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Introduction

Le placement dans une famille d’accueil est une mesure de protection drastique pour l’enfant dont la sécurité et le développement s’avèrent compromis dans le milieu familial d’origine (Association des centres jeunesse du Québec, 2017). Les enfants placés proviennent de milieux familiaux à haut risque psychosocial, dans lesquels ils ont généralement vécu de la maltraitance ou de la négligence. Cela se répercute pendant le placement par des retards développementaux (Leslie et al., 2002 ; Urquiza et al., 1994) ainsi que des problèmes relationnels (Clausen et al., 1998 ; Minnis et al., 2006), comportementaux (Clausen et al., 1998 ; Flynn et Biro, 1998 ; Heflinger et al., 2000 ; Minnis et al., 2006 ; Zima et al., 2000) et scolaires (Flynn et Biro, 1998 ; Zima et al., 2000).

La mesure de protection du placement dans une famille d’accueil comporte des défis importants quant à la continuité des liens d’attachement de l’enfant avec son milieu d’origine. Pour faire face à ces défis, au Québec, les modifications apportées à la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ) en 2007 visent à assurer une plus grande stabilité et insistent sur l’importance de la continuité des soins et des conditions de vie chez l’enfant lors d’un placement (Fauteux, 2008 ; 2011). Plus particulièrement, la LPJ prévoit que les décisions prises doivent assurer la préservation des liens significatifs créés par l’enfant avant le placement, notamment par le maintien des contacts avec les parents biologiques.

Les contacts accompagnent donc généralement les ordonnances de placement au Québec, même lorsque les enfants sont placés jusqu’à leur majorité légale (Goubau et Langlois, 2016 ; Poitras et Tarabulsy, 2016). Toutefois, les modalités de contacts parent-enfant varient considérablement selon les familles concernées puisqu’il n’existe pas de ligne directrice claire quant aux modalités les plus favorables pour les enfants placés, ni de consensus empirique quant aux conséquences qui en découlent (Carignan, 2007 ; Goubau et Langlois, 2016 ; Poitras et Tarabulsy, 2016 ; Quinton et al., 1997 ; Schofield et Simmonds, 2011).

Selon certains auteurs, le maintien des contacts parent-enfant favorise la continuité des liens familiaux précédant le placement (Haight et al., 2003), en plus de soutenir la construction identitaire des enfants (Neil, 2010). Des chercheurs soulèvent aussi des bénéfices au plan comportemental chez les enfants placés. Ils concluent que le maintien des contacts parent-enfant est associé à de moindres problèmes de comportements internalisés rapportés par les parents d’accueil (Cantos et al., 1997), ainsi qu’à davantage de comportements d’attachement sécure manifestés auprès du parent biologique. Ces caractéristiques permettent ultimement un meilleur ajustement comportemental chez les enfant placés (McWey et Mullis, 2004).

D’autres études soulèvent les risques associés au maintien des contacts parent-enfant en se penchant sur les réactions observées (Humphreys et Kiraly, 2010 ; Kufeldt et al., 1995 ; Leathers, 2003). En effet, les réactions négatives, comme la tendance de l’enfant à s’accrocher à la famille d’accueil, les perturbations du sommeil et de l’appétit, les pleurs, les cris, l’isolement et la morosité, sont observées par les parents d’accueil et les intervenants sociaux à la suite des contacts parent-enfant (Humphreys et Kiraly, 2010). D’autres études soulignent plutôt les liens entre les réactions des enfants placés et les enjeux relationnels d’engagement et de loyauté que vivent ces enfants entre les parents biologiques et d’accueil (Leathers, 2003 ; Strijker et Knorth, 2009). Ces réactions suscitent des réflexions quant aux exigences adaptatives que les contacts parent-enfant imposent aux enfants placés. En effet, ces derniers peuvent avoir à conjuguer avec des perturbations de leur routine (Humphreys et Kiraly, 2010), ainsi que la reviviscence de souvenirs traumatiques (Sen, 2010). Cela vient engendrer des doutes, chez les intervenants sociaux comme les parents d’accueil, quant au bien-fondé de cette mesure qui semble susciter des réactions passagères de détresse socioémotionnelle.

D’ailleurs, la proximité temporelle entre les contacts parent-enfant et les manifestations observées à la suite des contacts parent-enfant réfèreraient à des réactions plutôt qu’au fonctionnement comportemental des enfants placés. En effet, les réactions se distinguent du fonctionnement comportemental général puisqu’elles suivent un événement précis et sont circonscrites dans le temps (Little et Carter, 2005). Or, les réactions des enfants placés sont susceptibles d’apparaître lors des transitions suivant les contacts parent-enfant et de disparaître après une certaine période de temps.

Bien que les parents biologiques puissent représenter des figures parentales significatives dans la vie des enfants placés (Munro, 2001), des craintes sont exprimées en lien avec les vives réactions manifestées à la suite des contacts parent-enfant. Certains proposent d’ailleurs que ces réactions soient exacerbées par l’augmentation de la fréquence de ces contacts (Humphreys et Kiraly, 2010). Or, ces résultats ne sont pas corroborés et les enfants placés souhaitent généralement le maintien des contacts avec leurs parents biologiques (Munro, 2001), voire une augmentation de la fréquence de ces contacts (Fernandez, 2009). Devant ces résultats contradictoires, il peut devenir difficile de bien identifier les modalités de contact les plus respectueuses du meilleur intérêt de l’enfant placé.

Peu d’études examinent les réactions manifestées par les enfants placés à la suite des contacts avec leurs parents biologiques, ni les facteurs qui peuvent les expliquer. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour soutenir les réflexions portant sur le maintien des contacts parent-enfant, tout en considérant les besoins spécifiques des enfants placés et leur adaptation à cette situation familiale unique (Carignan, 2007). Des connaissances plus précises sur les facteurs associés aux réactions des enfants placés à la suite des contacts permettraient également de mieux comprendre les défis qui se présentent aux enfants placés et de leur offrir une intervention mieux adaptée à leurs besoins.

