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Introduction

La mesure de placement est une intervention de dernier recours, justifiée par une situation familiale compromettant le développement et/ou la sécurité de l’enfant. Lorsque l’enfant doit être retiré de son milieu d’origine, tous les efforts doivent être mis au profit de la stabilité du milieu d’accueil afin de minimiser les déplacements dans d’autres contextes familiaux et d’éviter les tentatives de réunification familiale infructueuses. Si la réunification au milieu d’origine est l’objectif établi dans les situations où l’on peut envisager une modification des conditions ayant mené au signalement, la stabilité de l’environnement de l’enfant est, dans tous les cas, une préoccupation qui est au centre des politiques des Services de Protection de l’Enfance (Ministère de la Santé et des Services sociaux [MSSS], 2010).

Le maintien des contacts entre l’enfant et ses parents biologiques est généralement prévu lorsque la réunification familiale est envisagée pour l’enfant. Une fréquence accrue de contacts améliorerait la qualité des interactions entre l’enfant et ses parents biologiques (McWey et Mullis, 2004) et favoriserait les perspectives de réunification familiale (Davis et al., 1996). Par ailleurs, il est connu que ces contacts peuvent être une source de perturbations chez les enfants d’âge scolaire (Moyers et al., 2006 ; Neil et al., 2003 ; Strijker et Knorth, 2009) et préscolaire (Poitras et al., 2015), et sont aussi sujets de tension pour les parents d’accueil et pour les parents biologiques (Osborn et Delfabbro, 2009 ; Palmer, 1995). Bien que les bénéfices des contacts ne fassent pas consensus dans la littérature scientifique, plusieurs avancent que le maintien des contacts avec la famille d’origine permet une relation durable dans le contexte des trajectoires instables que vivent les enfants placés par les services de protection de l’enfance (Barber et Delfabbro, 2004 ; Courtney et Dworsky, 2006 ; Leathers, 2002 ; Leathers et Testa, 2006).

Plusieurs auteurs se sont intéressés aux liens entre les contacts parent-enfant et divers indices de stabilité de la trajectoire de placement, notamment le nombre de milieux d’accueil, la réussite ou l’échec de la réunification familiale (Barber et Delfabbro, 2004, Davis et al., 1996, Macaskill, 2002). Or, les résultats sont contradictoires et certains rappellent l’absence de balises claires pouvant soutenir des recommandations quant aux modalités de contacts les plus favorables (Quinton et al., 1997).

L’instabilité de la trajectoire de placement est un facteur de risque supplémentaire pour ces enfants vulnérables qui cumulent de nombreux risques au plan psychosocial. En effet, l’instabilité du placement est néfaste au fonctionnement de l’enfant, notamment quant à la présence et l’intensité des comportements externalisés (Newton et al., 2000) et leur milieu d’origine, dans le contexte d’une réunification familiale (Kupsinel et Dubsky, 1999).

En somme, il est essentiel de connaitre les facteurs associés à la trajectoire de placement afin de soutenir le fonctionnement de ces enfants et leur adaptation au placement. Aussi, considérant le manque de consensus quant au rôle des contacts parent-enfant sur la trajectoire de placement, la nécessité impose de poursuivre la recherche sur ce sujet (Cicchetti et Carlson, 1989 ; Chisholm et al., 2009).

Définitions de la stabilité de la trajectoire de placement

Les détails touchant la stabilité du placement peuvent être définis de manière un peu différente selon les contextes nationaux. Au Québec, afin d’offrir les conditions les plus favorables aux enfants, il est recommandé de procéder rapidement à la clarification d’un projet de vie pour l’enfant suite au retrait de son milieu familial. Dans le manuel de référence sur la protection de la jeunesse publié par le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS, 2010), ce concept est mis en contexte de la façon suivante : « Au Québec, comme dans plusieurs pays occidentaux, l’importance d’assurer un milieu de vie stable aux enfants placés a donné lieu au développement de programmes d’intervention visant l’élaboration de projets de vie » (p. 690). Pour ce faire, les intervenants doivent élaborer deux projets de vie pour l’enfant placé : le projet de vie privilégié (généralement axé sur le retour de l’enfant dans son milieu familial) et le projet dit alternatif (envisageant une autre option au cas où la réunification s’avèrerait impossible).

Un projet de vie permanent est donc recherché pour l’enfant, lui permettant ainsi de profiter de la continuité et de la stabilité dont il a besoin (Gauthier et al., 2004). Ainsi, la stabilité de la trajectoire de placement se définit, entre autres, par le projet de vie qui sera actualisé au terme de la mesure de placement. Le retour dans le milieu familial est le projet de vie permanent qui est privilégié. Cependant, l’hébergement en famille d’accueil jusqu’à la majorité de l’enfant, le placement chez une personne significative, l’adoption ou la tutelle sont également considérés comme des projets de vie permanents possibles. La littérature révèle donc que les chercheurs ont mesuré la stabilité de la trajectoire de placement à l’aide d’indices tels que la permanence du projet de vie au terme du placement (Akin, 2011 ; Taussig et al., 2001), de même que le temps nécessaire pour actualiser ce projet de vie (Akin, 2011 ; Potter et Klein-Rothschild, 2002).

Lorsque ce projet de vie permanent échoue (par exemple, lors d’un retour en milieu d’accueil après une réunification familiale) ou lorsque le placement se prolonge, la stabilité de la trajectoire de placement est généralement mesurée à l’aide d’indices tels que le nombre de milieux d’accueil expérimentés par l’enfant (Newton et al., 2000), l’échec de la réunification (Fernandez, 2009 ; Wade et al., 2011) ou les motifs soutenant les changements de milieux (James, 2004). En somme, les définitions de la stabilité de la trajectoire de placement se regroupent autour de deux facteurs principaux, soit la permanence du projet de vie proposé à l’enfant et la stabilité des milieux de vie rencontrés.

Dans le présent article, nous nous intéresserons à trois indices de stabilité de la trajectoire de placement, soit la réunification familiale, l’échec de la réunification familiale et le nombre de familles d’accueil auxquelles l’enfant est exposé pendant que les mesures de placement sont en cours. Ces trois indices sont visés par les récentes modifications à la Loi sur la Protection de la Jeunesse (2007). Ainsi, il nous parait intéressant de se pencher sur les liens entre les contacts parent-enfant et ces indices de stabilité de la trajectoire de placement, d’autant plus que ces modifications législatives viennent également favoriser l’implication du parent biologique auprès de son enfant et en lien aux décisions le concernant.

