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INTRODUCTION

Les universités font face à une forte croissance des étudiantes et étudiants[1] en situation de handicap (ESH). Dans les programmes professionnalisants, cette croissance crée une pression sur les responsables de la formation pratique qui doivent accompagner les étudiantes à composer avec les défis occasionnés par leurs conditions, qu’il s’agisse de déficiences ou de troubles (Bourassa et Philion, 2020). À cet égard, ces formatrices universitaires et de terrain[2] s’interrogent sur leurs rôles et leurs responsabilités. Alors que certaines craignent que le soutien offert compromette l’atteinte des exigences du programme, d’autres se demandent quel accompagnement leur offrir pour composer avec les défis des ESH (Crouch, 2019). Afin de répondre à cette préoccupation, nous avons mené une recherche collaborative[3] impliquant formatrices et stagiaires en situation de handicap (SH). Dans cet article, nous exposons le point de vue des stagiaires. Après avoir présenté l’état des connaissances articulées autour des défis liés à la formation en stage des ESH, nous définissons la notion d’accompagnement. La démarche méthodologique est ensuite présentée, ainsi que les résultats et leur interprétation.

ÉTAT DES CONNAISSANCES

Au Québec, de plus en plus d’ESH effectuent des études universitaires (AQICESH, 2021). Ces ESH représentent deux groupes distincts, soit ceux et celles ayant une déficience physique (visuelle, auditive, motrice, organique, de la parole et du langage) ou ayant une déficience d’ordre psychique ou neurologique généralement associée à un trouble (de santé mentale, du déficit de l’attention, d’apprentissage, du spectre autistique) (Fougeyrollas, 2016). Parmi ces ESH, plusieurs sont dans un programme professionnalisant (Philion et al., 2019), ce qui crée une pression sur les formatrices impliquées dans leur formation pratique (McWaine, 2012). Bien que la plupart de ces formatrices soient sensibles à la nécessité de leur offrir un soutien adapté, elles méconnaissent les mesures d’accommodement et d’accompagnement (ci-après nommées « mesures ») à offrir en contexte de stage, et les obligations légales auxquelles elles sont tenues afin que les stagiaires aient une chance de réussir leur stage équivalente à celle de leurs pairs (Ellefsen, 2015). Comme il n’existe pas de balises spécifiques pour orienter les mesures à offrir en lien avec les stages (King, 2019; Philion et al., 2019), il est difficile pour les formatrices de déterminer ce qui relève de mesures acceptables et de tracer les limites de leur rôle dans l’accompagnement des stagiaires. Plusieurs se disent préoccupées par cette situation (Taylor, 2012) et demandent à être guidées (Lebel et al., 2016). Une étude menée par notre équipe (Philion et al., 2019, p. 67) a permis de répertorier six catégories de défis rencontrés par les formatrices dans leur accompagnement d’ESH en stage :1) s’adapter aux particularités du milieu d’accueil; 2) maîtriser le langage écrit, 3) maîtriser les savoirs et savoir-faire; 4) réguler les ressources spécifiques à leurs conditions (ex. : anxiété, déficit d’attention); 5) adapter leur savoir-être et leurs attitudes en situation; et 6) habiter pleinement leur responsabilité professionnelle. Ces défis font écho à ceux soulignés dans plusieurs études portant sur les programmes orientés vers les professions relationnelles, comme le travail social (GlenMaye et Bolin, 2007), la psychologie ou le counselling (Capps 2008; Chan et Johnson, 2011), l’enseignement (Csoli et Gallagher, 2012; Griffiths, 2012; Leyser et al., 2011) et les sciences infirmières (Crouch, 2019; Symes, 2014). Ces auteurs mentionnent aussi des préoccupations liées à l’éthique (confidentialité, atteinte à la sécurité d’autrui), au jugement évaluatif (atteinte des objectifs) et au travail additionnel requis pour accompagner la réflexion de stagiaires vivant avec l’un des troubles nommés précédemment.