Certaines recherches démontrent que l’ouverture du parent d’accueil face aux contacts parent-enfant pourrait constituer un facteur favorable à l’intégration des émotions chez l’enfant placé d’âge préscolaire, cela venant moduler la manifestation des réactions (Gean et al., 1985). Il est ainsi possible que la sensibilité du parent d’accueil soit liée aux réactions survenant à la suite des contacts parent-enfant. Cette composante parentale permet de sécuriser les enfants et de favoriser leur régulation émotionnelle, particulièrement devant des situations sollicitant des ressources adaptatives (Ainsworth et al., 1978). La sensibilité parentale renvoie à la capacité d’offrir des réponses prévisibles, bienveillantes et cohérentes aux besoins, aux comportements ou aux signaux exprimés par l’enfant. Elle constitue un des meilleurs prédicteurs du développement socioaffectif et, plus précisément, de la régulation émotionnelle (NICHD Early Child Care Research Network, 2004 ; Robinson et al., 1997). La sensibilité du parent d’accueil serait associée à un meilleur développement psychosocial (Bovenschen et al., 2016 ; Oosterman et al., 2008 ; Ponciano, 2010), comportemental (Oosterman et al., 2008) et langagier (Raby et al., 2019) chez les enfants placés. À notre connaissance, aucune étude ne s’est penchée sur les liens entre la sensibilité du parent d’accueil et les réactions des enfants à la suite des contacts avec leurs parents biologiques.

La sécurité d’attachement est une autre composante interactionnelle qui est caractéristique de la relation parent-enfant et qui pourrait influencer la force des réactions des enfants placés à la suite des contacts. En effet, la sécurité d’attachement vient moduler la réactivité physiologique face à des stresseurs (Gunnar et al., 1996), en plus de constituer un prédicteur reconnu de la régulation émotionnelle chez les enfants d’âge préscolaire et scolaire (Brenning et al., 2012 ; NICHD Early Child Care Research Network, 2004). Il est probable que les enfants qui adoptent des comportements d’attachement sécure avec leurs parents d’accueil arrivent à mieux s’adapter aux rencontres avec leurs parents biologiques. La sécurité d’attachement est d’autant plus pertinente à considérer lors d’études portant sur la régulation émotionnelle des enfants victimes de maltraitance ou de négligence.

En effet, il est connu que les enfants ayant vécu des mauvais traitements adoptent davantage des comportements d’attachement insécure face à leurs figures parentales (Carlson et al., 1989 ; Egeland et Sroufe, 1981 ; Stronach et al., 2011 ; Styron et Janoff-Bulman, 1997). Cela pourrait influencer considérablement les comportements d’attachement qui se construisent dans les interactions avec les parents d’accueil. Dozier et ses collègues (2001) soulignent que près de la moitié des enfants placés (48 %) affichent des comportements d’attachement insécure auprès de leurs parents d’accueil. Des études longitudinales mettent en lumière qu’une insécurité d’attachement est reliée à un fonctionnement social moindre (Bohlin et al., 2000), à une capacité de régulation émotionnelle compromise (NICHD Early Child Care Research Network, 2004), à des capacités cognitives inférieures (West et al., 2013), à la survenue de psychopathologies (Carlson, 1998), ainsi qu’à des problèmes de comportement à l’âge préscolaire et scolaire (Moss et al., 1999). Considérant les liens connus entre l’insécurité d’attachement et ces difficultés adaptatives, il est probable que les réactions à la suite des contacts parent-enfant soient associées aux comportements d’attachement vécus auprès des parents d’accueil.

Les réactions manifestées à la suite des contacts avec les parents biologiques pourraient aussi être en lien avec l’âge de l’enfant au moment de son premier placement. En effet, les enfants qui sont placés tardivement dans une famille d’accueil ont été davantage exposés à un environnement psychosocial à haut risque. De ce fait, ils peuvent avoir été confrontés à davantage d’abus ou de négligence, cela pouvant influencer leurs réactions à la suite des contacts parent-enfant (Humphreys et Kiraly, 2010 ; Mapp, 2002 ; Sen, 2010). En contrepartie, le placement tardif d’un enfant est associé à davantage de souvenirs de sa famille biologique, ce qui pourrait faciliter ces contacts et maintenir des sentiments d’appartenance (Colón, 1978). À notre connaissance, aucune étude ne s’est intéressée à l’impact de l’âge au moment du premier placement sur les réactions des enfants placés à la suite des contacts parent-enfant. Peu de données empiriques nous permettent de comprendre le rôle de l’âge de l’enfant au moment de son premier placement sur les défis adaptatifs liés au maintien des liens avec ses parents biologiques.

En plus de la qualité des interactions entre l’enfant placé et son parent d’accueil, ainsi que l’âge au moment du premier placement, il est attendu que la fréquence des contacts parent-enfant puisse moduler les réactions manifestées chez les enfants placés. La recherche à ce sujet est toutefois contradictoire. Il est suggéré que les enfants placés d’âge scolaire, qui vivent des contacts fréquents avec leurs parents biologiques, présentent moins de problèmes de comportement internalisés (Cantos et al., 1997). Les enfants d’âge préscolaire qui vivent des contacts parent-enfant fréquents adopteraient aussi davantage de comportements d’attachement sécure, manifestant ultimement un meilleur ajustement comportemental (McWey et Mullis, 2004). Certains auteurs proposent plutôt que les contacts fréquents avec les parents biologiques engendrent un stress considérable chez les enfants placés (Humphreys et Kiraly, 2010). Chez les adolescents, les contacts fréquents seraient associés à des réactions négatives, soit à un niveau d’engagement affectif inférieur des enfants placés envers leurs parents d’accueil ainsi qu’à un sentiment de conflit de loyauté supérieur confrontant les parents biologiques et les parents d’accueil (Kufeldt et al., 1995 ; Leathers, 2003). Des contacts fréquents pourraient donc induire des enjeux relationnels d’engagement et de loyauté entourant les deux familles de l’enfant. Chez les enfants placés d’âge préscolaire, les contacts fréquents avec les parents biologiques engendreraient différentes manifestations négatives et passagères à la suite des contacts parent-enfant : la tendance à s’accrocher aux parents d’accueil, les perturbations du sommeil et de l’appétit, les pleurs, les cris, l’isolement et la morosité (Humphreys et Kiraly, 2010). Or, des études supplémentaires sont nécessaires pour soutenir l’effet du rythme fréquent des contacts parent-enfant, car le caractère répétitif semble venir exacerber certaines réactions négatives, notamment chez les très jeunes enfants placés (Humphreys et Kiraly, 2010).

