Enfances, Familles, Générations
Numéro 23, automne 2015 Homoparentalités, transparentalités et manifestations de la diversité familiale : les défis contemporains de la parenté Sous la direction de Martine Gross et Marie-France Bureau
Sommaire (11 articles)
Introduction
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L’homoparentalité et la transparentalité au prisme des sciences sociales : révolution ou pluralisation des formes de parenté ?
Martine Gross et Marie-France Bureau
p. i–xxxvii
RésuméFR :
Compte tenu des développements rapides tant des progrès scientifiques en matière de procréation que des pratiques sociales, l’homoparentalité et la transparentalité ont cristallisé de nombreuses interrogations portant sur la parenté ainsi que sur les définitions de la paternité et de la maternité dans plusieurs disciplines. L’homoparentalité et la transparentalité remettent en question le modèle biologique et biparental (une mère et un père) dans lequel les parents ont procréé leurs enfants ou peuvent passer pour l’avoir fait, et sont au plus au nombre de deux. Au-delà des inquiétudes concernant le développement psychologique des enfants nés dans ces types de famille, auxquelles de nombreuses études en psychologie ont tenté d’apporter une réponse, les familles homoparentales et transparentales offrent de nouvelles possibilités de questionnements et réflexions – que ce soit en sociologie, anthropologie, en droit de la famille et de la filiation. En effet, ces familles rassemblent dans leur diversité des situations de désintrication de la conjugalité, la procréation, la filiation et la parenté. Cette désintrication, qui met à mal le modèle dans lequel les dimensions procréative (être né de), légale (être fils/fille de) et affective (être élevé par) sont confondues, est aujourd’hui présente également dans plusieurs autres configurations familiales, notamment les recompositions familiales, le recours à la procréation assistée avec tiers donneur ou l’adoption.
Cet article introductif sera l’occasion de rappeler ce qu’on entend par homoparentalité et transparentalité, et fera dialoguer autour des enjeux soulevés par ces thématiques des travaux issus de disciplines différentes. Une revue de la littérature rassemblera ensuite les travaux menés sur l’homoparentalité depuis les années 1990, selon trois approches principales : psychologique, socio-anthropologique et socio-juridique. Enfin, les travaux sur la transparentalité, moins nombreux et plus récents, seront regroupés dans une partie distincte. Cet article s’achèvera par une présentation des articles constituant ce numéro.
EN :
In recent years, rapid changes in both assisted reproduction and social practices have given rise to numerous questions related to parenthood and the definitions of fatherhood and motherhood in a number of disciplines. Gay, lesbian, and trans families in particular call into question the two-parent biological model (one mother and one father) in which parents produce their own children or can pass as having done so. Beyond questions about the psychological development of children born into gay, lesbian, or trans families, which numerous psychological studies have tried to answer, these types of families provide further avenues for thought in the areas of sociology, anthropology, family law, and filiation. In their diversity, these families disassociate the notions of conjugality, procreation, filiation, and parenthood. This disassociation—which jeopardizes the model in which the procreative (born of), legal (the son/daughter of), and emotional (raised by) aspects of the family exist simultaneously—exists today in many other family configurations, in particular blended families, the use of assisted reproduction with a third-party donor, and adoption.
This introductory article will serve to remind readers what is meant by gay, lesbian, and trans families, and will discuss, in light of the issues raised by these topics, work from various other disciplines. A literature review will summarize work conducted on gay and lesbian parenting since the 1990s using three primary approaches: psychological, socio-anthropological, and socio-legal. The far fewer and more recent studies of trans parenting will be covered in a separate section. The article will conclude with a presentation of the articles that make up this special issue.
Articles thématiques
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La chimère de « la théorie du genre » : ou comment le débat autour de la loi française du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe dévoile les mécanismes d’un système de genre
Laurence Moliner
p. 1–17
RésuméFR :
Si la loi française du 17 mai 2013 d’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe constitue une avancée majeure pour les familles non hétéronormées, elle a également mis en évidence des résistances face à la transformation des normes de genre appliquées aux familles. La fabrication de « la théorie du genre » a influencé le législateur et a ainsi freiné l’avancée en égalité pour toutes les familles alors que l’analyse des discours parlementaires révèle des mécanismes de genre largement inspirés par un repli dans l’imaginaire.
