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Introduction

Depuis plusieurs décennies, la question des origines apparaît ou resurgit dans les débats sociaux et politiques, au fur et à mesure que se diversifient les manières de procréer et de vivre en famille. Elle apparaît soumise à de multiples interprétations, récits et pratiques. Pour les personnes abandonnées ou adoptées comme pour celles qui ont été conçues grâce à l’apport d’autrui, qu’il s’agisse d’un donneur ou d’une donneuse de gamètes ou d’une femme porteuse, les « origines personnelles » entraînent parfois de longues quêtes identitaires. Elles peuvent aussi demeurer secrètes, déniées ou considérées sans importance. Elles s’incarnent enfin dans différents récits destinés aux enfants des familles adoptives, constituées par le recours au don ou à la gestation pour autrui (GPA).

Quels qu’en soient les usages, la notion d’origines traverse en filigrane les itinéraires personnels et familiaux, ouvrant une perspective renouvelée sur nos conceptions de la parenté et de l’identité, ainsi qu’une entrée particulièrement heuristique pour l’analyse des configurations familiales actuelle s. Le rapport aux origines est au cœur des évolutions récentes et des nouvelles pratiques de l’adoption nationale ou internationale. Dans les familles conçues grâce à l’apport d’une tierce partie, il conduit à interroger la place des personnes ayant donné leurs gamètes ou celle de la femme ayant porté un enfant pour autrui. Il retentit parallèlement sur la construction du couple parental et de l’univers familial des enfants adoptés ou issus de la procréation assistée.

Familles adoptives, familles constituées grâce au recours au don de gamètes ou à la GPA, ces configurations ont en commun de multiplier les personnes impliquées dans l’engendrement ou l’éducation d’un enfant, inaugurant ainsi une pluralité relationnelle inédite (Fine, 2001 ; Martial, 2019). Pères et mères (charnels, d’adoption, d’intention), parents « de naissance », génitrice ou géniteur, donneur ou donneuse, femme/mère porteuse ou gestatrice sont ainsi distingués, opposés ou confondus, dans le langage ordinaire comme chez les spécialistes, pour tenter de décrire des liens familiaux de plus en plus complexes (Brunet et al., 2013). La notion de « pluriparentalité » permet ainsi d’explorer les multiples dimensions des relations entre les personnes : la part biogénétique, la part volontaire et élective, l’expérience affective, nourricière et « pratique » de la parenté, ainsi que la part symbolique et juridique de la parenté (Martial, 2003 ; Weber, 2013).

Les relations liées à l’origine apparaissent alors comme des liens tout à fait singuliers. Résultant d’un événement procréatif, elles sont fondées sur la « nature », considérée comme la plus puissante des métaphores de la parenté dans nos sociétés (Schneider, 1968). Or, elles ne s’adossent la plupart du temps à aucune expérience affective ou quotidienne de la parenté et ne font l’objet, en cas d’identification, d’aucune traduction légale en matière de filiation ou de droits à des relations personnelles. Elles sont enfin virtuelles, potentiellement, mais pas nécessairement mobilisables pour définir les identités, puisque la quête des origines n’est entreprise ou revendiquée que par une partie des personnes concernées. Qui plus est, les récits d’origine adressés aux enfants conçus par don de gamètes ou par GPA prennent des formes très diverses.

Aux côtés de la filiation, lien juridique incluant l’enfant dans un groupe de parenté, et de la parentalité, en tant que manière d’agir et de prendre soin de l’enfant, la notion d’origine nous invite donc à questionner l’existence de relations potentiellement additionnables à la parenté d’un enfant par le fait qu’une ou des personne(s) autres que ses père(s) et mère(s) ont pris part à sa procréation (Martial, 2019). Comment les institutions appréhendent-elles ces relations? De quel traitement sont-elles l’objet dans les pratiques sociales et médicales? De quelle manière sont-elles perçues par les personnes adoptées, nées de don ou du recours à la GPA, et à quels discours, récits et pratiques donnent-elle lieu dans les familles concernées?

Pour apporter des éléments de réponse à ces questions, ce numéro réunit différents apports disciplinaires en anthropologie, sociologie, travail social, psychologie et droit. Il propose diverses approches méthodologiques : l’analyse des dispositifs juridiques ; l’étude des pratiques institutionnelles - administratives, sociales ou médicales - et des « supports » (dossiers administratifs, interactions sur les réseaux socionumériques, tests génétiques) de la connaissance des origines ; l’exploration, dans les familles, des représentations, des significations et du vécu de la notion d’origines. La comparaison privilégie le Québec et la France, deux pays où cette question s’avère particulièrement actuelle du fait des changements législatifs récents ou en cours, mais l’étude d’autres contextes culturels, juridiques ou nationaux permet de nourrir une approche comparative plus ample.

Vers un accès croissant à la connaissance des origines : de l’assouplissement du secret institutionnel aux quêtes numériques

Durant les dernières décennies du XXe siècle, la question de l’accès à la connaissance des origines personnelles, portée par différents mouvements militants, est entrée dans les débats sociaux et politiques de nombreux pays d’Europe et d’Amérique du Nord, dans le champ de l’adoption puis, vingt ans plus tard, dans celui de la procréation assistée avec tiers donneur. Depuis le début des années 2000, différentes évolutions traduisent une valorisation et une reconnaissance croissante de l’accès des personnes adoptées ou nées du recours au don à leurs origines personnelles.