Stabilité de la trajectoire de placement : État de la situation, liens avec les contacts parent-enfant et facteurs potentiellement confondants

La réunification familiale

Ainsi, la réunification familiale est l’issue recherchée par les services de protection de la jeunesse et le retrait de l’enfant de son milieu familial est d’abord perçu comme étant une mesure d’intervention temporaire, afin de permettre au parent de stabiliser ou modifier les circonstances qui compromettent le développement ou la sécurité de son enfant. Conséquemment, la réunification familiale est au centre des interventions et des préoccupations des intervenants sociaux et pour plus de la moitié des enfants, le placement conduira à la réunification familiale (Esposito et al., 2014a ; Wulczyn, Hislop, et Harden, 2002).

Au Canada, Esposito et al. (2014a) réalisent la première étude longitudinale portant sur la réunification familiale en analysant les dossiers psychosociaux de 30 000 enfants placés. Ils trouvent que près de 70 % des enfants de moins de 9 ans réintègrent leur famille élargie à la suite de leur hébergement en milieu substitut et pour plus de la moitié d’entre eux, cette réunification survient dans la première année suivant le placement. Cependant, cette étude démontre que les enfants âgés de 2 à 5 ans sont les moins susceptibles de vivre une réunification familiale.

En effet, les enfants d’âge préscolaire sont moins souvent réunifiés à leur milieu familial d’origine. Ainsi, deux études canadiennes montrent que les enfants âgés de moins de 2 ans au premier placement sont réunifiés à leur famille dans 24 à 30 % des cas (Hélie et al., 2016 ; Esposito et al., 2014a). Des études supplémentaires sont nécessaires afin de mieux comprendre les facteurs associés à la réunification familiale chez les jeunes enfants après une expérience de placement.

Dans une série d’articles portant sur la situation des enfants hébergés en famille d’accueil, Barber et al. (2001) et Barber et Delfabbro (2003a, 2003b, 2004) présentent des données issues d’expérimentations menées auprès d’une cohorte de 235 enfants âgés de 4 à 17 ans évalués à divers moments des mesures de placement. Les auteurs démontrent que 25 % des enfants retournent dans leur milieu familial d’origine à l’intérieur des 4 premiers mois. Cependant, d’autres études indiquent que pour les enfants plus jeunes, la réunification familiale peut nécessiter plus de temps et l’étude d’Esposito et al. (2014a) indique que ce sont les enfants de moins de 5 ans qui tardent à réintégrer leur famille. Ces résultats sont préoccupants et soulignent la pertinence d’étudier la trajectoire de placement chez les jeunes enfants placés.

Outre l’âge de l’enfant au moment de son placement, les difficultés comportementales qu’il présente consistent en un facteur associé à la réunification familiale. En effet, l’enfant qui présente des difficultés comportementales aurait moins de chance de vivre une réunification familiale (Davis et al., 1996 ; Landsverk et al., 1996).

Enfin, le maintien des contacts entre l’enfant et ses parents biologiques pendant la mesure de placement est un bon prédicteur de la réunification familiale (Barber et Delfabbro, 2004 ; Davis et al., 1996). Pour les mères visitant leur enfant à la fréquence recommandée dans le plan d’intervention, le taux de réunification familiale est dix fois supérieur (Davis et al., 1996).

Leathers et al. (2010) suivent une cohorte d’adolescents âgés de 12 à 13 ans, placés en famille d’accueil, sur une période de 8 ans. À la fin de l’étude, 40 % des adolescents avaient pu actualiser un projet de vie, soit la réunification au milieu d’origine, l’adoption ou la tutelle. Leurs résultats exposent qu’une forte relation avec le parent biologique prédit la réunification et qu’une bonne intégration à la famille d’accueil prédit l’adoption.

Encore une fois, nous connaissons peu les trajectoires de placement des jeunes enfants, de même que l’impact des contacts parent-enfant dans les premières années de vie.

L’échec de la réunification familiale

Les réunifications familiales ne sont pas toutes bienheureuses et, au cours des 12 mois suivant la réunification, 8 à 16 % des enfants devront être placés à nouveau (Shaw, 2006 ; Yampolskaya et al., 2007). En effet, plusieurs études viennent documenter le risque d’échec de la réunification familiale et une proportion significative d’enfants vivrait encore de mauvais traitements conduisant les autorités à placer à nouveau l’enfant en famille d’accueil (Connell et al., 2009 ; Mc Grath-Lone et al., 2017).

Dans son étude longitudinale, Jones (1998) suit 445 enfants âgés de 0 à 12 ans pendant les 9 mois suivant la réunification familiale. Il trouve que 35 % des enfants suivis par les services de protection de l’enfance sont signalés à nouveau et retirés de leur milieu familial pour vivre un nouveau placement. Il apparaît que les facteurs socioéconomiques et les problèmes présentés par l’enfant prédisent l’échec de la réunification familiale.

Les travaux dans le domaine exposent que les enfants dont les parents rapportent de meilleures conditions socioéconomiques risquent moins de vivre un deuxième placement suite à la réunification familiale (Andersen, 2012 ; Jones, 1998). D’autre part, les nourrissons et les adolescents ont moins de chances de retourner dans leur milieu familial d’origine suite à un premier placement (Connell et al., 2006) de même que ceux ayant eu une trajectoire de placement plus stable (Hélie et al., 2014). Enfin, les difficultés comportementales viennent également mettre à l’épreuve la stabilité de la réunification familiale et augmentent les risques d’un nouveau placement en famille d’accueil (Barth et al., 2008).

Très peu d’études ont examiné le rôle des contacts parent-enfant pendant le placement sur le succès de la réunification au milieu d’origine. Ces études ont généralement démontré qu’il n’y avait pas de liens entre le maintien des contacts pendant le placement et le succès de la réunification (Festinger, 1996 ; Frame, 2002 ; Kimberlin et al., 2009). Certains suggèrent toutefois que d’autres variables doivent être considérées afin d’examiner les liens entre le maintien des contacts et le succès de la réunification familiale (Davis et al., 1996).

Nombre de milieux d’accueil

Lorsque la réunification familiale ne peut être envisagée et que les interventions n’ont pas permis de rétablir les conditions familiales favorables au retour de l’enfant dans son milieu, la stabilité du milieu d’accueil devient centrale à l’intervention. Pourtant, l’instabilité vécue par les enfants hébergés en famille d’accueil est bien documentée. Pour 20 à 50 % des enfants hébergés en famille d’accueil pour un placement à long terme, une interruption de placement les force à quitter leur milieu substitut pour un nouveau milieu (Minty, 1999). Une majorité de ces déplacements sont justifiés principalement par des raisons d’administration des services de protection de l’enfance (p. ex. trouver un milieu permettant la réunion de la fratrie) ou par la présence de difficultés comportementales de l’enfant (James, 2004).

