j’ai fait le lien. J’ai dit que c’était peut-être parce que j’étais inquiète […] mais depuis lors, il ne m’est plus rien arrivé » (Clara, 21 ans, ergothérapie, 3e année).

« Avant le confinement, je n’avais pas de stabilité émotionnelle, mais c’était un malaise différent, comme si je ressentais une anxiété différente de celle après [le confinement]. C’était comme si avant j’avais beaucoup plus d’espoir, j’avais la même anxiété et les mêmes problèmes que maintenant, mais je savais qu’ils avaient une solution et qu’il s’agissait de se mettre à faire des choses. Jusqu’au mois d’avril, il me semblait que nous nous étions un peu habitués à [cette situation] et il y avait un peu de calme, mais ensuite, à partir de la mi-avril, c’était comme des hauts et des bas émotionnels constants, le sentiment de ne pas savoir où est ma place, avoir le sentiment d’une mort imminente, beaucoup d’idées de suicide, vouloir que quelque chose s’arrête et se termine […] Le plus difficile c’est que [les changements dus au confinement] survenaient tous en même temps. C’était comme si je ne pouvais pas affronter tout cela en même temps, parce que, tout d’un coup, il y a un moment où trop de choses arrivaient. Il y a beaucoup de choses que je voulais changer, mais que je ne pouvais pas changer comme les relations et les loisirs ou, par exemple le sport. Je pouvais faire des choses, mais je ne pouvais pas aller courir. Le plus dur pour moi est que la vie s’est arrêtée et que j’ai dû m’arrêter aussi » (Maria, 22 ans, 5e année de médecine).

L’adaptation au confinement a été perçue comme complexe et lente à cause des bouleversements existentiels, globaux, accompagnés de difficultés à accepter la situation tant les contraintes étaient pesantes et exigeantes, affectant des routines de vie jugées essentielles, mais devenues irréalisables :

« [j]e m’habituais à l’idée peu à peu, oui difficilement. La nouvelle réalité, dont on parle beaucoup, était très difficile à assimiler : […] toutes ces nouvelles normes et […] ces règles qui me semblaient irréelles » (Marta, 22 ans, information et documentation, 4e année).

« Au début, tout allait mal, mais après quelques semaines […] on établit une routine, ce qui fait que l’on progresse mieux, mais c’est toujours dur et difficile » (Clara, 21 ans, ergothérapie, 3e année).

Ces données nuancent les conclusions de la recherche sur la santé mentale des étudiant.e.s espagnol.e.s rapportées par Odriozola-González et al. (2020) et Marques et al. (2021) en montrant que les répercussions du confinement sur la santé mentale ne se limitent pas aux symptômes d’anxiété, de dépression, de stress, mais incluent aussi d’autres états physiques et psychologiques (idéation suicidaire, fluctuations de l’humeur, état de vigilance élevé, inquiétudes, etc.). De plus, les difficultés rencontrées sont relevées de même que les éléments d’introspection et d’autoréflexivité pour les gérer.

Répercussions sur les activités physiques

Les participant.e.s ont relevé les répercussions du confinement sur l’exercice physique qui ont donné lieu à plusieurs stratégies. Pour quelques-un.e.s, le confinement a permis de maintenir leurs pratiques sportives comme mode de détente et de discipline puisque les contraintes habituelles ont été levées. Cette situation a annulé les échappatoires pour éviter l’entraînement, l’activité physique ou la pratique d’un sport en ligne. Celles-ci sont devenues plus nécessaires pour atténuer la sédentarité et réduire le temps d’écran inutile, mais elles peuvent aussi exiger de recourir à leur usage pour suivre les sessions en ligne :

« [j]’ai continué à faire du sport à la maison, j’ai eu du matériel avant le début du confinement et c’était le moment de détente pour me mettre la tête ailleurs » (Luis, 25 ans, médecine, 6e année).

« Pendant le confinement, j’ai continué à faire du karaté parce que mon professeur [quand le confinement a été annoncé] nous a tous écrit sur WhatsApp et il nous a dit qu’il allait essayer de faire [l’entraînement] par zoom. Ça a marché […] et nous avons continué à le faire. Et, en fait […] c’est ce qui m’a encouragé par rapport aux années précédentes […] [c’est] qu’en fin de compte tu es à la maison tous les jours et tu n’as aucune excuse. Ce n’est pas que tu vas être en retard ou quoi que ce soit. Tu es là, tu mets juste sur ton portable et tu commences. Ça m’a fait […] aller au karaté tous les jours. Et surtout parce que tu en as tellement assez de l’ordinateur, de regarder toujours la même chose et de rester assis, que tu as besoin de faire quelque chose » (Mario, 21 ans, communication audiovisuelle, 4e année).

D’autres répondant.e.s ont profité du confinement pour commencer à s’adonner à l’exercice physique, compte tenu du temps libre disponible à meubler, à établir et à suivre des routines quotidiennes, prenant exemple sur d’autres membres de la famille, rapportant ainsi un bien-être physique et mental  :

« [j]’ai commencé à faire mon exercice quotidien, et c’est ainsi que les jours ont passé » (Clara, ergothérapie, 3e année).

« J’ai commencé à faire du sport […] pour combattre la routine, d’être toute la journée sans rien faire. Donc ce que j’ai commencé à faire c’est du sport et c’est vrai que j’ai pris le rythme et l’habitude et maintenant je n’ai pas arrêté » (Marcos, 24 ans, médecine, 6e année).

« Pendant le confinement, j’ai commencé à faire de l’exercice. J’ai une scoliose et ma zone cervicale est très mauvaise et je me suis toujours plaint, mais je n’ai pas trouvé de solution. J’étais motivée par le fait de n’avoir rien à faire, mon père fait aussi beaucoup de sport et mon frère fait de même, donc ils m’ont motivé et maintenant je suis très bien physiquement, je me sens très bien » (Susana, 25 ans, ergothérapie, 3e année).

Pour une étudiante, au contraire, le confinement a réduit la fréquence de l’exercice, limité à des sessions de yoga sans atténuer des symptômes physiques :

« [j]’ai des migraines et je suis anémique, j’ai tendance à avoir une pression sanguine assez basse. L’exercice a été considérablement réduit, j’ai fait quelques exercices de type yoga et autres » (Marta, 22 ans, information et documentation, 4e année).

