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Mise en contexte
Dans le contexte éducatif actuel marqué par d’importantes pénuries de personnel enseignant, la recherche de solutions innovantes aux problèmes d’attraction, de formation, de recrutement et de rétention des enseignantes et des enseignants s’impose comme un enjeu sociopolitique crucial dans la gouvernance éducative. Le concept de pénurie de personnel enseignant fait habituellement référence à un déséquilibre entre la demande et l’offre de personnel enseignant qualifié. La demande correspond aux besoins du système éducatif en termes d’enseignantes et d’enseignants afin de pourvoir les postes créés par les variations dans le nombre d’élèves scolarisés et les départs à la retraite, tandis que l’offre fait référence au nombre d’enseignantes et d’enseignants qualifiés disposés à enseigner (Haggstrom et al., 1988).
Toutefois, il est maintenant reconnu que la problématique des pénuries de personnes enseignantes est beaucoup plus complexe, et est reliée à tout un ensemble de facteurs (Aragon, 2016; Combe et al., 2016; Darling-Hammond, 2017; Garcia et Weiss, 2019; Karsenti, 2015; Organisation de coopération et de développement économique, 2005, 2018; Sutcher et al., 2016). L’Organisation de coopération et de développement économique (2005) propose d’analyser l’offre et la demande de personnel enseignant par le prisme de quatre enjeux actuels relatifs à la profession enseignante. Il s’agit (1) de l’attraction, (2) du développement des connaissances et des compétences, (3) du recrutement des enseignantes et des enseignants, et (4) de la rétention de ces derniers. L’attraction fait référence à deux enjeux : l’attrait d’un nombre suffisant d’enseignantes et d’enseignants dans le système, mais également l’attrait des enseignantes et des enseignants de qualité dans le système. Le développement des connaissances et des compétences fait référence à la formation académique, professionnelle et continue du personnel enseignant, ce qui inclut la période d’insertion professionnelle. Les enjeux du recrutement sont liés à l’affectation équitable, en termes de quantité et de qualité, des enseignantes et des enseignants dans les écoles en fonction des besoins. Finalement, la rétention est liée aux enjeux de l’attrition, de la satisfaction professionnelle et de la motivation, de la charge de travail du personnel enseignant et à la façon de garder dans le système les enseignantes et les enseignants les plus efficaces (Organisation de coopération et de développement économique, 2005).
Au Québec, par exemple, les Centres de services scolaires (anciennement appelés Commissions scolaires) font état de difficultés sans précédent pour recruter des enseignantes et des enseignants à temps plein et à temps partiel, ainsi que des suppléantes et suppléants, pour combler les postes et les remplacements à court, moyen et long terme dans un contexte marqué par des taux de décrochage importants des enseignantes et des enseignants en début de carrière (Gingras et Mukamurera, 2008; Karsenti, 2017; Karsenti et al., 2013), par une augmentation des absences de longue durée au sein du corps enseignant (Ministère de l’Éducation, 2020) et par une augmentation des effectifs scolaires (Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, 2019). De plus, selon les dernières estimations disponibles, jusqu’à 40 % des enseignantes et des enseignants permanents du Québec pourraient partir à la retraite d’ici 2030 (Dion-Viens, 2022a). Pour faire face au manque de personnel enseignant, de plus en plus de Centres de services scolaires sont dans l’obligation de recruter des enseignantes et des enseignants non légalement qualifiés pour combler les besoins urgents. Or, malgré l’intensité des défis observés, il reste difficile de faire un véritable état des lieux de la pénurie de personnel enseignant au Québec, notamment en raison d’un manque de données fiables et à jour sur les nouveaux enseignantes et enseignants qualifiés, le nombre de personnes enseignantes sans qualification, les départs de la profession, les prévisions de postes à combler à court, moyen et long terme, les mouvements des enseignantes et des enseignants dans le système éducatif, ainsi que les absences de courte et longue durée (Sirois et al., 2022).