Les modes de régulation du rapport aux origines dans les situations adoptives 

L’adoption a été analysée par l’anthropologie comme un révélateur du principe d’exclusivité de la filiation dans les sociétés occidentales contemporaines (Fine, 1998; Ouellette, 2000; Fonseca, 2011). Le modèle d’adoption plénière qui s’est imposé en Amérique du Nord puis en Europe durant le XXe siècle, remplace en effet les liens d’origines de l’enfant par sa parenté adoptive, cette substitution s’accompagnant de la confidentialité des dossiers d’adoption ou du secret de l’identité des « parents de naissance » (Modell, 1994; Fine, 2000). En ce début du XXIe siècle, en Europe, une telle occultation semble cependant de plus en plus rare. L’Allemagne et la Suisse considèrent en effet l’accès aux origines comme garanti par la constitution. En Grande-Bretagne, la loi permet depuis 1975 à toute personne adoptée d’obtenir, à sa majorité, une copie de l’acte mentionnant les noms de ses parents de naissance. En Belgique, cet acte de naissance originel est simplement modifié par une mention marginale signalant l’adoption, tandis que la loi prévoit, depuis 2003, que les autorités compétentes conservent et assurent l’accès de l’enfant aux informations relatives à ses origines. Depuis 1999, l’Espagne considère comme inconstitutionnel l’article 47 de la loi sur l’état civil qui permettait l’accouchement anonyme. L’anonymat de l’accouchement existe toujours, en revanche, en Italie, au Luxembourg ainsi qu’en France (Mignot, 2015a), où l’existence de « l’accouchement sous X » a suscité de vifs débats durant les années 1990 .

À la fin du XXe siècle, différents mouvements concourent, en effet, à remettre en question cette législation : les revendications des personnes abandonnées ou adoptées ainsi que des parents de naissance souhaitant faire connaître leur identité [1]  ; la diffusion des savoirs psychologiques et psychanalytiques qui soulignent l’importance du rapport aux origines dans la construction identitaire et le bien-être psychique des individus ; l’affirmation du droit aux origines personnelles par différentes conventions supranationales [2] .  Concernant l’accouchement sous X, d’intenses discussions opposent en France le droit des enfants à connaître leurs origines personnelles au droit des femmes à décider librement de leur maternité, conduisant finalement à la création du Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP). Il s’agit là d’un compromis visant à organiser l’accueil des femmes accouchant dans le secret et le recueil éventuel d’informations à destination de l’enfant, ainsi que le suivi des demandes d’accès aux origines personnelles, qui demeurent soumises au consentement des « mères de naissance ». Dans leur contribution, les juristes Laurence Brunet et Michelle Giroux en détaillent les modalités et le fonctionnement (voir aussi Ensellem, 2004; Lefaucheur, 2001 et 2006; Le Boursicot, 2008), tout en comparant ces dispositions à celles du Québec. Bien que l’accouchement anonyme n’existe pas dans le système québécois, on y observe également la recherche d’un équilibre entre les droits des personnes adoptées et ceux des parents de naissance, dans un contexte où le caractère confidentiel des dossiers confiés à l’adoption n’a été levé qu’en 2017 par la loi 113. Celle-ci permet l’accès aux données nominatives des parents de naissance, à condition que ces derniers y consentent.

En France comme au Québec, peu de recherches en sciences sociales ont pour l’heure éclairé les incidences de ces changements juridiques sur les pratiques institutionnelles et les expériences personnelles du rapport aux origines. Sébastien Roux a analysé les discours des professionnels de l’adoption concernant les « mères de naissance » (2015) et la manière dont l’origine des enfants fait l’objet de catégorises racialisées (2017a). Agnès Martial (2020) a décrit, à partir des dossiers d’enfants abandonnés et pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance, des pratiques institutionnelles inédites de conservation, de fabrication et de circulation des traces d’une histoire pré-adoptive, témoignant à la fois de la valeur attribuée aux origines de l’enfant et des discontinuités apposées aux récits et relations qu’elles pourraient faire exister.

L’essor très important de l’adoption internationale à partir des années 1980 a par ailleurs redéfini l’ampleur et les contours de la question des origines dans le champ de l’adoption. Formulée selon les conventions juridiques euroaméricaines, l’adoption internationale relie généalogiquement l’enfant à ses parents adoptifs suite à la rupture complète des relations liés à sa naissance (Howell, 2006). Le droit aux origines est cependant affirmé par la Convention de La Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale [3] . Le droit de l’enfant à l’identité y apparaît comme fondamental pour son bien-être et inséparable de l’accès à des informations relatives à ses parents de naissance, ses origines culturelles, religieuses, ethniques, et de son origine nationale (Yngvesson, 2010). L’entretien du rapport aux origines est parallèlement devenu une dimension constitutive de la « bonne » parentalité adoptive à travers le recueil et la préservation d’informations à l’attention de l’enfant, la familiarisation de ce dernier à sa « culture » d’origine et l’organisation de voyages de retour au pays de naissance (Howell, 2006).