Contrairement aux données quantitatives rapportées par Rodríguez-Larrad et al. (2021), on ne constate pas une réduction de l’activité physique pour la grande majorité des répondant.e.s. Au contraire, ils.elles semblent avoir profité des contraintes du confinement pour améliorer leur routine d’entraînement ou commencer de nouvelles activités dont les détails sont fournis. Ils.elles font part des difficultés rencontrées et des sources de motivation pour les contourner. Ces données suggèrent que les technologies d’information et de communication peuvent avoir un rôle positif dans l’accompagnement des pratiques physiques et ainsi renverser les tendances à la sédentarité.

Répercussions sur la consommation d’alcool et de drogues

Les entretiens indiquent une prise de conscience du rôle essentiellement convivial de la consommation et de ses niveaux élevés avant la pandémie et depuis réduits significativement par la majorité des répondant.e.s :

«Avant le confinement, je buvais plus d’alcool [..] à cause de la vie sociale et nocturne. Pendant le confinement, je n’ai presque pas bu» (Luis, 25 ans, médecine, 6e année).

« Je n’avais pas conscience que la consommation d’alcool était quelque chose que je pouvais ou ne pouvais pas faire. […] Je consomme de moins en moins, mais avant je ne me rendais pas compte de tout l’alcool que je buvais » (María, 22 ans, médecine, 5e année).

« Avant [le confinement], deux ou trois bières le week-end. Pendant le confinement, ça a diminué. Je buvais peut-être une bière toutes les deux semaines. […] J’avais l’habitude de boire 3 ou 4 pichets de bière (le week-end) mais maintenant, au cours des 3-4 derniers mois, j’en ai bu 13 entre les bières et les boissons » (Marta, 22 ans, information et documentation, 4e année).

Aucun des répondant.e.s ne déclare consommer des boissons énergisantes, ni des combinaisons alcool/boissons énergisantes. Une très petite minorité d’entre eux rapporte une augmentation de la consommation de tabac et, à l’inverse, une réduction de l’usage de drogues :

« Ma consommation de tabac a augmenté, pendant [le confinement] » (María, 22 ans, médecine, 5e année).

« Avant le confinement, juste avant, oui j’ai consommé du M (ecstasy) […] à partir du confinement je n’ai plus consommé » (José, 23 ans, psychologie, 3e année).

Ces données rejoignent l’étude de Villa et al. (2020a) à l’effet que la consommation d’alcool et de drogues en période de confinement chez les étudiant.es espagnol.e.s est faible. La réduction de la consommation d’alcool peut s’expliquer par les modifications dans les rituels de consommation. En Espagne, cet usage est une habitude sociale, liée à un but récréatif et de sociabilité. Selon le dernier rapport de l’Observatoire espagnol des drogues et des toxicomanies (2021), la raison première de cette ingestion chez les jeunes renvoie en effet à son inscription dans des contextes sociaux tels que les fêtes ou les beuveries publiques (botellones), des pratiques annulées par les règles de distanciation physique et le confinement. Cette diminution pourrait aussi s’expliquer par un contrôle familial plus grand parmi les répondant.e.s qui ont changé de résidence, passant de la cohabitation avec des pairs à celle avec les parents (White et al, 2020).

Répercussions sur les activités académiques

L’évaluation de l’impact du confinement sur les activités académiques révèle des effets contradictoires. Les étudiant.e.s sont partagé.e.s quant à l’implication de l’université et du corps enseignant pour assurer le maintien des cours en ligne, la transmission du contenu et le suivi pédagogique. La majorité juge que les instances universitaires ont réagi rapidement à cette situation pour établir les cours en ligne, nécessaires à la poursuite de la formation, malgré des difficultés techniques (accès à la plateforme, qualité de la connexion, coupures). Pour d’autres, la réorganisation a été défaillante, des cours en ligne n’ayant pas été mis en place comme le rapporte une étudiante de médecine : « [j]’ai eu des matières où je n’avais même pas de cours en ligne » (María, 22 ans, médecine, 5e année).

L’appréciation des prestations des professeur.e.s varie quant à leur degré d’implication dans le maintien d’un cadre pédagogique solide. Certain.e.s se sont acquitté.e.s de cette tâche de façon responsable. D’autres ne se sont pas adapté.e.s aux nouvelles conditions et ont réduit leurs cours au strict minimum ou ont tout simplement coupé le contact avec les étudiant.e.s, comme le notent surtout les étudiantes  :

« Il y a eu beaucoup de professeurs qui n’ont pas su s’adapter du tout, qui n’ont pas suivi le programme, ni les activités didactiques stipulées et qui se sont limités à envoyer des devoirs. Ils n’ont pas su s’adapter beaucoup aux besoins de l’élève » (Marta, 22 ans, information et documentation, 4e année).

« En ce qui concerne la formation lorsqu’il s’agit de donner des cours, certains professeurs ont pris leurs aises, ils ont envoyé des travaux ou juste les notes sans donner de cours » (Inès, ergothérapie, 3e année).

« Nous avons eu des enseignants qui étaient très impliqués avant et pendant le confinement et d’autres qui, avant le confinement, nous ont donné des cours et nous avions une relation avec eux, mais ensuite le confinement est arrivé et nous avons cessé d’entendre parler d’eux » (Isabel, 21 ans, ergothérapie, 3e année).

Pour certain.e.s, le dispositif pédagogique des cours en ligne a été accueilli avec intérêt et satisfaction, parce qu’il permettait d’atteindre une autonomie dans l’organisation du travail et du temps et de mieux se concentrer dans un environnement plus agréable qu’une salle de cours :

« [l]e fait que les cours soient en ligne était encore plus confortable pour moi, je les ai trouvés beaucoup plus utiles. […] Au niveau des études, j’ai même trouvé cela plus favorable. Ils m’ont aidé à me concentrer parce que je pouvais m’organiser de manière indépendante. Pour moi, les cours en ligne ont été meilleurs que les cours en face à face. Étudier avec les TIC m’a permis de mieux organiser mon temps » (Marcos, 24 ans, médecine, 6e année).

