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Introduction

Au cours des dernières décennies, nombre d’études et de rapports d’experts internationaux ont souligné l’influence de la qualité de l’accueil des enfants pendant la petite enfance et leurs effets positifs sur leur réussite éducative ultérieure (McCain et al., 2011 ; OCDE, 2012 ; Slot, 2018). Ces constats positifs en faveur du soutien au développement et aux apprentissages dès la petite enfance ont d’ailleurs mené à réviser les politiques publiques entourant les programmes et approches pédagogiques qui prévalent en petite enfance un peu partout à travers le monde, afin de s’assurer de services éducatifs (SÉ) de qualité promouvant la réussite éducative pour tous (OCDE, 2006). Ces services éducatifs de la petite enfance s’adressent généralement aux enfants âgés de 0 à 5 ans et peuvent prendre diverses formes. Les plus communes à travers le monde sont les services de garde éducatifs, impliquant les garderies, les centres de la petite enfance (CPE), les crèches, etc. (OCDE, 2006), et les services préscolaires, dont les classes maternelles accueillant des enfants entre 3 et 5 ans.

Problématique

Parmi les études internationales qui comparent les politiques publiques éducatives des services éducatifs de la petite enfance, on recense généralement deux approches pédagogiques qui se distinguent, tant sur le plan des méthodes d’éducation utilisées que des contenus de programmes (OCDE, 2006 ; Sinclair et Naud, 2005 ; Tazouti et al., 2011). Ainsi, du côté des États-Unis et de certains pays de l’Europe (France et Grande-Bretagne), on retrouve généralement une approche qualifiée de scolarisation précoce (ou pré-primaire), alors que dans des pays du Nord et du centre de l’Europe comme la Norvège, la Finlande, le Danemark ou l’Allemagne, on retrouve plutôt une approche dite de pédagogie sociale (Anders, 2015). Selon Tazouti et ses collaborateurs (2011), ces deux modèles se distingueraient grandement sur le plan des approches pédagogiques, des contenus privilégiés, des objectifs, des programmes, de même que des théories qui les inspirent; autant de choix également susceptibles d’influencer les niveaux de qualité éducative dans leurs contextes éducatifs respectifs ainsi que le développement et la réussite éducative des enfants (voir aussi OCDE, 2016). La prochaine partie aborde les principales caractéristiques de deux systèmes éducatifs de la petite enfance distincts, soit le Québec et la France, qui mettent en place ces approches pédagogiques.

Systèmes éducatifs en France et au Québec

La France et le système éducatif pré-primaire

Dans les systèmes éducatifs qui préconisent le modèle pré-primaire, comme les écoles maternelles en France, on prône la préparation à l’école par le biais d’activités d’apprentissage structurées et progressives, ainsi que des contenus de programmes centrés sur les connaissances académiques, tel l’apprentissage formel de l’alphabet, des chiffres et de l’écriture (Brougère, 2002). Les apprentissages sont surtout initiés et dirigés par l’adulte et, en conséquence, on observe que les enfants y sont peu actifs (Siraj-Blatchford et al., 2002 ; Stipek, 1991 ; Weikart, 2000). La visée de ce modèle est d’enseigner des connaissances académiques afin de s’assurer que les enfants soient préparés pour les apprentissages formels comme lire, écrire et compter (Bennett, 2006 ; Garnier, 2011 ; OCDE, 2006).

Tazouti et ses collaborateurs (2011), ainsi qu’Anders (2015), signalent aussi que ce modèle s’accompagne d’une organisation scolaire qui requiert un horaire et des connaissances spécifiques chez les enseignantes. À titre d’exemple, les horaires quotidiens y sont similaires à ceux de l’école primaire. En outre, en France, les enfants fréquentent des écoles maternelles proposant un service de cantine le midi et des services périscolaires avant et après l’école, ce qui implique de multiples transitions avec les divers personnels de ces services (Anders, 2015). Ainsi, la journée-type en petite section de maternelle (Merizek et al., 2015) implique d’abord l’accueil des enfants à partir de 8 h du matin, selon les écoles. Après l’accueil des élèves qui installent leur étiquette de présence sur un tableau et se lancent dans des activités libres individuelles ou en petits groupes a lieu un regroupement qui permet d’établir certains rituels (e.g., discussion sur la météo, ce qui s’est passé depuis la veille, lecture des prénoms des présents, chansons). Suivent divers ateliers, avec une rotation des groupes tout au long de la semaine, en lien avec les grands axes du programme (langage, activités artistiques, explorer le monde, structurer sa pensée, etc.). Ensuite, une activité physique ou artistique commune a lieu avant la récréation. Le temps de retour en classe, jusqu’à la fin de la matinée, est consacré à des activités de stimulation du langage et de compréhension de la langue française. Le déjeuner suit, pris en restaurant scolaire ou hors école. L’après-midi débute par la sieste, suivie de chansons et comptines. Le même type d’ateliers thématiques et rotatifs suit, puis un moment de langage (langage oral et/ou lecture par l’adulte) termine la journée.

Du côté de la formation requise, les enseignantes de maternelle françaises doivent posséder cinq années de formation universitaire (bac plus 5) qui leur permet à la fois d’enseigner à la maternelle et à l’élémentaire, puisqu’il s’agit de la même formation. Ainsi, les enseignantes de maternelle ne sont pas ou peu formées au travail spécifique auprès de très jeunes enfants (Cochran, 2011 ; Rayna, 2004). Afin de contrer cette limite, une nouvelle spécialisation « enseignement en maternelle » a été mise en place en 2015 pour la certification des formateurs des professeurs des écoles, nommée certificat d’aptitude aux fonctions d’instituteur, professeur d’école, maître formateur (Ministère de l'Éducation nationale et de la jeunesse, 2015).

Soulignons également qu’en France, en moyenne une classe maternelle sur trois dispose de l’aide d’une assistante maternelle (ATSEM, ou Agent territorial spécialisé des écoles maternelles) qui permet d’assumer certaines fonctions d’aide à l’enseignante, dont les soins de routine (aider les enfants à aller à la toilette et à s’habiller, soutenir la préparation du matériel pour les ateliers, surveiller les siestes, etc.). Cette dernière doit être titulaire d’un diplôme de niveau 4 (baccalauréat obtenu à la fin du lycée français) (Naumann et al., 2013).

Le programme éducatif de l’école en France est promulgué par l’Éducation nationale et poursuit, depuis 1986, les objectifs de scolariser, socialiser, apprendre et pratiquer (Vitali, 2007). Les enfants doivent y développer cinq domaines de compétence à l’âge de l’entrée à l’élémentaire (Cochran, 2011) : 1) développer le langage oral et s’initier à l’écriture, 2) apprendre à travailler ensemble, 3) exprimer des émotions et des pensées avec son corps, 4) découvrir le monde et 5) imaginer, ressentir et créer (OECD, 2004). Le curriculum, construit autour de ces domaines, met l’emphase sur le développement du langage conçu comme le but principal de l’école maternelle, impliquant le développement de compétences en communication, de description des actions, d’évocation et d’écriture. On y spécifie toutefois que l’enfant devrait pouvoir y parvenir, à sa façon, l’acquérir à travers le jeu, l’action, l’autonomie et des expériences sensorielles (Cochran, 2011; Vitali, 2007).