Notre étude vise à examiner les liens entre la sensibilité du parent d’accueil et les réactions des enfants à la suite des contacts avec leurs parents biologiques, et ce, en considérant trois facteurs potentiellement confondants soit la sécurité d’attachement auprès du parent d’accueil, l’âge au moment du premier placement et la fréquence des contacts. Nous nous attendons à ce qu’une meilleure sensibilité chez le parent d’accueil soit associée à la présence de réactions négatives moindres à la suite des contacts parent-enfant, après avoir contrôlé ces trois facteurs.

Méthodologie

Participants

Les participants de la présente étude regroupent 51 triades, c’est-à-dire l’enfant placé, son parent biologique et son parent d’accueil. Une dyade, comprenant un enfant placé et son parent biologique, a aussi été rencontrée, mais l’absence de données liées au parent d’accueil ne nous permet pas d’inclure cette 52e triade.

Les enfants qui participent à notre étude sont âgés de 12 à 45 mois (Moyenne [M] = 30,6 ; Écart-Type [ÉT] = 10,1) au moment de l’évaluation. Ils sont placés en famille d’accueil de type régulière (41 %), en famille d’accueil de proximité (29 %) ou en famille d’accueil de type banque-mixte[1] (29 %). Ils ont connu d’une à six familles d’accueil (M = 2,1 ; ÉT = 1,3) et sont généralement hébergés dans la famille d’accueil actuelle depuis plus de 12 mois (M = 14,2 ; ÉT = 10,6).

Les parents biologiques de cet échantillon regroupent 47 femmes et 4 hommes. Ils sont âgés de 18 à 35 ans (M = 24,4 ; ÉT = 3,9) et présentent des conditions socioéconomiques très précaires. En effet, ces parents biologiques sont généralement séparés ou divorcés de l’autre parent biologique de l’enfant placé (59 %), ne détiennent pas de diplôme d’études secondaires (77 %), n’ont pas travaillé durant la dernière année (61 %), bénéficient de la sécurité du revenu (69 %), et leur revenu annuel total est de moins de 20 000 $ (82 %).

Les parents d’accueil ayant participé à l’étude regroupent 48 femmes et 3 hommes. Ils sont âgés de 29 à 64 ans (M = 43,9 ; ÉT = 8,5) et sont mariés ou en union civile (82 %). En général, ils détiennent un diplôme d’études secondaires (88 %), ont travaillé durant la dernière année (63 %), ont pour source de revenus principale leur emploi ou celui de leur conjoint (71 %) et leur revenu annuel total est de plus de 50 000 $ (57 %).

Déroulement

Les familles participantes sont recrutées grâce à la collaboration des Centres jeunesse de Québec, de Chaudière-Appalaches et de Lanaudière[2]. Les enfants sont recrutés s’ils sont placés dans une famille d’accueil et s’ils résident dans le même milieu substitut depuis au moins deux mois. La recherche suggère effectivement que les comportements d’attachement des enfants placés tendent à se stabiliser au cours des deux premiers mois de placement dans le même milieu de vie (Stovall et Dozier, 2000). Les enfants présentant des déficiences physiques ou intellectuelles sévères sont exclus de l’étude.

Dans un premier temps, à la suite de l’obtention de la certification éthique autorisant l’étude, les intervenants sociaux des milieux de la protection de l’enfance collaborateurs identifient les enfants admissibles à l’étude et demandent l’autorisation verbale du parent biologique à être contacté par un auxiliaire de recherche. Ce dernier fixe une rencontre à domicile afin de lui transmettre toutes les informations liées à l’étude et obtenir son consentement à y participer. Lors de cette rencontre avec le parent biologique, d’une durée d’une heure et demie, l’auxiliaire de recherche recueille les informations liées aux caractéristiques sociodémographiques ainsi qu’à la fréquence des contacts parent-enfant.

Dans un deuxième temps, les intervenants sociaux contactent le parent d’accueil concerné et s’assurent d’obtenir son autorisation verbale à être contacté par un auxiliaire de recherche. Ce dernier fixe aussi une rencontre à domicile, d’une durée de deux heures, permettant de compléter des mesures autorapportées, de réaliser une entrevue semi-structurée et d’observer la qualité des interactions entre l’enfant placé et son parent d’accueil à l’aide d’une séquence filmée.

Les milieux de la protection de l’enfance collaborateurs permettent aussi un dépouillement des dossiers psychosociaux des familles biologiques concernées, cela se réalisant à partir de la banque de données opérationnelles PIJ (Programme Intégration Jeunesse). De cette manière, le dépouillement fournit les données relatives à la trajectoire de placement de ces enfants, notamment l’âge au moment du premier placement.

Notre étude repose sur une analyse de données secondaires qui s’insère dans le cadre d’une collecte de données antérieure. Lors de cette démarche, une contribution de 20 $ était offerte aux parents biologiques et aux parents d’accueil participants. D’ailleurs, ceux-ci étaient informés de l’anonymisation des données recueillies.

Instruments de mesure

Âge au moment du premier placement. L’âge au moment du premier placement est recueilli à partir du dépouillement des dossiers psychosociaux. Il réfère au nombre de mois vécus au sein du milieu familial d’origine précédant le premier placement de l’enfant dans un milieu substitut.

