Résumés
Résumé
Cadre de la recherche : Cet article est basé sur une recherche de doctorat en sociologie portant sur les prescriptions et les usages de contraception orale, dans un contexte marqué par « la crise de la pilule ». Il interroge les modalités de délivrance et d’achat de contraception orale, en particulier en cas d’ordonnances défaillantes.
Objectifs : En se centrant sur le moment particulier du « travail contraceptif » qu’est l’achat de contraception orale, l’objectif est de mettre au jour les stratégies développées par les usagères pour accéder à leur contraception orale, face aux logiques non médicales parfois discriminantes du personnel de pharmacie.
Méthodologie : Cet article s’appuie sur des matériaux de terrain de type qualitatif recueillis entre janvier 2014 et août 2018. D’une part, soixante-seize entretiens ont été menés auprès de dix-sept usagères de pilules, de leurs mères et de trente-cinq professionnel·le·s de santé habilité·e·s à prescrire ou délivrer une contraception. D’autre part, près de cent consultations médicales et gynécologiques ont été observées en structures médicales publiques et privées.
Résultats : La fonction de l’ordonnance varie selon la génération des pilules : garantissant le remboursement de celles de deuxième génération et opérant davantage comme un outil de contrôle médical pour les pilules de troisième et quatrième générations. Pourtant, en cas de défaillance d’ordonnance (dépassée ou absente), ces dernières pilules semblent plus accessibles que les premières. En outre, la variable à cet accès relève moins de logique médicale que du degré de familiarité entre l’usagère et le personnel de pharmacie, qui recourt à l’âgisme au détriment des plus jeunes. Par conséquent, les usagères mobilisent leurs mères pour contourner l’autorité (para)médicale.
Conclusions : Le « travail contraceptif » inhérent à un usage de contraception orale nécessite un contrôle de soi et des compétences qui vont bien au-delà de l’ingestion quotidienne de pilules. Parallèlement, les logiques non médicales opèrent comme outils de contrôle social d’accès à la contraception.
Contribution : Le moment particulier du « travail contraceptif » qu’est l’achat de la pilule est peu étudié. Cet article envisage l’ordonnance de pilules comme un outil facultatif.
Mots-clés :
- contraception,
- générations,
- genre,
- médicalisation,
- mère,
- professionnel·le·s de santé,
- santé procréative/reproductive
Abstract
Research Framework: This article is based on a doctorate research project in sociology studying the prescriptions and uses of oral contraception in a “pill scare” context. It questions how oral contraception is dispensed and purchased, particularly in faulty prescription cases.
Objectives: By focusing on the specific step of the purchase of oral contraception, this paper intends to reveal the strategies developed by users to access oral contraception in the context of sometimes-discriminatory, non-medical logic of pharmacy staff.
Methodology: This article is based upon qualitative fieldwork data collected throughout January 2014 to August 2018. On the one hand, seventy-six interviews were conducted with seventeen contraceptive pill users, their mothers, as well as thirty-five healthcare professionals authorized to prescribe or dispense contraception. On the other hand, nearly one hundred medical and gynaecological consultations were observed in both public and private medical facilities.
Results: The prescription’s function varies according to the pills’ generation: guaranteeing the refund of second-generation pills and acting more as a medical monitoring device for third- and fourth-generation pills. However, if there is an issue with the prescription (whether it is missing or expired), the latter seems more accessible than the former. Moreover, the variable in terms of accessibility is not as much a matter of medical logic than one of familiarity between the user and the pharmacy staff, in which case they use ageism to the disadvantage of the youngest. Consequently, users mobilize their mothers to bypass (para)medical authority.
Conclusion: The contraceptive use requires self-control and skills that go far beyond daily pill ingestion. At the same time, non-medical logics operate as devices of social control in regards to contraception accessibility.
Contribution: The purchase of oral contraception, a specific step in the ‘‘contraceptive work’’, remains under-researched. Thus, this article questions the prescription of pills as a dispensable tool.
Keywords:
- contraception,
- generations,
- gender,
- medicalization,
- mother,
- healthcare workers,
- reproductive health
Parties annexes
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