Résumés
Résumé
L’objectif de cet article est de mettre en avant les réels besoins des enseignantes et des enseignants dans un établissement multiculturel qui enseigne un programme scolaire francophone à une population plurilingue. Pour ce faire, l’article découle d’un travail de recherche portant sur l’adaptation des pratiques éducatives françaises dans un contexte francophone, mené en 2021 dans un pays identifié ici par la lettre « X ». La recherche s’appuie d’abord sur un cadre théorique qui définit le métier d’enseignante et d’enseignant comme un travail d’experte et d’expert, pour ensuite expliciter l’idée de pédagogie interculturelle. La méthodologie de recherche adoptée est mixte. Elle permet d’identifier les préoccupations du corps enseignant tout en clarifiant les éléments essentiels à intégrer dans la création de formations adaptées. L’objectif ultime est de garantir la capacité des enseignantes et enseignants à exercer leur métier au sein d’une population plurilingue et pluriculturelle, tout en minimisant les conflits culturels.
Abstract
The objective of this article is to highlight the real needs of teachers in a multicultural institution teaching a French-language curriculum to a multilingual population. The article is based on a study on the adaptation of French educational practices in a Francophone context. It was conducted in 2021 in a country identified here by the letter "X". The study first establishes a theoretical framework defining the profession of teacher as the work of an expert, and then explains the idea of intercultural pedagogy. The study methodology is mixed. It allows the concerns of the teaching staff to be identified while clarifying elements that are essential for the creation of adapted training. The ultimate goal is to ensure that teachers have the ability to practice their profession within a multilingual and multicultural population, while minimizing cultural conflicts.
Resumen
El objetivo de este artículo es destacar las necesidades reales de las personas docentes en una institución multicultural que enseña un programa escolar francófono a una población plurilingüe. Para ello, el artículo resulta de un trabajo de investigación que trata de la adaptación de las prácticas educativas francesas en un contexto francófono, conducido en 2021 en un país aquí identificado con la letra «X». La investigación se apoya primero en un marco teórico que define la profesión docente como un trabajo de expertos, para luego explicitar la idea de pedagogía intercultural. La metodología de investigación adoptada es mixta. Permite identificar las preocupaciones del cuerpo docente mientras aclara los elementos esenciales a integrar en la creación de formaciones adaptadas. El objetivo final es garantizar la capacidad de las personas docentes a ejercer su profesión dentro de una población plurilingüe y pluricultural mientras minimiza los conflictos culturales.
Corps de l’article
INTRODUCTION
Les établissements scolaires français installés à l’étranger sont souvent confrontés à un fonctionnement à deux vitesses : la première est celle du pays d’accueil et la seconde celle imposée par l’Éducation nationale française (Loewen, 2013). Ce fonctionnement est d’autant plus accentué par la composition du corps enseignant qui y travaille. Les écoles qui font partie de ce système français installé à l’étranger emploient des recrutées et recrutés locaux, ainsi que des expatriées et expatriés qui ont suivi leur formation en France. Cette association de profils est une volonté du ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports français afin d’assurer aux élèves inscrits dans ce cursus une qualité d’enseignement similaire à celle proposée en France.
Lorsque du personnel enseignant est en situation d’expatriation, il est envoyé dans un établissement particulier et a pour mission d’assurer l’harmonisation des pratiques entre les enseignantes et enseignants du pays d’accueil, et celles et ceux de la France. Ces enseignants ont suivi des formations pour assurer un suivi pédagogique du personnel local tout en respectant leurs heures de cours. Cependant, cette formation, fondée sur le référentiel de compétences des métiers du professorat et de l’éducation française, ne comprend pas de certification spécifique à l’interculturel ou à l’enseignement en situation interculturelle. Comment les défis rencontrés par le corps enseignant peuvent-ils être identifiés afin de mieux cerner les éléments essentiels à intégrer dans la création de formations adaptées à leurs besoins professionnels?