Toujours en France, la loi sur l’éducation a été révisée en 2013 et l’école maternelle est depuis considérée comme un cycle indépendant de l’école élémentaire. D’ailleurs, certains espèrent que cela ouvre la voie à une pédagogie plus adaptée au préscolaire, voire moins scolarisante (Rayna, 2014). Ainsi, depuis l’automne 2015, un nouveau programme « L’École maternelle, un cycle unique, fondamental pour la réussite de tous » vise à mettre plus d’emphase sur le caractère spécifique de l’éducation préscolaire et sur une approche d’apprentissage par le jeu. Toutefois, ce nouveau programme semble difficilement conciliable avec les exigences d’évaluation des enfants devant se réaliser avant l’entrée à l’école élémentaire (Naumann et al., 2013). En outre, les enseignants de maternelle doivent toujours utiliser les outils d’évaluation développés par l’Éducation nationale (ÉN) sur le langage, les mathématiques, l’espace et le temps, l’écriture et le développement moteur (OECD, 2004). Encore une fois, ce programme vise à assurer aux enfants la maîtrise de compétences cognitives et langagières et à préparer l'accès aux apprentissages fondamentaux (Briquet-Duhazé et Moal, 2013 ; Garnier, 2011 ; MENESR, 2014a, 2014b) en cohérence avec l’approche de scolarisation précoce.

Enfin, sur le plan de l’organisation ministérielle, comme dans plusieurs pays adoptant le modèle pédagogique pré-primaire, on observe une nette coupure entre les services de garde ou de soins offerts aux plus jeunes enfants (0-3 ans), qui sont sous la responsabilité d’un ministère des Affaires sociales, de l’emploi et de la solidarité, et les écoles maternelles accueillant des enfants de 3 à 5 ans, sous l’égide de l’ÉN et accessibles gratuitement. La gratuité des maternelles pour les enfants incite d’ailleurs à leur fréquentation, dont le taux d’occupation atteint entre 97 % et 100 % selon les régions (Naumann et al., 2013). À noter que la fréquentation de la maternelle pour les enfants de 3 à 5 ans est obligatoire depuis la rentrée 2019 en France (Loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance).

Le Québec et le système éducatif de la pédagogie sociale

Les services éducatifs destinés à la petite enfance qui appliquent une approche dite de « pédagogie sociale » misent d’abord sur des pratiques éducatives de qualité plutôt que sur l’évaluation des niveaux de réussite scolaire des enfants (OCDE, 2006). En effet, dans les pays suivant une tradition de pédagogie sociale, les décideurs et les praticiens sont opposés à l’évaluation des apprentissages scolaires chez les enfants d’âge préscolaire et, surtout, à l’usage de standards à atteindre pour tous les enfants (OCDE, 2006). Les tenants de cette approche s’inquiètent d’ailleurs de ce mouvement vers l’enseignement de notions académiques dans les programmes préscolaires et observent que les pratiques éducatives se transforment alors en enseignement de type instruction directe, aussi appelé par certains le courant de « scolarisation » qui renvoie au modèle pré-primaire (voir Garnier, 2011).

Le modèle de pédagogie sociale serait, selon Bennett (2006), plutôt associé à une approche où les situations d’apprentissage sont initiées par l’enfant puisqu’on y limite généralement l’usage de l’instruction directe et des activités initiées par l’enseignant. Ces approches aussi dites «centrées sur l’enfant» seraient identifiées comme favorisant le développement socioémotionnel et les habiletés de résolution de problèmes (OCDE, 2007 ; Stipek, 1991, cité par Anders, 2015). Certains ajoutent également que, dans le modèle de pédagogie sociale, les adultes soutiennent les apprentissages des enfants réalisés en contexte de jeu par l’étayage, ce qui tend à s’opposer à l’approche de scolarisation qui laisse plus de place à l’enseignant qu’à l’enfant (Siraj-Blatchford et al., 2002 ; Weikart, 2000). Il en résulte, comme au Québec, une approche pédagogique centrée sur le développement global (Gouvernement du Québec, 2019) et visant à respecter les stratégies d’apprentissage naturelles de l’enfant, dont l’apprentissage par le jeu (OCDE, 2006 ; Samuelsson et Carlsson, 2008), les interactions, les activités et l’exploration (Anning et al., 2004).

L’organisation pédagogique qui découle de ce modèle de pédagogie sociale donne lieu, au Québec notamment, à des choix qui se distinguent de ceux liés au modèle de scolarisation précoce valorisé en France. En outre, la journée-type des enfants qui fréquentent des SÉ dans ce modèle s’inspire en partie de l’organisation des garderies du Danemark ou du modèle de jardins d’enfants, inspiré de Froebel et initié en Allemagne. Au Québec par exemple, la journée débute par un accueil matinal, suivi par un temps d’échanges de groupe en cercle et d’une légère collation. Les enfants font ensuite des activités inspirées de traditions culturelles, pédagogiques ou saisonnières et jouent à l’intérieur ou l’extérieur selon la température, pour ensuite partager un repas à l’heure du midi (Petersen, 2011). Le début de l’après-midi est consacré à la sieste ou à un temps de repos, suivi d’une collation légère. Les enfants jouent finalement à l’extérieur plus ou moins longtemps selon les conditions météorologiques. Bien que le modèle québécois des CPE s’inspire grandement de cette organisation du temps des services préscolaires du Danemark, les CPE consacrent néanmoins un nombre moindre d’heures à jouer à l’extérieur en après-midi (Petersen, 2011).

En ce qui concerne la formation requise par la réglementation du Québec, les éducatrices qualifiées doivent posséder un diplôme d’études collégiales (DEC) en techniques d’éducation à l’enfance, équivalent aux hautes écoles de Belgique ou de Suisse, ou bien une Attestation d’études collégiales (AEC) comportant un moins grand nombre de crédits, mais devant obligatoirement être accompagnée de trois années d’expérience reconnue dans un service de garde régi par le gouvernement. Cette formation collégiale comprend 22 compétences à développer qui concernent essentiellement la réponse aux besoins des enfants, la stimulation de leur développement global et la centration sur les intérêts de l’enfant (Gouvernement du Québec, 2000). Elles y apprennent aussi à suivre leurs initiatives sans objectifs prédéterminés à atteindre, mais plutôt des processus de soutien au développement de l’enfant centrés sur le jeu, l’étayage et les interactions positives (Conseil Supérieur de l’Éducation [CSÉ], 2012).

Enfin, concernant la taille des groupes au Québec, celle-ci est aussi légiférée dans les services éducatifs, tels les CPE. Elle ne peut dépasser le nombre de 8 enfants pour une éducatrice pour des groupes âgés de 18 mois à 4 ans, alors qu’elle se situe à 10 enfants pour une éducatrice lorsque ceux-ci sont âgés de 4 à 5 ans. Dans ces SÉ, les enfants sont souvent regroupés par groupe d’âge (par exemple, tous les enfants âgés de 3 à 4 ans ensemble), mais de plus en plus de CPE mettent en place des groupes doubles ou des groupes accueillant des enfants d’âges différents, appelés groupes multi-âges (Conseil Supérieur de l’Éducation [CSÉ], 2012 ; Lapierre, 2018).

C’est le programme éducatif intitulé Accueillir la petite enfance, sous la responsabilité du ministère de la Famille du gouvernement du Québec, qui doit être appliqué par tous les SÉ de la petite enfance régis par le gouvernement du Québec, dont les CPE. Ce programme, dont l’objectif est de favoriser l’égalité des chances pour tous, vise le développement global des enfants, dont l’enfant est le premier agent, et fait du jeu le moyen privilégié pour favoriser le développement et l’apprentissage (Gouvernement du Québec, 2019; Ministère de la famille et des ainés, 2007).