Fréquence des contacts. La fréquence des contacts parent-enfant est recueillie auprès du parent biologique. Celui-ci est questionné quant à la fréquence mensuelle des contacts survenus au cours des six derniers mois.

Réactions négatives. Les réactions négatives sont évaluées à l’aide d’une échelle de mesure exploratoire inspirée des travaux de Gean et ses collègues (1985) qui permet d’évaluer la présence de différentes réactions chez les enfants à la suite de contacts avec leurs parents biologiques. Ainsi, il est demandé au parent d’accueil d’identifier les réactions qui, selon eux, font suite aux contacts parent-enfant. Les réactions suivantes sont évaluées : agressivité, énurésie, isolement, mutilation, perturbations de l’appétit, perturbations du sommeil, pleurs, somatisation, tendance à s’accrocher au parent d’accueil et toute autre réaction négative identifiée par le parent d’accueil. Pour l’ensemble de ces 10 items, le parent doit préciser l’intensité de la réaction négative sur une échelle de type Likert allant de jamais (0) à toujours (5), et ce en considérant la période de référence des six derniers mois. La variable « Réactions négatives » correspond au cumul des réactions négatives rapportées par le parent d’accueil et est créée en additionnant le score rapporté pour chacune des 10 réactions négatives mesurées. Le score global peut alors varier entre 0 et 50. Si les contacts de l’enfant placé se déroulent à travers plusieurs milieux (famille d’accueil, famille biologique ou milieu neutre), le parent d’accueil est appelé à rapporter les réactions négatives suivant chacune de ces modalités de contact. Or, pour le cumul de la variable « Réactions négatives », nous considérons seulement le milieu pour lequel les réactions de l’enfant sont les plus vives. Nous visons ainsi à documenter les réactions qui sont les plus susceptibles de soulever des inquiétudes chez les parents d’accueil.

Sécurité d’attachement. La sécurité d’attachement est mesurée par le Tri-de-cartes des comportements d’attachement (Waters et Deane, 1985 ; Waters, 1995). Cette évaluation comprend 90 items décrivant les comportements d’attachement manifestés par l’enfant auprès de son parent d’accueil, et ce, au cours d’une évaluation à domicile d’une durée de deux heures. Aussitôt la visite terminée, l’observateur doit compléter le Tri-de-cartes des comportements d’attachement en classant l’ensemble des items en 9 catégories de 10 items. Ainsi, les items qui décrivent le moins l’enfant observé sont classés de la première à la troisième pile alors que les items qui sont les plus caractéristiques de l’enfant observé sont groupés de la septième à la neuvième pile. Les items plus ou moins caractéristiques de l’enfant observé sont classés de la quatrième à la sixième pile. Puis, des corrélations sont réalisées entre les scores bruts obtenus à chacun des items et les scores critères décrivant un enfant typiquement sécure. Le score final obtenu varie entre -1 et 1, le score le plus élevé référant à la sécurité d’attachement. Le Tri-de-cartes des comportements d’attachement est complété par des auxiliaires de recherche formés. En effet, une formation de deux jours, ainsi que des rencontres d’équipe régulières, ont assuré la précision des observations. Les qualités psychométriques sont établies et permettent d’offrir des liens avec la classification obtenue à partir de la procédure de la situation étrangère (Tarabulsy et al., 1997 ; Vaughn et Waters, 1990).

Sensibilité du parent d’accueil. La sensibilité du parent d’accueil est évaluée à l’aide de la version courte du Tri-de-cartes du comportement maternel (Tarabulsy et al., 2009). Cette mesure comprend 25 items évaluant la qualité des comportements parentaux observés lors d’une séquence de jeu filmée au cours de la visite au domicile du parent d’accueil. Lors de cette séquence, l’enfant et son parent d’accueil sont invités à jouer ensemble pour une période de 10 minutes, soit trois minutes sans jouet, puis sept minutes avec jouets. Le responsable de la codification est aveugle du déroulement de la visite, de la situation de l’enfant et de celle de son parent d’accueil. Afin d’obtenir un score final, le Tri-de-cartes du comportement maternel est complété en classant l’ensemble des items en cinq catégories de cinq items. Ainsi, les items sont classés en cinq piles distinctes de manière à les trier selon un score de 1 à 5 (1 : non-caractéristique du parent observé ; 5 : caractéristique du parent observé). Ensuite, des corrélations sont réalisées entre les scores bruts obtenus à chacun des items et les scores critères décrivant un parent typiquement sensible. Les scores obtenus varient entre -1 et 1 (-1 : prototype du parent insensible ; 1 : prototype du parent sensible). Les propriétés psychométriques de la version courte du Tri-de-cartes du comportement maternel sont établies. Les scores obtenus par Tarabulsy et ses collègues (2009) avec la version courte de l’instrument corrèlent bien avec la version longue de l’instrument à 90 items qui se codifie à partir d’une observation à domicile de deux heures (Pederson et Moran, 1995).

Résultats

Analyses descriptives

Des analyses descriptives sont effectuées afin d’examiner l’échantillon recueilli. Premièrement, les résultats aux analyses descriptives évoquent la présence de réactions négatives chez de nombreux enfants placés. En effet, la plupart des parents d’accueil de notre échantillon (86 %) rapportent que l’enfant placé dont ils prennent soin manifeste au moins une réaction négative à la suite des contacts parent-enfant, nonobstant l’intensité des réactions.