Ces difficultés sont également observées ailleurs au Canada, ainsi que dans de nombreux autres pays, tant ceux membres de l’Organisation de coopération et de développement économique que ceux en développement. Par exemple, une étude réalisée en 2021 a mis en évidence les enjeux majeurs de la pénurie d’enseignantes et d’enseignants en immersion française et en français langue seconde dans les différentes provinces canadiennes, pénurie se traduisant également par l’embauche de personnels non qualifiés, mais également par une diminution de l’offre de programmes en raison du manque de personnel enseignant (Association canadienne des professionnels de l’immersion, 2021). Dans plusieurs pays européens, selon une étude financée par la Commission européenne, la Belgique, le Luxembourg et la Roumanie connaissent une pénurie quasi généralisée de personnel enseignant qualifié, alors que la Finlande, la France, l’Espagne, la Grèce et la Bulgarie observent des pénuries partielles dans certaines disciplines ou dans certaines régions spécifiques, plus rurales et éloignées (Bucheton et al., 2013; Sellier et Michel, 2014). Aucune pénurie de personnel enseignant n’est observée en Irlande, en Grèce et à Chypre, où l’enseignement est un premier choix de carrière pour plusieurs étudiantes et étudiants en raison des salaires avantageux (Bucheton et al., 2013). Parallèlement, les pays francophones d’Afrique sont parmi ceux les plus durement touchés par le manque d’enseignantes et d’enseignants qualifiés, ce manque freinant les efforts de massification de l’offre éducative au primaire et au secondaire (Ratovondrahona et Normandeau, 2013; Sirois, 2018; Bureau régional de l’UNESCO pour l’Éducation en Afrique, 2009).
En plus de mettre en péril l’offre éducative (Institut de statistique de l’UNESCO, 2006; Bureau Régional de l’UNESCO pour l’Éducation en Afrique, 2009; Institut de statistique de l’UNESCO, 2006; Bureau régional de l’UNESCO pour l’Éducation en Afrique, 2009) et la qualité des systèmes éducatifs (Darling-Hammond, 2017), notamment en raison d’un recours de plus en plus important à des enseignantes et des enseignants non légalement qualifiés ou qui ne sont pas formés pour enseigner dans leur champ de spécialisation (Sullivan et al., 2019), les pénuries de personnel enseignant ont pour effet d’accroître les iniquités scolaires. En effet, les écoles défavorisées ayant tendance à vivre plus fréquemment ces pénuries et à recevoir une proportion plus importante d’enseignantes et d’enseignants moins expérimentés (Combe et al., 2016; Garcia et Weiss, 2019; Organisation de coopération et de développement économique, 2018; Sullivan et al., 2019; UNESCO, 2013; Bureau régional de l’UNESCO pour l’Éducation en Afrique, 2009). Les pénuries d’enseignantes et d’enseignants ne sont pas un phénomène récent, mais la crise qu’elles engendrent semble être devenue particulièrement aiguë en termes d’intensité et de complexité.
Par ailleurs, la situation risque d’empirer dans les prochaines années. Au moment de la parution de ce numéro thématique, la pandémie de la COVID-19 en est à sa quatrième année. L’intensité des défis associés aux pénuries d’enseignantes et d’enseignants a été accentuée par le contexte pandémique, qui a entraîné une forte augmentation de la demande d’enseignantes et d’enseignants pour remplacer un nombre croissant de gens absents parmi le personnel (Sirois et al., 2022). Également, au Québec comme ailleurs dans la francophonie canadienne, de nombreux médias ont fait état d’une augmentation du nombre de postes d’enseignantes et d’enseignants vacants à la veille des rentrées scolaires (Dion-Viens, 2020, 2022b; Morasse, 2020b), mais également de départs précipités à la retraite (Bouchard, 2020). L’intensification du travail des personnes enseignantes, ainsi que le niveau de risque en matière de santé et sécurité associé à leur profession, les difficultés d’insertion professionnelle et l’augmentation de la détresse psychologique, tous amplifiés par le contexte de pandémie, sont susceptibles d’avoir des répercussions importantes à court et moyen terme sur le nombre d’abandons de la profession, mais également sur l’attraction des jeunes envers l’enseignement, ce qui pourrait contribuer à accentuer davantage les pénuries.
Plusieurs États et acteurs ont entrepris une réflexion sur la gestion de l’éducation du point de vue des défis associés aux pénuries d’enseignantes et d’enseignants, et mené diverses actions avec plus ou moins de succès. Par exemple, certains gouvernements ont ciblé, dans l’urgence, des mesures permettant d’augmenter à très court terme la formation et le recrutement de nouveaux enseignants et enseignantes, notamment par le biais d’une diversification des voies de formation et de recrutement pouvant mener à la profession enseignante. C’est le cas notamment au Québec, où l’on assiste à la création récente de nouveaux programmes de formation initiale à l’enseignement à temps partiel; de maîtrises qualifiantes menant à une qualification d’enseignement et même d’un certificat de 1er cycle pour les candidates et candidats à la suppléance (Morasse, 2020a); ainsi qu’au recrutement de plus en plus fréquent d’enseignantes et d’enseignants formés à l’étranger (La Presse Canadienne, 2020). Dans certains pays de la francophonie, notamment en Afrique de l’Ouest, un phénomène de privatisation de la formation initiale est observé, se développant en parallèle des systèmes publics traditionnels de formation afin d’augmenter le nombre de nouveaux enseignantes et enseignants formés (Sirois et al., 2021).