Enfin, comme dans plusieurs pays à travers le monde, dont la France et le Japon (voir Anders, 2015), la responsabilité ministérielle des services éducatifs avant l’entrée à la maternelle 5 ans du Québec est confiée au ministère de la Famille (MF). Notons enfin que les services de garde éducatifs régis du Québec accueillent 61,9 % de tous les enfants (mars 2016) avant leur entrée à la maternelle 5 ans à temps plein, alors que cette dernière accueille près de 100 % des enfants de 5 ans. Chez les enfants de 3 ans, 71,8 % d’entre eux fréquentent un service de garde régi par le gouvernement du Québec (Ministère de la Famille, 2018).

En somme, on note que l’organisation des systèmes éducatifs choisis est intimement liée à l’adoption d’approches pédagogiques dans les services éducatifs destinés à la petite enfance, en particulier chez les enfants de 3 à 5 ans. D’un côté du continuum, on retrouve une approche inspirée de la pédagogie sociale, centrée sur les apprentissages liés au développement global comme au Québec (approche aussi nommée développementale). Alors que de l’autre côté du continuum, on retrouve une approche plutôt centrée sur les apprentissages formels (approche d’instruction directe), comme les écrits consultés le suggèrent en France (OCDE, 2012).

Cependant, à notre connaissance, très peu d’études ont tenté de comparer ces approches afin de faire ressortir les forces et les limites de l’une et de l’autre. Seuls Tazouti et ses collaborateurs (2011) ont comparé les performances scolaires de 229 enfants de grande section de maternelle en France à celles de 253 enfants en dernière année de Kindergarten en Allemagne. L’intérêt de cette étude est qu’aucune différence significative entre les performances scolaires des enfants français et allemands n’a été mise au jour, et ce, malgré des approches pédagogiques distinctes, soit la centration sur les apprentissages scolaires des maternelles françaises, comparativement à une approche centrée sur le jeu dans les Kindergarten allemands. Ces résultats ajoutent à l’intérêt de comparer le Québec et la France comme deux contextes francophones illustrant deux approches éducatives adoptées dans leurs SÉ destinés à la petite enfance, conduisant possiblement à des différences de qualité (voir section 2 pour une définition plus appuyée de ces concepts). La question de recherche issue de cette problématique est donc la suivante : quel est le niveau de qualité associé à chacune de ces approches ? La prochaine section précise ce concept de qualité et les modèles théoriques qui y sont associés ainsi que les écrits sur ce phénomène dans les deux contextes de cette étude.

Cadre théorique

Concept de qualité éducative en petite enfance

La majorité des études portant sur les SÉ destinés à la petite enfance affirment que le niveau de qualité éducative est l’un des facteurs déterminants du développement et de la réussite éducative de l’enfant (Weiland et al., 2013 ; Williford et al., 2013). De surcroît, de nombreuses recherches indiquent que la fréquentation d’un SÉ de qualité élevée aurait plus d’effets sur les enfants issus de milieux socioéconomiques précaires (Burchinal et al., 2010 ; Burger, 2010 ; De Marco et Vernon-Feagans, 2013 ; Johnson et al., 2013 ; Laurin, J. C. et al., 2015 ; Yoshikawa et al., 2013). Ainsi, fréquenter un SÉ de qualité élevée pourrait contribuer à soutenir les enfants d’environnement familial peu stimulant, alors que fréquenter un SÉ de plus faible qualité pourrait exacerber les effets de conditions familiales peu favorables (Laurin, I. et al., 2015).

De façon spécifique, la qualité éducative en petite enfance est un concept multidimensionnel qui recouvre des processus, des caractéristiques structurelles ainsi que des orientations pédagogiques (Anders, 2015; Bigras et al., 2010; Bigras et al., 2012; Castro et al., 2011 ; Lehrer et al., 2015 ; Lemay et al., 2015 ; Pianta et al., 2005 ; Slot, 2018 ; Tout et al., 2006).

Les indicateurs de la qualité des processus réfèrent à la nature des interactions qui s’établissent entre l’adulte responsable du groupe (éducatrice/enseignante) et les enfants, ainsi que les interactions qui s’établissent entre les enfants eux-mêmes et avec l’espace, le matériel et les activités proposés (Dowsett et al., 2008 ; Goelman et al., 2006). Ce seraient les interactions d’un niveau de qualité élevée entre l’adulte responsable du groupe et les enfants, qui constitueraient le meilleur prédicteur de leur développement et leurs apprentissages (Sabol et al., 2013) ainsi que de leur réussite éducative ultérieure (Bryant et al., 2011 ; Denham et al., 2012 ; Hamre et al., 2014).

La qualité structurelle concerne des indicateurs qui sont généralement soumis à la règlementation et dépendent de l’injection de fonds publics (exosystème) (Hartman et al., 2016). On y retrouve habituellement des variables mesurables situées dans le microsystème telles que le ratio personnel/enfants, la taille des groupes, le niveau de formation du personnel, ainsi que le matériel offert et la taille des lieux disponibles aux enfants, etc.

La qualité des orientations pédagogiques implique les croyances des éducatrices/enseignantes au sujet de leur rôle professionnel, leurs valeurs éducatives, leurs croyances épistémologiques et attitudes au regard de thèmes éducatifs, objectifs d’apprentissage et approches pédagogiques (Anders, 2015).

Les modèles théoriques intégrant ces trois catégories d’indicateurs de la qualité éducative postulent généralement que les variables de la qualité des orientations et de la qualité structurelle influenceraient indirectement le développement et la réussite éducative des enfants par leurs effets sur la qualité des processus (Pianta et al., 2005). En effet, certaines de ces variables favoriseraient ou limiteraient la possibilité du personnel d’offrir à l’enfant des expériences de qualité dans ces interactions (microsystème) au quotidien (Bigras et al., 2017 ; Lemay et al., 2015 ). Par exemple, un ratio adulte-enfants trop élevé limiterait les occasions d’interactions entre l’adulte et l’enfant. Ces aspects seraient particulièrement déterminants pour les interactions qui relèvent du soutien émotionnel, de l’organisation du groupe et du soutien à l’apprentissage (Mashburn et Pianta, 2010).

En somme, la qualité éducative est un concept multidimensionnel impliquant plusieurs systèmes qui exercent une influence sur l’enfant (voir Figure 1). On y retrouve d’abord le système le plus proximal de l’enfant (ontosystème) constitué des expériences qu’il y vit (dont la qualité des interactions). Imbriquée dans ce système, mais dont l’influence est plus indirecte sur l’enfant en passant par la qualité des interactions, se trouve ensuite la qualité structurelle (ratio adulte-enfants, formation du personnel, expérience de travail, etc.). Puis, à un niveau plus distal (exosystème), on retrouve le système intégrant la qualité des orientations pédagogiques (croyances des éducatrices/enseignantes face aux enfants et à l’éducation), ainsi que les orientations pédagogiques des contextes éducatifs assujetties à un système d’influences culturelles et sociétales (macrosystème). Ce système affecte aussi directement les pratiques éducatives des éducatrices/enseignantes, c’est-à-dire la qualité des interactions, qui à leur tour influence le développement global de l’enfant et sa réussite éducative.

Figure 1

Modèle écosystémique de la qualité éducative en contexte éducatif de la petite enfance

Modèle écosystémique de la qualité éducative en contexte éducatif de la petite enfance
Source : adapté de Lacombe, 2006; Lemay et al., 2012

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Qualité des interactions

Pour mesurer le niveau de qualité des interactions dans le groupe/classe, plusieurs instruments d’observation existent (Bigras et al., 2017). Parmi ceux-ci, le Classroom Assessment Scoring System (CLASS) est un outil d’observation développé à l’Université de Virginie (Pianta et al., 2008) et largement utilisé en recherche en petite enfance dans plusieurs pays d’Europe (Finlande, Suède, Norvège, Portugal, Belgique, Pays-Bas, etc.), aux États-Unis, au Canada, au Chili, en Chine, en Nouvelle-Zélande et en Australie (Lemay et al., 2017; Slot, 2018). Toutefois, encore peu d’études comparatives internationales ont été menées à ce jour à l’aide de cet instrument.