Certaines réactions négatives sont rapportées plus fréquemment que d’autres par les parents d’accueil de notre échantillon. Ainsi, 51 % d’entre eux rapportent chez l’enfant placé une tendance à s’accrocher à eux à la suite des contacts parent-enfant. Des perturbations du sommeil sont rapportées par 47 % des parents d’accueil. De plus, 33 % des parents d’accueil rapportent chez l’enfant placé des perturbations de l’appétit à la suite des contacts parent-enfant alors qu’une même proportion rapporte la présence de pleurs. L’agressivité chez l’enfant placé à la suite des contacts est rapportée par 31 % des parents d’accueil alors que la proportion est plutôt de 10 % concernant l’isolement. Également, de la mutilation est rapportée dans 8 % des cas, de l’énurésie dans 4 % des cas et de la somatisation dans 4 % des cas. En plus, 29 % des parents d’accueil rapportent qu’à la suite des contacts parent-enfant, ils constatent chez l’enfant placé la présence d’une autre réaction, quelle qu’elle soit, qui n’est pas catégorisée par l’instrument de mesure. Bien que certaines réactions négatives surviennent plus souvent que d’autres, les résultats montrent que le cumul de l’intensité de chacune de ces réactions, traduite par un score global pouvant s’échelonner de 0 à 50, varie considérablement entre les participants (voir Tableau 1).

Tableau  1

Caractéristiques des participants rencontrés (N = 51)

Caractéristiques des participants rencontrés (N = 51)

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Les résultats aux analyses descriptives suggèrent que la qualité des interactions diffère beaucoup selon les diverses familles concernées, puisqu’une hétérogénéité est constatée autant pour la sensibilité des parents d’accueil que pour la sécurité d’attachement manifestée par les enfants. De même, les résultats montrent que l’âge au moment du premier placement ainsi que la fréquence des contacts parent-enfant varient largement entre les participants.

Analyses corrélationnelles

Des corrélations de Pearson sont effectuées afin d’examiner les associations possibles entre les différentes variables étudiées (voir Tableau 2). Les résultats montrent que l’échelle « Réactions négatives » est significativement associée à la sensibilité du parent d’accueil et qu’elle tend à être associée à la sécurité d’attachement, de même qu’à l’âge au moment du premier placement, mais pas à la fréquence des contacts. Ainsi, plus la sensibilité des parents d’accueil est élevée, moins ceux-ci rapportent de réactions négatives chez les enfants placés à la suite des contacts avec leurs parents biologiques. Également, ces réactions négatives tendent à être plus fréquemment rapportées chez les enfants placés présentant moins de comportements d’attachement sécure ou étant moins âgés au moment du premier placement. Les analyses corrélationnelles révèlent aussi que la sensibilité du parent d’accueil est associée positivement à la sécurité d’attachement observée chez les enfants placés lors des interactions avec leur parent d’accueil. Ainsi, plus la sensibilité des parents d’accueil est élevée, plus les enfants placés présentent des comportements d’attachement sécure auprès du parent d’accueil.

Tableau  2

Matrice de corrélations pour l’ensemble des variables étudiées

Matrice de corrélations pour l’ensemble des variables étudiées

Note. *p < 0,05. †p < 0,10. ‡p < 0,20.

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Analyses de régression multiple

Les analyses corrélationnelles suggèrent que, parmi les variables étudiées, seules celles de la sensibilité du parent d’accueil, de la sécurité d’attachement et de l’âge au moment du premier placement sont associées ou tendent à être associées aux réactions négatives observées par les parents d’accueil à la suite des contacts parent-enfant. Ces variables peuvent donc être retenues lors des analyses subséquentes.

En effet, selon les recommandations de Bendel et Afifi (1977), citées dans Tabachnick et Fidell (2001), les variables ayant une association correspondant à p < 0,20 peuvent être incluses dans des procédures de régression multiple. Toutefois, la sécurité d’attachement ne sera pas retenue pour des analyses subséquentes considérant la corrélation modérée qu’elle présente avec la sensibilité du parent d’accueil. En effet, la méta-analyse de Bakermans-Kranenburg et ses collègues (2003) révèle l’existence d’une relation causale entre les concepts de sensibilité parentale et de qualité d’attachement chez les enfants, ce qui souligne que ces variables sont intimement liées entre elles.

Nous prenons la décision de conserver seulement les variables de la sensibilité du parent d’accueil et de l’âge au moment du premier placement, de manière à respecter le principe de parcimonie (Gillaizeau et Grabar, 2011 ; Goetschalckx et al., 2008). Les analyses de régression multiple seront donc réalisées en contrôlant pour la sensibilité du parent d’accueil et pour l’âge au moment du premier placement.

Les conditions d’utilisation des analyses de régression multiple ont été vérifiées. Les nuages de points bivariés permettent de confirmer le respect de la condition d’homoscédasticité, et celle de la linéarité de la relation entre les variables étudiées. Également, les facteurs d’inflation de la variance (VIF) de toutes les variables étudiées ont une valeur inférieure à 10, ce qui confirme qu’aucun problème de multicolinéarité n’est diagnostiqué. La valeur de la variable Durbin-Watson, se situant entre 1 et 3, permet, de plus, de confirmer l’absence de problème quant à l’indépendance des erreurs. Or, l’examen des graphiques des résidus ne permet pas de confirmer une normalité multivariée, mais la représentation visuelle semble s’en rapprocher. De même, l’examen des valeurs extrêmes permet de repérer une valeur dont le résidu standardisé s’avère supérieur à 3,29 (3,35). Nous considérons toutefois cette valeur extrême dans les analyses subséquentes puisqu’elle ne constitue pas une erreur d’entrée des données et que son retrait ne vient pas rétablir une normalité multivariée, cela pouvant davantage s’expliquer par la taille de notre échantillon.

À cet effet, les analyses de régression multiple sont réalisées par entrée progressive par le biais de la méthode pas-à-pas, celle-ci permettant au logiciel d’exclure automatiquement les variables non statistiquement significatives. Les analyses de régression multiple s’effectuent avec la variable dépendante des réactions négatives observées par les parents d’accueil à la suite des contacts parent-enfant (voir Tableau 3).

Tableau  3

Analyses de régression multiple des variables de la sensibilité du parent d’accueil et de l’âge au moment du premier placement sur les réactions négatives observées par les parents d’accueil à la suite de contacts parent-enfant

Analyses de régression multiple des variables de la sensibilité du parent d’accueil et de l’âge au moment du premier placement sur les réactions négatives observées par les parents d’accueil à la suite de contacts parent-enfant

Note. R² = 0,08, F(1, 49) = 4,31, p < 0,05.