Les modifications de la loi québécoise en 2007 visaient entre autres une stabilité accrue de la trajectoire de placement pour les enfants placés et une modeste amélioration est observée chez les enfants placés après ces modifications législatives (Turcotte et Hélie, 2013). Or, le portrait demeure sombre et plus de 20 % des enfants vivent plus de trois déplacements suite au retrait de leur milieu familial (Turcotte et Hélie, 2013). Or, les effets néfastes du nombre de déplacements vécus par l’enfant sont documentés (Newton et al., 2000) et l’instabilité de la trajectoire de placement s’ajoute au risque auquel l’enfant est exposé dans son milieu familial (Fisher et al., 2000), avec une incidence significative sur l’intensité des comportements externalisés (Marcus, 1991).

Certaines caractéristiques des enfants sont associées à la stabilité de la trajectoire de placement. Ainsi, l’âge de l’enfant lors du placement est fortement associé à l’instabilité des mesures de placement (Barth et al., 2007 ; Oosterman et al., 2007 ; Smith et al., 2001 ; Webster et al., 2000), les enfants plus âgés étant confrontés à des mesures de placement plus instables.

De plus, il est reconnu que les enfants qui présentent des difficultés comportementales vivent des trajectoires de placement plus instables . Les résultats d’une méta-analyse portant sur les liens entre les comportements externalisés et l’interruption de placement (Oosterman et al., 2007) révèlent une taille d’effet de r = 0,24, indiquant que cette caractéristique du placement est associée aux difficultés comportementales chez l’enfant. Leurs résultats révèlent également un effet modérateur de l’âge de l’enfant. Les études dont les enfants participants étaient plus jeunes présentent de plus grandes tailles d’effets. Dans le cadre d’une étude portant sur la stabilité du placement chez des enfants plus jeunes, il est donc important d’examiner la contribution de cette catégorie de variables.

Certains suggèrent que les liens entre le fonctionnement comportemental et la stabilité de la trajectoire de placement soient réciproques. Ainsi, dans leur étude, Newton et ses collègues (2000) démontrent que les enfants ayant vécu des trajectoires plus instables voient leur fonctionnement comportemental défavorisé, ce qui viendrait mettre à l’épreuve le placement dans le milieu substitut et conduire à des déplacements de l’enfant. Évidemment, cette spirale qui se joue entre le comportement de l’enfant placé et la stabilité de son placement peut mener à de malheureuses impasses, tant pour l’enfant que pour les intervenants des services de protection de l’enfance.

Outre les caractéristiques de l’enfant placé, les caractéristiques des familles d’accueil doivent être considérées dans l’étude de la trajectoire de placement. En effet, les compétences du parent substitut viendraient favoriser la réponse parentale aux difficultés comportementales de l’enfant (Dozier et al., 2002 ; Linares et al., 2006), et ainsi court-circuiter l’impact que ces difficultés peuvent avoir sur la stabilité de la trajectoire de placement. Le défi des familles d’accueil est d’autant plus important que les enfants qui présentent des difficultés comportementales amènent le parent à intervenir en deçà de ses compétences, usant davantage de stratégies éducatives négatives (Forehand et al., 1997). Ainsi, les compétences des familles d’accueil (Oosterman et al., 2007 ; Sinclair et Wilson, 2003), de même que l’intervention qui leur est proposée (Farmer et al., 2005 ; Fisher et al., 2005 ; Price et al., 2008), viennent influencer la stabilité des enfants qui leur sont confiés et favoriser la réunification familiale suite à l’hébergement de l’enfant. D’ailleurs, l’étude de Sinclair et Wilson (2003) démontre que seules les compétences parentales et la propension du parent à rejeter l’enfant qui lui est confié viennent prédire l’interruption de placement.

Dans le cadre d’interactions parent-enfant, la compétence parentale se définit souvent par la sensibilité du parent à l’égard des signaux et des besoins des enfants lors d’interactions quotidiennes. Ainsi, la sensibilité parentale est cruciale dans l’étude de l’interaction parent-enfant (DeWolff et van IJzendoorn, 1997 ; Moran et al., 2008), particulièrement dans le contexte d’un placement en famille d’accueil. Aussi, considérant les liens entre la sensibilité parentale et les difficultés comportementales chez les dyades enfant placé/parent d’accueil (Moss et al., 2011), il est judicieux de considérer la sensibilité parentale dans l’étude de la trajectoire de placement.

Enfin, les études portant sur les liens entre les contacts et la stabilité de la mesure de placement sont contradictoires. Certaines études soutiennent que les contacts sont associés à la stabilité des mesures de placement (Barber et al., 2001 ; Cleaver, 2000) ou à l’instabilité des mesures de placement (Macaskill, 2002). Or, les liens entre la fréquence des contacts et la stabilité de la trajectoire de placement évolueraient en fonction de la durée du placement et les contacts limités ou absents pendant le placement seraient associés à une moindre proportion d’interruptions de placement, surtout lorsque le placement se prolonge (Fanshel et Shinn, 1978). La méta-analyse de Oosterman et ses collègues (2007) conclut que la littérature ne permet pas de statuer sur les liens entre les contacts parent-enfant et les interruptions de placement menant à un changement de milieu substitut.

Limites des études portant sur les liens entre les contacts parent-enfant et la trajectoire de placement

Les études s’étant penchées sur les liens entre les contacts parent-enfant et la trajectoire de placement sont contradictoires. De plus, considérant les devis de recherche utilisés, ces travaux ne nous permettent pas d’établir un lien causal entre la fréquence des contacts et la réunification familiale. Ainsi, il se peut que les parents qui visitent leurs enfants davantage soient plus aptes à récupérer leurs responsabilités parentales à l’égard de cet enfant. De plus, les études présentées ne tiennent pas compte des caractéristiques qui amènent le parent à collaborer à des visites plus fréquentes, par exemple leur statut socioéconomique ou leur engagement auprès de l’enfant. Afin de remédier aux limites méthodologiques qu’imposent ces questions cliniques, nous préconisons une évaluation très précise des concepts impliqués, des variables qui y sont associées et de leur contribution au placement en famille d’accueil.