À notre connaissance, seuls Cadima et al. (2015) ont comparé le niveau de qualité des interactions de 158 enfants portugais et de 197 enfants belges avec leurs enseignants à l’aide du questionnaire Students-Teacher Relationship Scale, mis en relation avec les domaines du CLASS. Les résultats suggèrent que les enseignants belges les plus chaleureux, qui faisaient preuve de plus d’interactions positives avec les enfants de leur classe, mesurées au CLASS, étaient aussi ceux qui manifestaient une fréquence plus élevée de comportements de proximité. De leur côté, Slot et al. ont publié en 2015 une analyse comparative de la qualité des processus dans cinq pays européens (Pays-Bas, Finlande, Angleterre, Allemagne et Portugal), à partir de données longitudinales nationales. Bien que cette étude soit rigoureuse et procure des résultats intéressants, seules les mesures de la qualité des processus prises en Finlande et aux Pays-Bas utilisaient le CLASS. De surcroît, le CLASS pre-K fut uniquement utilisé auprès d’enfants en Finlande. Cette étude n’a donc pas permis de comparer les niveaux de qualité des interactions au préscolaire en classe maternelle entre ces deux pays.

Influence de la qualité structurelle

Or, en éducation comparée, il importe d’utiliser des instruments de mesure comparables, mais aussi de les mettre en relation avec des variables de la qualité structurelle qui caractérisent les contextes éducatifs (Anders, 2015 ; Pianta et al., 2016 ; Slot, 2018). En effet, des variables telles que la taille des groupes, la formation du personnel (Manning et al., 2017), le ratio adulte-enfants (Slot, 2018) et les occasions de formation continue (Jensen et al., 2015) sont généralement associées aux domaines de la qualité des interactions (Pianta et al., 2016). À ce sujet, Slot (2018) a récemment mené une recension des écrits internationaux sur la qualité des contextes éducatifs de la petite enfance et en a conclu que d’autres études doivent être réalisées afin de mieux documenter les niveaux de qualité des interactions observés à travers le monde, et aussi d’identifier les facteurs associés à des scores de qualité élevés, comme ceux de la qualité structurelle.

Recherches sur la qualité menées au Québec et en France

L’approche de pédagogie sociale, similaire à l’approche adoptée dans les CPE du Québec, n’a pas fait l’objet d’une évaluation de sa qualité. On se doit néanmoins de souligner les deux enquêtes Grandir en Qualité réalisées successivement en 2003 et 2014 qui ont observé un niveau de qualité des processus (lieux, activités et interactions, voir Figure 1) plus élevé des CPE. Ces deux études ont aussi relevé un grand nombre de caractéristiques structurelles associées à la qualité des processus dont, en particulier, le ratio, la formation du personnel, ainsi que les activités de formation continue. Ces deux enquêtes, bien qu’ayant fourni de nombreuses données pour soutenir l’amélioration des pratiques éducatives dans les milieux de garde régis québécois, n’avaient toutefois pas utilisé la mesure de la qualité des interactions (CLASS), dont le pouvoir prédictif pour le développement et l’apprentissage du jeune enfant est depuis confirmé (Sabol et al., 2013). Néanmoins, plusieurs études menées par la suite avec cet instrument au Québec ont permis de documenter les niveaux de qualité des interactions observés dans des classes de maternelle 4 ans (Bouchard et al., 2017) ou 5 ans (Bouchard et al., accepté), ainsi que dans certains groupes d’enfants de 4 ans en CPE (Bouchard et al., en préparation). Il ne s’agit cependant pas d’études comparatives et les échantillons demeurent restreints, ce qui en limite la généralisation.

Du côté de la France, aucune étude n’a porté sur la qualité structurelle ni sur celle des processus des contextes éducatifs de la maternelle (voir la recension de Slot, 2018). À notre connaissance, les études françaises se sont plutôt intéressées aux effets de la fréquentation de la maternelle en bas âge sur les compétences scolaires à l’entrée au primaire et sur le taux de redoublement des enfants (Caille, 2001; Jeantheau et Murat, 1998). En outre, Florin (2007) note des gains d’habiletés en lecture et une réussite scolaire accrue au début de l’élémentaire (l’équivalent de la première année du primaire au Québec). Goux et Maurin (2010) constatent plutôt que l’inscription précoce à l’âge de deux ans à la maternelle n’a aucun effet sur le niveau d’éducation futur. Alors que Ben Ali (2012) trouve que, de manière générale, les effets de l’école maternelle dès l’âge de 2 ans sont limités ; ainsi, il n’y a aucune différence à 11 ans entre ceux qui sont entrés à l’école maternelle à 2 ans et à 3 ans, alors que ceux qui sont entrés à la maternelle à 4 ans ont de légèrement moins bons résultats. Enfin, de son côté, West (2016) conclut à l’efficacité de la maternelle en France pour la réussite scolaire ultérieure.

En somme, à ce jour, aucune recherche n’a comparé les niveaux de qualité des interactions et de la qualité structurelle associées à des approches pédagogiques offertes dans ces deux systèmes éducatifs distincts, soit au Québec et en France. Pour cette raison, la compréhension des liens entre la qualité des orientations, la qualité structurelle, la qualité des processus demeure limitée, alors qu’elle est susceptible d’éclairer ce qui soutient le développement et la réussite éducative des enfants.

À la lumière de ces connaissances, nous constatons qu’aucune étude comparative n'a été menée entre les deux approches pédagogiques typiques des classes maternelles en France et des CPE au Québec. Il s’avère pertinent de comparer ces deux systèmes éducatifs qui paraissent illustrer ces deux approches afin d’en identifier tant les forces que les défis et de procurer de l’information scientifique susceptible d’éclairer les décideurs sur les composantes pouvant favoriser le niveau de qualité éducative. De plus, la mise en relation des variables de la qualité structurelle avec celles de la qualité des interactions adultes-enfants permettra d’identifier les conditions favorables pour hausser la qualité des interactions et, ultimement, de favoriser la réussite éducative des enfants (Pianta et al., 2009). À titre indicatif, dans l’optique du développement accru des maternelles 4 ans au Québec, ces données pourront offrir des pistes pour accroitre la qualité offerte dans ces milieux.

Objectifs de recherche

Cette étude poursuit l’objectif général de comparer deux contextes éducatifs francophones (maternelles à Grenoble en France et CPE à Montréal au Québec) de la petite enfance qui sont contrastés sur le plan des approches éducatives afin d’en identifier les forces et les limites. Elle se décline en deux objectifs spécifiques. Le premier consiste à comparer des variables de la qualité structurelle (nombre d’enfants par groupe, formation, expérience) et de la qualité des interactions adultes-enfants de 3 ans avec le CLASS. Le second vise à identifier les variables de la qualité structurelle des groupes/classes qui expliquent les scores des trois domaines de la qualité des interactions (CLASS) adultes-enfants des deux contextes éducatifs.

