Résumés
Résumé
Le vieillissement et la faible croissance démographique dans plusieurs territoires québécois, notamment ruraux, posent un défi de taille à l’État, aux municipalités et aux divers acteurs locaux. Comment attirer et retenir de nouvelles populations, notamment des familles, dans ces milieux moins densément peuplés que les villes et moins pourvus en services? À partir d’une synthèse de mes recherches portant sur le processus d’insertion de diverses populations dans l’espace rural québécois (agriculteurs immigrants, travailleurs agricoles saisonniers, jeunes régionaux d’origine immigrée, médecins omnipraticiens, néo-ruraux), cet article mettra en évidence l’interaction de plusieurs facteurs susceptibles d’influencer la décision d’aller vivre dans ce type de milieu ou de le quitter. Alors que la littérature insiste plus volontiers sur les facteurs professionnels, financiers ou personnels, je m’attarderai sur les facteurs moins visibles, à savoir les facteurs familiaux liés aux conjoint(e)s et aux enfants ainsi que les facteurs sociocommunautaires et culturels et ceux concernant l’environnement naturel. Pour terminer, quelques pistes de réflexions et d’actions pouvant encourager l’attraction et la rétention de familles dans les territoires ruraux seront proposées.
Mots-clés :
- jeunes familles,
- migration,
- espace rural,
- facteurs d’attraction et de rétention,
- politiques familiales municipales,
- nouvelles populations rurales
Abstract
Aging together with low demographic growth in many parts of Quebec, more especially in rural areas, is creating a major challenge for the State, for municipalities and for a range of local stakeholders. How is one to attract and conserve new populations in localities that are less populated than cities and that can offer fewer services? Based on a synthesis of my research into the process of insertion of a range of populations into Quebec rural areas (immigrant farmers, seasonal agricultural workers, regionally-based young immigrants, general practitioners, new countryfolk) the present article will highlight the interaction of a number of factors that may contribute to one's decision to live in a rural environment or to move away from it. Whereas writings on the subject do in general place more emphasis on the professional, financial or personal factors, I will look more into the less obvious factors, such as the family factors that relate to the spouse and children, and the socio-community based and cultural factors, along with those linked to the natural environment. I will conclude by proposing some avenues for discussion and behaviours that could increase the attraction of the countryside and the desire to remain there..
Keywords:
- Young families,
- migration,
- rural areas,
- factors of attraction and conservation,
- municipal family policies,
- new countryside populations
Corps de l’article
Le vieillissement et le ralentissement de la croissance démographique dans plusieurs territoires québécois, notamment ruraux, posent un défi de taille non seulement à l’État, mais aussi aux municipalités, aux décideurs locaux et aux divers intervenants en développement régional. Ces acteurs doivent chercher par de multiples stratégies à attirer et à intégrer de façon durable de nouvelles populations, telles des familles, afin de favoriser le repeuplement. Mais comment attirer et retenir de nouveaux résidants dans ces milieux, moins densément peuplés que les villes et moins pourvus en services?
Cet article a pour objectif d’apporter des éléments de réponses à partir d’une synthèse des recherches que j’ai menées au cours des vingt dernières années auprès de diverses populations au Québec, à savoir des entrepreneurs agricoles immigrants européens, des travailleurs agricoles saisonniers, des jeunes régionaux d’origine immigrée, des médecins pratiquant dans des régions éloignées des grands centres urbains et enfin des néo-ruraux. Les facteurs d’attraction, d’insertion et de rétention dans l’espace rural de ces différentes populations étant au coeur de ces études, quelques grandes tendances pourront être dégagées relativement au poids de certains facteurs, notamment familial, dans la décision d’aller vivre dans ce type de milieu ou de le quitter. En m’attardant plus spécifiquement sur le sujet souvent négligé de l’insertion des familles dans les territoires ruraux, je souhaite apporter des connaissances éclairantes pour ce problème de faible croissance démographique et identifier quelques conditions gagnantes permettant de l’atténuer.
Je présenterai d’abord rapidement le contexte démographique actuel du Québec et de ses territoires ruraux avant de passer brièvement en revue les facteurs d’attraction et de rétention en milieu rural habituellement mentionnés dans la littérature. Ensuite, à partir de l’expérience des cinq groupes que j’ai étudiés, j’analyserai tour à tour les principaux facteurs en cause. Enfin, je conclurai par quelques pistes de réflexion et d’action.
Dans cet article, le milieu rural renvoie à une réalité diversifiée. Il peut désigner autant un espace où la densité de la population est faible et l’économie dépendante de l’hydroélectricité et de l’extraction des ressources (les « régions ressources » selon la nomenclature du MDEIE[1]), que des espaces plus près des régions urbaines, et dont l’économie est diversifiée avec notamment un secteur manufacturier important (les « régions manufacturières » selon la même nomenclature). Mes recherches ont, en effet, permis de constater que ce sont les mêmes catégories de facteurs qui interviennent, avec parfois certaines nuances que je mentionnerai le cas échéant. Une carte permet de visualiser les différents terrains de recherches en milieu rural dont il sera ici question (voir figure 1). Ils sont localisés aussi bien dans des espaces ruraux éloignés que proches des 4 régions urbaines (Capitale-Nationale, Montréal, l’Outaouais et Laval) répertoriées par le MDEIE.
1. Contexte : vieillissement, attraction de nouvelles populations et repeuplement durable
Depuis le début des années 1970, le Québec connaît un vieillissement rapide de sa population, en raison notamment d’une baisse de la fécondité et de l’amélioration de l’espérance de vie[2] (St-Amour, 2010). Entre 2000 et 2010, le pourcentage des personnes de 65 ans et plus est passé de 12,8 % à 15,3 % au détriment de celui des jeunes de 0 à 14 ans, passé de 17,9 % à 15,6 % (MDEIE, 2011). Avec l’avancée en âge des générations du baby-boom (nées entre 1946 et 1966), cette tendance est inéluctable et devrait se poursuivre au point où l’on prévoit que dans 20 ans, soit en 2031, 26 % de la population québécoise aura 65 ans et plus (ISQ, 2009).
Cette situation affecte particulièrement les territoires ruraux et éloignés puisqu’il est prévu que la croissance démographique d’ici 2031 sera presque nulle ou en déclin dans près de la moitié (46 sur 104) des municipalités régionales de comté (MRC)[3], à savoir celles de moins de 25 000 habitants (André et al., 2009)[4]. Selon ces auteurs, un vieillissement important de la population affectait déjà 64 MRC en 2006, en ayant un pourcentage d’aînés supérieur à celui du Québec. D’ailleurs, il est prévu qu’en 2031, les 65 ans et plus représenteront au moins un quart de la population dans 80 % des MRC. Cette tendance est accentuée, entres autres, par la migration de nombreux retraités de la ville vers certaines MRC de villégiature ou au contraire, par le départ des jeunes vers la ville pour y compléter leurs études supérieures ou vivre de nouvelles expériences (Gauthier, 1997, 2003; Girard, 2003; MAMSL, 2004). Il importe de souligner que ce vieillissement n’est pas propre au Québec, car il s’agit d’une tendance générale qui touche aussi bien l’ensemble du Canada, que les États-Unis et les autres pays européens industrialisés (Gauthier et al., 2004).
Compte tenu du « vieillissement accentué dans l’arrière-pays » (Gauthier, 2007 :52), les défis des territoires ruraux[5] sont nombreux : rajeunissement de leur population, renouvellement de la main-d’oeuvre, maintien des services de proximité… Ils ont à redoubler d’efforts pour attirer de nouvelles populations, notamment des familles, afin de les enraciner durablement. En outre, les services municipaux doivent être réorganisés pour favoriser l’accès à l’habitat, les loisirs récréatifs et culturels, le transport collectif, la sécurité publique…Un bref examen de la littérature révèle ici une panoplie de facteurs d’attraction et de rétention à considérer lors de la mise en place des stratégies de repeuplement.