EN :
While the French law of May 17, 2013 to legalize same-sex marriage was a major advance for non-heteronormative families, it also highlighted the resistance to changing gender norms as they apply to families. The controversial French term “théorie du genre,” arising from a literal translation of the English term “gender theory,” has influenced legislators and slowed the advance of equality for all families. At the same time, an analysis of parliamentary proceedings reveals gender mechanisms largely inspired by the realm of the imagination.
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L’ambivalence de la transmission des normes du genre par les mères lesbiennes : de la critique des stéréotypes à leur reproduction « pour le bien de l’enfant »
Camille Frémont
p. 18–33
RésuméFR :
Ce travail s’appuie sur des récits de mères lesbiennes recueillis dans le cadre d’un travail de recherche en sociologie, mené en France, sur la transmission du genre dans les familles lesboparentales. Ce travail visait à répondre à la question suivante : quelles représentations ont les mères lesbiennes ont-elles des normes du genre et de la socialisation de genre de leurs enfants ?
D’un point de vue individuel, les enquêtées démontrent une réelle remise en question des normes du genre. Elles manifestent un détachement de la pensée hétéronormative par une critique des stéréotypes de genre, une dénonciation du sexisme et une certaine « déshétérosexualisation » dans la manière de parler de soi et dans leur apparence. Le fonctionnement des couples au quotidien montre une plus grande égalité que dans le modèle hétérosexuel traditionnel de l’organisation domestique et des rôles parentaux.
Elles développent des discours présentant leur mode de vie sous un jour positif et dans lesquels elles affirment de manière argumentée la non-nécessité de la différence des sexes au niveau du couple parental. Ces arguments se retrouvent dans les récits de conception qu’elles construisent pour leurs enfants, afin que ceux-ci se structurent à partir d’une vision valorisante de leur famille. Les récits de conception proposent une définition de la famille dans laquelle procréation et conjugalité sont dissociées. En revanche, leur sentiment de légitimité semble rester vulnérable face à l’homophobie latente, non explicitement hostile, dont elles citent, en les minimisant, les nombreuses conséquences au quotidien.
Aussi, bien que prédisposées à transmettre des modèles d’identification éloignés des stéréotypes de genre, les mères lesbiennes interrogées sont attentives à promouvoir auprès de leurs enfants les signes d’une socialisation de genre normative, afin de les protéger de la désapprobation sociale à laquelle elles ont le sentiment de les exposer par leur modèle familial atypique. Elles leur apprennent à maîtriser les arguments qui leur permettront de se présenter de manière lisible et acceptable socialement.
EN :
This article is based on accounts of lesbian mothers collected during a French sociological study on the transmission of gender roles in lesbian-parented families. The study aimed at determining how lesbian mothers represent gender norms and gender socialization for their children.
Individually, the subjects genuinely called gender norms into question. Their disconnection from heteronormative thinking manifested itself in criticism of gender stereotypes, condemnation of sexism, and a certain “deheterosexualization” in how they spoke about themselves and in their appearance. The couples’ day-to-day lives exhibited more equality than in the traditional heterosexual model of domestic life and parental roles.
In their accounts, they presented their lifestyles in a positive light and argued that it is not necessary for parents to be of different genders. These arguments were also found in the conception stories they told their children, so that their development would be based on a positive vision of the family. These stories provide a definition of the family that separates procreation from the conjugal relationship. On the other hand, their sense of legitimacy appears to be vulnerable to latent, inexplicitly hostile homophobia, the numerous day-to-day consequences of which they tend to minimize.
And while they were predisposed to convey identification models that are independent of gender stereotypes, the lesbian mothers questioned were mindful of promoting signs of normative gender socialization among their children in order to protect them from the social disapproval that they felt their atypical family model exposed them to. They teach their children arguments that will allow them to present themselves in a clear and socially acceptable manner.