Pour d’autres, l’obligation de suivre les cours en ligne a entraîné une adaptation plus difficile. Ils.elles concèdent des avantages comme de pouvoir les suivre depuis le domicile, de les enregistrer et de les réécouter à leur guise, et rapportent la plus grande facilité des examens. Par contre, ils.elles relèvent plusieurs répercussions négatives sur leur motivation académique : une capacité d’attention atténuée, le caractère ennuyant de certains cours, le manque de contact avec leurs collègues de classe et l’absence d’une ambiance universitaire et d’une convivialité jugées essentiels :

« [l]es cours en ligne m’ont été préjudiciables, car même s’ils avaient l’avantage de pouvoir les regarder à la maison, en réalité ils étaient beaucoup moins motivants. J’avais du mal à me concentrer, j’étais beaucoup plus distrait et je n’avais aucune motivation pour les suivre. J’ai perdu le contact avec beaucoup de mes collègues, c’est une façon de travailler qui ne me convient pas, ne pas pouvoir parler aux collègues et prendre un café avec eux fait partie de la vie universitaire » (Luis, 25 ans, médecine, 6e année).

« Les examens en ligne étaient plus faciles, mais les cours étaient très ennuyeux, pas du tout motivants, sauf pour certains professeurs » (Marta, 22 ans, information et documentation, 4e année).

 « C’était ennuyeux, les cours en ligne prenaient une éternité, je n’arrivais pas à maintenir mon attention et souvent je ne les suivais pas. La seule bonne chose est que je pouvais les regarder plus tard si je les enregistrais. Mais ils généraient très peu de motivation, il m’était difficile d’étudier beaucoup plus » (José, 23 ans, psychologie, 3e année).

Les apprentissages dans les conditions de confinement ont aussi fait l’objet de commentaires. Sur le plan de la concentration, des étudiant.e.s rapportent une amélioration de leurs capacités dans ce domaine. Ils.elles notent les avantages du confinement en termes d’organisation des activités académiques et de temps, facilitant le suivi des études et l’attention d’où une progression dans des performances universitaires :

« [s]’organiser pour étudier a été plus facile, car comme je n’avais rien d’autre à faire, comme je ne pouvais pas quitter la maison, la seule chose que je pouvais faire était d’étudier » (Isabel, 21 ans, ergothérapie, 3e année).

« Pendant le confinement, c’était beaucoup plus facile pour moi d’étudier dans ma chambre chez mes parents. J’avais beaucoup moins de tâches ménagères à faire et plus de temps pour étudier et plus de concentration. En ce sens, c’était bien pour moi » (José, 23 ans, psychologie, 3e année).

« J’ai un diagnostic de déficit d’attention, donc étudier de mémoire, par exemple, et de grandes quantités de matières sont éprouvantes pour moi […] mais pendant le confinement j’ai pu beaucoup plus me concentrer » (Javier, 25 ans, maîtrise en psychologie).

D’autres, surtout des femmes, rapportent des difficultés de concentration liées aux préoccupations et aux stress provoqués par l’évolution de la pandémie, aux interférences qu’elle a engendrées sur les études ainsi qu’aux changements dans les routines universitaires qui ont désorganisé les modes de gestion des problèmes d’apprentissage et qui ont pu contribuer à abaisser leurs performances universitaires :

« [des problèmes] dans la concentration bien sûr […] c’est comme si je ne sentais pas par exemple cette année la différence entre […] étudier et ne pas étudier. Pas seulement à cause du plan d’étude, mais parce que je ne sens pas un moment de pure concentration qui n’est pas entaché par le stress du coronavirus […]. Chaque période a été marquée par un moment de la pandémie, ce qui a rendu difficile l’étude et, en fait, mes résultats scolaires ne sont pas très mauvais, mais ils sont plus mauvais [qu’avant la pandémie] et mes performances aussi » (Maria, 22 ans, médecine, 5e année).

« Avant le confinement, j’allais à la bibliothèque, maintenant je [reste] surtout dans ma chambre, même si parfois je devais changer d’espace parce que […] j’ai beaucoup de problèmes de concentration et je me déplaçais aussi dans le salon. Ça a toujours été assez difficile pour moi de me concentrer. J’ai toujours cherché une méthode, surtout celle d’aller dans les bibliothèques qui me convenaient pendant les périodes entre les cours […] et cela, pendant le confinement, je ne pouvais pas le faire » (Marta, 22 ans, information et documentation, 4e année).

La question des stages pratiques a d’ailleurs fait l’objet de commentaires. L’annulation tardive des stages en médecine a été critiquée, d’autant plus qu’elle ne s’est pas accompagnée du remboursement des frais afférents : « il y a des stages pour lesquels j’ai payé un montant de crédits que je n’ai jamais pu récupérer » (Maria, 22 ans, médecine, 5e année). Pour une étudiante en ergothérapie, la désorganisation des stages est compréhensible, compte tenu du contexte chaotique provoqué par la pandémie : « [e]n ce qui concerne les stages, je pense qu’ils ont fait tout ce qu’ils pouvaient, mais la situation a été assez folle et ils ont eu du mal à les organiser » (Inès, 22 ans, ergothérapie, 3e année).

Quant à leur avenir professionnel, les étudiant.e.s sont pessimistes à moyen et à long terme. Ils.elles soulignent les conséquences négatives du confinement en termes de recherche de stages et d’opportunités d’emploi, en particulier dans le domaine de la santé, ainsi que des difficultés pour la société de revenir à la normale à la suite d’une crise économique :

« [j]e connaissais une personne dans une entreprise et ils ont essayé de me faire rentrer, mais c’était impossible, car le protocole [de contrôle de la pandémie] l’empêchait. J’ai perdu une belle occasion » (Mario, 21 ans, communication audiovisuelle, 4e année).

« Ça va être très difficile pour nous de trouver du travail parce que tant dans les résidences que dans les centres [de santé], ils ont très peur d’engager des gens et qu’il y ait une contagion. Ce sont des gens qui sont très vulnérables » (Isabel, 21 ans, ergothérapie, 3e année).

« La crise économique va avoir un grand impact sur l’emploi, qui a été fortement touché, et il sera probablement plus difficile pour moi de trouver un emploi que dans une situation normale » (Marta, 22 ans, information et documentation, 4e année).

« Nous allons nous retrouver dans un pays en crise économique et sans emploi. En termes d’emploi, le secteur de la santé ne peut plus faire face […] » (Maria, 22 ans, médecine, 5e année).