Ce sont surtout les études en santé rurale qui ont examiné ces facteurs dans un contexte de pénurie du personnel de santé (médecins, infirmières, dentistes, sages-femmes…) en régions éloignées et isolées[6] et de mauvaise répartition géographique des effectifs (Garnett et al., 2008; Hall et al., 2007; Han et al., 2006; Humphreys et al., 2010; Pathman et al., 2004). Des études en immigration régionale ont également tenté de cerner les principaux motifs expliquant la décision de personnes d’origine étrangère d’aller s’installer dans des territoires hors des métropoles ou de les quitter à nouveau pour revenir en ville (Beshiri et al., 2009; Carter et al., 2008; Jentsch et al., 2009a; JIMI, 2008a, 2008b; Morén-Alegret, 2008; Reimer, 2007; Simard, 2007b; Simard, 1999). Enfin, des études sur la migration de la ville à la campagne de nouvelles populations, dénommées néo-ruraux, se sont concentrées sur les fondements de ce déménagement permanent dans des espaces ruraux et sur les conditions de sa réussite, notamment la qualité de l’accueil, de même que sur ses multiples incidences (Brown et al., 2008; CVC, 2004; Exiga et al., 2004; Halliday et al., 1995; Jauhiainen, 2009; Mitchell, 2004; Roy et al., 2005; Simard, 2007a; Walmsley et al., 1998).
Toutes ces études démontrent la complexité des facteurs susceptibles d’agir lors de la décision d’aller vivre dans l’espace rural, d’y rester à long terme ou bien de retourner dans les centres urbains. Interviennent non seulement des facteurs économiques, professionnels et personnels, mais encore d’autres liés aux caractéristiques physiques, sociales et culturelles du milieu d’installation, ainsi que des facteurs concernant l’épanouissement de tous les membres de la famille. L’expérience des médecins immigrants et non immigrants pratiquant en régions éloignées et isolées[7] au Québec offre d’ailleurs une occasion privilégiée de faire une synthèse des facteurs multiples de rétention ou de départ, puisqu’ils y sont tous à l’oeuvre à des degrés variables (Simard, 2009)[8]. Je m’y attarderai donc, mais en l’enrichissant d’autres exemples issus de mes recherches portant sur des populations diversifiées, aussi bien jeunes que plus âgées, éduquées que peu scolarisées.
2. Facteurs d’attraction, de rétention ou de départ en milieu rural
Vingt ans d’observation et d’analyse du processus d’insertion de diverses populations dans l’espace rural m’ont permis de dégager une série de facteurs qui, par leur interaction dynamique, influencent la décision d’aller vivre dans un tel milieu, de s’y ancrer ou d’en partir au terme de quelques années. Comme le relève Niedomysl (2010), l’importance de ces facteurs peut fluctuer dans le temps et selon les étapes de la vie des individus (mariage, adolescence des enfants, divorce, parents malades en ville…). Ils sont au nombre de cinq: 1) les facteurs professionnels et financiers ; 2) les facteurs familiaux (conjoint(e) et enfants) ; 3) les facteurs socioculturels et communautaires ; 4) les facteurs personnels ; 5) les facteurs liés à l’environnement naturel. Par leur analyse, les conditions de base pour l’intégration positive et la rétention maximale des familles en territoire rural ressortiront plus clairement.
2.1 Facteurs professionnels et financiers
Les facteurs professionnels sont ceux qui apparaissent, en général, au premier rang des motifs d’attraction ou de rétention des populations, notamment médicales. C’est d’ailleurs cette catégorie de facteurs qui a davantage retenu l’attention des chercheurs s’intéressant à la rétention des médecins (Humphreys et al., 2001; Kamien,1998). Ils concernent autant le type et la qualité du travail effectué dans l’espace rural et la reconnaissance des expertises et compétences, que les conditions d’emploi (nombre d’heures travaillées, charge de travail, accueil et soutien des collègues...) et les possibilités de réalisation et de progression professionnelles.
L’étude des médecins omnipraticiens immigrants et non immigrants[9] illustre bien ce constat, puisque ce sont ceux qui apprécient la pratique médicale régionale qui vont demeurer pour une durée plus longue que leur contrat initial de 4 ans. Ils le font pour l’expérience qu’ils acquièrent, la diversité des soins prodigués et le rapport étroit et continu avec les patients. Un accès plus limité aux spécialistes les oblige à élargir leurs compétences (cardiologie, obstétrique, orthopédie, chirurgie…) et à devenir polyvalents et autonomes, ce qui leur permet de diversifier leur pratique et d’avoir un rôle plus actif, global et valorisant qu’en contexte urbain. Ils se réalisent donc pleinement comme médecins en région malgré le caractère exigeant de la pratique, à la condition toutefois qu’un « bon équilibre » soit maintenu dans leurs conditions de travail. Cette notion d’équilibre est fondamentale pour la rétention, tel que mis en évidence dans des études en Australie (Hays et al., 1997; McIsaac et al., 2000). Tant que les conditions sont acceptables, ils n’envisagent généralement pas de quitter leur poste, à moins que d’autres facteurs plus personnels ou familiaux n’interviennent. Les conditions propices à un renouvellement de contrat font référence surtout à une charge de travail décente et à un bon esprit d’entraide dans l’équipe médicale. Cette collégialité serait un des points forts des conditions de vie professionnelle de ces omnipraticiens en milieu rural et se transformera souvent en relations d’amitié hors du travail (Simard et al., 2004a).
Toutefois, lorsque les conditions de travail sont détériorées par une pénurie chronique de médecins, elles deviennent un facteur déterminant de départ des régions en raison de la surcharge de travail, de la lourdeur des responsabilités et de la dégradation consécutive de la qualité de vie globale des médecins, dans ses aspects autant professionnels que personnels, familiaux, socioculturels et communautaires. Car, une pénurie persistante entraîne à long terme des effets pervers : en plus de générer un épuisement réel au sein de l’équipe locale de médecins, elle devient un frein au recrutement d’une relève médicale qui évitera de s’engager dans un milieu aux prises avec des besoins criants de personnel. La stabilité de l’équipe de base est, dans ce cas, menacée et les conditions deviennent carrément insatisfaisantes au point où les médecins pensent quitter leur emploi. Ceci a des répercussions inévitables sur l’équilibre entre la vie professionnelle, la vie personnelle et la vie familiale du médecin, ce qui ne manquera pas de faire pencher la balance vers un retour à la ville (Simard, 2009). On observe déjà que ce premier facteur d’ordre professionnel peut se conjuguer à d’autres arguments, notamment familiaux, quand il s’agit de prendre une décision pour préserver un mode de vie de qualité.
Une facette supplémentaire relevée tant par les médecins que par les entrepreneurs agricoles immigrants[10] pour expliquer leur intégration et leur rétention se rapporte au premier contact professionnel qu’ils ont avec la région dans laquelle ils envisagent de s’installer, lors d’un voyage exploratoire. Une expérience heureuse lors des stages régionaux de résidence médicale ou des visites des fermes et d’organismes agricoles, couplée à un accueil chaleureux des collègues et de la population…sont souvent des éléments décisifs. Cela leur a permis d’avoir une idée éclairée et globale du milieu, au-delà de la simple visite de l’hôpital régional ou des fermes[11]. À leurs dires, ces tournées des régions, auxquelles devraient assister les conjoint(e)s, seraient un moyen d’éviter de mauvaises surprises et de faciliter par la suite l’installation durable de la famille. Cette proposition est particulièrement pertinente pour les immigrants qui, au départ, ne connaissent pratiquement rien des territoires hors des métropoles. Une étude auprès des médecins immigrants en Australie relève l’importance, pour la rétention, de ce contact régional préliminaire auquel s’ajoutent le support subséquent des collègues et la qualité de l’accueil de la communauté à l’égard des étrangers (Han et al., 2005).
Enfin, un dernier point touche les facteurs financiers liés à la rémunération, auxquels se rajoutent, dans le cas des médecins, certaines mesures compensatoires destinées à les inciter à pratiquer en régions éloignées (rémunération majorée, primes d’installation et de maintien, allocations de ressourcement, primes d’éloignement…). En ce qui concerne la rémunération, s’il y a adéquation entre la formation, les compétences et le salaire, les individus seront généralement satisfaits de leur travail dans l’espace rural. Par contre, des analyses comparatives récentes sur l’emploi d’immigrants en milieu rural aux États-Unis, en Écosse, en Irlande, en Grèce et en Russie démontrent que s’il y a déqualification d’emploi, non-reconnaissance des diplômes et des compétences, bas salaire, peu de chances d’avancement et un manque d’opportunités professionnelles, les immigrants auront tendance à quitter les territoires ruraux pour trouver ailleurs, principalement en ville, de meilleures conditions de travail (Jentsch et al., 2009b). On remarque la même tendance chez les individus non immigrants (Davies, 2008; Gauthier et al., 2003).