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Analyse du fonctionnement psychique d’enfants grandissant avec un couple de femmes
Émilie Moget et Susann Heenen-Wolff
p. 34–51
RésuméFR :
De nombreuses recherches ont été menées ces 35 dernières années auprès des familles homoparentales. Majoritairement de type quantitatif, ces études nous informent peu sur le fonctionnement dynamique et singulier de ces familles. Au travers d’une étude exploratoire et longitudinale, nous analysons le vécu particulier de familles homoparentales (deux femmes) qui ont eu recours à la procréation assistée avec don de sperme anonyme. Nous explorons dans notre recherche les sujets suivants : le rôle des mères auprès de l’enfant, la place du donneur anonyme dans le roman familial, le rapport de l’enfant à ses origines, le développement de l’identité sexuelle de l’enfant, l’intégration de ces familles dans une société hétéronormative. Grâce à nos rencontres régulières avec les enfants et les parents nous pouvons mettre en lumière les spécificités de leur fonctionnement familial. L’originalité de notre recherche se situe dans l’exploration du vécu intrapsychique et intersubjectif de ces enfants. Nous tentons de comprendre comment les enfants dont les parents sont de même sexe se construisent psychiquement. L’utilisation d’outils projectifs thématiques (Patte Noire, CAT, Dessin de famille) nous fournit des informations précieuses quant à leur développement psychosexuel. Ce matériel est à la source d’une double sollicitation, à la fois perceptive et projective, ce qui nous permet de relever des indices sur la manière dont l’enfant perçoit ses relations, se les représente et les symbolise. La description de cas cliniques illustrera nos propos.
EN :
Many studies of same-sex families have been conducted over the past 35 years. Primarily quantitative in nature, these studies tell us little about the unique dynamic operating in such families. By way of an exploratory longitudinal study, we analyze the distinct experiences of same-sex families (two women) who used assisted reproduction with an anonymous sperm donor. Our study explores the following topics: the mothers’ role with the child, the place of the anonymous donor in the family narrative, the child’s relationship to his or her origins, the development of the child’s sexual identity, and the integration of these families into a heteronormative society. Through regular meetings with both children and parents, we were able to highlight specific aspects of how these families function. The originality of our research is in its exploration of the intrapsychic and intersubjective experiences of these children. We try to understand how children of same-sex parents build their psychic identity. The use of projective tests (Patte Noire [animal metaphor], CAT, family drawing) yielded precious data about their psychosexual development. These tests can be employed both projectively and perceptively and reveal clues about how children perceive, represent, and symbolize their relationships. We use case studies to illustrate our findings.
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« Je leur dis que j’ai deux mamans ? » : carrières de (non-)publicisation de l’homoparentalité à l’école en France
Alice Olivier
p. 52–70
RésuméFR :
Si la recherche s’est intéressée à la formation des familles homoparentales et au développement de leurs enfants, très peu de travaux se sont interrogés sur la manière dont ces derniers gèrent leur situation familiale en milieu scolaire. Pourtant, l’école est vectrice d’hétéronormativité, ce qui soulève de nombreuses questions quant aux attitudes que ces enfants y adoptent : comment y font-ils état de leur situation familiale ? À partir d’entretiens menés en France auprès de 13 filles et garçons âgés de 10 à 19 ans et issus de familles homoparentales de configurations diverses, j’analyse la « (non-)publicisation » de l’atypisme familial dans sa dimension temporelle en la considérant comme une « carrière » séquencée par les différents paliers scolaires traversés. Correspondant à des contextes normatifs bien différents, ces paliers impliquent des manières précises et distinctes de percevoir et donc de publiciser sa famille. Ainsi, l’école élémentaire (de 6 à 11 ans environ) est un espace peu normé par les groupes de pairs dans lequel l’homoparentalité n’est pas perçue comme un stigmate, ce qui explique une large publicisation de la situation familiale. Au collège (de 11 à 15 ans) en revanche, les normes des groupes de pairs se renforcent et confèrent un caractère stigmatisant à cette situation, qui est alors publicisée auprès d’un petit nombre de camarades choisis et masquée à d’autres. Au lycée (de 15 à 18 ans) enfin, l’homoparentalité peut rester perçue comme un stigmate, mais celui-ci est souvent renversé dans une publicisation active de la situation familiale.
EN :
While research has been done on the formation of same-sex families and the development of their children, few studies have explored how such children deal with their family situations while at school. School is a vector of heteronormative notions, which raises many questions about the attitudes that these children adopt: how do they talk about their family situation? Based on interviews of 13 girls and boys aged 10 to 19 years from variously structured same-sex families in France, I analyze how these children reveal (or conceal) their unconventional family types over time by viewing it as a “career” stratified by the different levels of school. These levels all have very different normative contexts and thus involve specific and distinct ways of perceiving and talking about one’s family. Elementary school (approximately 6 to 11 years old) has few peer group norms, and same-sex families are not stigmatized, which explains why it is common for them to talk about their family situation. In “collège” (11 to 15 years old, akin to North American middle school or junior high), however, peer group norms are stronger and tend to stigmatize same-sex families, causing children of same-sex parents to reveal their situation to only a few select friends and conceal it from others. In “lycée” (15 to 18 years old, equivalent to high school in North America), having same-sex parents can be seen as a stigma, but it is often reversed when actively publicizing one’s family situation.