L’étude de Philion et al. (2019) a également mis en évidence quelques mesures à offrir en amont, pendant et après le stage lorsque la stagiaire vit un abandon ou un échec. Toutefois, au-delà de mesures d’accommodement peu nombreuses – lesquelles se déclinent en trois types : gestion flexible du temps, choix des formateurs et des milieux de stage disposés à offrir un soutien à des ESH, et accès à des aides technologiques –, « ce sont les mesures d’accompagnement qui se révèlent être la pierre angulaire pour relever les défis rencontrés par les stagiaires » (Philion et al., 2019, p. 67). Ce constat est confirmé par quelques études (Hill, 2016; King, 2019; Lund, 2020) portant sur l’expérience de stagiaires en SH. Or, ces études ne précisent pas les mesures d’accompagnement offertes par les formatrices universitaires ou de terrain, ni celles souhaitées par les stagiaires pour répondre à leurs besoins. Ce constat nous a amenées à donner une voix à des stagiaires en SH par l’entremise de deux objectifs : 1) décrire les principaux défis rencontrés par les stagiaires en SH et les facteurs pouvant aggraver ces défis; 2) définir les mesures d’accompagnement souhaitées par ces dernières de la part des formatrices de terrain et des formatrices universitaires afin de les aider à composer avec leurs principaux défis.

CADRE CONCEPTUEL

L’accompagnement en stage

Le concept clé de la présente étude est l’accompagnement en stage. Les écrits en proposent une multitude de définitions (Boucenna, 2015), puisque chaque accompagnement est lié à un contexte culturel et met en interaction des personnes ayant des représentations différentes de leurs rôles (Vivegnis, 2018). De plus, un jugement hâtif tributaire des représentations personnelles des formatrices de terrain ou des formatrices universitaires peut compromettre la qualité et la justesse des mesures d’accompagnement adoptées (Lebel et al., 2016). Comme le mentionnent différents auteurs (Bourassa et Philion, 2020; Griffiths, 2012; Jacobs, 2021), ces mesures doivent être réfléchies dans un esprit d’ouverture et de bienveillance, ce qui présuppose une posture constructiviste reposant sur quatre composantes (Philion et Bourassa, 2023) : 1) la confiance, qui relève de notre savoir créer un lien essentiel; 2) la bonne distance, qui permet d’entrer ensemble en curiosité sur le sens à attribuer à ce qui se passe, incluant les défis rencontrés; 3) l’exigence, celle qui tire la stagiaire vers le haut en ajustant les rétroactions et l’accompagnement au vu de ses besoins; et 4) la responsabilité de chacune (formatrice et stagiaire) quant aux actions à poser et à repenser pour cheminer en stage. Ces composantes et ce qu’elles impliquent constituent le cadre de référence sur lequel nous appuyons l’interprétation des résultats.

MÉTHODOLOGIE

S’inscrivant dans une posture épistémologique de compréhension (Charmillot et Dayer, 2007) cette recherche est exploratoire et utilise une approche mixte combinant des données quantitatives et qualitatives obtenues par le biais d’un questionnaire qui sollicite l’expérience individuelle de stagiaires en SH.

Les participantes à la recherche

Deux universités québécoises ont participé à cette étude[4]. Durant l’année universitaire 2020-2021, un questionnaire en ligne a été envoyé par les coordonnatrices de stages aux stagiaires des programmes des Sciences de l’éducation, de Travail social et de Sciences infirmières. Les coordonnatrices ont invité à y répondre les stagiaires en SH ayant effectué un ou plus d’un stage pour lesquels elles ont rencontré des défis. Cinquante stagiaires l’ont rempli[5].