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Les résultats aux analyses de régression multiple démontrent que le modèle qui considère la sensibilité du parent d’accueil contribue significativement à expliquer les réactions négatives observées par les parents d’accueil à la suite des contacts parent-enfant. La variable de l’âge au moment du premier placement n’apporte pas une telle contribution statistique. En effet, cette variable n’a pas été retenue dans ce modèle par le logiciel, la valeur de F (p = 0,07) n’atteignant pas le seuil de signification exigé par notre critère de sélection des variables (p < 0,05). Aucun effet d’interactions entre les variables étudiées n’est observé.

Les résultats aux analyses de régression multiple viennent donc suggérer que plus les parents d’accueil sont sensibles à l’égard de l’enfant placé dont ils prennent soin, moins ils rapportent chez celui-ci de réactions négatives à la suite des contacts parent-enfant.

Discussion

Notre étude porte un regard sur les réactions négatives observées par les parents d’accueil à la suite des contacts des enfants placés avec leurs parents biologiques. Plus particulièrement, elle tente d’apporter un éclairage sur des facteurs pouvant venir expliquer ces réactions négatives. Alors que nous examinons à priori les liens entre la sensibilité du parent d’accueil et les réactions des enfants à la suite des contacts, nous considérons également trois facteurs potentiellement confondants soit la sécurité d’attachement, l’âge au moment du premier placement et la fréquence des contacts.

Des analyses descriptives ont été effectuées et permettent de commenter l’échantillon recueilli. D’abord, la fréquence des contacts varie considérablement d’une famille à l’autre de notre échantillon, certains enfants placés n’ayant aucun contact mensuel et d’autres rencontrant leurs parents biologiques quotidiennement. Il demeure qu’en moyenne, les enfants rencontrés ont quelques contacts mensuels avec leurs parents biologiques. Cela nous rappelle d’autres travaux qui soulignent les modalités de contacts variées auxquelles sont exposés les enfants placés (Hess, 2003 ; Neil, 2002 ; Poitras et Tarabulsy, 2016).

De plus, alors que certains enfants rencontrés dans notre étude ont habité quelques années avec leurs parents biologiques, d’autres ont connu un placement dès leur naissance. Bien que le temps passé dans le milieu familial d’origine varie considérablement d’un enfant à l’autre de notre échantillon, il demeure qu’en moyenne, les enfants rencontrés ont généralement passé peu de temps avec leurs parents biologiques avant d’être placés. Des travaux ont démontré qu’un placement durant la première année de vie permet davantage aux enfants d’âge préscolaire de réorganiser leurs comportements d’attachement autour de la nouvelle figure parentale, cela leur permettant de manifester des comportements d’attachement davantage sécure (Stovall et Dozier, 2000). Notre étude souligne plutôt l’existence de défis sur le plan de l’attachement qui perdurent chez les enfants malgré leur placement précoce.

Notre étude fait aussi ressortir que la sensibilité des parents d’accueil rencontrés dans notre étude varie considérablement, notre échantillon affichant un score moyen comparable à celui obtenu chez les parents maltraitants (M = 0,27 ; ÉT = 0,46) (Moss et al., 2011) ou à haut risque psychosocial (M = 0,35 ; ÉT = 0,35) (Tarabulsy et al., 2009). Cela est préoccupant considérant le rôle majeur de la sensibilité parentale sur le développement socioaffectif (NICHD Early Child Care Research Network, 2004 ; Robinson et al., 1997), alors que ces enfants sont déjà fragilisés par le placement et que l’ouverture du parent d’accueil face aux contacts parent-enfant peut moduler les réactions des enfants placés (Gean et al., 1985 ; Mapp, 2002). Les scores de sensibilité parentale de notre étude sont inférieurs aux scores moyens obtenus auprès d’un échantillon comparable, c’est-à-dire de 40 mères d’accueil québécoises hébergeant des enfants âgés de moins de cinq ans (M = 0,63 ; ÉT = 0,26) (Moss et al., 2009). L’écart entre ces résultats pourrait s’expliquer par le type de familles d’accueil impliquées dans ces études respectives (famille d’accueil de type régulière, famille d’accueil de proximité ou famille d’accueil de type banque-mixte). En effet, l’échantillon de Moss et ses collègues est exclusivement constitué de familles d’accueil de type banque-mixte alors que notre échantillon regroupe les trois types de familles d’accueil. Notre moindre représentation de familles d’accueil de type banque-mixte (29 %) pourrait avoir contribué à recueillir un échantillon de parents d’accueil moins engagés auprès de l’enfant placé qu’ils ont choisi d’héberger temporairement. En effet, rappelons que les familles d’accueil de type banque-mixte s’engagent dans un programme québécois à vocation adoptive, les parents d’accueil pouvant éventuellement adopter l’enfant placé si les conditions cliniques et juridiques concluent à l’échec des efforts de réunification familiale (Chateauneuf et Lessard, 2015). Cette perspective de parentalité à long terme pourrait venir contribuer à la qualité de la relation avec l’enfant placé. D’ailleurs, le statut adoptif d’une famille d’accueil peut prédire la sensibilité parentale chez les parents d’accueil, suggérant que la perspective d’adoption pourrait influencer positivement la construction de la relation entre le parent d’accueil et l’enfant placé (Ponciano, 2010).