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Les atermoiements du droit français dans la reconnaissance des familles formées par des couples de femmes
Laurence Brunet
p. 71–89
RésuméFR :
Les juges français sont depuis plusieurs années régulièrement saisis, de la part de couples de femmes, de demandes visant à reconnaître une place à la mère « sociale », par opposition à la mère légale qui est celle ayant accouché de l’enfant. Comment les juges répondent-ils à ces requêtes ? La loi du 17 mai 2013 a ouvert le mariage aux couples de même sexe et autorise en conséquence l’adoption de l’enfant par l’épouse de la mère légale. Mais avant même le vote de cette loi, la jurisprudence avait oeuvré en faveur de la reconnaissance d’un quasi-statut pour la mère « sociale », pendant comme après la fin de la vie commune de couple. Plus d’un an après la première consécration légale en France de la famille homoparentale, un premier bilan mérite d’être dressé.
EN :
For several years, French judges have been regularly asked by female same-sex couples to recognize the legitimacy of a “social” mother, as opposed to the legal mother (i.e., the woman who gave birth to the child). How do judges respond to these requests? The French law of May 17, 2013 allowing same-sex marriage also, as a consequence, allows a child to be adopted by the female spouse of the child’s mother. But even before this law passed, there was jurisprudence for the recognition of a quasi-status for “social mother,” both during the couple’s relationship and after it has ended. Now that same-sex families have been legally recognized in France for over a year, a status report of the situation is warranted.
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Incidences de la composante biogénétique dans la reconnaissance de la filiation monosexuée en Espagne
Marta Roca i Escoda
p. 90–107
RésuméFR :
Cet article reprend des réflexions issues d’une recherche en bioéthique qui s’attachait à analyser le croisement de trois phénomènes : le développement des nouvelles technologies utilisées dans les processus de reproduction humaine ; leur encadrement juridique et normatif ; l’ouverture des droits aux minorités sexuelles, notamment la reconnaissance de l’homoparentalité. Mon propos se concentrera sur les évolutions juridiques dans le contexte espagnol concernant la filiation monosexuée, tant masculine que féminine, à travers les techniques de reproduction assistée. Ce choix est motivé par le fait que l’Espagne, en ouvrant le mariage aux couples homosexuels, est allée plus loin que d’autres pays européens dans la reconnaissance de la filiation homosexuelle. Mais dans les faits, plusieurs sortes de no man’s land juridiques posent des problèmes concrets quant à la reconnaissance de cette nouvelle filiation. C’est dans ces impasses juridiques que la composante biologique et génétique ressort fortement dans le débat juridico-politique actuel. L’analyse visera donc à montrer plus précisément comment, dans ces débats, la composante biogénétique est engagée dans la conception de la filiation, tant du point de vue du droit que des pratiques des couples homosexuels.
EN :
This article takes up the line of thought arising out of bioethical research that seeks to analyze the intersection of three phenomena: the development of new assisted human reproduction technologies; their legal and normative framework; and new rights granted to sexual minorities, especially with respect to recognition of same-sex parenting. My discussion concentrates on legal changes in Spain with respect to same-sex filiation, both male and female, as they relate to assisted reproduction techniques. This choice is motivated by the fact that Spain, by allowing same-sex couples to marry, has gone further than other European countries in recognizing homosexual filiation. But in the end, the existence of several types of legal no man’s land throws up roadblocks in recognizing this type of filiation. In legal and political debates surrounding these legal impasses, it is the biological and genetic components of filiation that tend to be emphasized. My analysis therefore aims to show more specifically how, in these debates, the biogenetic component enters into the conception of filiation, from the viewpoint of both the legal system and the practices of same-sex couples.