Pour répondre à cette question, nous observerons de plus près le métier d’enseignante et d’enseignant des établissements scolaires français installés à l’étranger, pour ensuite expliciter l’idée de pédagogie interculturelle. Cette partie théorique sera suivie d’une étude quantitative de terrain dans un pays francophone du Moyen-Orient que nous nommerons « pays X[1] ». Ce dernier reçoit l’enseignement français à l’étranger dans plusieurs de ses établissements. Parmi ceux-ci, cinq ont participé à un questionnaire visant à mieux comprendre les difficultés rencontrées par les personnels d’éducation locaux et expatriés face aux besoins d’adaptation des pratiques pédagogiques dans cette situation.
L’enseignante experte et l’enseignant expert
Par définition, l’enseignante ou l’enseignant est considéré comme experte ou expert à deux niveaux : dans l’enseignement d’un domaine particulier et de ce même domaine. Elle ou il doit maîtriser les savoirs et compétences qu’elle ou il fait acquérir à ses apprenantes et apprenants tout en maîtrisant le domaine enseigné. Ces professionnels de l’éducation développent leurs compétences par l’étude de théories élaborées par des pairs, mais surtout par l’expérience obtenue sur le terrain (Lenoir et Tochon, 2004). Blau (1955) définit aussi l’expérience comme un savoir-faire distinct dans un domaine précis et l’oppose donc à la conception traditionnelle selon laquelle l’expertise est intimement reliée aux savoirs. Pour lui, ce n’est pas celui « qui sait » qui se distingue des autres, mais plutôt celui « qui sait faire » dans une situation particulière. Cette conception se heurte cependant à la pluralité des situations dans lesquelles peuvent se trouver les enseignantes et enseignants : leur public étant hétérogène et caractérisé par un nombre important de variables, chaque situation d’enseignement est différente. Dans ce cas, il n’est donc plus possible de parler d’une seule forme d’expertise, car chaque enseignante et enseignant vit son métier à sa façon, selon son propre public.
Malgré cela, il est tout de même possible de trouver un point commun à toutes les expériences de l’enseignement : la capacité à improviser et à s’adapter. L’improvisation étant un travail ordinaire des métiers de l’éducation (Schonmann, 2005), elle devient alors un automatisme. Réagir à des situations d’enseignement différentes et à des attitudes réactionnelles des élèves oblige donc à être en adaptation constante. Cette pratique ancrée dans le système éducatif est cependant elle-même le résultat de l’expérience de chacun et dépend intimement de l’expérience obtenue au cours des années d’enseignement. À partir de cette idée, nous pouvons alors penser l’expertise comme étant la capacité à répondre aux besoins d’un public d’apprenantes et d’apprenants spécifiques à un moment donné dans des conditions particulières. Sawyer (2004) définit cette pratique comme une forme de « cocréation » qui se construit au cours des interactions en classe. Elle prendrait donc en compte l’élève au même niveau que la personne enseignante, car c’est l’apprenante et l’apprenant qui génère le besoin d’improvisation que l’enseignante ou l’enseignant allie à la préparation préalable du cours.
La pédagogie interculturelle
La pédagogie interculturelle est apparue en France à la fin des années 1960 en réponse à un flux migratoire important vers l’Hexagone et les besoins de scolarisation d’enfants issus de cultures très différentes (Meunier, 2013). Dans les années 1970, les travaux de Porcher ont mis la lumière sur la diversité culturelle à l’école et sur les difficultés scolaires rencontrées par les enfants des migrants :
Une culture est un ensemble de pratiques communes, de manières de voir, de penser, et de faire, qui contribuent à définir les appartenances des individus, c’est-à-dire les héritages partagés dont ceux-ci sont les produits et qui constituent une partie de leur identité. (Porcher, 1995 : 55)
La reconnaissance de cette dernière est alors perçue comme un moyen de promouvoir l’égalité des chances lorsqu’elle est intégrée dans les systèmes éducatifs (Meunier, 2008).