Il ressort aussi de notre étude une grande variabilité de la sécurité d’attachement entretenue par les enfants placés auprès de leur parent d’accueil, ce qui reflète que certains enfants placés parviennent mieux que d’autres à adopter de nouveaux comportements d’attachement sécure. Par ailleurs, il demeure que les enfants ayant connu de la négligence ou de la maltraitance, comme c’est généralement le cas chez les enfants placés, sont davantage portés à développer des comportements d’attachement insécure (Carlson et al., 1989 ; Egeland et Sroufe, 1981 ; Stronach et al., 2011 ; Styron et Janoff-Bulman, 1997). Cette grande variabilité de la sécurité d’attachement entretenue auprès du parent d’accueil est aussi soulevée par une autre étude en contexte de placement chez les très jeunes enfants placés (Ponciano, 2010). Or, notre étude présente des scores de sécurité d’attachement inférieurs aux scores moyens obtenus (M = 0,46 ; ÉT = 0,20) dans l’étude de Moss et ses collègues (2009). Il est possible que cela s’explique par les scores moyens de sensibilité parentale que nous avons obtenus et qui sont eux aussi inférieurs à ceux de cette étude. En effet, les composantes de la sécurité d’attachement et de la sensibilité parentale sont des variables significativement corrélées entre elles (Bakermans-Kranenburg et al., 2003).

De surcroît, la majorité (86 %) des enfants participant à notre étude manifesterait au moins une réaction négative à la suite des contacts avec leurs parents biologiques. Les réactions les plus fréquemment observées par les parents d’accueil à la suite des contacts parent-enfant sont la tendance chez l’enfant à s’accrocher à eux, les perturbations du sommeil, les perturbations de l’appétit, les pleurs, ainsi que l’agressivité. Le fait que chacune de ces réactions soit rapportée par un nombre considérable de parents d’accueil semble conforme aux inquiétudes qu’ils expriment quant aux impacts des contacts parent-enfant en contexte de placement. En effet, les réactions négatives fréquemment rapportées dans notre étude sont cohérentes avec celles qui sont mises en valeur par d’autres chercheurs chez les très jeunes enfants placés, soit la tendance à s’accrocher à la famille d’accueil, les perturbations du sommeil et de l’appétit, les pleurs, les cris, l’isolement et la morosité (Humphreys et Kiraly, 2010). Plusieurs hypothèses pourraient expliquer les réactions négatives rapportées par les parents d’accueil à l’égard de l’enfant placé dont ils prennent soin. Notamment, le contexte potentiellement anxiogène de rencontrer son parent biologique aux prises avec des lacunes parentales, ainsi que les préoccupations générées chez l’enfant placé lors de la séparation d’avec son parent d’accueil, pourraient susciter des réactions négatives à la suite des contacts parent-enfant. Il est aussi possible que les réactions s’expliquent par la reviviscence de souvenirs traumatiques vécus par certains enfants ou bien se justifient par les perturbations de la routine induites par les contacts parent-enfant. Il va sans dire que les contacts sont vécus par les enfants placés de manière très personnelle et que certaines caractéristiques quant à la qualité des contacts pourraient en modifier l’expérience.

Les enfants placés participant à la présente étude sont d’âge préscolaire et il est attendu que les parents d’accueil puissent jouer un rôle significatif dans la régulation de l’expérience émotionnelle générée par les contacts entre l’enfant placé et ses parents biologiques. Nos résultats aux analyses corrélationnelles (r = 0,34 ; p < 0,05) confirment bien les liens étroits entre la sensibilité parentale et la sécurité d’attachement consolidée par l’enfant placé auprès de son parent d’accueil (Bakermans-Kranenburg et al., 2003). Notre étude vient aussi confirmer notre hypothèse selon laquelle les réactions des enfants à la suite des contacts avec leurs parents biologiques sont associées à la sensibilité parentale du parent d’accueil (r = -0,28 ; p < 0,05). Ainsi, plus les parents d’accueil sont sensibles à l’égard de l’enfant dont ils prennent soin, moins ils rapportent de réactions négatives à la suite des contacts parent-enfant. Considérant que la sensibilité parentale est associée à une meilleure régulation émotionnelle chez les enfants (NICHD Early Child Care Research Network, 2004 ; Robinson et al., 1997), il est probable que les parents d’accueil sensibles étayent mieux les capacités adaptatives de l’enfant placé, tout en soutenant davantage les réactions à la suite des contacts parent-enfant. Autrement, il est possible que les parents d’accueil plus sensibles soient moins intransigeants face aux réactions négatives de l’enfant placé à la suite des contacts parent-enfant et qu’ils perçoivent de façon plus favorable le maintien de ces contacts.

Deux tendances sont aussi ressorties des analyses corrélationnelles entre les réactions négatives des enfants placés et l’âge au moment du premier placement (r = -0,25 ; p < 0,10), ainsi qu’entre les réactions négatives des enfants placés et la sécurité d’attachement (r = -0,23 ; p < 0,20). Ainsi, les réactions négatives tendent à être plus fréquemment rapportées chez les enfants étant moins âgés au moment du premier placement ou présentant moins de comportements d’attachement sécure. Une hypothèse quant à l’âge au moment du premier placement vient du fait que les enfants placés tardivement aient pu développer un sentiment d’appartenance plus important, ce qui pourrait faciliter les contacts parent-enfant (Colón, 1978). Autrement, considérant que la sécurité d’attachement constitue un prédicteur reconnu de la régulation émotionnelle des enfants d’âge préscolaire et scolaire (Brenning et al., 2012 ; NICHD Early Child Care Research Network, 2004), il est probable que les enfants placés présentant plus de comportements d’attachement sécure se régulent mieux à la suite des contacts avec leurs parents biologiques, cela venant atténuer la manifestation de réactions négatives.

Les analyses de régression multiple effectuées révèlent que les réactions des enfants placés à la suite des contacts parent-enfant ne sont pas associées aux facteurs potentiellement confondants considérés dans cette étude soit la sécurité d’attachement, l’âge au moment du premier placement et la fréquence des contacts. Ainsi, nos résultats proposent que ce soit la composante de la sensibilité du parent d’accueil (F(1, 49) = 4,31, p < 0,05) qui permet une meilleure compréhension des réactions observées. Ces résultats nous paraissent confirmer le rôle prépondérant de la sensibilité du parent d’accueil sur la régulation des réactions potentielles de l’enfant placé à la suite des contacts avec le parent biologique.