Ce qui singularise la question des origines en adoption internationale est le rôle des États, dans un contexte géopolitique où la circulation des enfants s’avère soumise aux aléas des crises intérieures et des conflits armés comme aux équilibres diplomatiques (Marre et Briggs, 2009; Denéchère, 2011). Ces équilibres ont été modifiés par la chute du nombre des adoptions internationales liée à différentes évolutions « structurelles, démographiques et économiques » dans les pays donneurs (Mignot, 2015b : 3), ainsi qu’au principe du maintien préférentiel de l’enfant dans son pays de naissance instauré par la Convention de La Haye [4] . Dans ce nouveau contexte, les pays d’origine formulent des exigences croissantes quant au profil des candidats étrangers à l’adoption et organisent la persistance de diverses formes de liens aux enfants qu’ils donnent en adoption, sous forme de rapports dont l’envoi régulier garantit l’accès à d’autres adoptions futures, ou par l’accès de l’enfant à la citoyenneté de son pays de naissance (Ouellette et Saint Pierre, 2011). Certains pays, dont la Corée du Sud est sans doute l’exemple le plus emblématique, ont développé une politique d’accueil et de réintégration symbolique de leurs adoptés, considérés comme les représentants de leur nation d’origine dans un contexte globalisé (Prébin, 2006). Parce qu’elle transcende à la fois les frontières du « sang » de la parenté et de la nation, l’adoption transnationale produit ainsi des formes d’appartenance plurielles, suscitant diverses circulations - d’informations, de personnes, de biens et de services - vers et depuis les pays d’origine et d’accueil dans un contexte mondialisé (Kim, 2007).

La contribution de Simonella Tanguy éclaire ainsi la ratification récente par le Bénin de la Convention de La Haye et son inscription dans la liste actuelle des « pays d’origine ». L’adoption, entrée dans le droit béninois en 2004, s’articule de diverses manières aux pratiques locales de circulation d’enfants dans la parenté. Elle peut ainsi être entreprise par des binationaux résidants hors du Bénin, via l’adoption de l’enfant du conjoint, du neveu ou de la nièce, dans une logique de solidarité communautaire qui n’induit pas la rupture des liens de l’enfant à sa parenté de naissance. Toutefois, la ratification de la Convention de La Haye importe par ailleurs une nouvelle définition de l’enfant adoptable, « abandonné ou orphelin », qui entre en décalage avec les conceptions béninoises dérivées des pratiques traditionnelles de fosterage , où l’enfant confié ne quitte jamais vraiment sa famille d’origine. Ce modèle d’adoption pose en outre la question du recueil et de la conservation, par les États, des informations relatives aux conditions de la naissance des enfants (Roux, 2017b). Cette contribution interroge enfin la condition de « pays d’origine », dans un contexte où la circulation internationale des enfants relie fréquemment les pays donneurs à d’anciennes puissances coloniales. L’adoption est alors parfois dénoncée comme l’incarnation d’un nouvel impérialisme, surtout lorsque s’exprime la crainte que les enfants grandissent au sein de familles homoparentales ; le rejet de ces potentielles familles adoptives, jugées non conformes aux normes sociales et valeurs culturelles béninoises, traduit l’idée d’une continuité d’appartenance des enfants à leur pays de naissance.

La procréation assistée : l’évolution des lois concernant les origines personnelles

Dans le champ de la procréation assistée, une évolution assez comparable tend à substituer progressivement au principe de l’anonymat du don de gamètes différents systèmes permettant aux personnes conçues par don de connaître, à l’âge adulte, l’identité des personnes ayant contribué à leur conception ou à leur venue au monde. Cette évolution s’appuie à la fois sur les revendications des collectifs de personnes conçues par don [5] , sur l’émergence d’un nouvel impératif éthique de « transparence » concernant les données génétiques relatives à l’histoire des enfants (Nordvisqt, 2014), ou encore sur l’abandon progressif du modèle du « Ni vu ni connu » qui associe l’anonymat au secret des familles concernant le recours au don (Théry, 2010). Ce modèle s’avère en outre inadéquat dans les familles homoparentales, où la question du don relève de l’évidence et fait inévitablement l’objet de différents récits (Côté et Lavoie, 2020).

La Suède (1984), la Suisse (1998), l’Autriche (1992), l’Islande (double guichet depuis 1996) l’État de Victoria en Australie (1995), la Norvège (2003), les Pays-Bas (double guichet en 2002 puis levée de l’anonymat en 2004), la Nouvelle-Zélande (2004), le Royaume-Uni (2005), la Finlande (double guichet puis levée de l’anonymat en 2006), la Belgique (double guichet depuis 2007) ont ainsi, tour à tour, changé leurs législations visant à abandonner ou limiter l’anonymat (Théry et Leroyer, 2014). L’Espagne et l’Italie maintiennent actuellement l’anonymat des dons, tandis qu’en France, le projet de loi de bioéthique adopté le 31 juillet 2020 par l’Assemblée nationale vise à élargir l’accès à la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes et aux femmes célibataires et lève l’anonymat des dons de gamète. Le processus législatif, toujours en cours actuellement, devrait permettre aux personnes conçues par don d’accéder, à leur majorité et si elles le souhaitent, à des données non identifiantes ou à l’identité du donneur. Dans l’état actuel des discussions, tout nouveau donneur devra désormais consentir à la communication de ces données avant de procéder au don. Les personnes nées avant la loi pourront également en formuler la demande : sur un modèle proche de celui du CNAOP dans le domaine de l’adoption, le donneur recontacté pourra alors accepter ou non de dévoiler des données non identifiantes ou de révéler son identité.