Méthode

Échantillon

La population visée est constituée pour le Québec des CPE situés sur le territoire de Montréal alors que, pour la France, il s’agit d’écoles maternelles situées sur le territoire de l’agglomération de Grenoble. L’échantillon était composé de 40 éducatrices (CPE) et 41 enseignantes, dont 37 femmes (maternelle). On note que les deux contextes éducatifs (maternelles de Grenoble et CPE de Montréal) se distinguent de manière statistiquement significative sur toutes les variables structurelles. Les enseignantes de Grenoble sont plus âgées que les éducatrices de Montréal, t(71.94) = –3,381, p = 0,001, r = 0,37, disposent de plus d’années d’expérience de travail en éducation, M = 6.87, SD = 8.35, z (271.5) = –3,36, p = 0,001, r = –0,53, sont plus nombreuses à posséder un diplôme universitaire (X2 (1) = 57,08, p < 0,001) que les éducatrices en CPE. Les éducatrices en CPE sont toutes des femmes, alors que du côté français on retrouve 90,2 % d’enseignantes (X2 (1) = 4,10, p = 0,043). La taille moyenne des groupes est aussi significativement plus faible dans les CPE que dans les classes maternelles de Grenoble, z (30) = −7,25, p < 0,001, r = –1,15.

Le recrutement des milieux s’est réalisé à Montréal (Québec, Canada) de février à mars 2017 et à Grenoble (France) d’octobre 2017 à janvier 2018. Les CPE et les écoles maternelles ont d’abord été contactés par courriel après avoir été tirés au hasard (échantillonnage aléatoire) à partir d’une liste de CPE (334) et d’écoles (74) fournie par les instances officielles (le ministère de la Famille du Québec et le Rectorat de Grenoble). Notons que l’agglomération de Grenoble est constituée d’environ 440 000 habitants dont environ 15 % sont issus de l’immigration, et que 18,3 % de familles vivent sous le seuil de faible revenu (Institut national de la statistique et des études économiques [INSEE], 2015). Du côté de Montréal, on retrouve 1 942 044 habitants dont 33% sont issus de l’immigration et 17,9 % vivent sous le seuil de faible revenu (Montréal en statistiques, 2018). On retrouve une proportion similaire de SÉ situés en milieux défavorisés dans les deux secteurs, soit les classes maternelles (27,97 % à Grenoble) et les CPE (29 % à Montréal). Le choix de l’âge de 3 ans pour comparer les deux contextes éducatifs est fonction de la littérature dans le domaine situant les débuts de la période préscolaire à 3 ans (OCDE, 2012 ; Slot, 2018) tant pour le Québec que pour la France.

Instrument de mesure

Classroom Assessment Scoring System (CLASS Pre-K, Pianta et al., 2008) mesure la qualité des interactions réparties dans trois domaines et dix dimensions : 1) Soutien émotionnel : climat positif, climat négatif, sensibilité de l’enseignante/éducatrice, considération pour le point de vue de l’enfant ; 2) Organisation de la classe : gestion de comportements, productivité, modalités d’apprentissage ; 3) Soutien à l’apprentissage : développement de concepts, qualité de la rétroaction, soutien langagier (voir Figure 2). La procédure d’évaluation requiert un minimum de quatre cycles d’observation de 30 minutes (20 min d’observation et 10 min de codification) et permet à l’observateur de se prononcer sur le niveau de qualité de chaque dimension à partir d’une échelle en sept points (1= faible à 7 = élevée). Selon les auteurs de l’instrument (Pianta et al., 2008), les indices de cohérence interne varient de bonne à excellente (soutien émotionnel = 0,85 à .0,2 ; organisation du groupe = 0,76 à 0,89 et soutien à l’apprentissage = 0,81 à 0,89). Cet outil est largement utilisé à travers le monde (Bigras et al., 2017; Hamre et al., 2013 ; Lemay et al., 2017 ) et a fait l’objet d’une validation québécoise en maternelle 4 ans à mi-temps (Bouchard et al., 2017). Les assistantes de recherche québécoises qui ont réalisé les observations (n = 9) ont suivi une formation de deux jours, en conformité avec les exigences d’utilisation du CLASS dûment certifiées (voir https://teachstone.com/trainings/). Pour cette étude, 15 % de mesure d’accord interjuge ont été réalisé tout au long de la collecte de données sur chaque échantillon (Grenoble et Montréal) et des taux d’accord moyens de 98 % (Grenoble) et de 89 % (Montréal) ont été obtenus.

Figure 2

Domaines et dimensions du CLASS

Domaines et dimensions du CLASS
Source : Pianta et al., 2008

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Procédures

Le recueil des données a nécessité une visite au CPE à l’hiver 2017 et en classe maternelle en mars 2018. Lors de cette visite, la qualité des interactions dans le groupe/classe a été observée à l’aide du CLASS (Pianta et al., 2008). Des questionnaires étaient aussi remplis avec les éducatrices/enseignantes afin de colliger leurs caractéristiques personnelles et professionnelles (qualité structurelle). À noter que les participantes devaient signer des formulaires de consentement conformes aux normes éthiques de leur territoire avant les observations et que l’étude disposait de certificats éthiques provenant de deux comités éthiques universitaires, soit celui de l’UQAM pour le territoire québécois, et celui de l’Université Grenoble-Alpes pour le territoire grenoblois. De plus, cette étude a fait l’objet de l’agrément du correspondant à la protection des données du service juridique et contentieux du Rectorat de Grenoble (arrêté du 26 septembre 2017).

Analyses statistiques

Deux types d’analyse ont été réalisés en cohérence avec les objectifs de recherche. D’abord, pour comparer les niveaux de qualité des interactions des deux contextes éducatifs (CPE au Québec et maternelle en France), des tests t de Student ont été effectués sur les scores des dix dimensions et des 3 domaines du CLASS Pre-K. Puis, des régressions multiples linéaires sur les scores des domaines du CLASS ont permis d’identifier les variables de la qualité structurelle des groupes/classes qui expliquent les scores des trois domaines de la qualité des interactions. Pour ce faire, trois analyses de régression ont été réalisées afin de tester l’effet des variables de la qualité structurelle (nombre d’enfants par groupe/classe, plus haut niveau de formation en éducation, genre et âge) sur les scores des trois domaines du CLASS. Préalablement, les distributions des variables continues ont été examinées pour vérifier si elles respectaient la normalité. Un problème de normalité pour les variables « Expérience de travail en années » et « Nombre d’enfants par groupe » a nécessité l’usage du test de Mann-Whitney au lieu du test t de Student. La variable « Nombre d’enfants par groupe » a été recodée en deux catégories (1= de 1 à 8 enfants et 2 = 9 et plus). Les variables catégorielles ont été analysées avec le test du khi-carré.

Résultats

La première section présente les analyses comparatives des données du CLASS selon les deux contextes éducatifs. La seconde aborde les résultats des analyses de régression multiple linéaire réalisées afin d’identifier les composantes de la qualité structurelle pouvant expliquer les scores de qualité des interactions.

Analyse comparative des données du CLASS

La Figure 3 présente les analyses comparatives des scores des trois domaines et dix dimensions du CLASS Pre-K des CPE et maternelles.