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L’interdiction de discriminer les personnes trans* dans la Charte des droits et libertés de la personne : pour son amélioration par l’ajout de l’« identité de genre » et de l’« expression de genre » à la liste des motifs de distinction illicites
Jean-Sébastien Sauvé
p. 108–126
RésuméFR :
Au Québec, la Charte des droits et libertés de la personne interdit, dans une certaine mesure, la discrimination des personnes trans*. Ce régime couvre cependant difficilement les différentes facettes de l’identité de genre et de l’expression de genre et certaines situations pouvant en découler, dont la transparentalité. En réponse à cette lacune et à l’aide d’une approche positiviste, l’article proposé suggère l’ajout de l’« identité de genre » et de l’« expression de genre » à la liste des motifs de distinction illicites énoncés à l’article 10 de la Charte. Cela permettrait d’offrir aux personnes trans* une meilleure « protection » juridique – à supposer qu’une telle protection existe réellement. L’état du droit se verrait, par ailleurs, clarifié. Afin de soutenir cette affirmation, l’interdiction de discriminer les personnes trans* est, dans un premier temps, étudiée. Il est ainsi montré que le « sexe » et l’« état civil » apparaissent comme des motifs centraux au coeur d’une telle analyse. Cependant, en raison de l’interprétation qui leur en est donnée, ils ne permettent pas d’embrasser pleinement et explicitement la situation de toute personne résistant aux stéréotypes de genre. Le régime juridique québécois se montre donc, à cet égard, insuffisant pour interdire complètement et explicitement la discrimination contre les personnes trans*. Face à cette insuffisance, il est, dans un deuxième temps, proposé d’ajouter, à la liste des motifs de distinction illicites, l’« identité de genre » et l’« expression de genre ». De plus en plus prisée ailleurs au Canada, une modification semblable de la Charte permettrait de pallier le problème décrit ci-dessus. S’il est vrai que les effets concrets d’une telle modification législative sont difficilement mesurables considérant le fait que la « protection » contre la discrimination, au sens strict, relève du mythe, l’auteur soutient qu’il demeure opportun de modifier en ce sens la Charte des droits et libertés de la personne.
EN :
The Québec Charter of Human Rights and Freedoms prohibits, to a certain extent, discrimination against trans* people. However, the Charter does a poor job of covering different facets of gender identity and expression, and of certain resulting situations such as transgender parenting. In response to this shortcoming, and using a positivist approach, this article suggests adding “gender identity” and “gender expression” to the list of defined discriminations that are prohibited under section 10 of the Charter. This would give trans* people better legal “protection”—assuming such protection truly exists. It would also clarify the legal situation. To support this assertion, the author examines the prohibition of discrimination against trans* people, revealing that the concepts of “sex” and “civil status” are central to the issue. However, because of how they are interpreted, these concepts cannot fully and explicitly encompass the situation of people who do not adhere to gender stereotypes. In this regard, the Québec legal system is therefore incapable of completely and explicitly prohibiting discrimination against trans* people. Given this shortcoming, the article subsequently suggests adding “gender identity” and “gender expression” to the list of defined discriminations. Such an amendment to the Charter, which is being applied increasingly elsewhere in Canada, would compensate for the problem described above. While its tangible effects would be difficult to measure given that having true “protection” against discrimination is somewhat of a myth, the author nevertheless submits that such an amendment would be an appropriate step.
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« J’ai aidé deux femmes à fonder leur famille » : le don de gamètes entre particuliers en contexte québécois
Isabel Côté, Kévin Lavoie et Francine de Montigny
p. 127–147
RésuméFR :
Cet article présente les résultats de recherche visant à mieux comprendre le point de vue et l’expérience d’hommes agissant à titre de donneurs de sperme dans la concrétisation de projets parentaux d’autrui. Notre démonstration s’appuie sur des données qualitatives tirées de deux corpus d’entrevues réalisées auprès d’hommes ayant offert leur sperme à des couples lesbiens, soit dans le cadre d’un rapport relationnel préexistant avec les femmes (n = 10), ou d’une entente établie à partir d’un contact sur Internet (n = 8). Les résultats plaident pour une conception plus nuancée de leur participation au projet parental d’autrui. Non seulement la conviction de poser un geste altruiste pour les couples lesbiens est perçue par ces hommes comme une source importante d’accomplissement, mais la méthode de procréation préconisée s’inscrit dans une démarche consensuelle et transparente, à la rencontre des besoins des personnes impliquées et de leurs motivations respectives.