Instrument de collecte de données

Le questionnaire a été élaboré en tenant compte de la recension des écrits portant sur les mesures d’accommodement destinées aux ESH, de l’étude de Philion et al. (2019) susmentionnée et des ajustements proposés par les personnes ayant participé au processus de validation constitué de deux étapes : la première a consisté à le faire évaluer par trois chercheuses connaissant les enjeux du sujet traité (Dillman, 2014); la deuxième a consisté à demander à deux stagiaires en SH d’identifier les questions pouvant porter à confusion. Une révision finale a été effectuée par deux stagiaires en SH. Toutes les questions ont été formulées de manière à offrir des choix de réponses entre plusieurs énoncés (liste déroulante) et une invitation à préciser chacune des réponses. Le questionnaire était constitué de deux sections. La première comportait des questions permettant d’établir le profil des participantes (programme d’études, conditions diagnostiquées). La deuxième section portait sur trois thèmes constitués de plusieurs énoncés : 1) tous les défis rencontrés en contexte de stage (voir les énoncés du Tableau 1); 2) les facteurs ayant aggravé les défis rencontrés (type de stage, attentes relatives au stage, gestion du temps, remise des travaux, savoirs à démontrer, relation avec les formatrices) et leurs effets; 3) les mesures d’accommodement (horaire modifié, temps additionnel, report de la prise en charge autonome, tablette pour prise de notes) et d’accompagnement souhaitées de la part de leurs formatrices (attitude, type de rétroaction, questions guidant la réflexion, proposition d’outils, de stratégies). Ces thèmes et énoncés ont orienté l’analyse des données.

L’analyse des données

Des analyses quantitatives descriptives (fréquence, moyenne) avec le logiciel SPSS ont été réalisées pour dresser le portrait des participantes (programmes, conditions et défis). Une analyse qualitative (Paillé et Mucchielli, 2012) des commentaires portant sur les facteurs ayant aggravé leurs défis et les mesures souhaitées a été effectuée via le logiciel Nvivo.

RÉSULTATS ET INTERPRÉTATION

Le profil des participantes

Parmi les 50 participantes, 36 % (n = 18) sont en Sciences de l’éducation (É-P1 à P18), 46 % (n = 23) sont en Travail social (TS-P19 à P41) et 18 % (n = 9) en Sciences infirmières (SI-P42 à P50). Les conditions, parfois mixtes, des 50 participantes se répartissent comme suit : (70 %) (n = 35) sont aux prises avec un ou plus d’un trouble de santé mentale, 40 % (n = 20) ont un trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), 8 % (n = 4) ont un trouble d’apprentissage, tandis que 2 % (n = 1) ont un trouble du spectre autistique.

Les défis rencontrés par les participantes

En réponse à l’objectif 1, il en ressort que la majorité des participantes (94 %) rencontrent aux moins deux défis, et 76 % sont aux prises avec quatre défis et plus. Le Tableau 1 présente en pourcentages les défis rencontrés par les participantes. Par ordre d’importance, les défis soulignés par au moins 30 % des participantes sont : composer avec leur anxiété (86 %), organiser et gérer leur temps (68 %), composer avec leurs émotions (60 %), rédiger les travaux de stage dans les délais prescrits (58 %), divulguer leurs besoins (40 %), rédiger des notes de terrain (58 %), et démontrer leurs savoir-faire (34 %).

Bien que ces défis ne soient pas spécifiques aux stagiaires en SH et que les stages génèrent du stress et de l’anxiété chez de très nombreuses personnes étudiantes (Desbiens et al., 2019), les résultats montrent, à l’instar d’autres études (Hill, 2016; Griffith, 2012), que, pour les stagiaires en SH, ces difficultés sont exacerbées par les défis inhérents à leur condition, notamment des difficultés à composer avec l’anxiété et les émotions, et des défis d’organisation et de gestion de temps, auxquels peuvent s’ajouter des facteurs aggravants.

Tableau 1

Les défis rencontrés

Les défis rencontrés

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Les facteurs aggravants

À la question invitant les participantes à préciser si elles ont rencontré des facteurs ayant pu aggraver leurs défis (objectif 1) et, le cas échéant, leurs effets sur ces défis, 92 % des participantes soulignent l’un ou l’autre des 6 facteurs (Tableau 2) présentés ci-dessous. Selon 72 % des participantes, ces facteurs contribuent à augmenter leur anxiété, leur stress et les symptômes associés à leur condition (ex. : angoisse, anxiété de performance, difficulté d’attention, symptôme des troubles de santé mentale, procrastination).