Au Canada, plusieurs options existent pour les couples ou les personnes célibataires ayant recours au don de gamètes pour réaliser leur projet parental. Il est ainsi possible de recourir à un donneur ou une donneuse anonyme ou à identité ouverte, soit une personne qui accepte que des données identifiantes la concernant soient éventuellement divulguées. Il est également possible d’avoir l’aide d’un donneur ou d’une donneuse évoluant dans l’entourage du couple ou de la personne bénéficiaire du don. Or, si ces différentes modalités coexistent en contexte canadien, elles ne font pas l’objet d’une régulation nationale ; la contestation de la loi fédérale de 2004 faisant en sorte qu’il est du ressort des provinces de légiférer sur la question, ce qu’aucune d’entre elles n’a fait jusqu’à maintenant (Gruben et Cameron, 2017 ; Kelly, 2017). Les différentes options disponibles sont ainsi laissées au choix des personnes qui ont recours au don de gamètes pour réaliser leur projet parental (Czarnowski, 2020 ; Gruben et Cameron, 2017). Au Québec, le Comité consultatif sur le droit de la famille (2015) a néanmoins recommandé la levée de l’anonymat des donneurs et des donneuses de gamètes, considérant le droit de connaître ses origines comme étant dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

Plusieurs législations à l’échelle mondiale se sont penchées sur la question de la régulation de la GPA en formulant des réponses variées, de l’interdiction formelle à l’encadrement réglementaire, en passant par la reconnaissance de l’accord contractuel, voire le laissez-faire (Pennings et al., 2016). Différentes formes de régulation peuvent cohabiter sur le même territoire. Certains pays comme la France, l’Allemagne et l’Espagne interdisent tous les types de GPA (Brunet et al., 2013). Or, comme l’exemplifie l’anthropologue Jérôme Courduriès (2018) à partir du cas français, la prohibition de la GPA n’est pas sans conséquence pour les parents et leurs enfants, considérant l’impossibilité d’établir la filiation avec le parent non biologique lors de la transcription des actes de naissance délivrés à l’international.

En contexte canadien, la pratique de GPA se situe au carrefour de compétences partagées entre le fédéral et le provincial, provoquant un « kaléidoscope de phénomènes juridiques » (Saris, 2016). Tout comme en France, une femme qui accouche au Québec est reconnue comme la mère de l’enfant. Le constat de naissance est ainsi combiné à la déclaration de naissance. La seconde doit être envoyée directement au Directeur de l’état civil au plus tard 30 jours après la naissance de l’enfant pour l’inscrire dans le registre. Cette inscription est nécessaire pour établir l’identité de l’enfant, ainsi que sa filiation. Bien que la GPA soit considérée comme une pratique de procréation assistée, ce sont pourtant les règles de filiation dites « par le sang » qui s’appliquent à la naissance (et non celles prévues par le régime de filiation par procréation assistée), et ce, peu importe, si la femme qui accouche de l’enfant en est la génitrice ou non (Malacket, 2015).

En pratique, lorsqu’un enfant naît d’une GPA au Québec, il a initialement comme parents la femme porteuse et l’homme à l’origine de sa conception. Contrairement à l’état actuel du droit familial en Ontario et en Colombie-Britannique[6], les membres du couple d’intention ne peuvent pas être reconnus tous les deux comme ses parents légaux dès la naissance. Ils n’auront d’ailleurs aucun recours juridique si la femme porteuse change d’avis et décide de conserver sa filiation maternelle. De même, cette dernière ne pourra pas forcer un parent d’intention n’ayant pas un lien génétique à adopter l’enfant et à s’en occuper si l’entente est dissoute en cours de grossesse ou à la naissance du bébé. Pour régulariser la situation, c’est-à-dire pour que la filiation de l’enfant soit établie avec l’autre parent d’intention (mère ou père), le recours à l’adoption par consentement spécial[7] est la voie utilisée. La femme ayant donné naissance doit d’abord se départir de ses droits et responsabilités parentales en tant que mère légale et consentir à l’adoption de l’enfant. Elle dispose d’un délai de 30 jours pour retirer son consentement. Une demande d’ordonnance de placement peut ensuite être déposée, permettant au parent non statutaire de se prévaloir d’un congé d’adoption. Lorsque les conditions sont remplies et qu’aucune demande de restitution de l’enfant n’a été émise, le tribunal prononce une ordonnance de placement valable jusqu’à la fin du processus d’adoption pouvant durer entre trois à six mois. Cette ordonnance accorde à la conjointe ou au conjoint du père l’exercice de l’autorité parentale à l’égard de l’enfant. Après ce délai, un jugement d’adoption peut être rendu. Le tribunal doit alors trancher en fonction des lois existantes sur la filiation et de la jurisprudence en la matière.

Quêtes des origines et technologies numériques

Le rapport aux origines se déploie désormais bien au-delà des mécanismes institutionnels autorisant ou non l’accès aux informations, grâce au recours croissant aux réseaux socionumériques. Ceux-ci permettent de relier et de constituer des groupes partageant une même origine, en plus de favoriser l’émergence d’une expérience commune de l’adoption ou de la conception par don. En France, comme ailleurs, l’observation des forums et des pages de personnes nées sous X, adoptées [8] , ou conçues par don révèlent l’importance de ces échanges numériques (Black et al. , 2016). S’ils permettent de partager vécus et ressentis en s’identifiant à un groupe d’appartenance, ils sont aussi considérés comme une alternative utile aux dispositifs de recherche institutionnels, souvent jugés inefficaces par les personnes à la recherche d’information sur les conditions de leur conception ou de leur naissance.

Johanne Thompson Sweeny traite justement dans sa contribution de la façon dont les réseaux sociaux transforment les modalités de la recherche des origines en adoption internationale. Le recours aux technologies d’information et de communication facilite et accélère les recherches, en publicisant des informations parfois considérées comme confidentielles par les institutions, puis en autorisant des relations virtuelles malgré la distance géographique. Par contre, il court-circuite en même temps la possibilité d’un consentement des protagonistes et se caractérise par l’impossibilité de contrôler des interactions rapides, multiples et parfois invasives. Outre ces échanges d’informations et ces contacts virtuels, le développement d’une industrie globalisée de services génétiques et généalogiques offre aujourd’hui sur Internet l’accès à des tests ADN dits direct-to-consumer (DTC) ainsi qu’à des sites de généalogie qui tendent à devenir un support déterminant des quêtes d’origines, qu’il s’agisse de tenter d’identifier des parents de naissance dans la région du monde où sont nées les personnes adoptées ou, dans le cas de la procréation assistée, de retrouver un donneur de gamète et des personnes issues d’un même don (Abel et Pálsson , 2020 ; Martin, ce numéro).