Pour ce qui a trait aux mesures compensatoires, la plupart des médecins interrogés affirment qu’elles sont importantes et qu’elles ont eu un impact favorable sur leur rétention en région, mais seulement à court terme. Des études internationales soulignent que ces mesures sont loin d’être déterminantes auprès des médecins ruraux, d’autres facteurs primant, notamment la qualité de leur pratique et leur insertion dans la communauté (Bärnighausen et al., 2009; Chauban et al., 2010; Sempowski, 2004). Une approche multifactorielle est essentielle. Ainsi, des nuances sont fréquemment apportées par les médecins de mon étude sur les « limites » et le « caractère temporaire » ou « palliatif » des mesures financières quant à la rétention à long terme (Simard et al., 2004a). Cependant, selon ces omnipraticiens ruraux, une prime de rétention pour ceux qui pratiquent la médecine en régions éloignées au-delà de sept ans aurait un effet bénéfique. Cela introduirait une certaine forme de reconnaissance symbolique de leur contribution pour diminuer la pénurie des effectifs médicaux ainsi qu’une compensation supplémentaire pour effectuer une tâche plus lourde et stressante qu’en contexte urbain.
Au-delà de tous ces incitatifs financiers, la garantie de pouvoir revenir librement en ville après un séjour régional serait un moyen efficace d’attirer davantage de travailleurs en milieu rural. Ceci est particulièrement vrai pour les médecins ou autres professionnels en pénurie en région. Aux dires des médecins, beaucoup de leurs collègues quittent les territoires ruraux après la fin de leur contrat ou refusent carrément d’aller travailler hors des villes importantes, par crainte d’être « piégés » ou « enfermés » dans des choix professionnels irréversibles dues à des restrictions éventuelles de l’État. Ceci renvoie aux notions de liberté de choix professionnel et de mobilité dans une trajectoire de vie imprévisible et fluctuante. Intervient ici la question des différentes étapes de la vie. Au gré de leur avancée en âge et dans leur carrière, ainsi que de la croissance de leurs enfants, les individus sont susceptibles de voir leurs intérêts et leurs besoins changer. Rien n’est figé et tout est sujet à changement, de sorte que les travailleurs ruraux ─ immigrants ou non ─ veulent garder les portes ouvertes pour les opportunités qui pourraient se présenter à eux au fil des ans, tant sur le plan professionnel, que personnel ou familial.
2.2 Facteurs familiaux
Compte tenu de la complexité de l’expérience des individus dans un milieu donné et de la tension permanente entre plusieurs facteurs intervenant dans le processus d’intégration, il est parfois difficile d’isoler le poids des facteurs familiaux dans la décision d’aller vivre en milieu rural, d’y rester ou de le quitter à nouveau. Car, l’intégration durable semble être le fruit d’une négociation régulière entre divers facteurs où des compromis et accommodements ont été possibles. Ce constat est bien ressorti dans la revue de littérature sur les médecins, puisque la rétention dans l’espace rural est vue par plusieurs chercheurs comme le fruit d’un équilibre constant entre des facteurs autant professionnels que familiaux, communautaires ou personnels (Buykx et al., 2010; Cutchin et al., 1994; Cutchin, 1997a; Pope et al., 1998). Dans leurs études, l’influence de la famille est toujours mentionnée mais en interaction avec d’autres facteurs, notamment professionnels, de sorte qu’il y a un danger de ne pas toujours accorder autant d’importance qu’il le faudrait à la famille. Mes propres études permettent de mieux mettre en perspective le rôle de la famille, souvent escamoté, dans le processus de décision touchant l’attraction et la rétention en région, tout en élargissant la portée du facteur familial pour d’autres populations que celle des médecins.
À propos des médecins que j’ai étudiés, il faut préciser que la plupart sont mariés et sont arrivés en régions éloignées avec leurs conjoint(e)s (78%). Presque la moitié a déjà des enfants à leur arrivée, surtout les médecins immigrants compte tenu de leur âge plus avancé. Plusieurs auront des enfants également pendant leur premier contrat. Les témoignages de tous ces médecins sont dès lors particulièrement éclairants pour évaluer le poids des facteurs familiaux, liés tant aux conjoint(e)s qu’aux enfants, dans la décision de rester ou de partir. À quelques reprises, ce poids a été explicitement mis en évidence dans la littérature (Humphreys et al., 2001; Kearns et al., 2006; Mongeau et al., 1994; Sempowski et al., 2002)
2.2.1 Réalisation professionnelle des conjoint(e)s
La question de l’emploi des conjoint(e)s n’est pas sans importance dans les expériences des travailleurs en région et dans leur choix de rester ou de partir. Dans un contexte où les individus veulent se réaliser, notamment par un emploi valorisant, l’inactivité professionnelle est généralement mal supportée. Ceci fut démontré dans la littérature, notamment pour les épouses qualifiées vivant hors des grandes villes (Bista, 2009; Hugo, 2006). À la longue, l’inemploi risque de devenir une source de tension, voire une cause de rupture du couple[12]. Ni le soin aux enfants, ni le bénévolat dans les diverses associations locales ne parviennent à combler le vide laissé par une carrière professionnelle en suspens. Ainsi, comme j’ai pu l’observer lors de mon étude sur les médecins, l’impossibilité pour le(la) conjoint(e) de trouver un emploi convenable peut devenir un facteur décisif de départ. Les expressions que les médecins emploient pour évoquer cette situation laissent deviner la gravité de la perte subie par le (la) conjoint(e) : « ne rien faire et tourner en rond », « ennui », « dépression », « expérience pourrie », « se déclarer vaincue », « faire le sacrifice de sa carrière », « expériences de travail éteintes ». Car, un peu moins de la moitié de ceux ou celles qui avaient suivi leurs conjoint(e)s médecins en région n’avaient pu y trouver un emploi (40%), les autres travaillant surtout dans le domaine de la santé, principalement comme infirmier(e)s.
En filigrane de cette inoccupation des conjoint(e)s, on retrouve la question du déclin et de la déstructuration du milieu rural au Québec, alors que les emplois y sont plus rares qu’en ville, en raison souvent d’une économie anomique et d’un fort taux de chômage[13]. Ceci est particulièrement vrai pour les emplois qualifiés. Plusieurs conjoint(e)s bien scolarisé(e)s de médecins ont ainsi dû abandonner une carrière prometteuse en ville pour les accompagner en région rurale. Ils ont ensuite fait pression pour partir au terme du contrat, faute d’avoir trouvé un emploi correspondant à leurs expertises. On voit ici l’importance d’avoir un emploi satisfaisant et gratifiant pour chacun des membres du couple. À cet égard, plusieurs médecins suggèrent de renforcer l’appui de la communauté envers le (la) conjoint(e) dans sa recherche d’emploi. Selon eux, cela constitue une des clefs d’un enracinement durable. Ce constat s’applique aussi aux autres catégories de travailleurs, tel qu’illustré par l’étude sur la main-d’oeuvre agricole saisonnière[14]. D’après les témoignages recueillis auprès de ces salariés, les deux-tiers se disaient prêts à déménager à la campagne à la condition d’y trouver, pour eux mais également pour leurs conjointes, des emplois stables et bien rémunérés permettant de faire vivre convenablement leurs familles (Simard et al., 1997).
Fait intéressant en ce qui concerne ma récente étude sur les néo-ruraux[15], ceux-ci contournent les difficultés de trouver un emploi correspondant à leurs compétences dans le milieu rural en démarrant leur propre entreprise, parfois avec leur conjoint(e), après y avoir occupé l’un et l’autre des emplois déqualifiés au début de leur installation. Ils peuvent dès lors réaliser leurs rêves d’être indépendants et créatifs quant à l’emploi puisque la campagne leur offre cette opportunité, tel qu’observé dans d’autres pays (Saleille, 2007, 2006; Shields, 2005; Stockdale, 2006). L’importance du travail autonome dans ce groupe est donc notable, spécialement dans la région montérégienne où il touche la majorité des néo-ruraux interrogés et actifs sur le marché de l’emploi ainsi que leurs conjoint(e)s, comparativement à la moitié dans le Centre du Québec. Il s’agit en particulier d’entreprises en agriculture (biologique ou conventionnelle), en acériculture, en environnement ou communication, en arts et culture, en construction, et en ventes et services tels la rénovation. Ces néo-entrepreneurs utilisent, lorsqu’elles sont accessibles, les nouvelles technologies de l’information et de communication leur permettant de travailler à domicile (Simard et al., 2009)[16].