Ainsi, dans la plupart des pays, les ministres de l’Éducation et les structures décentralisées mettent en place des politiques qui ciblent l’attraction, le recrutement et la rétention du personnel enseignant (Banque mondiale, 2010; Organisation de coopération et de développement économique, 2005, 2018; UNESCO, 2016; Bureau régional de l’UNESCO pour l’Éducation en Afrique, 2009). Ces politiques sont centrales dans les efforts déployés par les États pour améliorer la qualité des systèmes éducatifs puisqu’elles auront des répercussions à long terme sur les apprentissages des élèves (Darling-Hammond, 2017; Podolsky et al., 2019). Comme le souligne le dernier rapport de l’Organisation de coopération et de développement économique sur les politiques relatives au personnel enseignant, « [la] qualité d’un système éducatif dépend de la qualité de ses enseignants; mais la qualité des enseignants ne peut pas dépasser la qualité des politiques qui façonnent leur environnement de travail à l’école et qui guident leur sélection, leur recrutement et leur développement » (Organisation de coopération et de développement économique, 2018, p. 4). Selon l’une des recensions des écrits les plus récentes et les plus complètes sur les stratégies les plus efficaces pour attirer et retenir les enseignantes et les enseignants dans la profession (Podolsky et al., 2019), cinq dimensions sont reconnues pour avoir une influence majeure sur la décision d’un enseignant d’entrer et/ou de quitter la profession. Il s’agit de : (1) la structure, la qualité et les coûts de la formation; (2) les mécanismes de recrutement et de gestion du personnel; (3) l’insertion professionnelle et le soutien offert aux nouveaux enseignantes et enseignants; (4) les conditions de travail; et (5) les salaires et autres compensations (telles que les avantages sociaux). Ces dimensions sont celles sur lesquelles les décideurs peuvent agir pour favoriser une offre suffisante de personnel enseignant qualifié pour répondre à la demande d’un système éducatif.
En parallèle, plusieurs recherches récentes s’inscrivant dans des courants plus humanistes mettent de plus en plus en évidence le lien étroit entre le bien-être et la santé psychologique des enseignantes et des enseignants, et leur rétention dans la profession. En effet, un rapport récent du Conseil supérieur de l’éducation du Québec (Vlasie, 2021) s’est donné comme objectif d’établir le portrait de la santé et du bien-être du personnel enseignant à partir d’une vaste revue de littérature. Parmi les résultats intéressants, on apprend que les expériences émotionnelles négatives résultant des relations difficiles avec les élèves (Kamanzi et al., 2017), des facteurs de stress émotionnel (Houlfort et Sauvé, 2010; Sauvé, 2012), des problèmes de gestion de classe (Sauvé, 2012) et des difficultés relatives à l’insertion professionnelle (Kamanzi et al., 2017; Karsenti, 2015; Karsenti et al., 2013; Mukamurera et al., 2013) sont reconnues comme des facteurs pouvant mener à l’abandon de la profession. En contrepartie, c’est la satisfaction professionnelle et le bien-être des enseignantes et des enseignants qui seraient susceptibles d’avoir une incidence positive sur leur rétention dans la profession (Organisation de coopération et de développement économique, 2018; Skaalvik et Skaalvik, 2018).
La recherche s’intéressant à la problématique des pénuries de personnel enseignant est actuellement très concentrée dans les pays anglo-saxons, et plus particulièrement aux États-Unis (Aragon, 2016; Ashiedu et Scott-Ladd, 2012; Flynt et Morton, 2009; Honawar, 2006; Inge et May, 2011; Ingersoll, 2001a, 2001b, 2003; Ingersoll et Smith, 2003; McLeskey et Billingsley, 2008; Sutcher et al., 2016; Zarra, 2019). Cette problématique demeure à ce jour peu étudiée au Québec et ailleurs dans la francophonie canadienne et mondiale, d’où la pertinence de chercher à dresser un portrait clair et empirique de l’intensité des pénuries d’enseignantes et d’enseignants dans les différents contextes francophones, mais également de leurs répercussions sur les systèmes éducatifs et des solutions les plus pertinentes pour y faire face.