Tableau 2

Facteurs aggravant les défis des stagiaires

Facteurs aggravant les défis des stagiaires

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La quantité de travaux

La quantité de travaux, jugée trop importante par 74 % des stagiaires, oblige 34 % d’entre elles à travailler tard en soirée ou la nuit, affectant ainsi leur hygiène de vie (alimentation, sommeil) et générant du surmenage, ce qu’exprime la P3-É[6] : « Fatigue constante en raison de ma lenteur d’exécution des travaux. Peur de ne pas y arriver, obligation de travailler la nuit. » Lorsqu’elles sont mères, des difficultés à concilier la famille et les travaux de stage sont évoquées par six d’entre elles, dont l’une écrit : « Les besoins de mon bébé ainsi que mon sommeil influençaient ma concentration pour effectuer les travaux et les délais occasionnaient beaucoup de stress. » (P21-TS) Neuf participantes mentionnent un manque de disponibilité cognitive entraînant des travaux faits hâtivement et sans relecture, et une remise hors délai pour quatre d’entre elles, comme en témoigne cette participante : « Difficile de composer avec la remise des travaux, les échéances sont très stressantes, cela affecte mon sommeil» (P20-TS)

La gestion du temps sur le terrain

La gestion du temps sur le terrain nécessite une acclimatation qui ne va pas de soi pour 48 % des participantes. Elles mentionnent que suivre le rythme imposé, gérer les imprévus, s’ajuster à l’horaire du milieu et au trop-plein de détails génère une surcharge cognitive engendrant des risques d’oublier, ce qu’exprime la P5-É : « Toutes les cloches me volaient de l’énergie (sensibilité aux bruits), les horaires changeants et difficiles à mémoriser m’étourdissaient»

Les attentes plus élevées que le stage précédent

Dans un même ordre d’idées, les attentes plus élevées que le stage précédent constituent un obstacle souligné par 48 % des participantes. Selon 11 stagiaires, cela contribue à générer de l’anxiété de performance associée à la peur d’échouer et de ne pas démontrer assez d’autonomie, ce qu’exprime la P3-É : « Cela me cause de l’anxiété, j’ai peur de ne pas être assez efficace et autonome. » Six stagiaires soulignent un épuisement occasionné par les attentes et la surcharge de travail inhérente à celles-ci, et disent avoir manqué de préparation en amont du stage. Une stagiaire indique : « Il y a beaucoup de critères à respecter lorsque nous évoluons en institutionnel, le stage I ne nous prépare pas à cela. » (P22-TS) Six stagiaires en enseignement mentionnent avoir dû gérer des classes complexes (multiniveaux, troubles de comportement) nécessitant un niveau de compétences élevé en comparaison avec leur stage précédent.

Les nouveaux savoirs à démontrer

Un manque de préparation en amont du stage est également nommé par 48 % des stagiaires, celles-ci se sentant dépassées par les nouveaux savoirs à démontrer. Parmi ces stagiaires, 26 % soulignent ne pas avoir le temps d’intégrer ces savoirs, de faire des liens ou de lire ce qui est proposé, ce qui génère de la fatigue, des oublis et un sentiment d’incompétence. À cet égard, une participante écrit :

Je vivais une surcharge avec toutes les informations à assimiler. Je n’avais aucune expérience en intervention, j’en avais beaucoup à rattraper. La gestion difficile de mes émotions a fait en sorte que j’avais plus de difficultés à mémoriser mes nouveaux savoirs, ma concentration étant quasi nulle. (P22-TS)

Six stagiaires en enseignement se sentent également dépassées au regard de la quantité de nouveaux savoirs à enseigner, ce qui influence leur gestion de classe : « J’ai dû faire de l’adaptation et composer avec les comportements violents, sans formation. Il y en avait beaucoup à apprendre (improvisation). » (P17-É) Enfin, une stagiaire en SI écrit : « Il y avait trop de savoirs à intégrer, beaucoup de lectures, je ne retenais pas ce que je lisais. » (P50)