2.2.2 Conciliation travail-famille et rapprochement avec les grands-parents
Par le travail autonome, les néo-ruraux cherchent à répondre à leur aspiration d’un mode de vie alternatif, en milieu rural, où l’autonomie, la réalisation de soi, l’épanouissement professionnel et les valeurs familiales sont en harmonie et peuvent coexister : « Il y a un avantage marqué, explique l’un d’eux, de travailler à la maison… Les enfants ont une présence paternelle… Puis, pour l’instant, c’est notre première priorité : la famille » (Simard et al., 2009 : 492). Cette quête de « bien-être » et de pouvoir accru sur leur vie a été mise en évidence similairement chez les néo-ruraux français. On observe chez eux une remise en cause de la centralité du travail, un décloisonnement des sphères du travail et du non-travail ainsi qu’une valorisation de la famille et de la vie associative locale (Bonini et al., 2004).
Tout comme on l’observait chez les médecins, les intérêts et priorités des néo-ruraux fluctuent au cours de la vie. Au moment d’élever les enfants, l’équilibre dans leur vie et la conciliation travail-famille sont des valeurs fondamentales pour les plus jeunes (25-39 ans). Ils ont en effet déménagé à la campagne pour une combinaison de motifs référant tant aux attraits de la campagne[17], qu’au désir de fonder une famille dans un milieu sain et sûr et à la possibilité de réaliser des projets professionnels. Pour une minorité d’entre eux qui sont des migrants de retour, se rajoute le souhait de se rapprocher du réseau familial qui réside déjà en région (Simard et al., 2012a). On constate l’importance accordée à la famille par la jeune génération, que ce soit comme lieu d’apprentissage, de développement et de transmission ou comme lieu de communication, de stabilité et de soutien inconditionnel (Pronovost et al., 2004).
Ma recherche sur les jeunes régionaux d’origine immigrée[18] démontre aussi ce retour en région d’un peu plus du tiers (36%) d’entre eux, après la fin de leurs études en ville, précisément lors de la constitution d’une famille, quand ils sont dans la trentaine. Ils le font entre autres pour que leurs enfants puissent vivre à proximité de leurs grands-parents et les côtoyer régulièrement, ce dont ils ont eux-mêmes été privés du fait de l’immigration de leurs parents. Les valeurs de solidarité familiale et de proximité intergénérationnelle avec les grands-parents sont particulièrement importantes chez ces jeunes (Simard et al., 2004b). En fait, ils partagent avec les néo-ruraux cette volonté d’élever leurs enfants dans un milieu de vie favorisant leur bonne santé et leur sécurité, même s’ils sont conscients que les opportunités professionnelles et les services sont moindres en région. La préoccupation des parents pour un environnement rural sécuritaire a d’ailleurs été signalée par Valentine (1997). Les jeunes régionaux d’origine immigrée élaborent donc un rapport au travail différent de celui des générations précédentes, alors que la carrière n’est plus l’unique valeur de leur vie. Ils valorisent le resserrement des liens familiaux ainsi que des pluriactivités leur permettant de s’épanouir et de vivre de nouvelles expériences sociales et culturelles, telles la participation à des réseaux d’entraide ou d’amitiés (Simard, 2003a).
2.2.3 Éducation adéquate pour les enfants et intégration socioculturelle de qualité
Pour les individus ayant décidé de vivre en région, un dilemme se pose souvent lors du passage des enfants aux études secondaires ou post secondaires. En effet, les limites du système scolaire régional au Québec obligent les jeunes à s’exiler pour pouvoir poursuivre leurs études supérieures. Il s’agit d’un moment critique où la famille doit décider si elle reste en région sans les enfants partis étudier en ville ou si elle-même déménage pour les accompagner. Ce dilemme se pose d’autant plus que la qualité de l’enseignement dans certaines écoles secondaires régionales ne répond pas toujours aux critères de certains parents. Ceci peut alors les inciter à quitter la région, étant donné leur volonté d’offrir à leurs enfants une scolarité de qualité, bien adaptée à leurs intérêts et à leurs prédispositions.
Les limites du système régional d’éducation sont mentionnées plus souvent par certaines familles de médecins immigrants. L’absence d’écoles privées où les enfants semblent mieux encadrés, la moindre valorisation de l’éducation en région, les problèmes de violence et de drogue, la faible diversité des systèmes pédagogiques… sont à quelques reprises déplorés et identifiés comme cause de leur départ de la région. Quelques médecins d’origine québécoise partagent ce point de vue et, s’ils ne sont pas déjà partis, ils envisagent de le faire lorsque leurs enfants seront rendus à l’étape du secondaire ou du postsecondaire. Quant aux familles néo-rurales, elles apprécient généralement l’éducation fournie aux niveaux primaire et secondaire en milieu rural, mais certaines envisagent de retourner en ville avec leurs enfants dès le secondaire, afin de favoriser leurs contacts avec le multiculturalisme montréalais, élargir leurs horizons, faciliter l’apprentissage de l’anglais et leur faire vivre de nouvelles expériences.
Malgré leurs commentaires critiques sur le système scolaire régional, la plupart des familles des médecins immigrants disent néanmoins avoir apprécié la qualité d’intégration sociale et culturelle de leurs enfants pour la période avant l’adolescence, grâce notamment aux nombreuses amitiés que ces derniers ont développées à l’école. Ce constat rejoint ce qu’on observe chez les jeunes régionaux d’origine immigrée : la moitié d’entre eux retournent dans leur région d’origine après leurs études supérieures en ville pour, justement, retrouver la proximité des liens sociaux et la convivialité qu’ils ont connues pendant leur enfance. Ces jeunes « migrants de retour » sont de diverses origines, avec une surreprésentation de jeunes d’origine non européenne. Paradoxalement, ils disent avoir ressenti une plus grande stigmatisation des immigrants et de leurs descendants lors de leur séjour dans une ville cosmopolite comme Montréal (Simard, 2003b). Les néo-ruraux témoignent pareillement de cette qualité des liens sociaux pour leurs enfants, en milieu rural, et affirment qu’il s’agit là d’un facteur important de rétention de la famille, du moins jusqu’au secondaire ou postsecondaire. Quelques répondants- médecins et néo-ruraux- déplorent cependant un manque d’activités et de services culturels dans l’espace rural pour les familles.
2.2.4 Accueil personnalisé des conjoint(e)s et des enfants et soutien particulier pour leur intégration globale
Si les médecins demeurés en régions éloignées après leur premier contrat, qu’ils soient immigrants ou non, soulignent généralement une intégration réussie et un attachement de leur famille à la région, c’est parce que le milieu a été capable d’offrir un accueil personnalisé et un soutien spécial aux conjoint(e)s et aux enfants. Ceci s’est révélé essentiel, avant tout pour surmonter les difficultés des premiers mois (recherche d’une maison, inscription des enfants à l’école, information sur les associations et services locaux…). À la longue, ce soutien ciblé a permis aux conjoint(e)s de construire un nouveau réseau social et des liens d’amitiés dans la communauté, de contrer la solitude et l’isolement et de compenser l’éloignement du réseau parental (Simard, 2009). Ceci est comparable aux résultats d’autres études concernant les épouses d’omnipraticiens (Kazanjian et al., 1996; Mayo et al., 2006 ). Les médecins immigrants insistent sur l’importance d’une attitude d’ouverture envers les étrangers comme condition d’un enracinement durable de leur famille.
La notion d’accueil est donc cruciale pour favoriser, dès le début, le bien-être et la rétention des familles en milieu rural. En France, plusieurs territoires ruraux travaillent en ce sens. Des mesures concrètes sont prises afin d’améliorer leur potentiel d’accueil, d’attractivité et d’intégration de nouvelles populations, avec en toile de fond une Charte nationale de l’installation en milieu rural (CVC[19], 2003; Moquay et al., 2002). Au Québec, il faut continuer à sensibiliser les décideurs locaux (dirigeants d’organismes et élus municipaux) car leurs initiatives sont encore minimales à ce sujet. Certains des décideurs qui furent interrogés dans le cadre de la recherche sur les néo-ruraux semblent, en effet, se limiter à un accueil à court terme (Simard et al., 2012b).