« [Cette situation] a déjà eu des répercussions économiques, car tout est en suspens et je ne sais pas ce qui va se passer. Il y a beaucoup de gens qui ont été touchés en termes de travail. […] Je ne peux pas travailler depuis deux ans parce qu’il n’y a pas de travail. Il y a des secteurs qui vont être très affectés. […] La société en général va être très affectée parce que se remettre de cette crise va être compliqué. Elle va avoir des répercussions directes. Les taxes seront augmentées sur certaines choses, sur les produits et les services qui ne sont pas de base » (Clara, 21 ans, ergothérapie, 3e année).

Les expériences des étudiant.e.s quant aux cours en ligne rejoignent les grandes lignes des constatations rapportées dans l’étude de Villa et al. (2020a) : inadaptation des professeur.e.s aux nouvelles conditions pédagogiques, variations dans leur implication allant du maintien de la qualité des cours au désintérêt manifeste ; annulation et désorganisation des stages. Notre recherche est complémentaire à cette étude en montrant les adaptations variées des étudiant.e.s. à ces nouvelles conditions. Pour certain.e.s, les cours en ligne ont contribué à leur autonomisation académique, à une réorganisation du travail appréciée et à une meilleure concentration. Pour d’autres, les répercussions ont été plus négatives (ennui, manque de concentration, déficit de sociabilité, manque d’accès aux espaces universitaires), ce qui rejoint les constatations faites par d’autres études internationales (Barthou et al., 2020 ; Lischer et al., 2021 ; Wang et al., 2020). L’évaluation des perspectives touchant l’avenir professionnel est semblable à celles rapportées par Villa et al. (2020a) à l’effet que les conditions vont se dégrader dans un marché de l’emploi déjà bien déprimé à cause des problèmes économiques et un chômage élevé.

Répercussions sur les usages des TIC

Selon nos entretiens, les technologies de l’information et des communications (TIC) ont joué un rôle essentiel pour atténuer les effets du confinement et assurer le maintien du contact avec leurs réseaux. Presque tou.te.s les répondant.e.s ont un profil similaire quant aux types d’appareils qu’ils possèdent et qu’ils utilisent. Tou.te.s ont un téléphone intelligent, le plus fréquemment utilisé, et un ordinateur portable. La grande majorité ont une télévision et quelques-un.e.s une tablette. Compte tenu de l’usage intensif des TIC, la qualité de la connexion Internet est importante et ils.elles la jugent bonne ou très bonne.

« [j’ai] un ordinateur portable, un téléphone mobile et une tablette […] La télévision, je la regardais à l’heure du déjeuner » (Isabel, 21 ans, ergothérapie, 3e année).

« J’ai mon portable et mon ordinateur portable, je ne regarde pas la télévision » (José, 23 ans, psychologie, 3e année).

Les appareils disponibles servent à plusieurs fins. Les téléphones intelligents sont utilisés par les hommes et les femmes pour accéder aux réseaux sociaux, en particulier Instagram et WhatsApp, mais ils remplissent d’autres fonctions (communiquer avec les amis et la famille, rechercher des informations, regarder des vidéos, lire et écouter de la musique) :

« [l]’utilisation du téléphone portable était pour communiquer avec les gens, pour la recherche, l’information, pour lire […] » (Marta, 22 ans, information et documentation, 4e année).

« Le mobile est celui que j’utilise le plus, surtout pour les réseaux sociaux (Instagram et WhatsApp) pour être en contact avec les gens, regarder des vidéos, consulter des informations » (Inès, 22 ans, ergothérapie, 3e année).

« J’utilise le téléphone portable […] surtout pour écouter de la musique, j’écoute de la musique toute la journée » (Mario, 21 ans, communication audiovisuelle, 4e année).

Un répondant ajoute à ces usages le visionnement de contenus pornographiques achetés en ligne :

« [c]elui que j’ai le plus utilisé est le smartphone et je l’ai utilisé pour les réseaux sociaux, WhatsApp et Instagram, pour obtenir des informations, pour acheter de temps en temps du porno depuis le mobile » (Javier, 25 ans, maîtrise en psychologie).

Quant à l’ordinateur portable, son usage est surtout centré sur les activités universitaires et le visionnement des séries télévisées et des films, mais il est aussi utilisé pour des achats en ligne (vêtements ou nourriture) :

« [l]’ordinateur pour regarder des séries, des films et pour tout ce qui concerne la classe […], maintenant pour acheter des vêtements. Je regarde plus les choses en ligne et pour acheter de la nourriture » (Inès, 22 ans, ergothérapie, 3e année).

« L’ordinateur portable pour […] regarder des séries et des films » (Marta, 22 ans, information et documentation, 4année).

L’usage des jeux vidéo, sur console ou en ligne, est rapporté par une minorité de répondant.e.s avec une fréquence variable :

« [j]e joue beaucoup aux jeux vidéo, je joue toujours à la même chose, je joue avec la PlayStation 4, je joue beaucoup à “call of duty” » (Inès, 22 ans, ergothérapie, 3e année).

« Je joue parfois à des jeux vidéo, de façon très sporadique, surtout sur l’ordinateur » (Luis, 25 ans, médecine, 6e année).

Presque tou.te.s les répondant.e.s disent avoir augmenté l’utilisation du téléphone portable et de l’ordinateur pendant le confinement, comme le confirme le nombre d’heures élevé surtout dans le cas portable, mais avec des écarts importants. Si, avant le confinement, l’emploi du portable se situait entre 4 et 10 heures, il est passé pendant cette période à 12-13 heures par jour, alors que celle de l’ordinateur portable a également progressé, mais plus légèrement.

« Avant le confinement, j’utilisais mon téléphone portable pendant 4 à 5 heures et l’ordinateur portable entre les cours et les études pendant environ 8 heures. Pendant le confinement, j’ai utilisé le téléphone portable pendant une ou deux heures de plus et l’ordinateur portable beaucoup plus. La vérité, c’est qu’il était avec moi toute la journée » (Marta, 22 ans, information et documentation, 4e année).

« Pendant le confinement, j’ai utilisé davantage l’ordinateur portable et l’utilisation des appels vidéo s’est ajoutée. Avant le confinement, j’utilisais le portable environ 4-5 heures, pendant le confinement 5 ou 6 » (Isabel, 21 ans, ergothérapie, 3e année).