EN :
This article presents the findings of a study aimed at better understanding the perspective and experience of men who donate sperm to help others start a family. The article is based on qualitative data drawn from two collections of interviews of men who had donated sperm to lesbian couples, either as part of a pre-existing relationship with the women (n = 10) or as part of an agreement stemming from an initial contact over the Internet (n = 8). The findings suggest the need for a more nuanced conception of their participation in the family plans of others. Not only do these men view this altruistic gesture with a significant sense of accomplishment, but the chosen method of procreation is part of a consensual and transparent process that meets the needs of those involved and their respective motivations.
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Transparentalité : vécus sensibles de parents et d’enfants (France, Québec)
Corinne Fortier
p. 148–164
RésuméFR :
La transparentalité représente une épreuve sociale et intime autant pour les personnes concernées que pour leurs conjoints et leurs enfants. Il existe peu de recherches sur ce sujet sensible, et encore moins de témoignages d’enfants. Dans cette étude qui croise anthropologie et psychologie, j’ai voulu rendre compte de la manière la plus juste de la parole des personnes rencontrées, en faisant état de leurs sentiments, de leur parcours, de leurs difficultés, de leurs doutes et de leurs victoires, sans jugement de valeur. Dans le cadre limité de cet article, je présente le cas de femmes trans, soit des personnes nées hommes et devenues femmes, qui étaient déjà mariées ou en couple avec une compagne avant leur transition et qui ont eu des enfants dans le cadre de cette union. Leurs récits de vie attestent de leur manière d’ajuster leur transition en femme à leur rôle parental, même si elles doivent faire face à beaucoup d’incompréhension, sinon d’exclusion. J’examine aussi comment les enfants réagissent au changement d’identité sexuée de leur parent, réaction qui peut évoluer au cours du temps, et qui est intrinsèquement liée à la façon dont la nouvelle leur est annoncée, à leur âge, à l’attitude de leur mère et de leur famille proche, ainsi qu’au regard social porté sur la transparentalité.
EN :
Trans parenting is a challenge both socially and intimately for trans parents themselves, but also for their partners and children. There are few studies on this sensitive subject, and even fewer children’s accounts. In this study, which incorporates aspects of both anthropology and psychology, I strive to report, as accurately as possible and without value judgments, the words of the people I met by presenting their feelings, experiences, difficulties, doubts, and victories. Within the limited scope of this article, I present the case of trans women—people born as men and who have become female—who were already married or in a relationship before their transition and who had children in this relationship. Their life stories relate how they adjusted to their transitions to their role as parents, even in the face of much incomprehension and even exclusion. I also examine how the children react to their parents’ change in sexual identity, a reaction that can change over time and that is linked intrinsically to how they were given the news, their age, the attitudes of their mother and of their immediate family, and society’s view of trans parenting.
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La gestion médicale de la parenté trans en France
Laurence Hérault
p. 165–184
RésuméFR :
Cet article s’intéresse à la manière dont les personnes trans sont accueillies dans les centres de PMA (procréation médicalement assistée) en France et plus largement à la façon dont la procréation des personnes trans est actuellement pensée et gérée dans le cadre médical français. On analysera ainsi comment les CECOS (centres d’étude et de conservation des oeufs et du sperme humains) ont pris en charge les couples formés par des personnes trans, avant d’explorer plus attentivement la manière dont est actuellement prise en compte la question de la préservation des gamètes avant la transition. On s’attachera notamment à saisir comment, dans ces différents cadres médicaux, la parenté transgenre, et plus particulièrement l’engendrement par des personnes trans, est constituée de façon problématique et spécifique alors même qu’elle ne se distingue en rien des modalités ordinaires de procréation en PMA. Il s’agira autrement dit de comprendre par quelles procédures et quels dispositifs elle est faite problème.
EN :
This article investigates how trans people are received in assisted reproductive technology centres (ART) in France and, more broadly, how procreation among trans people is currently regarded and managed by French medicine. It will analyze how sperm and egg banks serve couples formed by trans people, before exploring more in depth how the issue of pre-transition gamete preservation is considered. It will endeavour to understand in particular how, in various medical contexts, transgender parents’ attempts to conceive are specifically viewed as problematic even though they differ in no way from ordinary ART methods. In other words, what are the procedures and methods that make it a problem?