Ainsi, Quinton et ses collègues (1997) commentent les résultats de l’étude longitudinale de Fanshel et Shinn (1978). Ils soulignent que les analyses multivariées viennent révéler que les contacts sont également corrélés à la fréquence du suivi avec l’intervenant social et à l’évaluation que fait ce dernier de la mère et du comportement de l’enfant, facteurs qui sont tous de meilleurs prédicteurs de la réunification familiale. En fait, même si les enfants qui retournent dans leur milieu d’origine ont connu davantage de contacts avec leurs parents pendant le placement, il n’y a aucune évidence que le maintien des contacts avec le parent mène à la réunification de l’enfant à son milieu d’origine (Biehal, 2007).

L’étude longitudinale de Barber et Delafabbro (2004) est une des rares études longitudinales sur le sujet. Néanmoins, les données sont recueillies auprès d’un seul répondant, soit l’intervenant social, et certains facteurs, tels que les difficultés comportementales de l’enfant, ne sont pas considérés. Ces auteurs soulignent également les limites de leurs travaux et insistent sur l’hypothèse suivante : les enfants qui présentent un meilleur ajustement et dont les parents offrent une meilleure collaboration sont plus enclins à avoir des contacts avec leurs parents et, éventuellement, à retourner dans leur milieu familial.

Ensuite, à notre connaissance, les caractéristiques des parents substituts ne sont intégrées dans aucune étude ayant examiné les liens entre les contacts et la stabilité de la trajectoire de placement. Considérant le rôle saillant des comportements des parents substituts sur la trajectoire de placement, de même que sur le fonctionnement comportemental de l’enfant placé, il nous parait pertinent de considérer ce facteur.

Enfin, la modalité de contact pourrait être secondaire à des facteurs plus influents sur la trajectoire de placement et certains chercheurs appellent une conception plus large du maintien de la relation parent-enfant à la suite du placement (Poirier et Simard, 2006).

L’engagement parental est défini comme la motivation du parent à vivre une relation avec l’enfant, qui est durable dans le temps (Bates et Dozier, 1998 ; Bowlby, 1969). Dozier et Lindhiem (2006) évoquent que, à moins de circonstances exceptionnelles, il est généralement présumé que l’engagement parental varie très peu chez les dyades parent-enfant qui sont intactes.

Dans un contexte de placement, nous sommes d’avis que l’engagement du parent biologique est mis à l’épreuve par l’absence d’interactions quotidiennes, la construction d’un lien d’attachement de l’enfant avec le parent d’accueil et le retrait des responsabilités parentales aux parents biologiques par les tribunaux. Dans cette perspective, il est concevable que l’engagement du parent biologique varie significativement dans le contexte de placement et qu’il contribue à la stabilité du placement.

Par ailleurs, il est connu que l’engagement des parents d’accueil auprès des enfants est associé à la stabilité de la trajectoire de placement. Ainsi, Dozier et Lindhiem (2006) ont démontré une association positive entre l’engagement et une probabilité accrue d’adoption et d’hébergement à long terme. Ainsi, il est possible que tant l’engagement du parent biologique que celui du parent substitut évoluent en fonction des modalités de contacts et de la permanence de la mesure de placement (Poitras et al., 2016).

Objectifs de la présente étude

La présente étude explore les liens entre les contacts parent-enfant suite au placement en famille d’accueil et la stabilité de sa trajectoire de placement. Trois indices de stabilité de la trajectoire de placement seront considérés : les perspectives de réunification familiale pour l’enfant, l’échec de la réunification familiale dans la trajectoire de l’enfant, et le nombre de familles d’accueil auxquelles l’enfant est exposé pendant que les mesures de placement sont en cours.

Ces questions seront examinées à la lumière des contributions provenant d’autres aspects pouvant avoir un impact sur ces trois indices de la stabilité du placement, soit les caractéristiques socioéconomiques de la famille biologique et d’accueil, l’engagement parental des parents biologiques et d’accueil, les caractéristiques comportementales de l’enfant placé, de même que la sensibilité interactive des parents d’accueil. La question fondamentale qui est abordée est la suivante : comment le maintien des contacts entre les parents biologiques et leur enfant lors d’un placement influence-t-il sa trajectoire de placement ?

Méthode

Procédure et participants

Le recrutement des participants est fait avec la collaboration des Centres jeunesse[1] de Québec, de Chaudière-Appalaches et de Lanaudière dans la province de Québec. Les intervenants sociaux identifient à partir de leur banque de données les enfants âgés de 12 mois à 42 mois faisant l’objet d’un jugement ordonnant un placement en famille d’accueil et demeurant dans la même famille d’accueil, depuis plus de 2 mois. En excluant les enfants demeurant dans leur famille d’accueil depuis moins de deux mois, cela nous permet d’évaluer l’enfant alors que l’adaptation au nouveau milieu de vie est complétée (Stovall et Dozier, 2000 ; Stovall-McClough et Dozier, 2004).

Suite à l’identification des enfants admissibles à l’étude, les parents biologiques ayant donné leur autorisation sont rejoints par téléphone, puis invités à nous rencontrer. Le consentement éclairé du parent biologique est obtenu lors d’une rencontre individuelle réalisée à son domicile.

Une auxiliaire de recherche rencontre les parents biologiques pendant une heure et demie à leur domicile. Cette rencontre sert à recueillir les informations sociodémographiques et les caractéristiques des mesures du placement et des contacts. De plus, la mesure d’engagement parental est complétée à partir des observations réalisées au cours de cette visite.

Une rencontre d’évaluation du développement est réalisée auprès de l’enfant, au domicile de la famille d’accueil. Lors de cette rencontre, les données liées à la famille d’accueil, aux interactions entre le parent substitut et l’enfant et au fonctionnement comportemental de l’enfant placé seront également recueillies. Afin de reconnaître la participation des parents biologiques et d’accueil à cette étude, une rétribution de 20 $ leur est donnée.

Enfin, le dépouillement des dossiers psychosociaux est réalisé à partir de la banque de données opérationnelles PIJ (Programme Intégration Jeunesse).

Quarante-huit mères et six pères biologiques sont rencontrés lors d’une rencontre individuelle réalisée à leur domicile. Ils sont âgés de 18 à 43 ans (Moyenne (M) = 25,1 ; Écart-Type (ÉT) = 5,4) et sont dans des conditions socioéconomiques très précaires (voir Tableau 1). La moitié des parents sont célibataires (50 %), n’ont pas obtenu leur diplôme d’études secondaires (78 %), n’ont pas travaillé dans la dernière année (56 %), bénéficient de la sécurité sociale (69 %) et ont un revenu annuel de moins de 20 000 $ (85 %). Un parent rencontré sur trois a un diagnostic de trouble de santé mentale.