Des relations ancrées dans la nature?

L’attention aux origines dans l’étude des configurations familiales contemporaines permet d’analyser le sens donné à la procréation, dans un contexte où des personnes contribuent à l’engendrement d’un enfant dont elles ne deviennent pas des parents au sens légal du terme, demeurant ainsi aux marges de la parenté. Issues d’un événement ou d’un acte procréatif, les relations associées aux origines traduisent-elles une perception naturalisée de la parenté et des identités?

Dans un contexte de progression constante des savoirs et des technologies de la reproduction, l’accès à la connaissance des origines peut être interprété comme une quête de « vérité » qui semble attribuer à la chair une puissance inédite dans la définition des sujets (Memmi, 2014). Si les savoirs biogénétiques sont aujourd’hui considérés dans nos sociétés comme « constitutifs » de l’identité et de la parenté (Strathern, 1999), le sang et la chair sont en fait de très anciens supports métaphoriques de la parenté occidentale (Martial et Fine 2010; Courduriès et Gourarier, 2020), dont les représentations se sont progressivement déplacées « de la consubstantialité vers les gènes » (Delaisi de Parseval et Collard, 2007 : 41). Dans ce rapport dynamique et changeant aux faits de la procréation, les termes évoquant la nature, le lien de sang, les gènes et leur circulation sont ainsi l’une « des manières contemporaines d’exprimer la parenté, mettant en rapport ou au contraire séparant certaines catégories de parents » (Edwards, 2009 : 322).

L e corps se manifeste notamment dans les discours sur les ressemblances, analysés par différents articles de ce numéro. Comme le rappelle Johanne Sweeny dans sa contribution, celles-ci sont au principe de bien des interrogations sur le rapport aux origines dans les situations adoptives. Les ressemblances génétiques résultant du don sont également mobilisées par les mères de familles lesboparentales rencontrées par Alice Sophie Sarcinelli et Charlotte Simon, ou encore par les femmes ayant reçu un don d’ovule dans l’étude menée par Raphaële Noël, Marie-Alexia Allard et Gabrielle Pelletier. Anaïs Martin, qui en a montré l’importance et le sens dans la manière dont les personnes conçues par don se représentent leur donneur (2019), rappelle aussi dans sa contribution que les liens entre personnes issues du même don, mis en évidence par des connexions génétiques, « apparaissent de prime abord dans leur dimension corporelle ». Cette dimension ne suffit cependant pas, nous le verrons, à rendre compte des significations qui leur sont associées, car l es relations liées à la « vérité » de l’engendrement font l’objet de diverses interprétations, négociations ou stratégies d’élection (Abel et Pálsson, 2020).

La notion d’origine conduit également à questionner les asymétries genrées du processus procréatif. La recherche d’un père ou d’un géniteur, les tentatives de renouer des liens avec des « parents de naissance », la volonté de connaître un donneur visent à la fois des femmes ou des hommes. La notion « origine » recouvre dès lors des interprétations variées, référant d’une part à la dimension génétique, d’autre part à la gestation et la mise au monde, à travers par exemple la notion de « mère de naissance » dans l’adoption, ou les déclinaisons induites par la GPA. Ces modalités de l’engendrement sont différemment convoquées et interprétées.

En France, les rares recherches traitant des parents de naissance sont principalement quantitatives, et centrées sur les femmes ayant accouché dans le secret (Lefaucheur, 2001, Villeneuve-Gokalp, 2011). Dans sa contribution, Johanne Sweeny rappelle, à la suite d’autres travaux (Carsten, 2007), le caractère central du personnage de la « mère de naissance », qui suscite des sentiments ambivalents tandis que la figure du géniteur, généralement évanescente dans les dossiers des enfants nés sous X (Martial, 2020), apparaît quelquefois dans le champ judiciaire. Les juristes Laurence Brunet et Michelle Giroux soulignent ainsi dans leur contribution la manière dont le droit français oppose les droits de la mère et du père de naissance, dès lors que ce dernier, informé de la grossesse et de l’accouchement, peut manifester un intérêt pour l’enfant et demander à ce qu’il lui soit confié, contrecarrant alors le droit de la mère de naissance à accoucher dans le secret. Elles précisent cependant que « la réglementation en vigueur, sa mise œuvre par le CNAOP et son interprétation par les tribunaux convergent vers une application restrictive des droits du père de naissance à obtenir la restitution de l’enfant », avant son placement en vue d’adoption.

Dans le domaine de la reproduction assistée, les différentes dimensions de la procréation sont susceptibles de motiver l’existence de liens pluriels entre l’enfant, les femmes et les hommes qui ont pris part à sa conception (Courduriès, 2016). On sait que donner des gamètes mâles ou femelles procède d’un parcours médical inégalement éprouvant, et peut s’inscrire dans des démarches différentes, liées aux conceptions des rôles masculins et féminins dans la procréation (Almeling, 2011; Molas et Bestard, 2017). On n’en connaît pas, en revanche, les effets sur la notion d’origine, d’autant plus que la majorité des travaux sur le don en PMA portent actuellement sur les dons de sperme.