Tension avec les formatrices

Douze stagiaires (24 %) soulignent vivre de la tension avec leur formatrice universitaire ou de terrain. À cet égard, cinq stagiaires en enseignement, une en travail social et une en sciences infirmières, soulignent de la solitude, la peur d’être jugée et de ne pas être comprise. Une stagiaire (P3-É) « n’ose pas demander de soutien », une autre souligne ne « pas arriver à prendre sa place » (P1-É), une troisième écrit : « Ma préceptrice ne comprenait pas comment mon TDA influençait ma performance. Elle considérait que c’était une excuse et que je devais trouver les moyens pour m’adapter. » (P50-SI) De manière similaire, les six stagiaires ayant mentionné vivre de la tension avec leur formatrice universitaire mentionnent aussi vivre de l’anxiété occasionnée par la peur d’être prise au piège, ce qu’exprime la P5-É : « Malgré mon 300 %, il pouvait y avoir des mouches cachées sous le tapis, qui pouvaient me surprendre à tous moments. Les façons de faire de cette superviseure sont inscrites dans mon traumatisme. » Se sentant incomprises, elles font le constat d’une communication lacunaire, ce que l’une d’entre elles exprime comme suit : « Perceptions de mes intentions erronées, lacunes de communication bidirectionnelles. » (P39-TS)

Se sentir jugées au regard de leur diagnostic

Enfin, trois stagiaires précisent se sentir jugées au regard de leur diagnostic. Selon les propos de la P39-TS, « le diagnostic et la médication sont perçus par la formatrice de terrain comme un problème et non un effort pour m’adapter ». Une autre souligne : « J’avais l’impression qu’on ne me croyait pas. Mon superviseur ne voulait pas que je parle de mon TDA. » (P50-SI)

Ces six facteurs, soulignés par les participantes, sont essentiellement les mêmes que ceux rapportés dans plusieurs écrits portant sur la formation de stagiaires en général (Gusew et Côté, 2017; Lebel et al., 2015), notamment la quantité importante de travaux, les attentes toujours plus importantes d’un stage à l’autre et le sentiment d’une formation qui ne prépare pas à exercer le métier sur le terrain (Hill, 2016; Vivegnis, 2018). Toutefois, ce qui semble distinguer les participantes de leurs pairs sans SH, c’est l’effet d’amplification du stress et de l’anxiété associés à leur condition, créant une surcharge cognitive et émotionnelle se manifestant par des difficultés importantes de concentration, d’attention et de mémorisation, ainsi que par des réactions de figement dues à la peur d’échouer ou d’être jugée (Bourassa, 2006). Ces réactions rendent vain ou peu efficient tout effort investi, et ce, de manière encore plus marquée chez les stagiaires ayant un trouble de santé mentale (Anderson, 2012; King 2019), a fortiori lorsque les stagiaires vivent des tensions avec leurs formatrices ou qu’elles ne reçoivent pas l’accompagnement souhaité.

Mesures d’accompagnement souhaitées

Ce sont 74 % des stagiaires issues des trois programmes qui ont effectué des commentaires (n = 116) sur les mesures d’accompagnement souhaitées de la part des formatrices (objectif 2). Parmi ces stagiaires, 58 % ont émis au moins un commentaire concernant les formatrices de terrain et 62 % les formatrices universitaires. L’analyse permet de constater que les stagiaires souhaitent les mêmes mesures des deux formatrices. Présentées ci-dessous en cinq catégories (Tableau 3), ces mesures semblent offrir des réponses permettant de remédier aux facteurs aggravants susmentionnés.

Tableau 3

Mesures d’accompagnement souhaitées

Mesures d’accompagnement souhaitées

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Disponibilité et ouverture

La première catégorie répertoriée révèle que 48 % des stagiaires souhaitent de la disponibilité et de l’ouverture à la différence de la part de leur formatrice. Elles soulignent l’importance d’obtenir un accompagnement individuel pour entrer en conversation et identifier des solutions avec leur formatrice. À l’instar de ce qui est mentionné par Philion et Bourassa (2023), elles souhaitent une relation de confiance qui se traduit par de l’empathie, de l’écoute attentive sans jugement, par la possibilité de parler de leurs défis en toute confiance et une sensibilité aux défis rencontrés. Deux stagiaires le mentionnent comme suit :

J’aurais aimé une relation de confiance, non de crainte ou de culpabilité de ne pas faire la bonne chose. (P17-É)

Attitude de confiance plutôt que du dénigrement, du genre : « C’est sûr que tu es à ta place, mais je ne sais vraiment pas où est ta place. » (P50-SI)