Des cinquante-quatre enfants dont nous avons sollicité les parents substituts pour une visite d’évaluation à leur domicile, quarante-trois enfants ont pu être évalués puisque onze parents substituts ont refusé de participer à l’étude (voir Tableau 2). Ces enfants sont âgés entre 12 et 43 mois et le retrait de leur milieu familial d’origine survient de la naissance jusqu’à l’âge de 33 mois. Ils ont connu entre un et six milieux substituts et ils sont hébergés dans leur dernière famille d’accueil depuis un an et demi en moyenne.

En lien avec les motifs de signalement retenus, il apparait que 74 % des enfants sont placés en famille d’accueil pour les motifs principaux de négligence ou risque de négligence, 11 % pour mauvais traitements psychologiques et 15 % pour violences corporelles ou risque de violences corporelles. Pour la moitié d’entre eux, de mauvais traitements dans plus d’une catégorie ont été retenus lors de l’évaluation par le Directeur de la Protection de la Jeunesse. Le temps écoulé entre le premier signalement et le retrait de l’enfant de son milieu familial varie entre 0 et 19 mois.

Environ 40 % des enfants sont placés en famille de type banque mixte (41 %) ou d’accueil régulière[2] (37 %), et 22 % en famille de proximité. Quarante-trois parents substituts sont rencontrés (voir Tableau 1). Ils ont un âge moyen de 44 ans (ÉT = 8,5), 86 % de ceux-ci détiennent un diplôme d’études secondaires, 67 % ont travaillé dans la dernière année et 62 % ont un revenu annuel de plus de 50 000 $.

Tableau 1. Caractéristiques des parents biologiques et substituts rencontrés

Tableau 1. Caractéristiques des parents biologiques et substituts rencontrés

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Tableau 2. Caractéristiques de l’enfant et de sa trajectoire de placement (N =54)

Tableau 2. Caractéristiques de l’enfant et de sa trajectoire de placement (N =54)

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Mesures

Caractéristiques du parent d’origine et du parent d’accueil

Scolarité. Le plus haut niveau de scolarité est obtenu à partir de l’entrevue réalisée auprès du parent biologique et du parent d’accueil.

Engagement du parent biologique. L’engagement parental du parent biologique est évalué par l’auxiliaire de recherche à la suite de la rencontre réalisée à son domicile. Nous nous sommes inspirés des travaux de Mary Dozier auprès des familles d’accueil pour proposer la définition suivante de l’engagement parental (Bates et Dozier, 1998 ; Dozier et Lindhiem, 2006). L’engagement parental est l’investissement du parent dans une relation durable avec son enfant. Pour opérationnaliser l’engagement du parent biologique, nous avons proposé des critères reflétant les circonstances particulières dans lesquelles se vit la parentalité lorsque l’enfant est retiré de son milieu familial. L’échelle d’engagement parental est donc une échelle pour laquelle l’interviewer doit donner un score global de 1 (faiblement engagé) à 5 (fortement engagé) à partir de ses observations portant sur les éléments suivants : 1) le respect de la fréquence des contacts parent-enfant ; 2) l’engagement émotionnel du parent envers l’enfant placé ; 3) l’intégration de l’enfant dans un projet de réunification réaliste exprimé par le parent biologique ; 4) les démarches entreprises dans le but de remédier à la situation de compromission ; et 5) la considération de l’enfant dans l’organisation de son temps. L’échelle d’engagement du parent biologique offre à l’auxiliaire de recherche divers indices d’engagement auxquels il doit être attentif tout au cours de sa visite. Notamment, en lien à l’engagement émotionnel du parent, l’auxiliaire de recherche est invité à se poser les questions suivantes : est-ce que le parent parle en termes positifs de l’enfant ? Est-ce que le parent s’intéresse à ce que l’enfant fait ainsi qu’à son développement ? Est-ce qu’il exprime de l’affection envers son enfant ? Est-ce qu’il cherche spontanément à nous parler de son enfant ?

Sensibilité parentale. La version courte du Tri de cartes du comportement maternel (Tarabulsy et al., 2009) est composée de 25 items permettant de mesurer la qualité du comportement parental lors des interactions avec l’enfant. Chaque item décrivant le comportement parental doit être trié afin d'obtenir 5 piles pour lesquelles un score de 1 (non-caractéristique du parent) à 5 (caractéristique du parent) est donné. Des corrélations sont effectuées entre les scores bruts obtenus et les scores critères qui décrivent la mère typiquement sensible et les scores ainsi obtenus peuvent varier de -1 (la moins sensible) à 1 (la plus sensible). Les observations sont réalisées à partir d’une séquence de jeu d’une durée de 10 minutes pendant laquelle le parent et l’enfant sont invités à interagir avec des jouets (7 minutes) et sans jouet (3 minutes). À partir de la séquence de jeu filmée, les interactions parent-enfant sont codifiées par un observateur qui ignore le contenu de la rencontre et les scores de sécurité d’attachement. Cette méthode est éprouvée et a été décrite par Tarabulsy et ses collègues en 2009.

La validité de la version courte du tri de cartes des comportements maternels est établie et diverses études confirment que les scores obtenus corrèlent avec la version longue de l’instrument (MBQS : Pederson et Moran, 1995) (Tarabulsy et al., 2009), le développement cognitif de l’enfant (Tarabulsy et al., 2009), la sécurité d’attachement (Tarabulsy et al., 2009) et l’état d’esprit de la mère concernant l’attachement (Lindhiem et al., 2011).

Engagement du parent substitut. Le Québec s’est doté du programme de « banque mixte » afin d’offrir aux enfants des ressources de type familial avec projet d’adoption. Ce programme, mis en place dans les Centres jeunesse du Québec, vise à offrir la stabilité aux enfants dont le pronostic de retour dans la famille d’origine est faible. Considérant les caractéristiques de ces parents d’accueil, désireux de s’engager à long terme auprès d’un enfant dans le but de l’adopter, nous considérons ce facteur comme un proxi de l’engagement parental du parent substitut.

Cette variable est obtenue par les dossiers psychosociaux consultés à partir de la banque de données opérationnelles du PIJ. Le statut de la famille d’accueil est coté 1 si elle est issue du programme « banque mixte » et 0 si les parents d’accueil rencontrés sont issus de familles de type régulières et de la famille élargie. Il est possible que les parents substituts issus de la famille élargie soient très engagés auprès de leur enfant. Or, cet engagement ne dépend pas de la mesure de placement et on peut penser qu’ils maintiendront une relation, durable dans le temps, au-delà de la réunification familiale.