Dans le cas de la GPA et du don d’ovules, l’origine de l’enfant est redéfinie et pluralisée au cours du processus de la grossesse et de la mise au monde : est-elle localisée dans les gènes d’une donneuse (ou de la mère d’intention), ou dans le ventre de la femme qui l’a porté? « Si donc le fait de se mettre à plusieurs pour faire un enfant s’avère plutôt banal », écrivaient Geneviève Delaisi de Parseval et Chantal Collard (2007, p. 30), il reste que l’on connaît encore mal les figures particulières de la gestation pour autrui euroaméricaine. Ces dernières au demeurant sont en cours d’élaboration, au terme d’un certain « bricolage », ajoutent-elles. La psychologue belge Françoise Cailleau (2013, p. 28) estime pour sa part que les pratiques de procréation assistée nous invitent à « repenser la parentalité dans ses différentes dimensions, ainsi que la question du féminin et du maternel dans sa multiplicité ». Au fil des séquences du processus de GPA ou de don d’ovules, les contacts entretenus entre les personnes concernées tissent tranquillement une trame relationnelle singulière qui, au départ, lie les adultes entre eux en y intégrant la présence symbolique de l’enfant à venir. Cette mise en relation des trajectoires, tout en étant individuelle, n’en reste pas moins travaillée par des logiques sociales qui façonnent la construction du récit de la genèse familiale.

Dire ou taire les origines : les enjeux du récit

Selon différentes analyses de l’adoption, le récit est au cœur de la question des origines personnelles en ce qu’il permet de replacer les personnes, les actes et les relations liés à la naissance au sein d’une temporalité cohérente et continue, jusque-là marquée par des silences, des secrets ou des ruptures. Comme le propose Carsten (2000 : 692), les recherches des personnes adoptées viennent ainsi révéler et combattre « the very considerable dislocations of “kinship time” ». Dans le rapport aux origines, la dimension narrative apparaît alors comme constitutive de l’identité personnelle chez les adultes en quête des conditions de leur naissance (Théry, 2010; Martial, 2020), tandis que les normes éducatives contemporaines enjoignent aux parents adoptifs ou d’intention de raconter aux enfants l’histoire de leur venue au monde. De tels récits d’adoption sont devenus une pratique familiale courante, particulièrement en contexte international.

Selon la sociologue Petra Nordqvist (2021), l’injonction à la « transparence » qui caractérise désormais les pratiques de procréation assistée suscite cependant de nombreuses difficultés dans l’expérience des parents et les confronte à des normes morales contradictoires - comment et quand le dire à l’enfant, à la famille étendue, à qui appartient la « vérité » sur l’histoire et l’identité de l’enfant? -, car la conception avec don doit tenir compte de la nature éminemment relationnelle de la vie familiale. Dire ou taire les conditions de sa naissance à l’enfant dépend aussi des formes familiales et donne lieu à une grande variété de pratiques. Les familles hétéroparentales sont par exemple plus susceptibles de maintenir le secret ou de retarder l’annonce à l’enfant que les familles lesboparentales (Readings et al., 2011). Ce constat révèle des enjeux relationnels différenciés pour ces deux types de familles; pour les couples hétérosexuels, la concrétisation du désir d’enfant grâce à un don de sperme est l’aboutissement d’un parcours d’infertilité douloureux, tandis que la même méthode de procréation représente pour les couples de femmes la voie privilégiée pour fonder une famille (Hayman et Wilkes, 2017). Bien que le dévoilement aille de soi pour les couples lesbiens, les mères doivent tout de même réfléchir à la place qu’elles souhaitent accorder au donneur dans l’imaginaire familial (Côté, 2014 ; Goldberg et Allen, 2013).

À partir d’une enquête conduite auprès de trois générations de familles lesboparentales en Italie et en Belgique, Alice Sophie Sarcinelli et Charlotte Simon observent différentes formes de récits des origines. Reposant sur divers supports (livres, dessins animés, etc.), ces récits attribuent au donneur un statut variable, allant d’un simple matériau reproductif à l’identification d’une personne située dans l’environnement relationnel de l’enfant. Fréquemment inspirés par le milieu associatif dans lequel évoluent les parents, ces récits tendent à construire « une narration commune, voire une modalité culturelle partagée pour parler des origines au sein de la communauté homoparentale ». Le voyage avec l’enfant dans le pays où la PMA a eu lieu résonne par ailleurs comme un écho des « voyages de retours » organisés par les familles adoptives, les origines génétiques devenant porteuses d’un patrimoine national. Leur enquête révèle également les hésitations, les silences ou les ambiguïtés des discours parentaux sur les origines, que le donneur soit connu ou non. En effet, si l’anonymat transforme le donneur en une « non-personne » et instaure une relation incomplète (Thompson, 2005; Nordqvist, 2017; Konrad, 2005), les connaissances relatives au don de gamètes créent au contraire des connexions entre l’enfant, le donneur et leur parenté respectives, qui débordent les définitions ordinaires de ce qu’est une famille. Un donneur peut ainsi être défini comme faisant partie d’une « parentèle » (Côté et Lavoie, 2016), tandis que des prohibitions sexuelles ou matrimoniales en degrés peuvent être spontanément associées aux relations créées par le don (Martin, 2017).

Limiter l’accès aux informations relatives au donneur est alors une façon de se prémunir d’un « excès de parenté » (Konrad, 2005). Dans les familles lesboparentales, Alice Sophie Sarcinelli et Charlotte Simon constatent une tendance commune à minimiser la place du donneur pour protéger celle de la mère d’intention au sein du couple parental, en accord avec le principe d’exclusivité de la filiation, démontré également par Côté (2014) et Gross (2014) dans d’autres contextes nationaux. Raphaële Noël, Marie-Alexia Allard et Gabrielle Pelletier, analysant les discours et génogrammes suscités par le don d’ovule dirigé, mettent en évidence l’importance du « narratif du don », qui rend compte du travail psychique opéré par la donneuse pour donner sens à son geste et concevoir un lien avec l’enfant. Par cette narration, les donneuses contribuent aussi à l’élaboration par le couple receveur d’un récit qui inclue la donneuse, tout en co-construisant la maternité d’intention.