Selon les médecins interrogés, le soutien des conjoint(e)s et des enfants ne doit pas se contenter d’être à court terme et un suivi attentif est à assurer par la communauté si on veut intégrer globalement les familles en région et les retenir plus longtemps. Des études menées en Colombie-Britannique auprès de médecins et de leurs épouses ont confirmé l’impact positif d’un tel appui (Cameron et al., 2010; Thommasen et al., 2000). D’un point de vue très pratique, il peut s’agir d’inviter et d’épauler les conjoint(e)s et les enfants pour qu’ils participent activement à diverses activités locales, comme les loisirs ou les sports, afin que leur milieu de vie soit intéressant sous plusieurs facettes.
2.3 Facteurs socioculturels et communautaires
Les facteurs socioculturels et communautaires ne sont pas d’emblée faciles à discerner dans la problématique de l’attraction et de la rétention de nouvelles populations rurales, car ils sont couramment masqués par les facteurs professionnels. Il est donc nécessaire d’y être attentif lors de l’analyse des conditions d’enracinement régional. Ils font référence à la vitalité socioculturelle et communautaire du milieu et à son ouverture à l’égard des nouveaux résidants. Selon la qualité de leurs expériences sociales, culturelles et communautaires dans ce milieu, les nouveaux arrivants pourront être « séduits » par les caractéristiques de l’espace rural, s’y sentir bien et vouloir rester de façon durable ou, au contraire, ils pourront s’y sentir isolés et « étrangers », n’y trouver pratiquement aucun attrait ou satisfaction et vouloir partir ailleurs, tel qu’illustré par des études sur des immigrants qualifiés en Australie ( Hugo et al., 2006; Wulff et al., 2008).
Dans les diverses études sur les médecins en régions éloignées, les facteurs socioculturels et communautaires arrivent habituellement au second rang des motifs de rester ou de partir, surtout lorsqu’ils sont couplés aux facteurs centraux professionnels. Ils interagissent en fait couramment avec d’autres (notamment personnels et professionnels) dans la décision de rester ou de partir, comme le démontrent des chercheurs aux États-Unis, en Australie et en Nouvelle Zélande (Cutchin, 1997b; Hancock et al., 2009; Humphrey et al., 2002; Kearns et al., 2006; Pathman et al.,1998; Thommasen et al., 2002). Puisque le médecin est également un acteur social, communautaire et culturel en milieu rural, en plus d’être un acteur professionnel et familial et qu’il est l’artisan d’expériences singulières tant dans sa vie quotidienne que dans sa pratique médicale, ces facteurs ont une influence inévitable sur lui. Ainsi, Kearns et ses collaborateurs mettent bien en évidence l’importance de cet environnement global dans l’attraction et la rétention des médecins néozélandais d’origine étrangère. S’ils sont restés au-delà de leur contrat, c’est non seulement en raison de leur pratique médicale satisfaisante, mais aussi pour le contexte socioculturel et communautaire stimulant (ibid.).
Des témoignages de la plupart des médecins, immigrants et d’origine québécoise, restés en région au-delà de leur premier contrat, il ressort que la vie sociale et communautaire en milieu rural comporte pour eux plusieurs avantages : accueil chaleureux, solidarité et entraide dans le voisinage, relations sociales faciles et satisfaisantes avec la population locale, possibilité pour certains de s’engager dans la communauté, respect et reconnaissance sociale par celle-ci de leur apport aussi bien comme médecin que comme citoyen. Ils arrivent ainsi à éprouver un véritable sentiment d’appartenance à leur milieu et le statut de « notable » que la population leur attribue habituellement génère des opportunités inédites d’implication sociale et communautaire, ce qui vient enrichir leur capital social.
Bien que les médecins qui ont décidé de rester regrettent parfois l’indigence de l’offre culturelle locale (cinéma, théâtre) par rapport au foisonnement qu’on connaît en ville, ils compensent cette lacune par des activités, avant tout de plein air, qu’offre la campagne (chasse, pêche, randonnées pédestres, canot-camping, loisirs familiaux variés...). Plusieurs affirment que ce contexte rural leur a permis d’atteindre un « bon équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie privée », améliorant par voie de conséquence leur qualité de vie globale sauf, bien sûr, dans des périodes critiques de pénurie de médecins (Simard et al., 2004a). Ils rajoutent que le rythme de vie plus simple et lent que dans les grands centres urbains, avec moins de stress, moins de trafic, moins de criminalité et plus de temps pour des contacts personnalisés contribue à créer un cadre de vie idéal non seulement pour élever une famille, mais également pour tisser des liens sociaux approfondis.
Par contraste, les médecins ayant quitté la région déplorent certains aspects de la vie sociale et communautaire qui les ont empêchés d’apprécier leur nouveau milieu de vie et de s’y intégrer. Ils désignent une distance sociale et culturelle avec la population locale, des divergences dans leurs champs d’intérêts et systèmes de valeurs respectifs, une certaine mentalité fermée, un manque d’intimité et de vie privée. Il en résulta un engagement local quasi inexistant chez ces médecins, tant immigrants que non immigrants, et un détachement social et communautaire qui les ont fait partir vers les grandes villes.
On remarque un certain clivage entre les médecins immigrants et la population locale. Leur double statut « d’étranger », d’abord comme urbain non natif du milieu (statut partagé avec les médecins d’origine québécoise), et ensuite comme individu provenant d’un pays étranger leur est parfois préjudiciable. La majorité des médecins immigrants provenant d’un milieu urbain, il ne faut pas s’étonner si beaucoup d’entre eux retournent en ville, en l’occurrence à Montréal. Ainsi, certains le font dès la fin de leur contrat, évoquant l’importance de retrouver leur famille, leur communauté d’origine et l’environnement culturel, artistique et cosmopolite d’une grande ville. L’isolement et la solitude en région, l’éloignement des repères familiers, une méfiance relative et certaines attitudes discriminatoires de la part de la population locale n’ont pu ici que conforter leur choix de partir. Cette préférence des médecins immigrants pour le milieu urbain n’est nullement spécifique au Québec (sur les États-Unis et l’Australie, voir Pathman et al., 1996; Simmons et al., 2002). Mais il faut se garder de généraliser trop vite, car mon étude a montré qu’un peu plus du tiers des médecins immigrants restent en région au-delà de leur premier contrat de travail.
Dans mes autres études, les facteurs socioculturels et communautaires sont aussi ressortis comme des incontournables pour attirer et retenir de nouvelles populations en région. Liés au dynamisme social, culturel et communautaire du milieu et à la richesse des relations sociales qui peuvent s’y développer, ils renvoient ultimement à la notion de « qualité de vie globale » tant recherchée, entre autres par les populations immigrantes et les néo-ruraux. Ceci est illustré par les jeunes régionaux d’origine immigrée qui, en dépit de leur ouverture au monde et leur culture transnationale, restent attachés au territoire régional où ils ont grandi principalement pour la qualité de vie qu’ils y retrouvent. Celle-ci réfère à une multitude d’éléments réunis, tels un réseau social étendu, des liens chaleureux et d’entraide, un contexte propice et sécuritaire pour élever les enfants incluant des liens étroits avec les grands-parents, un cadre de vie proche de la nature, tranquille et non pollué, l’accès à des loisirs de plein air et à une vie communautaire dynamique, un emploi intéressant pouvant faire vivre la famille décemment, des possibilités d’accomplissement personnel, un équilibre entre vie privée et publique (Simard, 2007c, 2001). En témoignent également le sous-groupe des travailleurs agricoles saisonniers d’origine immigrante pour qui il n’était pas question de déménager en région, s’ils y trouvaient un « désert social et culturel » et une « qualité de vie non convenable » sans services essentiels, système d’éducation de qualité, emplois satisfaisants pour toute la famille et activités récréatives diversifiées (Simard, 2003c). Tout ceci laisse entrevoir l’influence simultanée de plusieurs composantes dans la constitution d’une qualité de vie régionale qui, ultimement, se présente comme un des leviers d’attraction et de rétention les plus puissants.
Avec l’arrivée des néo-ruraux dans les campagnes, l’importance des facteurs socioculturels et communautaires est encore plus évidente. S’ils y déménagent, c’est surtout pour vivre dans un lieu dynamique où ils pourront participer aux activités locales et à la vie associative, s’impliquer dans son développement, se mobiliser autour de causes communes et tisser des liens sociaux avec la population locale. Leur désir de vivre dans un milieu où ils pourront bonifier leur qualité de vie globale revient sans cesse dans leurs propos, à savoir profiter autant des activités sociales et culturelles de leur collectivité que d’opportunités professionnelles inédites, d’un environnement naturel et moins stressant qu’en ville ainsi que d’un cadre de vie idéal pour prendre sa retraite ou élever des enfants, comme l’exprime ce néo-rural : « L’endroit nous plaisait : les montagnes, la vie de campagne, c’est paisible. C’est un environnement dans lequel on voulait que nos enfants grandissent ». Une ruralité anomique ne leur permettrait pas d’atteindre cette qualité de vie générale. On retrouve ici encore la notion d’équilibre entre la vie professionnelle, familiale, sociale et personnelle. Ceci traduit bien la présence de nouveaux types d’ethos du travail au Québec où la quête d’équilibre entre vie privée et vie au travail est dominante, révélant ainsi une centralité relative du travail et des changements culturels et structurels majeurs (Mercure et al., 2010).