« Avant le confinement, j’utilisais très peu mon téléphone portable, à part pour parler à mes amis et à ma famille, 5 heures par jour, et mon ordinateur portable 3-4 heures. Pendant le confinement continu, j’ai doublé, même pour l’exercice, le téléphone portable 8 heures par jour et l’ordinateur portable 4 heures » (Susana, 25 ans, ergothérapie, 3e année).

« Avant le confinement j’utilisais le téléphone portable environ 10 heures par jour, pendant le confinement ça a dû augmenter à vue de nez donc je dirais 12 à 13 heures » (Mario, 21 ans, communication audiovisuelle, 4e année).

Malgré cette augmentation significative du temps d’écran, peu de répondant.e.s rapportent une expérience de dépendance ou une anxiété liée à l’utilisation du téléphone portable jugé un outil essentiel dans le maintien de la communication avec les réseaux personnels ou comme accès aux ressources de divertissement, avec des effets de fatigue provoqués par une consommation abusive :

« [a]nxiété ? oui avec Instagram, car je me comparais aux autres et oui j’ai vu la dépendance au mobile, c’était avant et pendant le confinement » (Isabel, 21 ans, ergothérapie, 3e année).

« Je ne considère pas avoir un problème de dépendance au téléphone portable, mais comme je suis maintenant plus à la maison, loin de ma famille et de mes amis, en ce moment je ne socialise pratiquement pas. Je pense maintenant que c’est la façon dont je peux parler aux gens » (Susana, 25 ans, ergothérapie, 3e année).

« Il y avait des jours où j’étais un peu désorienté à force de regarder toute la journée le petit écran, toute la journée avec des écrans. D’ailleurs j’aime bien prendre l’air, alors je me voyais très fermé et désorienté par moments, peut-être que j’avais un peu le vertige, mais psychologiquement non » (Mario, 21 ans, communication audiovisuelle, 4e année).

Ces analyses suggèrent que les TIC ont joué un rôle important dans la gestion du confinement avec l’amplification des usages du téléphone mobile et de l’ordinateur portable. Villa et al. (2020b) ont rapporté essentiellement leurs usages dans le domaine du divertissement, mais elles ont rempli plusieurs autres fonctions jugées comme nécessaires (maintenir des liens avec les réseaux familiaux et sociaux, visionnement de productions télévisuelles, jeux, achat en ligne, moments de convivialité, musique, quête d’informations). Le temps passé en ligne a significativement augmenté, mais chez la majorité des répondantson ne dénote pas un sentiment de dépendance marquée, mais plutôt une fatigue accrue liée à un usage excessif. Cette évaluation ne correspond pas à celle de Gómez-Galán et al. (2020) qui notent au contraire une assuétude élevée à ces technologies. Il se peut que ce décalage soit dû au recours à un questionnaire standardisé qui mesure des éléments plus objectifs alors que l’entrevue permet de mettre à jour des évaluations subjectives.

Nous cernerons à présent des dimensions qui n’ont pas été considérées dans les études menées dans le contexte espagnol et qui contribuent à expliciter les répercussions du confinement dans d’autres sphères de vie des étudiant.e.s espagnol.e.s.

Répercussions du confinement sur d’autres sphères de vie

Répercussions sur les configurations résidentielles

Avec l’instauration du confinement, plusieurs étudiant.e.s ont connu des modifications dans leurs modalités résidentielles. Avant le confinement, 5 étudiant.e.s (2 hommes et 3 femmes) habitaient dans des résidences situées dans des blocs appartements étudiants qu’ils.elles partageaient avec plusieurs colocataires. Trois demeuraient chez leurs parents à Salamanque et deux étudiants vivaient à l’étranger en échange universitaire (Paris et Montpellier). Une étudiante commutait entre un appartement et la localité familiale non loin de Salamanque et un étudiant résidait dans sa ville d’origine au moment de l’annonce du confinement. Avec l’arrivée du confinement, 8 (4 hommes et 4 femmes) se sont rendu.e.s dans leur province pour rejoindre leurs parents et leurs frères et sœurs. Ce changement de résidence a été apprécié par certain.e.s en termes d’accès à des espaces plus grands, comparativement à ceux qu’ils.elles avaient connus avant la pandémie. Un étudiant rapporte ainsi que la réintégration dans un environnement résidentiel plus spacieux que celui qu’il avait connu pendant son séjour à Paris dans le cadre d’un échange universitaire, a contribué à augmenter son sentiment de bien-être, et ce, malgré les empêchements liés au confinement :

« Avant le confinement, je vivais à Paris […] l’organisation était compliquée, les appartements à Paris sont comme ils sont […] j’avais une absence d’intimité et de vie privée. […] J’ai soudainement eu un espace libre, j’avais un terrain, une petite piscine, mon espace pour faire du sport, pour jouer avec mon chien […] donc à ce moment-là, toute restriction était minime par rapport à la libération que je pouvais ressentir » (Daniel, 22 ans, maîtrise en sciences politiques).

À l’inverse, pour l’étudiant en échange universitaire à Montpellier, l’accès à un plus grand espace n’a pas atténué son anxiété face à la situation pandémique :

« J’ai la chance d’être dans une grande maison avec un jardin, mais même ainsi, il y a l’anxiété face à ce qui se passe, à ce qui allait se passer » (Marcos, 24 ans, médecine, 6e année).

Le confinement a été l’occasion de se rapprocher de la famille et ce retour a aidé à minimiser le sentiment de solitude et à amplifier le bien-être, malgré les contraintes rattachées à cette situation.

Pour d’autres, la proximité constante de l’entourage familial a généré des tensions à cause du rétrécissement de la vie sociale et des contraintes sur les déplacements devenus impossibles :

« Mon problème c’est que je suis très famille et je suis très attachée à mes parents. L’expérience d’être étudiante à Salamanque était bonne, mais parfois, avant le confinement, je me sentais quelquefois seule, d’où l’envie de revenir à la maison pour être avec eux. C’était très dur pour moi, mais avec le confinement à la maison en leur compagnie, c’était très bien » (Susana, 25 ans, ergothérapie, 3e année).