Cette mise en récit des origines a aussi été documentée par Kévin Lavoie (2019) dans son étude des maternités assistées par don d’ovules ou par GPA, laquelle témoigne de la séquence du processus d’enfantement où chaque protagoniste trouve sa place dans l’histoire de la genèse familiale. Cette construction narrative s’enracine dans trois représentations des maternités assistées : une maternité exclusive, des maternités séquentielles ou une maternité honoraire. Ces représentations orientent l’annonce à l’enfant des circonstances entourant sa conception, ainsi que le type de liens noués entre l’ensemble des personnes concernées, incluant les partenaires de vie, les enfants et les grands-parents : des liens de parenté patentés, une relation amicale entre les deux familles ou encore, des liens rompus ou jamais advenus. La nature de ces liens varie selon les motivations de départ et l’issue de la négociation de l’entente de procréation assistée, mais surtout, les affinités entre les personnes concernées et la proximité relationnelle entretenue ou non pendant la grossesse.

À l’épreuve des pratiques : des récits aux relations

Qu’advient-il cependant lorsque le rapport à des origines connues dès la naissance de l’enfant ou découvertes plus tardivement se traduit par des relations?

Retour, « retrouvailles » et pluriparentalités dans les situations adoptives

Dans le champ de l’adoption, les usages terminologiques associés aux origines témoignent de la puissance des normes relatives à la procréation dans la détermination des liens. Les quêtes des personnes adoptées, quand elles aboutissent, amènent à rencontrer une « mère », un « père », des « frères et sœurs » ou une « famille de naissance ». Cette unité terminologique recouvre cependant une grande diversité de situations. Janet Carsten (2007) décrit le sentiment d’arbitraire qui caractérise des récits de réunions aux issues très incertaines et dans certains cas très perturbantes. De ces rencontres, tout peut éclore : des relations nouvelles, une confrontation décevante, la simple identification d’une origine abstraite ou encore, le deuil consécutif à la découverte du décès d’un parent jamais rencontré (Sagnes, 2000; Carsten, 2007). En contexte international, les parents rencontrent parfois la mère ou la famille de naissance de l’enfant au moment de l’adoption, mais il est rare que des relations persistent au-delà (Ouellette et Mossière, 2004). Dans les recherches des adoptés adultes, les études s’accordent sur la diversité des scénarios de retrouvailles, qui bien souvent ne vont pas au-delà d’une rencontre ou d’un voyage. Les adoptés internationaux nouent cependant parfois avec leurs familles de naissance retrouvées des relations durables et régulières, au fil desquelles se fabriquent des liens d’affection et de solidarité (Ouellette, 2008; Yngvesson, 2010). Alors que le droit privilégie l’identification des ascendants, les frères et sœurs de naissance sont des figures très investies par la quête des origines. Les liens ne persistent cependant le plus souvent qu’avec un ou deux membres d’une fratrie, traduisant le caractère éminemment électif de ces relations (Carsten, 2000; Sagnes, 2000). Le rapport aux origines conduit enfin à construire des relations tout à fait indépendantes d’une parenté liée à la naissance. Eleana Kim (2007) décrit par exemple la fabrication, par les adoptés revenus en Corée du Sud et confrontés à l’impossibilité d’identifier leurs parents de naissance, de nouveaux espaces de relations basées sur une expérience partagée du déplacement et de négociations complexes entre le sentiment d’être à la fois « étranger » et « familier » en Corée.

Bien que la multiplication de « parents » autour des personnes adoptées suscite diverses craintes et tensions, il semble que la recherche des origines, lorsqu’elle donne lieu à des relations maintenues dans le temps, ne menace pas la place et le statut de la famille adoptive qui peut être impliquée de manière variable dans les processus de quête et de retrouvailles (Prébin, 2006 ; Carsten, 2007 ; Ouellette, 2008 ; Ouellette et Saint-Pierre, 2008; 2011 ; Yngvesson, 2010). Ces quêtes adviennent cependant une fois que les personnes adoptées sont parvenues à l’âge adulte, la famille adoptive ayant constitué auparavant l’unique espace d’éducation et de construction des liens. D’autres expériences témoignent de formes plus complexes de coexistence de différents parents durant l’enfance. L’ open adoption , étudiée aux États-Unis à la fin des années 1990, organise par exemple le maintien de contacts post-adoption entre l’enfant, sa famille adoptive et le ou les parents(s) de naissance (Hollinger, 2000).