Bref, notre étude témoigne du rôle saillant des parents d’accueil quant aux réactions observées à la suite des contacts parent-enfant, ainsi que de l’importance de soutenir émotionnellement les enfants placés en lien avec les émotions complexes qui peuvent être générées par l’expérience relationnelle unique des contacts parent-enfant. Notre étude expose le rôle crucial de la sensibilité parentale des parents d’accueil pour soutenir les enfants vivant des contacts avec leurs parents biologiques à la suite du placement. Ces résultats suggèrent donc une piste d’intervention auprès des parents d’accueil afin que ces derniers accompagnent l’enfant placé dont ils prennent soin en adoptant un rôle de base sécurisante face aux contacts parent-enfant. Cette recommandation est d’ailleurs affirmée par plusieurs chercheurs (Zeanah et al., 2011). Considérant les défis qui attendent les parents d’accueil à la suite du placement de l’enfant, il nous parait incontournable qu’un soutien des comportements parentaux soit offert aux parents d’accueil, notamment par l’utilisation de programmes d’intervention reconnus pour favoriser leur sensibilité parentale (Moss et al., 2009).

Limites de l’étude

Les résultats obtenus dans la présente étude comportent différentes limites à souligner. D’abord, la taille de l’échantillon limite la généralisation des résultats obtenus. En effet, la réalité des enfants placés, à la suite d’un vécu de maltraitance ou de négligence, est hétérogène et des études d’envergure sont nécessaires pour décrire la complexité des phénomènes. La taille de l’échantillon a également limité la réalisation d’analyses statistiques qui nous auraient notamment permis d’examiner la contribution de facteurs comme le type de familles d’accueil auprès de qui les enfants sont placés. En effet, les parents impliqués dans les familles d’accueil de type régulière, de proximité ou de type banque-mixte sont susceptibles de connaître des motivations différentes à l’égard des enfants qui leur sont confiés (Cole, 2005) et d’établir différemment la relation auprès de l’enfant placé (Ponciano, 2010). Or, la taille de notre échantillon ne nous permet pas de saisir l’ensemble de ces nuances et il serait pertinent que d’autres chercheurs puissent s’intéresser à ce sujet de recherche auprès d’une plus grande taille d’échantillon de manière à examiner l’impact du type de famille d’accueil sur les réactions observées à la suite des contacts parent-enfant.

Également, l’échelle exploratoire que nous avons utilisée afin de mesurer les réactions négatives des enfants placés à la suite des contacts parent-enfant n’a pas été validée, mais est inspirée des travaux de Gean et ses collègues (1985). Or, plusieurs réactions potentielles ne sont pas incluses dans cette échelle. Notamment, des réactions positives ou des réactions plus subtiles ou complexes pourraient être considérées lors d’études ultérieures.

De plus, l’utilisation du parent d’accueil comme source d’informations comporte également des limites. En effet, des facteurs propres aux parents d’accueil, comme la présence de symptômes anxieux, sont susceptibles de susciter des appréhensions face aux contacts parent-enfant (Chateauneuf et al., 2018). Cela pourrait venir augmenter leur vigilance aux manifestations négatives de l’enfant placé à la suite de ces contacts. De plus, des facteurs liés à la clarification du projet de vie, comme une invitation des parents d’accueil à colliger leurs observations à la suite des contacts parent-enfant pour en déterminer la fréquence, pourraient augmenter leur vigilance aux réactions négatives de l’enfant placé. Il serait donc intéressant, lors d’études supplémentaires, d’obtenir des observations complémentaires par le biais de répondants neutres comme l’éducateur de la garderie fréquentée par l’enfant.

Puis, notre étude s’est attardée à la fréquence des contacts parent-enfant, alors qu’il est probable que d’autres modalités des contacts puissent contribuer à l’expérience vécue par l’enfant placé. Ainsi, la présence d’un tiers superviseur, de même que le lieu où se déroulent les contacts parent-enfant, constituent autant de facteurs qui pourraient être examinés afin d’enrichir les réflexions sur les contacts parent-enfant suivant le placement.

Enfin, il est évident que le déroulement des contacts parent-enfant, la qualité des interactions qui y sont observées, de même que l’engagement du parent d’accueil envers l’enfant placé, nous paraissent des facteurs importants à considérer. En effet, des travaux de recherche ont démontré l’efficacité de l’intervention visant la promotion du déroulement des visites parent-enfant (Haight et al., 2005), de la sensibilité parentale des parents biologiques (Moss et al., 2014) et de l’engagement parental (Fisher et Stoolmiller, 2008). Une meilleure connaissance de ces facteurs pourrait être favorable pour développer des pistes d’intervention efficaces au profit des enfants placés. Des travaux de recherche supplémentaires nous paraissent donc incontournables afin de parvenir à mieux identifier l’ensemble des facteurs associés aux réactions négatives observées à la suite des contacts parent-enfant.

Or, notre étude se distingue par une collecte de données issue de multiples répondants, ainsi que par l’utilisation de données autorapportées et de données issues de méthodes observationnelles. Surtout, la présente étude est la première, à notre connaissance, à souligner le rôle central de la sensibilité parentale du parent d’accueil dans la régulation émotionnelle des réactions des enfants placés à la suite des contacts avec leurs parents biologiques.

Somme toute, la sensibilité parentale représente une avenue intéressante pouvant faciliter les transitions entourant les contacts. Cela témoigne de l’importance de privilégier les facteurs reliés à la relation du parent d’accueil avec l’enfant placé plutôt que de favoriser le débat sur la fréquence des contacts. Ce résultat est cohérent à la recommandation exprimée par Zeanah et ses collègues (2011) qui soulignent les besoins des jeunes enfants placés de bénéficier d’une base sécurisante lors des contacts parent-enfant. De surcroît, les résultats obtenus concernant la présence, chez une majorité d’enfants rencontrés, de réactions négatives à la suite des contacts parent-enfant démontrent une fois de plus qu’il est essentiel de se pencher sur ce domaine de recherche qui concerne une clientèle clairement mise à l’épreuve au cours de son développement.