Caractéristiques de l’enfant

Externalisation. Le Child Behavior Checklist (CBCL) (Achenbach et Rescorla, 2000) est un instrument autorapporté comprenant 100 items. Chacun de ces items réfère à un comportement de l’enfant et il est demandé au parent d’accueil d’établir la fréquence de ce comportement à l’aide d’une échelle en trois points (faux (0) ; un peu ou parfois vrai (1) ; très vrai ou souvent vrai (2)). Aux fins de la présente étude, les analyses porteront sur l’échelle Externalisation (24 items). Les résultats atteignent le seuil clinique lorsque le score T est de 63 et plus, et les valeurs entre 60 et 63, bien qu’elles n’atteignent pas le seuil clinique, sont jugées préoccupantes. Le CBCL est la mesure la plus utilisée auprès des parents et permet de mesurer une variété de problèmes émotionnels et comportementaux (Crijen et al., 1999). C’est une mesure présentant de très bonnes qualités psychométriques avec des indices de fidélité test-retest à court et long terme. Les résultats obtenus dans la présente étude confirment que la consistance interne de l’échelle Externalisation est satisfaisante avec un alpha de Cronbach de 0,93. Nous utiliserons le score d’externalisation qui s’avère pertinent dans l’étude du fonctionnement comportemental des enfants placés, considérant sa contribution à l’instabilité de la trajectoire de placement dans les milieux substituts et à la survenue de difficultés compromettant la réunification familiale (Kupsinel et Dubsky, 1999 ; Newton et al., 2000).

Caractéristiques du placement

Contacts parent-enfant. Les modalités de contacts entre l’enfant placé et son milieu d’origine sont mesurées à partir de l’entrevue réalisée auprès du parent biologique. Afin de capturer l’amplitude des contacts entre l’enfant et son milieu d’origine, nous proposons de mesurer le nombre d’heures passées avec un des parents au cours d’un mois. Dans la grande majorité des cas, la mère est la personne avec qui l’enfant a les contacts les plus élevés et c’est alors le nombre d’heures par mois passé avec la mère qui a été considéré. Pour trois enfants, les contacts avec les pères étaient plus fréquents et c’est alors le nombre d’heures par mois passé avec le père qui a été considéré.

Perspectives de réunification familiale, échec de la réunification familiale et nombre de milieux substituts. Ces trois indices de stabilité de la trajectoire de placement sont issus des bases de données clinico-administratives des 3 centres jeunesse impliqués et accessibles par le système-clientèle du Projet intégration jeunesse (PIJ). D’abord, les perspectives de réunification familiale sont identifiées à partir de la variable « projet de vie à prioriser » issue des dossiers psychosociaux. Il s’agit d’une variable dichotomique se définissant ainsi : 0 (placement à majorité, adoption, tutelle ou autre) et 1 (réunification familiale dans les plus brefs délais). Dans l’éventualité où des données colligées auprès des parents biologiques ou auprès des parents substituts venaient infirmer la nature du projet de vie à prioriser et du projet de vie alternatif, nous vérifions auprès des intervenants sociaux impliqués au dossier. Les perspectives de réunification familiale sont utilisées comme indice de stabilité de la trajectoire de placement, puisqu’elles révèlent l’objectif visé tant par l’intervention psychosociale que par les contacts parent-enfant. Bien que notre devis de recherche ne nous permet pas de connaitre la réelle issue de ces trajectoires de placement, ces placements doivent mener à une réunification familiale dans les meilleurs délais.

Ensuite, le nombre de familles d’accueil à qui l’enfant a été confié depuis le début du placement est également obtenu par le système PIJ. Un milieu substitut est considéré dès que l’enfant y séjourne plus de 48 heures.

Enfin, l’échec de la réunification familiale est une variable dichotomique obtenue à partir de l’information recueillie dans le dossier psychosocial. L’échec de la réunification implique un retour de l’enfant dans son milieu d’origine suivi d’un nouveau signalement menant à un placement dans un milieu substitut.

Résultats

Analyses descriptives

Les enfants rencontrés maintiennent généralement des contacts avec leur mère (98 %) et, dans une moindre proportion, avec leur père (46 %). La mère[3] maintient des contacts mensuels qui varient beaucoup quant à la fréquence (Étendue (E) = 0,0 - 30,1 ; M = 5,9, ÉT = 7,6) et la durée en heures (E = 0,0 – 72,0 ; M = 9,3, ÉT = 13,0). Le père[4] maintient des contacts mensuels qui varient beaucoup quant à la fréquence (E = 0,0 – 30,0 ; M = 1,9, ÉT = 4,69) et la durée en heures (E = 0,0 – 48,0 ; M = 2,6, ÉT = 7,4). Ainsi, les enfants placés passent de 0 heure à 619,2 heures/mois en contact avec un parent biologique (M = 65,2 ; ÉT = 116,5) (voir Tableau 3).

Les informations en lien à la stabilité de la trajectoire de placement sont présentées dans le Tableau 2. Ainsi, les enfants ont été hébergés en moyenne dans 2 milieux substituts (ÉT = 1,2) et résident dans le dernier milieu depuis plus de 16 mois (M = 16,7 mois ; ÉT = 9,4 mois).

Pour une majorité des enfants, le projet de réunification est écarté ou peu probable (65 %). Près du tiers des enfants (30 %) ont vécu une réunification familiale qui a mené à un deuxième placement en famille d’accueil.

Analyses corrélationnelles

Des corrélations de Pearson sont effectuées afin d’examiner les associations entre les contacts (nombre d’heures de contact par mois avec l’un ou l’autre des parents) et le nombre de milieux substituts et des corrélations bisérielles, pour les associations entre les contacts et les variables dichotomiques suivantes : échec de la réunification et perspectives de réunification.

Les contacts parent-enfant sont corrélés positivement (r = 0,44) avec les perspectives de réunification familiale, ce qui signifie que plus il y a des contacts parent-enfant, plus les perspectives de réunification familiale sont élevées. Puis, le Tableau 3 rapporte les résultats des analyses corrélationnelles effectuées entre les variables dépendantes à l’étude et les caractéristiques de l’enfant (âge au retrait de son milieu, externalisation), du parent biologique (scolarité et engagement) et du parent d’accueil (scolarité, sensibilité parentale, engagement). Des corrélations significatives sont observées entre les perspectives de réunification au milieu d’origine, l’âge de l’enfant au retrait du milieu, l’engagement du parent biologique et du parent d’accueil, de même que la scolarité du parent d’accueil. Les corrélations indiquent que plus l’enfant est âgé au moment du retrait et plus le parent biologique est engagé pendant le placement, meilleures sont les perspectives de réunification. De même, les perspectives de réunification sont favorisées lorsque le parent d’accueil est moins scolarisé et qu’il n’est pas engagé dans un projet d’adoption. Aucune des variables touchant l’enfant, le parent d’accueil ou le parent biologique n’est significativement associée à l’échec de réunification ou au nombre de milieux d’accueil fréquentés par l’enfant. 