2.4 Facteurs personnels
Deux facteurs personnels sont susceptibles d’avoir un impact notable sur la rétention en milieu rural, d’une part l’origine rurale des individus, ou du moins une certaine familiarité ou affinité avec ce type d’espace, et d’autre part leur goût des défis et d’une liberté plus grande. Ceci est bien démontré par les entrepreneurs agricoles européens qui migrent au Québec précisément pour réaliser un projet longuement réfléchi de mobilité économique pour eux et pour leur relève. Il s’agit entre autres de poursuivre leur métier d’agriculteur dans des conditions moins précaires et de mettre à profit l’expertise agricole et le patrimoine financier accumulés depuis plusieurs générations dans leur famille. Passionnés par l’agriculture et par le mode de vie qui y est associé, mais limités dans leur expansion en Europe en raison de la dispersion et du morcellement des terres ou de leur coût exorbitant, ils arrivent dans le Québec rural avec la ferme intention de s’y enraciner et de faire progresser leur entreprise. Leur origine agricole, leur dynamisme, leur autonomie et esprit d’initiative sont des atouts dans leur processus d’insertion dans les territoires ruraux québécois et des facteurs évidents de leur succès. Ces agriculteurs réussissent en effet à rentabiliser leurs expertises, à apporter des innovations et des savoir-faire inédits, à élargir les réseaux locaux au circuit européen, à ouvrir de nouveaux créneaux de marché au Québec et à revitaliser le milieu rural, notamment par des pratiques d’implication active dans les organismes agricoles (Simard, 1995a, b).
Pour ce qui est des médecins omnipraticiens et autres professionnels de la santé ( infirmier, dentiste, pharmacien, physiothérapeute…), leur origine rurale ou du moins leur fréquentation antérieure de la campagne (villégiature, loisirs, camps d’été…) et leur satisfaction à l’égard du mode de vie rural sont mentionnés comme facteurs d’attraction et de rétention, tant au Québec (Burigusa, 2006; Gouin et Roy, 1996) qu’à l’étranger (Daniels et al., 2007; Laven et al., 2003; Wilkinson et al., 2000 ; Woloschuk et al., 2002). Ainsi, « il semble bien qu’il existe une règle qui veut que l’on tende à revenir s’établir dans le même type de région que celle d’où l’on vient » (Gouin et Roy, 1996 : 20). J’ai observé, effectivement, que près des deux-tiers des médecins d’origine rurale de mon étude demeurent en région au terme de leur premier contrat. À l’inverse, les médecins d’origine urbaine sont plus enclins à quitter pour les grandes villes et ce dans une proportion similaire. Cependant, il ne faut pas appliquer ce constat avec rigidité puisque certains médecins d’origine urbaine restèrent en région au-delà du premier contrat, entre autres des immigrants (6 immigrants et 4 d’origine québécoise) et qu’un ensemble d’autres facteurs peuvent intervenir. La propension des médecins à rechercher des défis et des occasions de polyvalence et de plus grande autonomie dans leur travail serait également un atout pour la pratique médicale en région, couplée à leur souhait d’un mode de vie rural et de plein air. Les entrevues révèlent que cette convergence serait garante d’une plus longue rétention (Simard, 2009).
La même affinité avec l’espace rural se remarque chez les néo-ruraux étudiés car leurs trajectoires résidentielles indiquent que la campagne n’était pas toujours un milieu totalement étranger pour eux. En effet, plusieurs sont des ex-villégiateurs ou/et des individus ayant passé leur enfance en territoire rural, sans compter ceux qui y avaient déjà séjourné sporadiquement lors de vacances chez des parents ou amis. (Guimond et Simard, 2012). Cette familiarité avec l’environnement rural a assurément influé sur leur décision de s’y installer de façon permanente, comme l’explique l’un d’eux : «Je suis né à la campagne, en fait, c’est seulement un retour aux sources » (Simard et al., 2009 : 484) . En fait, près du quart des néo-ruraux dans une des régions étudiées sont des migrants de retour, tant jeunes que retraités, qui y avaient déjà vécu entre 16 et 20 ans. Leur retour témoigne non seulement de leur désir de se rapprocher de leurs familles, mais aussi de leur prédilection pour le mode de vie rural et de leur attachement à cet espace lié à leurs origines. En outre, la recherche de défis et de dépassement de soi peut autant motiver les néo-ruraux à déménager à la campagne, à l’instar des médecins.
Pour les mêmes raisons, l’origine rurale des conjoint(e)s a un impact sur l’installation en région vu qu’ils risquent d’être moins surpris et ennuyés que des urbains par des particularités du milieu rural (Mayo et al., 2006). Ainsi, dans la recherche sur les agriculteurs immigrants, on a observé que les conjointes n’hésitent pas à s’impliquer activement dans la communauté locale, en particulier dans les organisations paroissiales, scolaires et religieuse, du fait de leurs racines rurales (Simard, 2008). En outre, dans les études à la fois sur les médecins, les néo-ruraux et les jeunes régionaux d’origine immigrée, les conjoint(e)s provenant du territoire où se fait l’installation bénéficient du support de leur réseau local familial et de parenté pour faciliter l’intégration globale du couple et des enfants.
La probabilité de s’installer à long terme en région sera d’autant plus grande que les deux conjoints aspirent à élever leur famille à la campagne et partagent un même intérêt pour la nature, les activités de plein air, les liens personnalisés, le rythme de vie régional et sa qualité de vie. Un autre cas de figure se présente chez les médecins immigrants les plus âgés qui souhaitent mettre un terme à leurs migrations et se fixer définitivement dans leur nouveau pays. Comme l’expliquait l’un d’eux : « Si on se sent bien ici, on va rester parce qu’on en a assez de changer de place » (Simard et al., 2004a :162).
2.5 Facteurs liés à l’environnement naturel
D’autres facteurs, cette fois articulés aux caractéristiques physiques du territoire rural et à son cadre naturel, peuvent également avoir un poids dans l’attraction, la rétention ou le départ des populations rurales. Alors qu’ils sont primordiaux pour les néo-ruraux et les jeunes d’origine immigrée vivant en région puisqu’ils sont au coeur de leurs motifs d’y demeurer, ils sont plus secondaires pour les médecins, immigrants ou non. Pour ces derniers, soit ils s’ajoutent aux autres facteurs positifs et viennent renforcer une décision de s’établir à long terme en milieu rural, soit au contraire ils contribuent à faire pencher la décision en faveur d’un départ immédiat après la fin du contrat.
Tant pour les néo-ruraux, les jeunes régionaux d’origine immigrée et les médecins qui ont renouvelé leur contrat de travail, les attraits liés au milieu naturel des territoires ruraux sont multiples et remarquables : beauté des paysages, tranquillité et silence, air pur, grands espaces, proximité et accès facile à la nature, possibilités de pratiquer des sports extérieurs variés en différentes saisons, source de ressourcement et de méditation …Ces attraits participent non seulement à leur qualité de vie globale mais aussi à leur attachement à l’espace rural alors qu’ils y pratiquent des loisirs de plein air et des activités de préservation de la nature, à l’instar de jeunes ruraux étudiés au Québec et en Colombie-Britannique (Jamet, 2009). En particulier dans la région montérégienne, cet environnement naturel forme un patrimoine paysager qui fait sa réputation et constitue un des facteurs forts d’attraction des néo-ruraux jeunes et retraités (Desjardins et al.,2009). Pour les jeunes d’origine immigrée de retour en région, ces caractéristiques physiques ont eu un poids déterminant dans leur décision de revenir vivre dans leur région d’enfance, par opposition aux désagréments ressentis lors de leur séjour en ville comme la pollution de l’air et de l’eau, le bruit, le manque d’espace et de verdure, le trafic routier (Simard et al., 2001).