De plus, l’interculturalité est souvent définie comme l’ensemble des processus visant à établir des relations entre des cultures différentes (Intercultural Education : Theories, Policies and Practices, 1997). Cette approche cherche à favoriser des liens basés sur le respect mutuel et l’équité entre les membres d’une société aux cultures variées, tout en mettant en lumière les différences pour mieux comprendre les conflits potentiels qui peuvent émerger. Dans le contexte scolaire, cette approche est essentielle pour créer un environnement d’apprentissage inclusif, où les élèves issus de diverses origines culturelles peuvent s’engager de manière constructive et respectueuse. Penser la pédagogie interculturelle revient donc à prendre en compte toutes les variables culturelles susceptibles d’être rencontrées par le personnel d’éducation (Banks, 2016). La perception interculturelle met l’accent sur l’élimination des hiérarchies culturelles et favorise l’échange de pratiques et de compétences qui valorisent les différences culturelles comme des atouts dans le domaine éducatif. Elle invite à une prise de conscience des diversités qui distinguent autrui de soi-même et à une analyse des habitudes culturelles qui influencent les interactions au sein des écoles (Davis, 2020). Dans le contexte francophone, l’une des étapes principales de la prise de conscience culturelle réside dans la reconnaissance de la langue comme vecteur de valeurs socioculturelles. La langue, loin d’être un simple outil de communication, est profondément ancrée dans les pratiques culturelles et les systèmes de valeurs d’une communauté. Cette dimension culturelle de la langue peut créer des situations de communication complexes, particulièrement lorsqu’il s’agit d’échanges entre personnes provenant de cultures différentes. Dans une telle interaction, même si la langue utilisée est commune, le choc culturel peut surgir si les interlocuteurs ne sont pas attentifs aux nuances culturelles qui influencent leur compréhension et leur interprétation des échanges. La prise de conscience des différentes couches de sens véhiculées par la langue est donc essentielle pour naviguer avec succès dans ces situations interculturelles. Les recherches apportent un éclairage précieux sur ces dynamiques. Selon Blondeau, la langue ne se limite pas à des structures grammaticales ou lexicales; elle est aussi un reflet des valeurs et des normes d’une société (Blondeau, 2008). Cette perspective souligne l’importance de comprendre les dimensions culturelles pour éviter les malentendus et favoriser une communication respectueuse entre locuteurs de différentes cultures.
De même, les divergences de sens peuvent souvent découler d’une méconnaissance des contextes culturels spécifiques. La capacité à reconnaître et à gérer ces divergences est essentielle pour une communication interculturelle efficace (Communication internationale et communication interculturelle, 2011). En d’autres termes, le simple fait de partager une langue n’élimine pas les barrières culturelles; au contraire, une compréhension approfondie des valeurs sous-jacentes et des pratiques culturelles est nécessaire pour éviter les conflits et les malentendus. Ces perspectives mettent en lumière la nécessité d’intégrer une dimension interculturelle dans la formation éducative pour préparer les individus à interagir de manière plus consciente et respectueuse dans des contextes multiculturels.
ÉTUDE MIXTE DE LA SITUATION DES PERSONNELS D’ÉDUCATION LOCAUX ET FRANÇAIS DANS LE PAYS X
La présente recherche est née des besoins relevés par la communauté éducative locale. Pour mieux développer et comprendre ces besoins, deux entretiens et deux questionnaires ont été utilisés.
Étude qualitative
Tout d’abord, deux entretiens semi-directifs ont été menés : l’un avec M. F., un enseignant local d’histoire-géographie, et d’enseignement moral et civique des deux programmes, français et local; et l’autre avec M. J., le proviseur d’un des établissements ayant participé à cette étude. Ces entretiens ont eu lieu respectivement le 30 janvier 2021 et le 1er février 2021 via l’outil de réunion en ligne Zoom, en raison du confinement mis en place pendant la pandémie de COVID-19.
L’entretien semi-directif mené avec M. F.
L’objectif de cet entretien était que M. F. mette en évidence les difficultés qu’il observe chez les enseignantes et enseignants sous contrat local lorsqu’ils dispensent le programme français à des élèves du pays. Les questions sont organisées dans un ordre précis qui permet d’observer les difficultés rencontrées par les élèves et par les enseignants, telles qu’elles sont perçues par M. F., pour ensuite réfléchir à des solutions possibles.