« On était quatre à la maison, mes parents, mon grand frère et moi. La première semaine, c’était très bien [..]. Ils nous ont dit que […] le confinement n’était que deux semaines et ça s’est allongé. Vous avez des frictions à la maison, vous ne sortez jamais, vous êtes enfermé avec quatre personnes, vous ne parlez pas, vous ne voyez personne d’autre […] » (Marcos, 24 ans, médecine, 6e année).

« Parfois, le fait d’être tous les 4 dans le même espace était écrasant » (Marta, 22 ans, information et documentation, 4e année).

Comme c’est le cas pour des étudiant.e.s états-unien.ne.s (Son et al., 2020) et français.e.s (Barthou et al., 2021), le confinement espagnol a provoqué un changement de résidence avec une réintégration au domicile des parents, vécu de façon plutôt positive pour la majorité des répondant.e.s. Ils.elles ont en effet apprécié le retour à la vie de famille et le resserrement des liens familiaux, bien que certain.e.s rapportent l’apparition de tensions associées à la proximité interpersonnelle incontournable dans des espaces fermés.

Répercussions positives sur la qualité de vie psychologique

Les recherches espagnoles se sont attardées aux répercussions négatives sur la santé mentale, mais des étudiant.e.s rapportent une réduction notable des symptômes d’anxiété et de dépression, une amélioration de la concentration et de la motivation. Le confinement a contribué à créer des conditions propices à l’introspection, à des modifications dans le style de vie et à l’organisation de nouvelles activités de loisirs aidant à ré-établir un sentiment de bien-être et de calme :

« Avant le confinement, j’avais des épisodes très concrets d’anxiété […] un black-out émotionnel. [Je me demandais ce] que je veux vraiment faire, ce que je fais, ce que j’étudie, ma relation avec les gens […] il y a peut-être eu un épisode spécifique de dépression, mais il n’a jamais dépassé une semaine ou deux. [Depuis], je fais partie des personnes que je connais qui ont mieux supporté le confinement. J’avais généralement beaucoup de choses à faire, mentalement j’étais heureux pour ainsi dire. Je me suis un peu plus réalisé en tant que personne. J’ai fait des choses que je n’aurais souvent pas pu faire dans d’autres conditions : faire un régime, me fixer d’autres objectifs, regarder plus de films, apprendre l’anglais […] sans ce rythme de vie et sans ces restrictions, je n’aurais pas pu les réaliser. À certaines occasions, je me suis senti très triste et très impuissant de ne pas pouvoir faire certaines choses, mais je pense aussi que j’ai profité pour faire d’autres choses, ce qui, je pense, n’aurait pas été possible autrement » (Mario, 21 ans, communication audiovisuelle, 4e année).

« Avant le confinement, je vivais de l’anxiété, de la dépression, des idées suicidaires, des idées obsessionnelles peut-être […] je n’avais du temps pour rien, beaucoup d’anxiété à propos de tout, débordé par les études, la dépression, parfois j’étais très triste. J’avais des troubles du sommeil, des difficultés de concentration et un manque de motivation. Pendant le confinement, j’ai pu avoir du temps pour penser davantage à moi et être plus calme avec mes affaires, penser à moi, me déconnecter […] J’ai pris conscience de beaucoup de choses sur moi-même, ce qui a libéré mon esprit et j’ai senti se relâcher la pression sur moi-même et [réduire] mon degré de culpabilité. En ce sens […] ma qualité de vie psychologique s’est améliorée » (Daniel, 22 ans, maîtrise en sciences politiques).

« Avant le confinement, je n’avais du temps pour rien, beaucoup d’anxiété à propos de tout, débordé par les études, la dépression, parfois j’étais très triste. Pendant le confinement, j’ai pu avoir du temps pour penser davantage à moi et être plus calme avec mes affaires, penser à moi, me déconnecter » (Homme 4, médecine).

« Pendant le confinement, j’étais assez calme […] j’étais assez bien » (Javier, 25 ans, maîtrise en psychologie).

« [Le confinement] [j]e l’ai vécu calmement, sans me rebeller, ni me mettre en colère, rien de tout cela » (Inès, ergothérapie, 3e année).

« Je me suis plutôt bien débrouillée, comparativement à mes amis qui se plaignaient. J’étais tellement bien, j’étais à l’aise et comme j’avais des choses à faire en classe, je n’avais pas le temps de m’ennuyer » (Isabel, 21 ans, ergothérapie, 3e année).

L’adaptation au confinement s’est accompagnée de la réappropriation de la maîtrise du temps et de l’espace, d’une remise en ordre personnelle avec l’établissement de nouvelles routines de vie quotidiennes obéissant à des horaires structurés, alternant entre activités académiques et loisirs, avec une attention portée à la qualité de la nourriture et au sommeil, plus régulés comparativement à la période prépandémique :

« Avant le confinement j’avais des problèmes d’organisation [de mon espace], de désordre dans ma chambre. Avec le confinement, tout s’est modifié. […] Tout était très rangé, tout est beaucoup plus soigné, avec beaucoup plus d’intérêt pour maintenir un environnement agréable » (Maria, 22 ans, médecine, 5e année).

« Avant le confinement, je vivais dans un appartement estudiantin avec trois camarades de classe, nous étions un groupe très proche, mais nous étions plus susceptibles, nous nous plaignions beaucoup et nous étions facilement irritées. J’avais beaucoup plus d’activités que maintenant […] je n’étais pratiquement pas dans l’appartement. […] Je suivais l’horaire que je voulais pour manger et dormir […]. Pendant le confinement chez mes parents, j’ai pris des habitudes de sommeil et d’alimentation bien meilleures et j’avais toujours les mêmes habitudes : faire des choses en classe le matin et l’après-midi je faisais du sport » (Inès, ergothérapie, 3e année).

Les répondant.e.s ne mentionnent presque pas de problèmes de sommeil et une répondante relate avoir pris des habitudes de sommeil bien meilleures pendant le confinement.

Les entretiens suggèrent que l’expérience du confinement s’est accompagnée chez plusieurs de répercussions positives. Les nouvelles conditions de vie ont permis une réorganisation des routines du quotidien ainsi qu’un recentrage existentiel associé à une autoréflexivité et à l’exploration d’avenues, jusque là ignorées, de développement personnel. Ces perspectives rejoignent celles rapportées dans des études européennes (Capone et al., 2020 ; Lischer et al., 2021 ; Barthou et al., 2020) et états-uniennes (Brammer, 2020) à l’effet que le confinement a constitué un moment de ressourcement significatif.