Figure 3

Comparaison entre les deux groupes pour les dix dimensions et trois domaines du CLASS

Comparaison entre les deux groupes pour les dix dimensions et trois domaines du CLASS

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Les résultats d’analyses comparatives des moyennes (Test-t) entre les deux contextes éducatifs indiquent des différences significatives entre les groupes de CPE observés à Montréal et les groupes de maternelles à Grenoble, et ce pour les trois domaines : soutien émotionnel (t(69) = 11,8; p = 0,001, r = 0,81, organisation du groupe (t(79) = 8,33; p = 0,001, r = 0,68) et soutien à l’apprentissage (t(71,6) = 4,12; p = 0,001, r = 0,43 ). C’est aussi le cas pour neuf des dix dimensions en faveur des groupes de CPE, soit le climat positif (t(79) = 3,74; p = 00,001, r = 0,388), le climat négatif (t(71,14) = - 7,11; p = 0,001, r = 0,645), la sensibilité de l’adulte (t(79) = 7,25; p = 0,001, r = 0,63), la prise en considération du point de vue de l’enfant (t(79) = 6,11; p = 0,001, r = 0,56), la gestion du groupe/classe (t(79) = 6,51; p = 0,001, r = 0,59), productivité (t(79) = 4,06; p = 0,001, r = 0,41), les modalités d’apprentissage (t(79) = 10,4; p = 0,001, r = 0,76), la qualité de la rétroaction (t(69,9) = 3,73; p = 0,001, r = 0,40) et le modelage langagier (t(64,6) = 6,57; p = 0,001, r = 0,63). Seule la dimension du développement de concepts (t(79) = -1,43; p= 0.158, r = 0,158) ne révèle aucune différence statistiquement significative entre les deux groupes.

Sur le plan descriptif, on note que les scores des quatre dimensions du domaine du soutien émotionnel observées au Québec (M = 5,77, ÉT = 0,79), soit le climat positif (M= 5,72, ÉT = 0,99), le climat négatif (M = 1,64, ÉT = 0,68 ou 6,36, ÉT = 0,68 lorsque le score est inversé), la sensibilité de l’éducatrice (M = 5,82, ÉT = 0,94) et la considération pour le point de vue de l’enfant (M = 5,19, ÉT =1,12) sont supérieurs à 5, ce qui indique un niveau moyen élevé de qualité des interactions. Dans le cas du climat négatif, les scores se situent à 6, ce qui indique un niveau élevé de qualité des interactions.

Il en est de même pour les scores québécois du domaine de l’organisation du groupe (M = 5,64, ÉT = 0,83), soit la gestion des comportements (M = 5,62, ÉT = 0,88), la productivité (M = 5,96, ÉT = 0,83), et les modalités des apprentissages (M = 5,32, ÉT = 1,03). Du côté des classes grenobloises, les scores des domaines du soutien émotionnel (M = 3,98, ÉT = 0,55) et de l’organisation de la classe (M = 4,16, ÉT = 0,76), ainsi que de leurs dimensions respectives, sont généralement inférieurs à 5 ou à 4, pouvant être qualifiés de niveaux moyens-élevés, moyens et moyens-faibles de la qualité des interactions.

Néanmoins, ce portrait descriptif des CPE est quelque peu différent en ce qui concerne les dimensions du domaine du soutien à l’apprentissage (M = 2,75, ÉT = 0,69). En effet, on note que la dimension du développement de concepts (M = 1,92, ÉT = 0,68) se situe à un niveau pouvant être qualifié de faible, la dimension de la qualité de la rétroaction (M = 2,74, ÉT = 0,86) de moyen-faible et la dimension du modelage langagier (M = 3,60, ÉT = 1,03) de niveau moyen-faible. Du côté grenoblois, les scores semblent plus homogènes, et tous sont situés entre 2,11 et 2,35, correspondant à un niveau de qualité faible.

Composantes de la qualité structurelle pouvant expliquer la qualité des interactions

Afin d’identifier les caractéristiques des variables structurelles qui expliquent les scores de qualité des interactions, les données québécoises et grenobloises ont été fusionnées. En effet, les variables structurelles de chacun des contextes étant trop homogènes, surtout la taille du groupe et la formation du personnel, aucune corrélation significative ne ressortait des données obtenues dans chacun des contextes. Puis, des analyses ont été réalisées sur les trois domaines de qualité observés au CLASS, puisque la puissance statistique ne permettait pas de faire des analyses sur chacune des dix dimensions. Plus précisément, trois analyses de régression multiple linéaire ont été réalisées sur chacun des trois domaines du CLASS en utilisant quatre variables de la qualité structurelle qui présentaient des corrélations significatives avec les domaines du CLASS : le niveau d’étude universitaire, la taille du groupe/classe, l’âge de l’éducatrice/enseignante et son genre.

Les résultats des trois régressions présentées au Tableau 1 indiquent que l’âge et le niveau d’étude universitaire des éducatrices/enseignantes ainsi que la taille du groupe sont statistiquement et inversement reliés aux scores moyens du soutien émotionnel F(4,80) = 33,31, p < 0,001, R2 = 0,64, et de l’organisation de la classe, F(4,80) = 17,61, p < 0.001, R2 = 0,48. Ces résultats signifient que, toute chose étant égale par ailleurs, les éducatrices/enseignantes plus âgées présentent les scores de soutien émotionnel et d’organisation du groupe/de la classe plus faibles. Il en est de même lorsqu’elles possèdent un diplôme universitaire et que la taille du groupe est supérieure ; leurs scores au soutien émotionnel et à l’organisation de la classe sont plus faibles.

Tableau 1

Régressions linéaires multiples des variables structurelles sur chacun des domaines du CLASS (échantillons montréalais et français fusionnés)

Régressions linéaires multiples des variables structurelles sur chacun des domaines du CLASS (échantillons montréalais et français fusionnés)

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En ce qui concerne le soutien à l’apprentissage, les résultats indiquent que l’âge de l’éducatrice/enseignante et la taille du groupe/de la classe y sont significativement et inversement reliés, F(4,80) = 8.09, p < 0,001, R2 = 0,30. Ainsi, plus les enseignantes sont âgées et plus la taille du groupe est grande, plus les scores de la qualité du soutien à l’apprentissage sont faibles.

Discussion

Cette étude visait à comparer les niveaux de qualité structurelle et des interactions observés dans des groupes de CPE d’enfants de 3 ans à Montréal et des classes maternelles accueillant des enfants du même âge à Grenoble. Un second objectif consistait à identifier les variables structurelles pouvant expliquer les niveaux de qualité des interactions observés dans les deux contextes.

Les différences entre les scores de qualité des interactions observés à Montréal et Grenoble.

Les résultats de la présente étude indiquent que neuf des dix dimensions de la qualité des interactions adultes-enfants mesurées avec le CLASS présentent des scores moyens significativement plus élevés dans les groupes de CPE observés à Montréal (Québec), comparativement aux classes maternelles de Grenoble. Seule la dimension du développement de concepts ne distingue pas les deux contextes éducatifs. Qui plus est, huit des dix dimensions observées dans les CPE de Montréal obtiennent des scores moyens supérieurs à ceux rapportés par les concepteurs de l’instrument (Pianta et al., 2008), alors que deux (le climat négatif et la prise en considération du point de vue de l’enfant) obtiennent des scores moyens équivalents aux moyennes états-uniennes. À l’inverse, il est possible de noter que les scores moyens observés dans les classes de Grenoble sont généralement plus faibles que les scores états-uniens reliés à la validation de l’instrument CLASS.

Ces résultats de niveaux de qualité plus élevés aux domaines du soutien émotionnel et de l’organisation du groupe obtenus dans les CPE semblent cohérents avec d’autres résultats d’études réalisées au Québec au cours des dernières années. En particulier, deux enquêtes de grande d’envergure, ayant étudié en 2003 et 2014 la qualité des processus en utilisant un autre instrument de mesure, soulignent que 60 % des CPE observés présentent des niveaux de qualité élevés (voir Drouin et al., 2004 ; Gingras et al., 2015). De surcroît, les scores de qualité des interactions observés avec notre échantillon du Québec semblent similaires aux données colligées dans certaines études réalisées au Québec avec le même instrument (voir Bouchard et al., 2017; Bouchard et al., en préparation; Bouchard et al., accepté; Lemay et al., 2018).