Cette ouverture passe par la croyance que les stagiaires ont des compétences pour réussir le stage, comme le mentionnent ces deux étudiantes :

Savoir qu’on croit en moi, en mes capacités et compétences en développement. (P32-TS)

Une attitude que toute personne désireuse est capable d’être formée, et la confiance que chaque personne amène des aptitudes uniques à la profession. (P47-SI)

Selon cinq stagiaires, l’ouverture nécessite une connaissance des différentes conditions et des défis inhérents, ce qui semble faire défaut à certaines formatrices, comme le précisent deux stagiaires :

Que les préceptrices puissent avoir une base de connaissances sur comment soutenir une stagiaire en SH. (P47-SI)

Que l’université sensibilise le milieu de stage envers les stagiaires ayant un TDAH ou une autre condition. (P50-SI)

Cette connaissance pourrait, selon cette dernière, éviter des jugements hâtifs, « en essayant de comprendre, du moins ne pas juger ». (P50-SI)

Faisant écho à différentes études (Jacobs, 2021; Lund, 2020; Sellmaier, 2020), ces propos traduisent le manque de connaissances de certaines formatrices à l’égard des défis pouvant être rencontrés par les stagiaires en SH. À cela s’ajoute souvent un inconfort des formatrices face au dévoilement des histoires personnelles quant à la détresse vécue, notamment, par des stagiaires ayant un trouble de santé mentale, certaines étant paralysées devant le sentiment d’être incomprises et la peur de l’échec (Smith et Cashwell, 2011; Vandercleyen et al., 2018). À cet effet, Kiesel et al. (2018) soulignent la nécessité d’offrir des formations portant sur les enjeux associés à la divulgation, au savoir nécessaire pour appréhender les besoins des ESH et les mesures à privilégier pour y répondre, et ce, dans une logique de responsabilité partagée au sein de laquelle formatrice et stagiaire sont invitées à identifier les solutions pour composer avec les défis rencontrés (Philion et Bourassa, 2023).

Allègement des exigences et des travaux

Cette deuxième catégorie constitue une solution en réponse à la grande charge de travail associée aux stages. Plus du tiers des stagiaires souhaitent un allègement de leur tâche sur le terrain, du temps libre pour effectuer leurs travaux durant les heures de stage, du temps additionnel pour l’analyse des dossiers et un délai pour la remise des travaux. Les commentaires qui suivent sont représentatifs de ces requêtes : « J’aurais aimé avoir une période libre par semaine pour m’organiser mentalement et planifier mes travaux » (P17-É); « Avoir du temps additionnel pour l’analyse des dossiers. » (P48-SI) De plus, deux étudiantes en travail social (P39 et 44) souhaiteraient que les fautes de français ne soient pas évaluées. L’une (P39) mentionne qu’elle « perd systématiquement un 20 % de la note globale ».

Ces commentaires rappellent la tension soulevée dans plusieurs écrits (Hill, 2016; Lund et al., 2016; Philion et al., 2019) entre l’obligation d’offrir des mesures (accommodement et accompagnement) et l’atteinte des objectifs de stage, laquelle s’évalue par le développement des compétences transversales et spécifiques à chaque programme de formation (Tang, 2008). Cela nécessite que les formatrices prennent conscience de leur subjectivité et de leurs représentations personnelles (Lebel et al., 2016) quant aux critères, exigences et objectifs du stage (Knight, 2006; Philion et Bourassa, 2023) et qu’elles départagent les compétences à démontrer sans recours à des mesures d’accommodement (ex. : savoir écrire correctement en contexte d’enseignement) des compétences qui peuvent être démontrées avec le soutien de mesures (ex. : temps additionnel pour évaluer un dossier, un logiciel correcteur pour rédiger les notes de terrain). Les types de compétences à démontrer doivent donc être clarifiés dès le début du stage, incluant les mesures permettant de les atteindre (Ellefsen, 2015), en veillant à ce que la sécurité des patients ou des élèves ne soit nullement compromise (King, 2019; Philion et al., 2019).