En revanche, pour les médecins qui ont quitté, ce cadre « bucolique » pouvait facilement dégénérer en source de stress, en raison des nombreux déplacements requis par leur travail et des grandes distances à parcourir, de la rigueur du climat, des longs hivers et de l’état dangereux des routes pendant les tempêtes. En outre, le calme et le repos n’étaient pas toujours appréciés, plusieurs médecins d’origine urbaine disant s’ennuyer de l’effervescence et du rythme trépidant des grandes villes (Simard et al., 2004a). Dans ces conditions, la beauté des paysages et la quiétude qu’offre la campagne n’arrivaient pas à faire contrepoids à ces inconvénients.
3. En conclusion : pistes de réflexions et d’actions pour encourager l’intégration durable des familles en milieu rural
Alors que les besoins de repopulation et de rajeunissement des campagnes occidentales se font de plus en plus pressants, la présente synthèse a permis de faire ressortir la complexité du processus d’installation durable des nouvelles populations en milieu rural. Elle a mis en lumière la multitude des facteurs d’attraction, de rétention et de départ susceptibles d’être à l’oeuvre, ainsi que le poids non négligeable de la famille dans la décision de migrer dans l’espace rural ou de le quitter à nouveau. Nous avons pu dès lors constater que la décision finale est le résultat de l’interaction et du croisement de plusieurs facteurs, aussi bien professionnels que financiers, familiaux, socioculturels et communautaires, personnels et environnementaux.
Grâce aux témoignages de diverses catégories de travailleurs en milieu rural ─ en l’occurrence des travailleurs hautement qualifiés, des salariés non spécialisés, des jeunes salariés ou des travailleurs autonomes en début de carrière ─ , une vision globale et à long terme de ces facteurs a pu être dégagée ainsi que les grandes tendances au-delà des singularités des parcours et des expertises. Selon le groupe d’individus concernés et l’étape dans leur vie, certains facteurs semblent plus prépondérants que d’autres. Ainsi, les facteurs professionnels et familiaux (emplois pour les deux conjoints, éducation et projets d’avenir des enfants y compris la relève agricole…) semblent décisifs pour les médecins, les travailleurs agricoles et les agriculteurs d’origine européenne, tandis que pour les néo-ruraux et les jeunes régionaux d’origine immigrée les facteurs environnementaux s’ajoutent et deviennent eux aussi déterminants. Au moment de fonder une famille, les facteurs familiaux ont une emprise particulière lorsqu’ils sont associés à la quête d’une conciliation travail-famille convenable et d’un équilibre entre vie personnelle et professionnelle. Les facteurs socioculturels et communautaires se révèlent également importants pour tous, puisqu’ils créent un contexte de vie dynamique et des liens sociaux de qualité.
Les facteurs d’attraction et de rétention en région vont donc bien au-delà de l’emploi, contrairement à ce qui est fréquemment admis, en touchant la vie régionale dans tous ses aspects. Tous se révèlent essentiels dans le contexte actuel de déclin démographique et de diminution prochaine de la population active dans plusieurs territoires ruraux. Aucun facteur n’est négligeable, car tous les individus recherchent ultimement non seulement un lieu stimulant pour travailler et élever leurs enfants, mais aussi un lieu d’épanouissement tant personnel que familial qui puisse offrir une qualité de vie globale. Cette notion de « qualité de vie globale » traverse l’ensemble des études reprises dans cet article et se situe au coeur de la problématique d’attraction et de rétention en région. Elle comprend l’aménagement d’un milieu de vie régional intéressant pour tous, et ce dans toutes ses composantes, autant sociales, culturelles et communautaires, qu’éducatives et professionnelles. À cet égard, le rôle de l’État, des municipalités, des associations locales ainsi que des divers organismes en charge du développement régional est crucial. Ces instances doivent, d’un commun accord, mettre en place les conditions gagnantes qui permettront d’améliorer cette qualité de vie et d’encourager l’intégration et l’installation durable des nouvelles populations rurales.
En analysant notamment les trajectoires et aspirations des jeunes, les facteurs aptes à attirer de nouveaux ménages avec enfants ont été mis en évidence (emplois valorisants, services pour la petite enfance, loisirs et activités récréatives variées pour toute la famille…). Leur repérage permet aux divers acteurs locaux d’élaborer des stratégies appropriées pour renouveler durablement leurs populations et réduire le vieillissement, selon les spécificités de leurs territoires et des groupes qui s’y établissent. Rappelons que les nouveaux résidants arrivent souvent avec une expertise professionnelle appréciable, occupent un emploi comme salarié ou créent du travail comme entrepreneur ou travailleur autonome, proposent des idées novatrices et de nouvelles activités ou services et s’impliquent activement dans la communauté. Leur présence vient enrichir le milieu sans compter leur apport connu pour la préservation du patrimoine architectural, historique et environnemental. Ce sont des citoyens convoités par les municipalités rurales, alors qu’ils contribuent aussi au maintien des services de proximité, telles les écoles.
Certaines municipalités rurales et décideurs locaux ont déjà voulu répondre aux défis posés par les transformations démographiques contemporaines. Ils ont cherché à attirer et à intégrer de façon permanente sur leur territoire de nouvelles populations, notamment des familles, par diverses politiques et mesures de repeuplement. Je n’en énumère que quelques-unes ici, dans l’espoir qu’elles seront une source d’inspiration pour d’autres municipalités. Ce sont pour l’essentiel la mise sur pied de politiques familiales, culturelles et de l’emploi, des dons de terrains à de jeunes familles à la condition qu’elles construisent une maison dans un délai défini, l’accès à des logements à prix abordable, des exemptions de taxes foncières pour les premières années de résidence, des soirées de bienvenue avec des trousses d’accueil, des répertoires de ressources locales et régionales, le parrainage de nouvelles familles par des familles anciennes, la mise sur pied de garderies, etc.[20]
Ces stratégies touchent les dimensions économiques et fiscales, professionnelles, culturelles, familiales et communautaires liées à la problématique de l’attraction et de la rétention en milieu rural. Leur succès repose souvent sur le leadership et le dynamisme des élus municipaux ou des dirigeants des organismes locaux, fermement convaincus de la nécessité de créer un milieu de vie globalement captivant, en particulier pour les familles. D’où l’importance de continuer la mobilisation de tous les décideurs régionaux et locaux autour de cet enjeu de repeuplement et de rétention durable de nouvelles populations, afin que des actions concertées puissent émerger dans tous les territoires concernés et dans tous les domaines du développement régional. Pour attirer et retenir les familles, il faudra entre autres améliorer les possibilités d’emploi pour les conjoint(e)s, chercher à diversifier les programmes scolaires tant pour les enfants que pour les adultes désireux de se perfectionner, faciliter l’intégration globale dans la communauté et bonifier les infrastructures et activités culturelles régionales. Car, la culture fut souvent identifiée, par les individus de mes études, comme parent pauvre de la vie en milieu rural qui risque d’inciter au départ des familles en plus des autres facteurs déjà mentionnés.
Parties annexes
Notes
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[1]
Le ministère du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation (MDEIE) regroupe les 17 régions administratives du Québec en trois grands blocs régionaux qui se distinguent les uns des autres tant par leur structure économique que leurs conditions de développement : les régions ressources, les régions manufacturières et les régions urbaines (MDEIE, 2011: 9-11).
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[2]
Pour la période 2005-2007, l’espérance de vie s’établit à 78,1 ans pour les hommes et à 83 ans pour les femmes (MDEIE, 2011).
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[3]
On compte 1135 municipalités locales au Québec, lesquelles sont chapeautées par des instances supralocales, soit 101 MRC. Ces dernières sont chargées principalement de l’aménagement du territoire (MAMROT, 2010).
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[4]
La croissance de la population est inégalement répartie dans les blocs régionaux. Alors que les régions manufacturières et urbaines ont connu des hausses importantes de leur population entre 2000 et 2010 (respectivement 9 et 7,7 %), les régions ressources ont subi un net recul (- 3,0 %) qui devrait se poursuivre (MDEIE, 2011 : 14).
-
[5]
En 2010, un cinquième de la population québécoise vivait dans des collectivités à caractère rural, soit plus de 1,5 million de personnes sur un total de 7,9 millions pour l’ensemble du Québec. Basée sur le concept de « Régions rurales et petites villes » (RRPV), la population rurale fait référence à la population vivant à l’extérieur des régions métropolitaines de recensement (RMR, 100 000 habitants et plus) et des agglomérations de recensement (AR, 10 000 habitants et plus) de Statistique Canada (MDEIE, 2011).