Il importe toutefois de souligner certains défis en ce qui concerne l’évaluation du domaine du soutien à l’apprentissage, tant à Montréal qu’à Grenoble. D’abord, bien que cela ne puisse tout expliquer, les faibles résultats au domaine du soutien à l’apprentissage obtenus dans les CPE de Montréal et les maternelles de Grenoble sont cohérents avec les plus faibles résultats de ce domaine du CLASS généralement observés dans le monde (voir Slot, 2018). Néanmoins, ces résultats peuvent paraître surprenants, surtout pour les maternelles en France, puisque leur curriculum est tout particulièrement orienté vers la scolarisation précoce et valorise les habiletés de numéracie/littéracie.

Toutefois, on doit comprendre ce qui compose le domaine du soutien à l’apprentissage évalué avec l’instrument utilisé. En effet, les trois dimensions qui composent ce domaine, soit le développement de concepts (p. ex., moyens utilisés pour permettre aux enfants d’en arriver à une plus grande compréhension de divers concepts, recours intentionnels de l’adulte à des stratégies visant à les aider à développer leur capacité de penser et de réfléchir par eux-mêmes), la qualité de la rétroaction (p. ex., rétroactions fournies de manière constante aux enfants pour les amener à une compréhension plus approfondie de divers concepts), ainsi que le modelage langagier (p. ex., stratégies employées par l’adulte qui permettent aux enfants d’être exposés de manière constante à des formes et à des usages variés du langage), comprennent des indicateurs généralement basés sur une approche socio-constructiviste. On y cherche à faire réfléchir les enfants sur leurs apprentissages à l’aide de questions ouvertes, on utilise les propos des enfants et leurs actions pour approfondir leur apprentissage, et on se centre sur leurs propos dans des échanges soutenus, et ce, dans une perspective d’étayage et de modelage.

Il est possible que ce faible niveau de qualité pour ces trois dimensions du côté grenoblois puisse s’expliquer par certaines orientations pédagogiques d’enseignantes au sujet des moyens à mettre en place pour favoriser la réussite de leurs élèves. En effet, les orientations pédagogiques relevées dans les programmes du contexte éducatif de la France pointent surtout vers une approche scolarisante. Aussi, lors des observations dans les classes maternelles, les enfants de 3 ans se retrouvaient surtout dans des activités dirigées en grand groupe, devant écouter en silence les consignes de la maîtresse, tout en réalisant une même tâche collective avec peu de possibilités d’échanger avec leurs pairs. Ces exemples semblent illustrer une approche surtout centrée sur les activités initiées par l’enseignante et des pratiques d’enseignement qui permettent peu aux enfants d’être actifs dans leurs apprentissages, à l’inverse de ce que valorise l’instrument d’observation utilisé.

Il est aussi plausible que tant les éducatrices que les enseignantes observées ne maîtrisent pas encore tous les construits mesurés pour le développement de concepts, ce qui pointe vers une compréhension plus limitée de ces éléments du CLASS. À ce sujet d’ailleurs, les enquêtes québécoises sur la qualité dans les services de garde ont aussi souligné cette faiblesse, notamment de plus faibles habiletés chez les éducatrices à soutenir la réflexion chez l’enfant par le jeu en les aidant à développer leurs réflexions sur leurs actions (Bigras et al., 2016; Drouin et al., 2004 ; Gingras et al., 2015). Ainsi, le perfectionnement de cette habileté chez l’éducatrice ou l’enseignante à soutenir la réflexion chez l’enfant pourrait être favorisée par des activités de formation continue orientées vers la pratique réflexive. C’est ce que suggère une récente méta-analyse réalisée par Markussen-Brown et ses collaborateurs (2017), soulignant que des stratégies d’accompagnement, telles que la combinaison de sessions de formation, de coaching individuel et de discussions de groupes seraient utiles pour y parvenir. Toutefois, avant de réaliser de telles activités, il apparaît important de s’assurer de comprendre les croyances initiales des éducatrices et enseignantes associées au soutien à l’apprentissage. Cette hypothèse pointe vers la réalisation de futures recherches abordant la qualité des orientations pédagogiques, soit les croyances et les connaissances du personnel éducatif au sujet de ce qui favorise l’apprentissage chez l’enfant, et leurs relations avec le niveau de qualité des interactions.

De surcroît, les plus faibles résultats observés dans les classes de Grenoble aux trois domaines (soutien émotionnel, organisation de la classe et soutien à l’apprentissage) posent des questions importantes au sujet de la qualité des interactions offerte aux enfants les fréquentant. Leur faible niveau de qualité devrait notamment interpeller les décideurs français au sujet des conditions pouvant en soutenir le rehaussement, soit des éléments sur lesquels ces derniers se questionnent dans les contextes des assises sur la maternelle (Ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse [MENJ], 2019). En outre, bien que nous ne l’ayons pas mesurée dans cette étude, l’approche pédagogique pré-primaire présente dans les programmes et documents d’orientation pédagogique français et appliquée par les enseignantes pourrait sans doute expliquer en partie ces résultats plus faibles observés au niveau de la qualité des interactions. Cette hypothèse nécessite cependant de mesurer cette variable chez les enseignantes afin de la confirmer.

Quelles variables structurelles expliquent la qualité des interactions ?

Afin de mieux comprendre ce qui explique les différences de qualité des interactions adultes-enfants observées au Québec et en France, les analyses de régression multiple réalisées sur des variables structurelles offrent des pistes d’explication intéressantes. D’abord, une partie des différences de qualité des interactions entre les deux contextes pourrait reposer sur les variables structurelles que nous avons mesurées (âge des enseignantes/éducatrices, plus haut niveau de diplôme, taille du groupe-classe) qui diffèrent de manière significative entre les éducatrices et les enseignantes. Ainsi, les enseignantes de maternelle sont plus âgées, disposent d’un diplôme universitaire et accueillent un nombre plus grand d’enfants dans leurs classes que les éducatrices en CPE. Ces trois variables sont d’ailleurs celles qui expliquent une très forte proportion de la variance des scores associés aux trois domaines de la qualité des interactions mesurée avec le CLASS.

Ensuite, les résultats qui indiquent que la taille des groupes est négativement associée aux trois domaines de la qualité des interactions du CLASS ont aussi été retrouvés dans les écrits. En effet, Slot et ses collaborateurs (2018) rapportent que « les plus petits groupes d’enfants sont associés à des niveaux de qualité plus élevés aux États-Unis, en Chine, et au Portugal (Barros et Aguiar, 2010 ; Burchinal et al., 2002; Hu et al., 2016 ; Phillips et al., 2000 ; Phillipsen et al., 1997), et ce, en particulier pour la qualité des interactions (Burchinal et al., 2002) » (Traduction libre : 75). Ces résultats suggèrent que lorsque les classes sont composées d’un nombre élevé d’enfant comme en France (moyenne de 21 enfants par classe), il est plus difficile d’établir des relations chaleureuses, accueillantes et authentiques avec les enfants, de leur accorder une attention individualisée, et de prendre en considération leurs idées et initiatives pouvant affecter le soutien émotionnel, mais aussi l’organisation de la classe et le soutien à l’apprentissage offerts. Cela serait plus facile avec des groupes de 9 enfants, comme c’est le cas dans les CPE de cette étude.