Clarté des attentes

Cette troisième catégorie concerne 33 % des stagiaires qui souhaitent que les formatrices précisent, en amont ou au début du stage, les attentes spécifiques, les notions à connaître ou à développer en lien avec le terrain et les travaux. Elles souhaitent également qu’on clarifie le niveau d’autonomie demandé : « J’aurais aimé qu’on me mentionne qu’il y a une limite à ce que je dois démontrer comme autonomie. Avoir les notions à enseigner dès le début du stage pour pouvoir me préparer. » (P3-É) La P5-É exprime le besoin de connaître les règles et codes implicites du milieu (ex. : attitude face à la direction) : « Comme je craignais de ne pas arriver à l’heure, j’ai répondu de manière expéditive à la directrice. J’étais dans ma bulle. J’aurais aimé qu’on clarifie les comportements sociaux à adopter et non qu’on pense que je ne saurais pas y faire. »

Ces propos renforcent l’importance pour les acteurs du milieu de bien connaître les défis de leurs stagiaires associés à leur condition (Jacobs, 2021; Lund, 2020; Sellmaier, 2020; Symes, 2014), en évitant de faire ou de penser pour elles, ce qui nécessite de savoir installer la bonne distance, celle qui invite à accompagner les stagiaires là où elles se trouvent et là où elles souhaitent se rendre (Philion et Bourassa, 2023). Pour une étudiante ayant vécu deux échecs en stage (P50-SI), la clarification des attentes devrait se faire par la mise en place d’un plan d’accompagnement élaboré avec ses formatrices en amont du stage et revu en cours de stage. Il s’agit d’ailleurs d’une mesure proposée par Philion et Bourassa (2023), et Rankin et al. (2009). À cet égard, l’étudiante écrit : « J’aurais aimé préparer ma venue en stage avec les formatrices; préciser les objectifs de stage de façon SMART[7], définir le rôle et les attentes de manière mesurable. » (P50-SI) Elle ajoute que préparer son stage signifie également « tenter d’expliquer mes défis associés à mon diagnostic, ce qui est difficile ». En fait, cette stagiaire souhaite pouvoir examiner avec ses formatrices l’identification de solutions et le soutien qu’elles peuvent offrir.

Rétroactions fréquentes

La quatrième catégorie, également soulignée par 33 % des stagiaires, porte sur la fréquence des rétroactions. Globalement, elles souhaitent des rétroactions constructives, fréquentes de la part de la formatrice de terrain et hebdomadaires pour la formatrice universitaire. Ces rétroactions essentielles pour favoriser l’atteinte des exigences du stage (Philion et Bourassa, 2023) doivent favoriser la mise en valeur de leurs forces et des aspects à travailler, incluant leurs travaux. Ce commentaire exprime ce besoin : « Pour m’aider à m’améliorer, j’aurais aimé une critique constructive, me sentir moins dénigrée, pouvoir parler de mes bons coups. » (P31-TS)

Développement de stratégies et étayage

La cinquième catégorie porte sur deux mesures d’accompagnement : soutien au développement de stratégies et étayage. La première mesure est relatée par 20 % des stagiaires qui comptent sur leurs formatrices pour apprendre à composer avec leurs défis, qu’il s’agisse de savoir composer avec leur anxiété ou leurs émotions, d’apprendre comment être plus attentive et mieux mémoriser, ou encore pour la prise de notes de terrain. L’une d’entre elles le précise comme suit : avoir des « conseils pour la prise de notes, gérer les différents dossiers, stratégies pour maximiser l’efficience de mon organisation, avoir des trucs pour filtrer tous les stimuli ». (P50-SI)

Afin d’atteindre les exigences du stage, huit stagiaires désirent être guidées « pas à pas » et profiter d’étayage. Ce soutien peut prendre la forme de coenseignement ou de coélaboration d’une planification d’une leçon, ce qui nécessite un engagement en temps de la part des formatrices : « J’aurais aimé un étayage en coenseignement dès la première journée de stage. Me faire diriger dans mes planifications d’enseignement. » (P3-É) Pour certaines stagiaires, cela signifie avoir « un atelier de mise à niveau les vendredis après-midi » (P45-SI), ou encore se faire « montrer comment faire une technique de soin » (P46-SI), ce qui lui a été refusé sous prétexte d’un manque de temps.