Répercussions sur l’alimentation

Presque tou.te.s les étudiant.e.s déclarent avoir amélioré leurs habitudes alimentaires en suivant un régime, en développant des pratiques culinaires plus variées et en faisant attention à leur consommation en nourriture ou en bénéficiant des savoir-faire gastronomiques maternels :

« [Avant l’enfermement, c’était un peu désastreux. Je ne savais pas non plus cuisiner. Je mangeais les mêmes pâtes presque tous les jours et pour le dîner une omelette avec quelque chose, bref une catastrophe. J’ai commencé un régime, donc maintenant je cuisine beaucoup plus et beaucoup plus varié et je sais faire plus de choses » (Susana, 25 ans, ergothérapie, 3e année).

« Avant le confinement, je mangeais beaucoup plus mal. Pendant le confinement chez mes parents, nous avons tous cuisiné, et je mangeais beaucoup mieux que lorsque j’étais à Salamanque. Ma mère cuisine normalement et le fait très bien » (Inès, ergothérapie, 3e année).

« Comme j’avais commencé à prendre soin de moi aussi avec l’exercice, j’ai fait plus attention à la nourriture, à manger beaucoup plus sainement pendant le confinement pour être bien » (José, 23 ans, psychologie, 3e année).

D’autres rapportent une augmentation de leur consommation alimentaire liée à l’anxiété, mais aussi à l’excès provoqué par le régime alimentaire maternel plus contraignant :

« [Pour moi la nourriture a beaucoup changé, la vérité est que maintenant je mangeais beaucoup pendant le confinement […] j’étais très nerveuse » (Maria, 22 ans, médecine, 5e année).

« Chez tes parents, tu manges toujours plus, parce que par exemple ma mère aime beaucoup faire la cuisine et ensuite elle commence à faire des sucreries » (Clara, 21 ans, ergothérapie, 3e année).

Les étudiant.e.s font état, pour la majorité, d’une amélioration de leurs habitudes alimentaires, liée au retour à la résidence et à la cuisine familiale qui ont favorisé une plus grande attention aux aliments consommés et à leur préparation. Pour certaines, au contraire, des écarts alimentaires sont survenus à cause d’une nourriture maternelle trop riche ou pour gérer la situation anxiogène du confinement. D’après ces constatations, il ne semble pas que l’apport alimentaire se soit détérioré parmi la plupart de ces étudiant.e.s, contrairement aux études canadienne (Bertrand et al., 2021), américaine (Son et al., 2020) et dans le contexte universitaire espagnol avant le confinement (Ruiz Moreno et al., 2014).

Répercussions financières

Les répercussions financières du confinement chez les répondant.e.s ne semblent pas avoir été problématiques puisqu’ils.elles sont aidé.e.s par leurs parents qui ont assuré les dépenses quotidiennes en termes de logement, de nourriture et de la connexion Internet, d’où des économies amplifiées par l’annulation des sorties et des frais d’essence ou de déplacement. De ce fait, l’impact du confinement a été jugé positif, car il leur a permis d’augmenter leur épargne :

« Pendant le confinement, mes finances se sont améliorées, car je vivais chez mes parents. [Les dépenses] étaient pour l’essence de la voiture, pour les sorties, etc. » (Daniel, 22 ans, maîtrise en sciences politiques).

« Je sors moins, je dépense moins ! ! » (Inès, 22 ans, ergothérapie, 3e année).

Cette situation financière favorable est à l’opposé de plusieurs études internationales qui rapportent la présence de problèmes économiques liés au confinement (Son et al., 2020 ; Black et al., 2020 ; Wang et al., 2020). Ces données rejoignent celles présentées par l’Observatoire de la qualité et de la performance académique (Muñoz de Bustillo, 2015) dans son évaluation de l’Université de Salamanque : 88,16 % du budget mensuel des dépenses des étudiants provient de la famille, 25,75 % des bourses et subventions, 11,12 % du travail personnel et 3,06 % d’autres personnes (p. 107). Cette structure financière a donc permis d’atténuer le choc économique du confinement chez ces étudiant.e.s.

Stratégies de gestion (coping)

Les étudiant.e.s font appel à plusieurs stratégies pour s’adapter de manière optimale aux conditions du confinement. Nous avons déjà fait mention de l’adoption de nouvelles routines de vie, de l’adoption de bonnes pratiques alimentaires et d’exercices ainsi que le recours aux TIC, à ses différents outils et à ses divertissements. Ils.elles utilisent aussi des approches d’évitement en s’abstenant de s’informer ou en sélectionnant soigneusement les nouvelles sur la COVID-19 :

« J’ai essayé de m’informer le moins possible [sur la COVID-19], et seulement ce qui était nécessaire au plan juridique, parce que ce que je savais déjà, sans faire une recherche active d’informations, me suffisait, c’est-à-dire que je finissais par trouver ce qui était important » (José, 23 ans, psychologie, 3e année).

« La vérité, c’est que lorsque les informations sur la COVID passent au journal télévisé à l’heure du déjeuner, je ne les regarde pas » (Isabel, 21 ans, ergothérapie, 3e année)

Une autre approche consiste à accepter les émotions du moment présent et faire face à la situation comme une forme d’épreuve à surmonter et démontrer ainsi sa résilience :

« [les difficultés] il faut les supporter et les surmonter. Je n’avais pas d’autre choix. […] Tu ne pouvais pas aller boire un verre quand tu finissais la journée […] c’est une chose que tu dois affronter, être triste pendant un moment et c’est tout » (Maria, 22 ans, médecine, 5e année).

« C’est arrivé, donc c’est quelque chose [contre laquelle] je ne peux rien faire et si je le conçois de manière négative, eh bien c’est une saloperie. C’est un moment où les yeux s’ouvrent, de prise de conscience de beaucoup de choses et de mise à l’épreuve, d’une manière à laquelle nous n’aurions jamais pensé. [On peut] se prouver à soi-même que, pour le meilleur ou pour le pire, nous nous adaptons à tout. […] On cherche le meilleur moyen d’être le mieux possible [c’est] presque un esprit de survie » (Daniel, 22 ans, maîtrise en sciences politiques).