Les régressions négatives observées entre le niveau d’étude universitaire et les scores de qualité des interactions des domaines du soutien émotionnel et de l’organisation du groupe/classe peuvent paraître surprenantes. Toutefois, lorsqu’on interroge les enseignantes de maternelle de Grenoble sur les contenus des cours de leur formation universitaire, elles indiquent n’en avoir suivi aucunconcernant les besoins développementaux des enfants de 3 ans. À l’inverse, 33 des 40 éducatrices de CPE de notre étude possédaient un DEC en techniques d’éducation à l’enfance (niveau bac + 4), un diplôme orienté vers le travail en contexte éducatif (services de garde) et à la réponse aux besoins développementaux des enfants âgés de 0 à 5 ans.

Ces résultats pourraient aussi refléter une réalité qui est le fruit d’orientations pédagogiques différentes, soit que les personnes qui sont titulaires d’une formation en enseignement, comme les enseignantes de la France de cet échantillon, pourraient utiliser des approches plutôt scolarisantes dans leurs interventions pédagogiques. En effet, comme elles nous l’ont rapporté, les contenus de leur formation n’abordent pas l’éducation préscolaire et les besoins développementaux des enfants de moins de 6 ans. Ainsi, lorsque l’on ne possède pas de formation spécifique dans le domaine du travail avec les enfants de 3 à 5 ans, les croyances et les orientations pédagogiques pourraient dominer les pratiques éducatives (Anders, 2015). Dans le cas des enseignantes de France, l’analyse des écrits suggère que la scolarisation précoce semble être l’approche pédagogique prédominante dans les écoles maternelles de France. D’autres études devront cependant mesurer ces orientations pédagogiques avec les enseignantes et les éducatrices afin de valider cette hypothèse.

Les liens détectés entre l’âge des éducatrices/enseignantes et le plus faible niveau de qualité des interactions adultes-enfants sont par ailleurs plus difficiles à interpréter. On peut les comparer aux études rapportant des corrélations entre un cumul d’années d’expérience de travail des éducatrices et la qualité (voir Drouin et al., 2004 ; Gingras et al., 2015), suggérant qu’après un certain seuil d’années d’expérience (10 ans), celles-ci offrent des interactions moins optimales aux enfants, en particulier le climat émotionnel et la prise en considération du point de vue de l’enfant. Un phénomène similaire s’observe chez les enseignants français pour qui, après 19 années d’expérience, le niveau de qualité de l’enseignement du français et des mathématiques décroît (Bressoux, 1994). Ainsi, il est possible d’émettre l’hypothèse que, après un certain nombre d’années d’expérience de travail sur le terrain avec les enfants, les éducatrices/enseignantes plus âgées auraient besoin de réaliser des activités de formation continue afin de mettre à jour leurs connaissances de ce domaine de travail en constante évolution (Markussen-Brown et al., 2017).

Une autre piste d’interprétation de ces résultats serait aussi que les plus anciennes éducatrices/enseignantes n’aient pas reçu les mêmes contenus de formation que les plus novices, puisque les programmes de formation ont changé à travers le temps. À ce sujet, il serait intéressant de valider cette hypothèse auprès d’éducatrices/enseignantes plus récemment formées, d’autant que le programme éducatif des classes maternelles françaises a été revu en 2015 (Ministère de l’Éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche [MÉNESR], 2015) et que celui des CPE du Québec l’a été au printemps 2019 (Gouvernement du Québec, 2019). Il est plausible de penser que ces nouveaux contenus de programmes ne soient pas encore intégrés dans les pratiques éducatives observées.

Limites de la présente recherche

Cette recherche n’est pas exempte de limites et d’autres études devront comparer les différences culturelles associées à la qualité des interactions. D’abord, la taille de cet échantillon est faible, ce qui a fait en sorte que nous avons utilisé les domaines plutôt que les dimensions spécifiques du CLASS pour identifier la force des relations avec les variables structurelles examinées. En second lieu, tant les participantes québécoises que françaises proviennent de régions particulières du Québec (Montréal) et de la France (Grenoble), ce qui restreint la généralisation à d’autres régions de ces deux pays. De surcroît, la région de Grenoble en France comporte une proportion d’habitants inférieure à celle de Montréal au Québec, et un taux de population issue de l’immigration plus faible de moitié. Néanmoins, les proportions de institutions éducatives de cette étude recevant des subventions pour l’accueil d’enfants issues de familles dites défavorisées semblent similaires dans les deux territoires sollicités (27,97 % Grenoble et 29 % Montréal).

En troisième lieu, on doit aussi noter que les observatrices formées aux instruments de cette recherche étaient toutes québécoises et plus familières avec le contexte des groupes de CPE que des classes françaises. Cette situation a pu induire une notation différente qu’obtenue par le recours à des observateurs français. Néanmoins, toutes les observatrices étaient certifiées au CLASS et le niveau de fidélité interjuge obtenu tout au long de la collecte de données sur 15 % des observations était de 98 % pour l’échantillon français, ce qui est considéré comme un excellent niveau de fidélité (Landis et Koch, 1977). Enfin, la méthodologie quantitative de l’étude pose en elle-même certaines limites. En effet, les différences de scores de qualité des interactions notées entre les deux contextes éducatifs pourraient aussi s’expliquer par des composantes culturelles associées aux représentations du rôle d’enseignante et d’éducatrice, voire des dimensions de la qualité des orientations pédagogiques, qui n’ont pas été abordées dans cette étude. Une étude qualitative avec entretiens auprès des deux populations d’enseignantes/éducatrices pourrait permettre de comprendre de manière plus fine les orientations pédagogiques pouvant affecter les scores de qualité observés avec le CLASS.

Cette étude constitue néanmoins une première étape dans l’examen du niveau de qualité des interactions dans une perspective interculturelle en contexte francophone (Lemay et al., 2017; Malaguzzi, 2004 ; Slot et al., 2015). Il apparaît crucial de mener de nouvelles études qui permettront d’accroître notre compréhension du rôle culturel de la qualité des orientations pédagogiques sur les interactions qu’enseignantes/éducatrices entretiennent avec les enfants dans un contexte éducatif préscolaire.

Conclusion

En terminant, cette étude jette un nouvel éclairage sur certaines composantes des systèmes éducatifs de la petite enfance du Québec et de la France. D’un point de vue écosystémique, l’approche éducative préconisée en France (niveau macro) parait associée à plusieurs choix de politiques publiques (niveau exo) qui affectent les choix structurels (niveau micro), et ont pour conséquence un plus faible niveau de qualité des interactions. Au Québec, jusqu’à présent, ces choix macro- et exosystémiques diffèrent en ce qui concerne les services de garde éducatifs destinés à la petite enfance. Néanmoins, le contexte de développement de très nombreuses classes de maternelle 4 ans à travers le Québec semble suggérer une remise en question de ces choix par le gouvernement actuel. Les faibles scores de la qualité des interactions observés dans les classes maternelles du système français incitent à réfléchir à leurs limites et à interroger les conditions de mise en place de ces nouvelles maternelles 4 ans au Québec, notamment en ce qui concerne la taille supérieure des classes maternelles.

Du côté de la France, cette étude interroge les conditions structurelles associées à la qualité des interactions, dans un contexte où la fréquentation des classes maternelles dès 3 ans est devenue obligatoire (macrosystème), mais que peu de ressources financières (exosystème) semblent encore consacrées à réduire le nombre d’enfants par classe ni à accroitre la spécialisation des enseignantes. Or, cette spécialisation est associée, dans cette étude, à des interactions de qualité élevée avec des enfants de cet âge.

En définitive, ces résultats témoignent de l’importance de tenir compte des interactions écosystémiques de la qualité éducative en petite enfance afin de soutenir des interactions de qualité, et en conséquence, la réussite éducative d’un plus grand nombre.