De cet entretien, M. F. fait ressortir que certaines notions poseraient des problèmes aux élèves, car elles porteraient sur des cultures très différentes de la leur, et que les élèves mettraient plus de temps à s’approprier ces notions éloignées de leur réalité. Les notions non vécues par les élèves seraient donc plus difficiles à comprendre, selon M. F. Ce dernier a aussi expliqué que le programme local proposerait des thématiques plus proches de la réalité des élèves, tandis que le programme français serait plus vaste et permettrait d’acquérir des connaissances plus larges, mais parfois éloignées de la culture de ces derniers. Bien que le programme local soit plus ancien, selon le point de vue de M. F., les élèves adhéreraient plus facilement aux notions enseignées parce qu’elles leur seraient familières. M. F. rajoute que le souci lié au programme français serait le fait que les élèves seraient capables de retenir et de restituer des connaissances sans les comprendre, ce qui empêcherait l’acquisition complète de certaines compétences. Selon M. F., prendre des exemples du pays d’accueil pour illustrer les cours pourrait être bénéfique, même s’il ne s’agit que d’un seul document. L’enseignant a aussi rajouté que certains collègues locaux adaptent le programme français à leurs élèves, mais tous n’ont pas les mêmes outils et capacités d’adaptation, créant ainsi des inégalités dans les méthodes d’enseignement.
L’entretien semi-directif mené avec M. J.
L’objectif de cet entretien était de déceler les difficultés que rencontrent les membres du personnel français dans l’enseignement du programme français dans le pays X selon le point de vue de M. J. Les questions ont été organisées dans un ordre précis qui permet tout d’abord de mieux comprendre comment les élèves perçoivent le programme français à l’étranger, puis d’observer les difficultés rencontrées au niveau de ces élèves, pour ensuite réfléchir sur la possibilité de mettre en place des solutions pour pallier ces difficultés.
L’entretien a permis de révéler que la différence de nationalité est perçue par M. J. comme une source de différences dans la perception du programme français. Selon lui, les enseignantes et enseignants arrivant directement de France percevraient une différence significative dans l’enseignement, lequel serait différent de ce à quoi elles et ils sont habitués. Ces enseignantes et enseignantes devraient donc s’adapter à un nouveau public tout en étant conscients des variations dans les méthodes d’enseignement et d’assimilation du programme. M. J. précise aussi que la francophonie et son histoire avec le pays d’accueil joueraient aussi un rôle important dans les disparités. Selon lui, certains élèves n’auraient pu s’adapter au système scolaire français. Il rajoute que l’absence de contextualisation pourrait être une source de difficultés, et qu’il serait essentiel de mettre un cadre pour ne pas perdre de vue le programme français. Il explique : « Cette absence de contextualisation peut faire perdre du temps à l’enseignant, les élèves prenant plus de temps à s’approprier les notions du programme. C’est le travail de l’enseignant de contextualiser son cours, et il doit savoir s’adapter aux besoins de ses élèves. Un enseignant ne peut pas conserver ses anciennes habitudes d’enseignement dans un nouveau pays. » Selon lui, les échanges avec l’étranger pourraient aider à mieux comprendre les notions enseignées en cours et il serait possible d’utiliser les deux programmes pour créer des liens plus étroits et réduire les disparités et conflits entre eux. Se servir de la culture d’accueil pourrait alors rendre les cours plus concrets pour les élèves, facilitant ainsi les apprentissages. M. J. rajoute cependant que le risque majeur serait alors de fragiliser le programme français et de perdre de vue ses objectifs principaux. Il explique :
Il est important de clarifier le degré d’impact de l’enseignement français à l’étranger sur la culture nationale. Il y a un choc culturel lorsque le personnel est expatrié vers un nouveau pays, et la capacité à s’adapter au pays d’accueil dépend de la personnalité de chacun. Le personnel n’est pas préparé à ce choc culturel, ne recevant pas de formations avant leur expatriation. Il est important de savoir que les pratiques changent selon le pays d’accueil, et l’adaptation est donc constante pour les enseignants expatriés.