Le soutien social de la famille proche et élargie et des amis, soit directement ou à travers les outils des TIC, est aussi rapporté comme stratégie efficace pour atténuer le stress de la situation, renforcer et améliorer les liens par des échanges ou des activités communes avec le voisinage :

« Je pense que sans le soutien de ma famille et de mes amis, j’aurais eu beaucoup de mal. Mon frère et moi nous nous sommes entraînés ensemble, et mon père aussi. Avec ma mère j’ai pu parler beaucoup plus et mes amis et moi avons toujours veillé les uns sur les autres. À la fin nous nous sommes même amusés » (Marcos, 24 ans, médecine, 6e année).

« Ce qui m’a le plus aidé à surmonter ma quarantaine, ce sont mes relations avec mes amis et ma famille. J’ai des liens plus étroits avec mes amis, plus intimes, et je m’entends mieux avec mes parents et mes frères et sœurs » (Luis, 25 ans, médecine, 6e année). 

« Pendant la quarantaine, mes cousins et moi nous sommes égayés en faisant de la musique sur le balcon pour tous les voisins […] les autres membres de ma famille et mes amis. La quarantaine était même amusante » (José, 23 ans, psychologie, 3e année).

Les TIC sont ainsi mises à contribution pour le support psychologique en permettant le maintien des échanges avec la famille, mais surtout avec l’entourage amical et universitaire en rapprochant les individus à travers des conversations et des activités en ligne :

« Le soutien de ma famille et de mes amis, même s’il est télématique [m’a aidé] » (Maria, 22 ans, médecine, 5e année).

« Les nouvelles technologies m’ont apporté une facilité de connexion, la possibilité de rester en contact avec mes amis, de faire des activités avec eux. Je les apprécie positivement et elles m’ont aidé à passer le cap du confinement » (Javier, 25 ans, maîtrise en psychologie).

« D’être coincé à la maison […] ça a aussi généré une sorte de fraternité entre moi et mes camarades de classe, ce qui pour moi avait une importance. Je n’avais aucune relation avec eux [jusque-là] et à partir de ce moment-là c’était le prétexte pour écrire ou réaliser des appels vidéo avec certaines personnes » (José, 23 ans, psychologie, 3e année).

Un seul étudiant a fait mention d’une aide psychothérapeutique contribuant à rendre tolérable l’expérience du confinement :

« Ce qui m’a le plus aidé à faire face à l’enfermement, c’est de pouvoir bénéficier de séances de psychothérapie où je peux gérer mon anxiété et améliorer ma résilience » (Luis, 25 ans, médecine, 6e année).

Même si deux répondant.e.s se disent croyant.e.s catholiques, le support de type religieux ou spirituel n’a trouvé aucun écho chez elles. Quant au soutien universitaire dans les conditions de confinement, les avis sont partagés. Pour certain.e.s, la gestion de l’université pendant cette période a été critiquée pour avoir été insuffisante au plan institutionnel et pour ne pas avoir proposé de soutien psychologique ou financier aux étudiant.e.s.

« Il n’y a pas eu de prévoyance, zéro soutien psychologique pendant l’enfermement et aucun soutien financier non plus » (Maria, 22 ans, médecine, 5e année).

D’autres soulignent les efforts de l’université pour s’adapter à la situation du confinement et offrir des services, malgré les difficultés à les mettre en place :

« À mon avis et au vu des circonstances, je pense que USAL a fait du mieux qu’elle pouvait et que je lui donnerais un 7 pour ses efforts » (José, 23 ans, psychologie, 3e année).

« Pendant le confinement, l’USAL a mis en place […] une ligne d’assistance psychologique. Je pense qu’ils méritent un 7 pour leur gestion, car ils se sont généralement bien organisés et rapidement et bien qu’il y ait eu quelques problèmes avec les services en ligne, lorsque nous nous sommes plaints, ils nous ont écoutés » (Luis, 25 ans, médecine, 6e année).

Une étudiante précise que l’absence de soutien psychologique ou financier n’a pas été problématique, tandis qu’une autre note que son expérience avec le service psychologique n’a pas été concluante : « Une fois, j’ai consulté le service psychologique de l’USAL. Il ne s’est pas adapté à ma situation et ne m’a pas aidé » (Marta, 22 ans, information et documentation, 4e année).

Ces stratégies de gestion (coping) pour faire face au confinement rejoignent en grande partie ce que d’autres études internationales (Son et al., 2020 ; Black et al., 2020, Wang et al., 2020 ; Prasath et al., 2020) ont rapporté, en particulier l’importance du soutien direct, familial et de l’entourage, ou généré par l’intermédiaire des TIC.

Conclusion

Cette étude exploratoire qualitative auprès d’étudiant.e.s de l’Université de Salamanque contribue, d’une part, à enrichir les données de recherches réalisées en Espagne sur les répercussions du confinement sur leur qualité de vie dans différentes sphères de vie (détérioration de la santé mentale, activités physiques, consommation de drogues et d’alcool, activités académiques, usages des technologies d’information et de communication) et d’explorer d’autres dimensions jusque-là négligées ou peu couvertes (changement résidentiel, amélioration de la santé mentale, alimentation, finances, stratégies de gestion [coping]). Malgré les limites de notre recherche qui ne porte que sur un petit groupe d’étuidants, empêchant toute généralisation, les entretiens ont permis de mettre en évidence la diversité des adaptations des étudiant.e.s aux contraintes du confinement Cette situation n’a pas seulement générée des répercussions négatives. Elle a aussi aidé à explorer les différentes facettes de cette expérience et à développer de nouvelles routines dont certaines ont contribué à une meilleure qualité de vie . Le confinement a favorisé de nouvelles perspectives existentielles à la suite d’une réflexion dans le champ individuel et relationnel et à révélé la diversité des répertoires sociopsychologiques et des stratégies de résilience pour répondre à une situation exceptionnelle. Cette recherche exploratoire demanderait à être élargie en augmentant le nombre de participant.e.s afin de s’assurer de bien dégager le registre des expériences du confinement en tenant compte plus précisément des conditions socioéconomiques, du genre et des filières d’études qui ont pu moduler les adaptations à cette situation. Enfin, l’analyse des processus de déconfinement permettrait de mettre en relief et évaluer les répercussions à long terme de la pandémie sur la qualité de vie des étudiant.e.s espagnol.e.s.