Objectif et thématiques abordées dans ce numéro
Ce numéro thématique vise à faire le point sur les résultats des recherches les plus récentes et à rendre plus visibles les travaux francophones sur la problématique des pénuries d’enseignantes et d’enseignants au Québec et ailleurs dans la francophonie canadienne et mondiale. Pour ce faire, nous proposons dix contributions scientifiques qui explorent toutes, à leur manière, l’un des quatre enjeux actuels de la profession enseignante tels qu’ils sont identifiés dans le modèle de l’Organisation de coopération et de développement économique (2005). L’analyse par le biais de ces quatre enjeux permet de conceptualiser les causes de la pénurie, mais également d’identifier les visées des politiques publiques et institutionnelles ayant pour but d’agir sur cette pénurie : l’attraction dans la profession, le développement des connaissances et des compétences des enseignantes et des enseignants, leur recrutement puis leur rétention dans la profession. Ces quatre enjeux structurent l’organisation des différents textes proposés dans ce numéro.
Axe 1 : l’attractivité de la profession
Le premier axe thématique de ce numéro est donc celui de l’attractivité dans la profession. La contribution de Wentzel propose d’examiner le phénomène de pénurie d’enseignantes et d’enseignants à partir du concept d’attractivité, et plus particulièrement à partir des indicateurs qui permettent de mesurer l’attractivité plus ou moins efficacement selon les contextes, et donc d’orienter l’action publique. La Suisse apparaît comme l’un des pays où la production de données fiables sur l’offre et la demande de personnel enseignant permet efficacement d’orienter les politiques. Wentzel propose ainsi une analyse politique plus approfondie de certaines mesures mises en oeuvre en Suisse afin d’agir directement sur l’attractivité de la profession, notamment par le biais d’une révision réglementaire de reconnaissance des diplômes d’enseignement dans des contextes de reconversion à l’enseignement, ce que certains chercheurs nomment « enseignants de seconde carrière » (Berger et D’Ascoli, 2011; Duchesne, 2009; Perez-Roux, 2019). Il s’agit plus spécifiquement de politiques visant à renforcer l’attractivité de ce public cible par le biais, notamment, de mesures de validation des acquis d’expérience et la mise en place de programmes de formations en cours d’emploi. Bien que la formation en emploi fasse l’objet de controverses parmi les acteurs de la formation, l’auteur met en évidence le fait qu’il constitue finalement l’un des principaux leviers pour agir sur l’attractivité.
Axe 2 : le développement des connaissances et des compétences
Le deuxième axe fait référence au développement des connaissances et des compétences et rassemble le plus grand nombre de contributions, ce qui est représentatif du grand intérêt des chercheuses et des chercheurs du domaine envers la formation et l’insertion professionnelle des enseignantes et des enseignants. L’article proposé par Sirois, Niyubahwe et Bergeron s’intéresse à la formation initiale à l’enseignement. Après avoir mis en évidence les problématiques associées à la diminution des inscriptions dans les programmes de formation initiale à l’enseignement, ainsi qu’aux taux importants d’abandon des étudiantes et des étudiants en cours de formation, les auteurs cherchent à identifier les facteurs les plus susceptibles de favoriser l’attraction et la rétention des étudiantes et des étudiants dans ces programmes. Pour ce faire, ils interrogent non seulement les personnes étudiantes inscrites dans les programmes, mais également les étudiantes et les étudiants du niveau collégial, qui constituent le bassin de recrutement principal des programmes de formation à l’enseignement, ainsi que des étudiantes et des étudiants universitaires qui n’ont pas choisi un programme de formation à l’enseignement. À partir de leurs résultats, les autrices et l’auteur discutent des leviers les plus susceptibles d’influencer l’inscription dans un programme de formation initiale à l’enseignement, mettent en évidence les difficultés vécues par les étudiantes et les étudiants, explicitent les facteurs pouvant influencer leur rétention dans le programme, et proposent différentes pistes d’action pour agir sur ces problématiques.