Étude quantitative
Pour pouvoir confirmer ou infirmer le besoin de formation à l’interculturel des enseignantes et enseignants du système éducatif français à l’étranger, il a aussi été nécessaire de réaliser une enquête quantitative auprès du personnel enseignant de cinq établissements proposant le programme français dans le pays X. Pour ce faire, l’accord du proviseur de chaque établissement a été demandé. Le but de cette enquête était de mieux cerner le besoin de formation, le niveau auquel il devrait être mis en place ainsi que de savoir si certaines formations étaient déjà existantes.
Étant donné que le personnel enseignant et éducatif de ces établissements comprend des recrutées et recrutés locaux, et des recrutées et recrutés expatriés, le questionnaire a été divisé en deux parties bien distinctes : un formulaire de 14 questions pour le personnel local et un formulaire de 16 questions pour le personnel venant de France. Le questionnaire destiné aux recrutées et recrutés locaux permet de déterminer les difficultés rencontrées quant à la contextualisation du programme scolaire français pour un public étranger. Le questionnaire destiné aux personnels expatriés permet de déterminer les difficultés rencontrées aux niveaux socioculturel et professionnel par ces derniers lors de leur temps d’enseignement sur le territoire étranger.
Les questionnaires ont été communiqués aux participants par le secrétariat de leur établissement de rattachement. L’échantillon final est de 70 professionnelles et professionnels de l’éducation : 33 recrutées et recrutés locaux, et 37 recrutées et recrutés français. Les questionnaires sont composés de 32 questions au total.
Analyse des résultats du questionnaire à destination des recrutées et recrutés locaux en poste dans le pays X dans un établissement scolaire français à l’étranger
Le questionnaire destiné aux recrutées locales et recrutés locaux vise à identifier les défis liés à la contextualisation du programme scolaire français pour un public local. Il révèle que seulement 6 % du personnel a déjà expérimenté l’enseignement français à l’étranger. En conséquence, ces enseignantes et enseignants découvrent un nouveau système scolaire lorsqu’ils commencent à travailler dans des établissements français et doivent trouver les méthodes et outils appropriés pour répondre aux besoins de leurs élèves. Ceux qui ont déjà eu cette expérience l’ont fait dans d’autres pays, soulignant la nécessité d’adapter les pratiques pédagogiques au contexte local.
En ce qui concerne la formation, 18 % d’enseignantes locales et d’enseignants locaux ont bénéficié d’une formation sur l’enseignement français, laissant plus des trois quarts d’entre eux sans préparation préalable à leur premier cours. Plus de la moitié des enseignantes et enseignants (55 %) affirment avoir été préparés à la contextualisation par des réunions internes à l’établissement, malgré l’absence de formation spécifique.
Concernant l’adaptation des programmes, 79 % des enseignantes et enseignants déclarent devoir ajuster le contenu du programme français pour leur public local en utilisant des documents pertinents pour illustrer les notions enseignées. En revanche, 46 % de ces derniers ne pensent pas que les élèves locaux rencontrent des difficultés particulières dues aux différences culturelles, tandis que 54 % perçoivent des difficultés variées, notamment dans la compréhension des notions ou du langage. Cette distinction est complexe, car les élèves doivent assimiler à la fois de nouvelles notions et un vocabulaire souvent inconnu. De plus, 60 % des enseignantes locales et enseignants locaux doivent consacrer un temps supplémentaire pour clarifier les notions aux élèves, ce qui confirme que l’enseignement du programme français à un public étranger nécessite plus de temps de cours.
Tout le personnel interrogé (100 %) effectue un travail de recherche personnelle pour contextualiser les programmes français, ce qui nécessite un temps additionnel pour la préparation des cours. Cependant, l’absence de formation spécifique rend difficile l’harmonisation des pratiques entre enseignantes et enseignants, et établissements scolaires. Environ 48 % des enseignantes et enseignants ne maîtrisent pas bien le programme français. Parmi les 18 % qui ont reçu une formation, seulement 21 % ont été formés pour le contexte local, ce qui représente moins de 5 % de tous les enseignantes et enseignants interrogés. Enfin, seulement 30 % d’entre elles et eux sont en contact avec une formatrice ou un formateur connaissant bien la réalité locale.