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[6]
Pour une recension internationale des écrits sur la rétention des omnipraticiens dans l’espace rural, voir le premier chapitre du rapport de Simard et Van Schendel (2004a)
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[7]
Ces régions sont désignées par le Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS) et renvoient aux territoires québécois insuffisamment pourvus de professionnels de la santé (arrêté ministériel 96-07). Ce sont généralement des régions éloignées des grands centres urbains et isolées.
-
[8]
Je remercie les éditions Ashgate de m’avoir permis de reprendre ici en français des éléments de mon chapitre publié sur les médecins immigrants dans notre livre (Jentsch et al., 2009a). À noter que le présent article est modifié et complété par les résultats de mes autres recherches sur le sujet, comparativement à la version originale du livre.
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[9]
Un total de 45 entretiens semi-dirigés a été réalisé en 2003 dans 7 régions éloignées où il y avait une pénurie : 24 auprès de médecins d’origine immigrante et 21 auprès de médecins d’origine québécoise pour pouvoir comparer ensuite leurs expériences. La majorité est de sexe masculin. Les médecins immigrants sont en moyenne plus âgés (51 ans) que les médecins non immigrants (41 ans), en raison notamment des longs délais pour faire reconnaitre leurs diplômes. Tous avaient déjà pratiqué ou pratiquaient encore dans ces régions au moment de leur rencontre. Ainsi, quinze médecins immigrants et onze non immigrants avaient quitté leur région et pratiquaient maintenant à Québec ou à Montréal, contre respectivement neuf et dix qui y demeuraient toujours lors de l’entretien. La plupart des médecins était accompagné d’un(e) conjoint(e) et d’enfants lors de leur migration dans ces territoires. Leur durée de séjour en région varie entre 3 et 14 ans. Les thèmes de l’entrevue concernent leurs parcours et leur formation avant leur arrivée dans ces espaces, leurs motivations d’y aller exercer la médecine, leur accueil et l’installation en région, leur processus global d’insertion socioprofessionnelle et familiale ainsi que les conditions de départ ou de rétention. Voir l’annexe méthodologique du rapport pour les détails (Simard et al., 2004a).
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[10]
Au total, 27 agriculteurs d’origine européenne furent rencontrés en 1992 dans 3 régions agricoles. Généralement mariés, ils ont immigré au Québec avec leur famille (conjointe et enfants) depuis une quinzaine d’années, surtout pour assurer une mobilité économique pour eux-mêmes et leur relève. Hormis un cas, tous sont des hommes. Ils sont en moyenne dans la fin quarantaine. Les thèmes de l’entrevue se rapportent à l’historique de leur immigration au Québec, leurs itinéraires géographiques, résidentiels et occupationnels à leur arrivée au Québec, le profil de l’entreprise agricole, leur insertion professionnelle, sociale et communautaire dans la société rurale incluant l’implication locale de la famille ainsi que les liens avec le voisinage. Voir le guide d’entretien dans l’annexe 7 du rapport (Simard, 1994).
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[11]
La pratique des « voyages exploratoires » était systématiquement effectuée par les entrepreneurs agricoles immigrants qui désiraient s’établir dans la campagne québécoise dans les années 1975-1981. Ils venaient visiter différentes régions à deux ou trois reprises, dont une fois avec la conjointe. L’accord de celle-ci s’avérait crucial pour la réussite de l’installation. Parfois un compatriote, « parrain » informel ou ami déjà établi au Québec, accompagnait gratuitement ce candidat à l’immigration. La durée de chaque voyage exploratoire était de deux semaines. Cette formule produisait de bons résultats en permettant d’éviter certaines difficultés à l’arrivée définitive de la famille (Simard, 1994).
-
[12]
Il faut noter des exceptions. Par exemple, en raison de valeurs culturelles différentes, certaines conjointes des médecins immigrants semblent satisfaites de rester à la maison et de s’occuper des enfants au lieu d’occuper un emploi à l’extérieur.
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[13]
Il faut cependant souligner d’importantes différences régionales au Québec, certaines régions étant plus favorisées au point de vue économique et démographique comparativement à d’autres qui sont dévitalisées par le déclin de leur économie, le chômage, la pauvreté, la diminution des services, le vieillissement de la population, le départ des jeunes, etc. Voir parmi d’autres : Côté et al., 1995; Julien,1995; MAMR, 2006; MDEIE, 2011; Proulx, 2002.
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[14]
Au total, le groupe des travailleurs agricoles saisonniers se compose de 46 individus interrogés en 1995: 37 d’origine immigrante et 9 d’origine québécoise. On y compte 60% d’hommes et 40% de femmes. L’âge moyen est de 40 ans. Les deux tiers ont des responsabilités familiales. Ils vivent à Montréal, mais sont transportés matin et soir en autobus dans les régions agricoles avoisinantes de la métropole. En général, ils font ce travail dans les fermes depuis 4 ans. Les entrevues se concentrèrent sur l’historique de leur immigration au Québec, leur processus d’insertion professionnelle (expérience de travail antérieure, emplois agricoles, réseaux de recrutement, conditions de travail, rapports avec les employeurs, collègues de travail et la communauté locale), leurs projets d’avenir. Une section était consacrée spécifiquement aux facteurs d’attraction et de rétention en région et à leur vie à Montréal. Pour des précisions sur la méthodologie, voir le rapport (Simard et al., 1997).
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[15]
Dans cette étude, les néo-ruraux sont des individus qui ont quitté la ville pour s’installer de façon permanente dans la campagne. Contrairement à la France, le terme néo-rural n’est pas utilisé au Québec avec une connotation de rejet formel de la société de consommation en lien avec le mouvement contestataire français de mai 1968. Le groupe étudié comporte 47 néo-ruraux interrogés en 2006-2007. Ils se répartissent également entre 3 groupes d’âges : les jeunes (25-39 ans), les adultes d’âge moyen (40-59 ans); les ainés généralement retraités (60 ans et +). Ils sont établis depuis en moyenne 6 ans (variant de 1 à 19 ans) dans 2 territoires ruraux contrastés, l’un accueillant davantage de retraités alors que l’autre reçoit surtout des travailleurs actifs. On y retrouve un peu plus de femmes (55%) que d’hommes (45%). La majorité sont mariés et ont des enfants (Guimond et al., 2012; Simard et al.,2010). Les thèmes des entrevues semi-dirigées concernent l’historique et les motifs de la migration, leur arrivée en milieu rural, leur processus d’insertion (professionnelle, sociale, culturelle, politique) incluant les difficultés ou opportunités et leur implication dans la vie locale, leur rapport à la campagne et à la ville, leur évaluation des services locaux, les projets d’avenir (rester ou partir?).
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[16]
Pour une analyse critique du discours entrepreneurial de l’État en lien avec la rétention des jeunes en région, voir Simard (1997).
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Ces attraits renvoient taux caractéristiques physiques (beauté du paysage, air pur, tranquillité…) et sociales (relations personnalisées, convivialité…) de l’espace rural et au rythme de vie moins stressant qu’en ville.
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[18]
Un total de 66 jeunes régionaux d’origine immigrée ont été rencontrés en 1998. Âgés de 18 à 29 ans, près des trois quarts (71%) vivaient au moment de l’entretien dans cinq régions du Québec (manufacturières ou ressources), alors qu’un peu plus du quart avaient migré dans deux régions urbaines, Montréal et Québec. On y retrouve un peu plus de garçons (56%) que de filles (44%). Parmi ces jeunes, 44% sont mariés ou en union de fait dont la moitié ont des enfants en bas âge. La grande majorité (80%) avait une expérience de vie régionale de plus de 10 ans. Les entretiens ont porté sur l’historique de l’immigration et de l’établissement en région, la vie familiale, leur insertion et participation (scolaire, professionnelle, sociale), les pratiques migratoires et leur rapport à la région et à la ville, leur identité, les projets d’avenir, les facteurs d’attraction et de rétention en région.
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[19]
Le site du collectif Ville Campagne s’avère instructif à cet égard et mérite d’être consulté : www.installation-campagne.fr .
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[20]
Pour quelques exemples concrets de stratégies destinées à attirer et retenir les familles en milieu rural, voir le dossier consacré aux familles de la revue Urbanité (« Quelles familles? », Urbanité, Montréal, avril 2007, p.23-36). Disponible en ligne : www.ouq.qc.ca/documents/URB-famille-Avril2007final.pdf
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