En somme, les stagiaires souhaitent apprendre à composer avec leurs défis par le développement de stratégies et elles ont besoin de soutien sous la forme de rétroactions et d’étayage pour parfaire leurs savoirs, ce qui nécessite, comme le soulignent plusieurs auteurs (Howlin et al., 2014; King, 2019; Philion et Bourassa, 2023), un engagement réciproque et un travail additionnel requis de la part des formatrices pour accompagner la réflexion de stagiaires

CONCLUSION

Bien que les stages soient des sources de stress et d’inconfort chez de nombreux étudiants (Gusew et Côté, 2017; Hill, 2016; Kosnik, 2009), notre étude met en évidence qu’à ces sources de stress s’ajoutent, pour plusieurs stagiaires en SH ayant un trouble (de santé mentale, d’apprentissage, d’attention, du spectre autistique), des défis importants qui peuvent les paralyser ou atténuer leurs capacités à apprendre et à démontrer leurs savoirs, savoir-faire et savoir-être. Peu importe le programme de formation, il ressort de cette étude que les défis personnels associés au trouble des stagiaires sont exacerbés par des facteurs propres au contexte de stage (quantité importante de travaux, nouveaux savoirs à intégrer), incluant l’attitude de certaines formatrices, mal préparées et peu habiles à les soutenir.

Bien que les participantes à cette recherche ne soient pas représentatives de toutes les stagiaires en SH, il demeure que les conclusions éclairent ce qui peut être déployé pour mieux accompagner les stagiaires en SH. Incidemment, à l’instar de ce qui est proposé par différents auteurs (Philion et al., 2019; Csoli et Gallagher, 2012), l’université doit s’assurer d’offrir une formation portant sur les défis pouvant être rencontrés par les stagiaires en SH aux formatrices qui encadrent ces étudiantes. Cette formation doit également porter sur l’obligation de leur offrir des mesures qui tiennent compte de la singularité des stages (Lebel et al., 2016; Tang, 2008) et de leurs besoins, afin de leur offrir les moyens de leur réussite sans pour autant diminuer l’atteinte des objectifs du stage.

À l’égard de l’accompagnement souhaité, pour peu qu’en début de stage les formatrices démontrent une ouverture, de l’empathie et de l’écoute attentive sans jugement, les stagiaires semblent disposées à parler de leurs défis en toute confiance et à travailler à identifier, en concertation avec leurs formatrices, les actions à poser pour réussir leur stage. Il peut s’agir d’allègements de certaines exigences du stage et de travaux à produire. En outre, elles souhaitent connaître les attentes claires et spécifiques du stage, ce qui est prescrit, les règles et les codes implicites. Conscientes de la nécessité de parfaire leurs savoirs et savoir-faire, elles souhaitent des rétroactions fréquentes de la part de leurs formatrices, rétroactions qui favorisent la mise en valeur de leurs forces et des pistes pour ce qui est à travailler, lesquelles peuvent être offertes sous la forme d’un étayage guidant les façons de faire et par du soutien au développement de stratégies. Tout cela devrait pouvoir s’actualiser par un plan d’accompagnement concerté, comme le propose l’une des participantes. Selon Philion et Bourassa (2023), la mise en place d’un tel plan nécessite un espace de dialogue favorable à une concertation constituée d’actions ou de mesures à poser dans une logique de responsabilités partagées afin de déterminer quelles actions (moyens, stratégies) doivent être déployées par la stagiaire et quel soutien peut être offert par les formatrices. Comme le mentionnent Kiesel et al. (2018), ce savoir accompagner est complexe et requiert qu’on s’y attarde, idéalement en communauté de pratique (Philion et Bourassa, 2023), pour permettre à chaque formatrice d’examiner la part subjective de leurs gestes professionnels et de gagner en assurance dans l’accompagnement de stagiaires en SH en apprenant à « utiliser les difficultés rencontrées comme leviers pour construire l’apprentissage de futurs professionnels » (Desbiens et al. 2019, p. 9). Une recherche-action ayant comme dispositif une communauté de pratique prenant appui sur l’expérience immédiate de dyades (formatrice universitaire et formatrice de terrain) permettrait de documenter l’accompagnement proposé et ses effets.