La dernière question était une question ouverte sur des idées pour faciliter la contextualisation. Les suggestions se sont concentrées sur deux axes : l’augmentation des formations et l’intégration plus facile de la contextualisation dans les programmes. Il est donc clair que les enseignantes locales et les enseignants locaux ressentent un besoin réel d’accompagnement par des professionnels plus familiarisés avec le programme français et la réalité locale pour les aider à adapter efficacement leurs cours au contexte local.
Analyse des résultats du questionnaire à destination des recrutées et recrutés français en poste dans le pays X dans un établissement scolaire français à l’étranger
Le questionnaire destiné aux personnels en situation d’expatriation vise à identifier les difficultés socioculturelles et professionnelles rencontrées lors de leur arrivée dans le pays d’accueil. Dans celui-ci, moins d’un tiers (30 %) des enseignantes et enseignants envoyés à l’étranger ont bénéficié d’une formation avant leur départ de France. Parmi celles et ceux qui ont reçu une formation, plus de la moitié ont indiqué qu’il s’agissait principalement d’éléments de communication ou de partage de documents, plutôt que de formations complètes. Par conséquent, la majorité des enseignantes et enseignants français expatriées et expatriés ne sont pas pleinement préparés à l’expatriation, ce qui les expose davantage à appliquer leurs pratiques pédagogiques françaises sans les adapter au contexte local.
En ce qui concerne l’adaptation au pays d’accueil, 51 % des enseignantes et enseignants ne trouvent pas que leur expérience sociale corresponde à leurs attentes avant leur arrivée, nécessitant ainsi un temps d’adaptation à la culture d’accueil. De plus, 64 % expriment une insatisfaction similaire sur le plan culturel. Cependant, 87 % des enseignantes et enseignants ont pu s’adapter relativement facilement aux habitudes locales, ce qui indique que, malgré les différences culturelles, elles et ils ont fourni les efforts nécessaires pour s’intégrer. Il est probable qu’elles et ils aient utilisé des stratégies personnelles pour y parvenir. Néanmoins, 32 % des enseignantes et enseignants ont rencontré des situations conflictuelles dues aux différences culturelles, consommant du temps et de l’énergie, et pouvant créer des tensions sur le plan personnel.
Bien que 46 % des enseignantes et enseignants n’aient jamais eu besoin d’aide pour gérer des situations culturellement conflictuelles sur le plan personnel, plus de la moitié d’entre elles et eux auraient bénéficié d’un référent pour les aider dans ces situations. De même, plus de la moitié ont eu recours à une aide pour des conflits culturels. En dépit de ces défis, 35 % des personnes interrogées se sentent bien intégrées dans la société d’accueil, tandis que 65 % ressentent un certain malaise quant à leur intégration, indiquant un problème d’adaptation notable.
En fin de compte, 67 % d’entre elles et eux affirment s’être adaptés assez rapidement au public local, et 87 % ont bien intégré les habitudes locales. Cependant, une différence est observable entre l’intégration sociétale et professionnelle des enseignantes et des enseignants. Il serait pertinent d’explorer les différences entre ces deux aspects de leur expérience et de se demander s’il existe une double adaptation à considérer.
Il est aussi important de noter que 89 % des enseignantes et des enseignants jugent qu’elles et ils communiquent efficacement avec leurs élèves malgré les différences culturelles et les difficultés d’adaptation semblent être surmontées grâce à des stratégies personnelles mises en place par les expatriées et expatriés. En complément, 32 % des enseignantes et des enseignants ont signalé des tensions d’origine culturelle avec des collègues et 35 % avec des élèves ou des parents, confirmant ainsi la persistance des tensions culturelles liées à l’adaptation.
Enfin, pour 65 % des personnes interrogées, il y a eu un décalage entre le message prévu par l’enseignante ou l’enseignant et sa perception par l’élève. Cela suggère que les élèves peuvent éprouver des difficultés à comprendre les notions du programme français en raison des différences culturelles, difficulté qui peut être accentuée si l’enseignante ou l’enseignant n’est pas conscient de ces différences dans son enseignement.