La contribution de Doris Châteauneuf, Geneviève Pagé et Béatrice Decaluwe explicite les enjeux et les difficultés que soulève aujourd’hui le système de « Banque mixte » au Québec. Ce programme de « planification concurrente », pour lequel existent des équivalents en Grande-Bretagne et aux États-Unis, organise le placement de très jeunes enfants à haut risque de délaissement dans des familles d’accueil à vocation adoptive. Les autrices montrent comment de tels dispositifs instaurent des conceptions concurrentes de la parentalité, dans un contexte où celle-ci est toujours vécue comme incomplète : à la « parentalité sans droits » des parents d’accueil répond la « parentalité sans enfants » des parents de naissance. Le rôle joué par les intervenants impliqués dans le suivi de l’enfant - discours sur les parents de naissance, encouragements ou limites des contacts, etc. - peut avoir un impact considérable sur les relations entre les familles. Un certain nombre de parents d’accueil s’accommodent de cette pluriparentalité subie en privilégiant la sécurisation de leur situation (via le placement à majorité de l’enfant ou le transfert des attributs parentaux) sur leur objectif initial d’adoption, et en attribuant à la présence des parents de naissance dans la vie de l’enfant une valeur positive pour la définition de son identité. Au Québec, dans les situations où les enfants placés sont adoptés tardivement, Laurence Brunet et Michelle Giroux, à la suite de Françoise Romaine Ouellette et Carmen Lavallée (2020), regrettent que la réforme de l’adoption au Québec n’ait pas reconnu une forme d’adoption additive qui pourrait constituer une alternative à l’adoption plénière, sur le modèle de l’adoption simple en France.

Les relations créées par l’origine dans les configurations familiales issues de la procréation assistée par autrui 

Les situations de recours à un donneur connu et les usages terminologiques révèlent la variabilité de la place de cet homme, selon les familles, mais aussi au fil du temps et de l’histoire de l’enfant qui en devient un acteur à part entière (Côté, et al , 2015 ; Côté, et al. , 2019). Dans leur contribution, Alice Sophie Sarcinelli et Charlotte Simon montrent qu’en cas de don par l’entremise d’un donneur connu, la négociation précédant le don demeure souvent incomplète. Les termes des relations induites par le don nécessitent alors d’être reprécisés au fil du temps, au fur et à mesure que ce construit le répertoire relationnel de la parenté.

Les psychologues Raphaële Noël, Marie-Alexia Allard et Gabrielle Pelletier analysent dans leur contribution les récits décrivant le développement d’une histoire affective et relationnelle entre donneuses d’ovules et couples receveurs, récits qui donnent lieu à un travail de définition et de dénomination des relations. Le don transforme ou recrée le lien en renforçant une relation génétique déjà existante ou en approfondissant une amitié déjà installée, qui vient constituer « la branche du don » dans les génogrammes réalisés par les couples receveurs. Ce faisant, les autrices observent une co-construction de l’identité maternelle qui implique les conjoints et les donneuses et qui passe notamment par la reconnaissance du geste du don.

En cas d’identification plus tardive du tiers donneur, les sociabilités associées aux origines peuvent revêtir des formes assez éloignées des relations de parenté ordinaires. Dans le domaine de la procréation assistée, les recherches ont notamment mis au jour l’importance des collectifs de personnes issues d’un même don (Hertz et Nelson, 2019; Nordqvist et Smart, 2014 ), dont Anaïs Martin propose dans ce numéro l’analyse à partir d’une enquête conduite au Royaume-Uni. Pour mieux appréhender la définition de ces relations, elle décrit ainsi la manière dont les personnes issues d’un même don distinguent leurs relations de celles qu’ils entretiennent avec leurs frères et sœurs (élevés avec eux par les mêmes parents) ou avec les enfants du donneur (avec qui ils partagent un lien génétique). Bien plus que la dimension génétique, c’est l’expérience singulière liée à la procréation avec don qui s’avère créatrice de relations. Dans ces groupes nombreux et extensibles, le rang d’arrivée, soumis au temps de la procréation assistée comme à celui des processus de quête se substitue d’ailleurs au critère de l’ordre des naissances. Aux côtés des échanges virtuels (messagerie ou réseau social) et des rencontres collectives adviennent des liens interpersonnels fondés sur l’affinité, qui peuvent cependant s’interrompre à tout moment.

Conclusion. Origines, parenté et pluriparentalités : des frontières mouvantes

« Chaque société, chaque période fixe les combinaisons qui encadrent les représentations de qui est parent, détermine le socle autour duquel la collectivité, confortée ou non par la loi, définit les droits et devoirs des auteurs de l’enfantement puis des partenaires de la prise en charge du quotidien et de devenir des nouvelles générations » conclue Dominique Mehl (2008, p. 295) dans son ouvrage Enfants du don. Loin de réduire la parenté et les identités à la seule évidence d’une vérité biogénétique, le rapport aux origines, construit par des récits polyphoniques, produit une diversité inédite d’expériences relationnelles dans les configurations familiales contemporaines. Aux marges de la parenté, la notion de relatedness proposée par Janet Carsten (2000) semble particulièrement adaptée à l’analyse de ces relations processuelles, imprédictibles, soumises aux effets du temps et de l’expérience.

Faisant écho à Carsten, Allebrandt (2013) parle alors d’une « parenté fluide » tissée de connexions et de relations, et permettant d’aller au-delà du modèle généalogique pour discuter des liens induits par l’adoption et la procréation assistée par autrui. Si les connexions sont composées d’aspects ou de caractéristiques témoignant d’une certaine similarité (la ressemblance ou le partage de liens génétiques par exemple), les relations illustrent plutôt l’aspect processuel et interactionnel liant deux éléments ou deux personnes entre elles. Pour l’anthropologue, la « quête des origines souligne l'importance d'apprivoiser différentes formes de connexion et ouvre une brèche pour transformer ces connexions en relations » (Allebrandt, 2013, p. 245). Ces relations, et les constellations pluriparentales qui en résultent, révèlent également le caractère mouvant des frontières distinguant, autour de l’enfant adopté ou né de don, différentes catégories de « parents  » (Freeman et al. , 2014). Chacun à leur manière et en mobilisant différents contextes, les différents articles qui constituent ce numéro invitent à poursuivre ces réflexions sur les frontières opérant au sein des situations de pluriparentalités créées par le rapport aux origines.