L’étude que rapportent Wernicke, Masson, Arnott, Le Bouthillier et Kristmanson part du constat que les stratégies axées essentiellement sur le recrutement, promues par le gouvernement fédéral canadien, sont insuffisantes pour répondre à la pénurie de personnel enseignant de français langue seconde. Couvrant 12 provinces et les Territoires du Nord-Ouest, cette étude visait à mieux comprendre le lien entre la formation spécialisée à l’enseignement, l’insertion professionnelle et la rétention de ce personnel enseignant. Évoluant en contexte minoritaire, les enseignantes et enseignants (futurs et en exercice) de français langue seconde font souvent face à une insécurité linguistique, c’est-à-dire un manque de confiance en leurs propres compétences langagières, pouvant les amener à remettre en question leur identité professionnelle, ce qui est susceptible d’influencer la rétention dans la profession. Le développement de ces compétences mérite donc l’attention, mais celui des compétences en didactique des langues secondes est tout aussi important, voire plus, car plus déterminant du sentiment d’efficacité professionnelle. Or les résultats de l’étude mettent en évidence le manque de collaboration et de soutien dans les programmes de formation initiale ainsi que dans les écoles anglophones par rapport aux besoins spécifiques de ces personnes. Outre l’importance de la collaboration, les résultats montrent également que le type de soutien le plus prisé et qui a le plus grand impact selon les personnes interrogées (personnel enseignant, membres de facultés d’éducation, leaders pédagogiques et personnel chargé des programmes de mentorat dans les districts scolaires) est de nature informelle. Il prend la forme de mentorat « qui valorise [une] approche constructiviste dans le développement et la transformation professionnelle, à la place d’une approche qui se limite aux attentes évaluatives associées à un standard traditionnel qui ne répond plus aux réalités (les besoins, les enjeux, et les obstacles) en enseignement du français langue seconde. […] C’est [cette] conception qui est le plus fortement liée aux aspects de la rétention, en particulier à long terme » (Wernicke et al., dans ce numéro).
Le texte de Pelletier s’intéresse au développement des compétences socioémotionnelles chez les enseignantes de l’éducation préscolaire comme moyens de contrer le désengagement et de favoriser la rétention dans la profession. À partir d’une recherche réalisée auprès de 16 enseignantes, l’étude vise à identifier les besoins de formation jugés prioritaires pour favoriser le développement de la conscience de soi. Les résultats démontrent que les programmes de formation à l’éducation préscolaire ne proposent pas assez de contenus concernant le développement des compétences socioémotionnelles au regard de soi ou à faire développer chez les enfants. Il existe aussi, dans ces programmes, très peu de contenus relatifs au développement de l’enfant. Les autrices constatent que ces lacunes dans la formation ont un impact important sur les enseignantes en insertion professionnelle qui n’ont pas les outils nécessaires pour gérer certains défis de la profession d’un point de vue émotionnel.
Toujours dans ce deuxième axe, deux contributions s’intéressent à l’insertion professionnelle des enseignantes et des enseignants. Les autrices St-Jean, Gagné et Carpentier proposent un article s’intéressant à l’insertion professionnelle d’enseignantes au niveau préscolaire, plus particulièrement dans un contexte de reconversion d’un métier en éducation à la petite enfance vers la profession enseignante. Ce texte fait ainsi écho au texte de Wentzel, qui s’intéressait lui aussi au phénomène de reconversion. Cette contribution vise, quant à elle, à mieux comprendre la transition de carrière vécue par les éducatrices afin d’accompagner la transition vers l’enseignement : transfert des savoirs expérientiels des personnes nouvellement enseignantes anciennement éducatrices et à identifier les besoins de soutien particulier de ces enseignantes. Les résultats mettent en évidence différentes pistes d’intervention afin de favoriser l’insertion professionnelle harmonieuse, et mettent de l’avant la pertinence de la formation en cours d’emploi pour ces enseignantes de seconde carrière. Ces résultats convergent vers ceux de Wentzel, sur le grand potentiel attractif des programmes de formation en emploi pour ce même type de public.
L’article proposé par Dalley, Lavoie et Burke-Saulnier, traitant de la résilience des enseignantes et des enseignants, s’intéresse particulièrement au discours de ces professionnels au sujet des élèves en difficulté scolaire. À partir d’une recherche réalisée avec 28 enseignantes et enseignants qui ont pensé quitter leur emploi ou qui ont quitté leur emploi avant une période de cinq ans, les autrices identifient les stratégies mobilisées par le personnel enseignant qui peuvent s’inscrire dans des processus de résilience et qui permettent au personnel enseignant de résister au stress ou de s’adapter à sa nouvelle situation. Les autrices soulignent également les facteurs qui peuvent augmenter la probabilité d’un épuisement professionnel ou de l’abandon de la profession (c.-à-d. manque d’accès aux ressources de l’école, ou manque de soutien de la direction d’école pour gérer les élèves en difficulté). Les autrices concluent que le soutien au sein de l’environnement professionnel permet au nouveau personnel enseignant de mieux mobiliser ses propres ressources internes au profit d’un processus de résilience qui se solde par le bien-être professionnel. Ces enseignantes et enseignants ont plus de chances de demeurer dans la profession.