Tableau 3. Corrélations entre les indices de stabilité de placement et les caractéristiques de l’enfant, du parent biologique et du parent d’accueil

Tableau 3. Corrélations entre les indices de stabilité de placement et les caractéristiques de l’enfant, du parent biologique et du parent d’accueil

Notes. 1Des corrélations bisérielles sont effectuées pour les analyses incluant des variables dichotomiques. * p  0,05 ** p  0,001

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Régressions logistiques

Les analyses corrélationnelles suggèrent que parmi les variables décrivant la stabilité du placement, seules les perspectives de réunification familiale sont associées aux contacts avec les parents biologiques. Cette variable sera donc retenue pour les analyses subséquentes.

Selon les recommandations de Tabachnik et Fidell (2001), les variables ayant une association correspondant à < 0,20 seront incluses dans la procédure de régression. Les analyses de régressions logistiques seront donc réalisées en contrôlant pour les caractéristiques du parent biologique (scolarité et engagement), du parent substitut (scolarité et statut Banque mixte) et celles de l’enfant (âge au retrait de milieu d’origine).

D’abord, les conditions d’utilisation de la régression logistique sont vérifiées. L’examen des graphiques des résidus permet de confirmer la linéarité de la relation entre les variables étudiées, de même que la normalité multivariée.

Les nuages de points bivariés permettent de confirmer le respect de la condition d’homoscédasticité. Enfin, les variances inflation factor (VIF) de toutes les variables étudiées sont inférieures à 10 et, ainsi, aucun problème de multicolinéarité n’est diagnostiqué.

Trois régressions logistiques sont réalisées avec, comme variable dépendante, les perspectives de réunification familiale. Les résumés de ces régressions sont présentés aux Tableaux 4, 5 et 6. Ces analyses démontrent que dans le modèle qui considère la contribution de l’âge de l’enfant au premier placement, les contacts avec la famille biologique contribuent significativement à expliquer les perspectives de réunification familiale. Les deuxième et troisième modèles intègrent respectivement les caractéristiques du parent biologique et les caractéristiques du parent substitut, soit la scolarité et l’engagement. Ces dernières analyses démontrent qu’en contrôlant pour les caractéristiques des parents biologiques et substituts, les contacts parent-enfant tendent à contribuer aux perspectives de réunification. Au-delà des contacts parent-enfant, l’engagement du parent biologique ( = 0,61) et la scolarité du parent substitut ( = -0,42) sont associés significativement aux perspectives de réunification. Ainsi, plus le parent biologique est engagé envers son enfant, et moins le parent substitut est scolarisé, meilleures sont les perspectives de réunification.

Tableau 4. Régression logistique dans le but de prédire les perspectives de réunification familiale en fonction de l’âge au retrait de l’enfant et des contacts parent-enfant

Tableau 4. Régression logistique dans le but de prédire les perspectives de réunification familiale en fonction de l’âge au retrait de l’enfant et des contacts parent-enfant

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Tableau 5. Régression logistique dans le but de prédire les perspectives de réunification familiale en fonction de l’engagement du parent biologique, de sa scolarité et des contacts parent-enfant

Tableau 5. Régression logistique dans le but de prédire les perspectives de réunification familiale en fonction de l’engagement du parent biologique, de sa scolarité et des contacts parent-enfant

Note. † p  0,10 * p  0,05 ** p  0,01

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Tableau 6. Régression logistique dans le but de prédire les perspectives de réunification familiale en fonction de la scolarité du parent substitut, du type de famille et des contacts parent-enfant

Tableau 6. Régression logistique dans le but de prédire les perspectives de réunification familiale en fonction de la scolarité du parent substitut, du type de famille et des contacts parent-enfant

Note. † p  0,10 * p  0,05

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Discussion

La présente étude vise à documenter les liens entre les contacts parents-enfant suite au placement et les caractéristiques de la trajectoire de placement. Nous avons donc examiné les indices de stabilité suivants : les perspectives de réunification, le nombre de milieux substituts et l’échec de la réunification.

En premier lieu, les perspectives de réunification familiale sont jugées faibles pour la majorité des enfants rencontrés (64,8 %), ce qui est cohérent avec la littérature scientifique qui soutient que la réunification familiale survient moins souvent chez les enfants qui sont placés en bas âge (Wulczyn, 2004 ; Esposito et al., 2014a). De plus, il est également démontré que la réunification familiale survient généralement dans la première année de placement et que la durée du placement est inversement associée aux perspectives de réunification (Barber et Delfabbro, 2004 ; Esposito et al., 2014a). Les enfants rencontrés dans notre étude sont retirés de leur milieu familial, en moyenne, avant l’âge d’un an, et sont placés dans le même milieu depuis près de 17 mois. Ainsi, il était prévu que ces caractéristiques de la trajectoire de placement soient associées à des perspectives de réunification plus faibles.

Nos résultats confirment aussi que la trajectoire de placement des enfants est instable (Esposito et al., 2014b). Avec près du tiers des enfants qui a vécu une réunification ayant mené à un nouveau placement et le tiers des enfants qui a vécu dans plus de trois milieux substituts, nous constatons que même les jeunes enfants vivent des trajectoires de placement instables. Considérant les conséquences développementales liées à l’instabilité des mesures de placement, ce résultat est préoccupant.

Ensuite, l’étude révèle que les contacts ne sont pas liés aux indices d’instabilité de placement, soit le nombre de familles d’accueil ou la survenue d’une réunification familiale menant à un nouveau placement. Ainsi, les contacts ne viennent ni favoriser ni défavoriser la survenue des déplacements vécus par les enfants participant à notre étude.