CONCLUSION
Le monde de l’éducation francophone, particulièrement dans un contexte international, est confronté à des défis interculturels de plus en plus complexes. La théorie de l’enseignante experte et de l’enseignant expert met en évidence la nécessité de naviguer dans des environnements pédagogiques diversifiés, où l’expertise dépasse la simple maîtrise des contenus disciplinaires pour inclure l’adaptabilité à des contextes culturels variés. Cette capacité d’adaptation est essentielle, mais elle soulève des questions sur l’efficacité des formations reçues et leur adéquation avec les réalités locales des pays d’accueil.
La notion de « l’homme pluriel », définie par Lahire (Dodier, 2000), indique que les enseignantes et enseignants sont des individus portant une multiplicité de rôles et d’expériences, ce qui enrichit leur pratique tout en introduisant des disparités possibles lorsqu’elles et ils se trouvent dans des contextes culturels différents. Cette pluralité nécessite une pratique réflexive constante, comme le suggère la théorie de la pratique réflexive de Perrenoud (2012), pour éviter que les habitudes inconscientes ne créent des conflits avec les attentes locales.
La pédagogie interculturelle, développée pour répondre aux défis des écoles françaises à l’étranger, vise à intégrer les variables culturelles dans les pratiques pédagogiques en valorisant les différences plutôt qu’en les percevant comme des obstacles. La reconnaissance des valeurs socioculturelles portées par la langue et les pratiques pédagogiques est cruciale pour une adaptation réussie des enseignants expatriés.
Les recherches mixtes menées dans le contexte du pays X offrent des perspectives précieuses pour comprendre l’application de ces théories. Les entretiens semi-directifs avec un enseignant local et un membre du personnel français ont révélé des défis spécifiques dans la mise en oeuvre du programme français, soulignant que l’écart entre les attentes du programme et les contextes locaux sont significatifs. Selon les deux participants interrogés, les difficultés rencontrées par les élèves, et les enseignantes et enseignants montrent la nécessité d’une pédagogie interculturelle qui prend en compte les réalités locales tout en respectant les objectifs du programme français. Les suggestions pour intégrer la culture locale dans les cours illustrent le besoin de pratiques réflexives pour ajuster les pratiques pédagogiques en fonction des besoins spécifiques des élèves.
L’enquête quantitative a complété cette perspective en fournissant des données concrètes sur l’état de la formation interculturelle des personnels éducatifs. Les résultats indiquent que la majorité des enseignantes et enseignants, qu’elles ou qu’ils soient locaux ou expatriés, n’ont pas reçu de formation spécifique sur le plan interculturel. Ce constat est en accord avec les conclusions théoriques sur les défis de l’adaptation culturelle. Le manque de préparation adéquate et les difficultés rencontrées dans l’ajustement des programmes révèlent que les pratiques pédagogiques actuelles doivent être révisées pour inclure une dimension interculturelle plus robuste. L’augmentation de la formation et une meilleure intégration des contextes locaux dans les programmes d’enseignement sont identifiées comme des priorités.
Enfin, cette recherche met en lumière l’importance cruciale d’une formation interculturelle approfondie pour les enseignantes et enseignants du système éducatif français à l’étranger. Afin qu’ils puissent répondre aux besoins variés de leurs élèves tout en respectant les objectifs du programme français, il est essentiel d’intégrer davantage la pédagogie interculturelle dans leur formation initiale et continue. Trouver un équilibre entre les exigences du programme et les réalités culturelles locales est aussi fondamental pour améliorer la qualité de l’enseignement, et créer un environnement éducatif harmonieux.
Toutefois, pour atteindre cet objectif, il est nécessaire de transformer les formations actuelles en y intégrant des compétences spécifiques à l’interculturalité. Ce processus est déjà en cours avec l’ébauche d’un référentiel de compétences interculturelles, spécialement conçu pour la formation des enseignantes et enseignants en poste à l’étranger. Ce référentiel permettra de mieux préparer le personnel éducatif à naviguer entre les divers contextes culturels et à éviter les conflits, tout en assurant un enseignement de qualité.
Parties annexes
Note
-
[1]
La connaissance du nom du pays pouvant potentiellement orienter et influencer la réception et la compréhension des données de la recherche, nous jugeons préférable de l’anonymiser.
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