Axe 3 : le recrutement du personnel enseignant
Deux textes sont associés au troisième axe thématique, soit le recrutement du personnel enseignant. Les deux abordent de manière complémentaire deux solutions utilisées pour combler les besoins urgents d’enseignantes et d’enseignants dans deux provinces canadiennes différentes, essentiellement par le biais du recrutement de nouveaux profils de personnes enseignantes. Robichaud et Hébert présentent des résultats issus d’un projet de recherche s’intéressant au processus de recrutement de personnes enseignantes formées à l’étranger pour les écoles francophones du Nouveau-Brunswick, une province majoritairement anglophone. Plus spécifiquement, les auteurs proposent d’analyser les effets des incitatifs et des défis rencontrés lors du processus d’embauche sur l’expérience d’insertion professionnelle des enseignantes et des enseignants dans leur nouveau milieu de travail et de vie. Les résultats mettent en évidence les impacts positifs de certaines pratiques de recrutement, mais également l’importance d’assurer la mise en place de pratiques exemptes de discrimination systémique. Finalement, l’importance de mesures postrecrutement spécifiquement consacrées aux enseignantes et aux enseignants recrutés à l’étranger est mise en évidence pour faciliter une insertion positive dans la profession.
Harnois et Sirois proposent quant à elles un texte discutant d’un phénomène en croissance au Québec, comme dans plusieurs autres régions de la francophonie, soit le recours à du personnel enseignant non qualifié pour combler les besoins urgents créés par la pénurie. Ce phénomène méconnu et peu étudié scientifiquement soulève de nombreuses inquiétudes chez les acteurs des milieux scolaires, les politiciens, les universitaires et la population en général. Les autrices proposent un état des lieux des politiques et des pratiques de recrutement de ce type de personnel. Les résultats mettent notamment en évidence la forte croissance du phénomène dans la dernière décennie, dans un contexte caractérisé par le manque de mécanismes de régulation de l’accès et du maintien dans la profession du personnel enseignant non qualifié, ainsi que la nécessité de mettre en place rapidement des mesures adaptées visant à former et à insérer dans la profession ces enseignantes et enseignants afin de les maintenir dans la profession et de minimiser les impacts négatifs potentiels sur les apprentissages des élèves.
Axe 4 : la rétention dans la profession
Le dernier axe thématique est celui de la rétention dans la profession. Cet enjeu a été abordé de manière transversale dans les axes précédents, ce qui met en évidence l’interrelation des différentes dimensions des pénuries d’enseignantes et d’enseignants. Le texte proposé dans cet axe s’inscrit, tout comme celui de Pelletier, dans le courant humaniste discuté précédemment. En effet, Desmarais, Kenny et Calson-Berg proposent une contribution centrée sur le bien-être du personnel enseignant comme levier pour contrer l’abandon de la profession, un phénomène aux enjeux particulièrement élevés en contexte linguistique minoritaire. La recherche participative rapportée dans cet article a pour objectif de mieux comprendre le vécu et la perspective de personnes enseignantes en contexte francophone minoritaire au Canada qui songent à décrocher de la profession ou qui l’ont déjà quittée. Plus spécifiquement, elle vise à cerner et à décrire les raisons menant au décrochage professionnel vu comme facteur aggravant la pénurie de personnel enseignant. Du discours des personnes interrogées, il ressort quatre sources de mal-être qui pousse au désengagement professionnel : le manque de soutien et de ressources (humaines et matérielles); la lourdeur de la charge émotionnelle et cognitive associée à la profession, à laquelle s’ajoute le sentiment d’être en constant déséquilibre; le contexte professionnel difficile (perçu comme exigeant); et les relations personnelles et professionnelles insatisfaisantes. Ces sources de mal-être indiquent en même temps les conditions favorisant le bien-être du personnel enseignant, surtout durant la période charnière d’insertion professionnelle, celle-ci étant habituellement marquée par le choc de la réalité causé par la représentation idéalisée de la profession, que la formation initiale peine à ébranler. Cette formation devrait, par conséquent, accorder une place importante à la construction d’une représentation juste de la profession par les futurs enseignants et enseignantes pour les préparer davantage aux réalités du travail enseignant.
Parties annexes
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