Cependant, les résultats obtenus indiquent la présence d’une association significative ou marginalement significative entre les contacts parent-enfant et les perspectives de réunification familiale. Ces résultats appuient les résultats obtenus par des chercheurs étudiant la même question auprès des enfants d’âge scolaire et des adolescents (Barber et Delfabbro, 2004 ; Davis et al., 1996 ; Fanshel et Shinn, 1978 ; Leathers et al., 2010 ; McMurtry et Lie, 1992). Le fait que ce lien demeure, même en contrôlant pour des caractéristiques potentiellement confondantes, souligne son importance. Par ailleurs, la direction de ce lien est difficile à déterminer et plusieurs hypothèses doivent être considérées. D’abord, il est possible que les parents qui ont confiance que leur enfant revienne à la maison sous peu se mobilisent davantage pour favoriser les contacts avec leur enfant. Aussi, la variable perspectives de réunification familiale est basée sur le jugement de l’intervenant social et il est possible que nos résultats viennent appuyer le fait que les modalités de contacts soient cohérentes avec le pronostic de réunification tel qu’évalué par les services de protection de l’enfance. En effet, même dans le devis longitudinal utilisé par Fanshel et Shinn (1978), les analyses multivariées révèlent que les contacts sont associés à la fréquence du suivi avec l’intervenant social et à l’évaluation que fait ce dernier de la mère et du comportement de l’enfant. Leurs résultats exposent que ces facteurs étaient tous de meilleurs prédicteurs de la réunification familiale, proposant que les contacts reflètent le jugement de l’intervenant social sur la situation familiale et son pronostic quant au projet de vie qu’est la réunification familiale. Or, il est important de souligner que l’étude actuelle vient confirmer ce lien entre les contacts et les perspectives de réunification familiale, et ce, même en contrôlant pour des facteurs potentiellement confondants. Ces facteurs inclus notamment le placement en banque mixte qui vient justement traduire le jugement de l’intervenant social sur la situation familiale et son opinion sur le projet de vie le plus approprié à la situation de l’enfant. Enfin, malgré la difficulté à établir la direction des liens, il demeure que, comme dans d’autres travaux, les contacts sont associés à la réunification familiale.

À la différence des études précédentes (Davis et al., 1996), la présence de comportements externalisés n’est pas corrélée aux perspectives de réunification familiale. Considérant les risques d’échec de la réunification familiale dans un contexte de difficultés comportementales (Jones, 1998 ; Newton et al., 2000), il aurait été attendu que les difficultés comportementales soient associées au jugement de l’intervenant social sur perspectives de réunification familiale. Or, notre étude inclut des enfants plus jeunes et il est concevable que les problèmes de comportements ne soient pas si problématiques pour les parents d’accueil. Ainsi, il est possible que les difficultés comportementales des enfants rencontrés ne soient pas suffisamment significatives pour intervenir dans la stabilité du placement.

L’âge au retrait de l’enfant, la scolarité du parent substitut et l’engagement du parent biologique sont associés aux perspectives de réunification familiale. Ainsi, confirmant plusieurs résultats de recherche, les enfants placés plus tard affichent de meilleures perspectives de réunification familiale. Akin (2011) avait déjà démontré que les enfants entre 2 et 5 ans avaient plus de chance de réintégrer le milieu familial après un épisode de placement que les nourrissons.

Étonnamment, nos résultats indiquent qu’une meilleure scolarité du parent substitut est associée à des perspectives de réunification moindres. La littérature expose que la scolarité du parent substitut reflète la qualité de l’environnement familial de même que la qualité des interactions entre l’enfant et ce parent (De Wolff et van IJzendoorn, 1997 ; Rhodes, et al., 2003). Ainsi, il est possible que la qualité du milieu substitut influence le jugement des services de protection de l’enfance sur le milieu familial le plus adapté pour répondre aux besoins de l’enfant placé. Ce jugement se traduirait tant par les perspectives de réunification que par la fréquence des contacts parent-enfant pendant la durée du placement. Ce résultat soutient la pertinence d’étudier les arguments soutenant un projet de réunification familiale chez les intervenants sociaux impliqués chez les nourrissons et les enfants d’âge scolaire. Aussi, ce résultat laisse entrevoir les enjeux éthiques inhérents à ce processus de décision quant à la réunification familiale.

L’engagement du parent biologique est associé aux perspectives de réunification, et ce, au-delà des contacts parent-enfant qui sont maintenus. Évidemment, l’engagement parental se manifeste, entre autres, par les modalités de contacts et ces deux facteurs sont effectivement corrélés. Cependant, chacune de ces variables, bien que corrélées, contribue indépendamment à l’association avec les perspectives de réunification familiale. La mesure d’engagement parental parait être une mesure prometteuse avec des résultats démontrant une contribution significative favorable aux perspectives de réunification familiale.

Cette étude présente des limites méthodologiques que nous devons souligner. D’abord, la taille de l’échantillon vient diminuer la puissance statistique et nous contraint dans l’examen de questions de recherche complexes. Aussi, notre devis de recherche ne nous permet pas de nous prononcer spécifiquement sur les résultantes du placement et sur la concrétisation du projet de vie identifié pour l’enfant. Le suivi de cette cohorte sera important afin de bien examiner les questions entourant le rôle des contacts parent-enfant sur les caractéristiques de la trajectoire de placement.

Ensuite, la présence des enfants placés en famille banque mixte peut avoir biaisé l’évaluation des perspectives de réunification. En effet, ces familles sont sollicitées alors que les perspectives de réunification sont jugées plus faibles. D’ailleurs, rappelons que le placement en famille banque mixte a été utilisé comme facteur proxi de l’engagement parental. En effet, nous pouvons présumer que ces parents sont désireux de s’investir dans une relation à long terme auprès de cet enfant. Cependant, il demeure un défi de ressentir un engagement avec un enfant qui est né dans un autre milieu, et Dubois-Comtois et al. (2015) démontre bien que l’engagement des parents substituts peut varier indépendamment du type de famille d’accueil.

Cependant, malgré ces limites, l’étude actuelle présente certains avantages sur le plan méthodologique. Premièrement, elle cible les caractéristiques spécifiques aux enfants d’âge préscolaire pour lesquels l’instabilité de la trajectoire de placement pourrait être particulièrement dommageable. Deuxièmement, cette étude se démarque par l’utilisation de plusieurs répondants. Les résultats proviennent de parents biologiques et d’accueil, d’observations indépendantes effectuées par des auxiliaires de recherche formés, ainsi que par les intervenants sociaux qui compilent les données concernant les familles qu’ils suivent de façon quotidienne.

Enfin, la mesure d’engagement parental parait être une mesure prometteuse et il sera pertinent à l’avenir d’explorer les corrélats de l’engagement parental et de poursuivre les travaux nécessaires à la validation de cette mesure. La présente étude démontre que l’engagement du parent biologique envers son enfant pourrait avoir un rôle déterminant dans le maintien du lien parent-enfant et, ultimement, dans la réunification familiale. Ce résultat peut soutenir l’élaboration d’interventions favorisant l’engagement parental et des recherches supplémentaires permettront de confirmer si cela agit directement sur l’issue de la mesure de placement.