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Introduction

Collecter des données sur l’appartenance ethnique des personnes dans une entité géographique donnée ne va pas de soi. Relever de telles appartenances peut être perçu d’un côté comme une intrusion dans la vie privée des personnes[1], voire comme contribuant à la construction d’inégalités, et donc, comme une incitation à une discrimination ethnique pouvant aller jusqu’à l’ethnocide[2] – une position que l’on trouve par exemple en France. Au Canada, on se trouve plutôt de l’autre côté du spectre de positions, où le fait de collecter ces données est plutôt perçu comme étant une condition sine qua non pour contrer adéquatement ces situations discriminatoires (Simon 2007). Le débat sociétal qui en résulte tourne évidemment autour de l’existence de ces données en tant que telles, mais il remet également en question leur usage et cristallise donc davantage des positions idéologiques et politiques que des préoccupations méthodologiques.

Il n’en reste pas moins que toute utilisation de données collectées, peu importe leur contenu, est tributaire des décisions méthodologiques prises pour les obtenir. Ces décisions méthodologiques incluent le caractère obligatoire ou non des enquêtes, la représentativité des échantillons, mais aussi la formulation des questions et le choix de la préformulation des réponses, qui constituent ensuite les variables à analyser. Ces décisions ne sont qu’en apparence techniques ou statistiques puisqu’elles déterminent à elles seules le degré d’ouverture de la fenêtre qu’elles donneront sur la réalité des diversités à décrire. Quelles sont les caractéristiques à mesurer ? Quelle donnée est importante à compiler ?

Dès le début de la présence européenne sur ce qui constitue le territoire canadien d’aujourd’hui, le besoin de connaître le nombre de personnes y habitant et certaines de leurs caractéristiques s’est fait sentir[3]. Ainsi, c’est depuis 1665 que l’on dénombre les habitants de la Nouvelle-France (sans pour autant compter les peuples autochtones ou les troupes militaires royales françaises[4]) d’une façon plutôt artisanale qui mue, progressivement, vers un recensement du Régime français en 1739. C’est en Nouvelle-Écosse que des variables à caractère « ethniques » font leur apparition : la religion et l’origine ethnique ont été introduites comme catégories en 1767[5]. Lors du premier recensement du Bas-Canada, en 1825, ce sont surtout les appartenances aux Églises qui prévalent, alors qu’en 1844, le lieu de naissance est introduit[6]. En 1871, les « origines » font leur apparition, avec des nationalités ou autres catégories plus ou moins définies[7]. Deux décennies plus tard, la donnée de l’appartenance aux « cultes » est toujours prédominante, mais on introduit également un indice sur la provenance, soit si le père est né à l’étranger ou s’il est natif[8].

Le besoin de relever certaines caractéristiques plutôt que d’autres est motivé : ce choix reflète souvent une disposition politique, sociale ou juridique. L’exemple de la langue est probablement le plus éloquent, puisqu’il traverse l’histoire canadienne, divise les « peuples fondateurs », motive des fusions municipales et représente ainsi le trait le plus documenté parmi ceux pouvant indiquer une appartenance ethnoculturelle[9]. Cette caractéristique étant au début souvent jumelée à (ou substituée par) l’appartenance religieuse, le gouvernement commença en 1911 à recenser la « langue communément parlée » des personnes. Au fur et à mesure ont été ajoutées la langue maternelle, la langue parlée à la maison, la langue de travail, etc., pour aboutir, depuis 2006, à sept variables linguistiques (Laur 2013)[10]. Ce besoin exponentiel de connaissance sur les langues des personnes est motivé par la législation puisque, depuis 1982, des services gouvernementaux fédéraux se donnent dans les deux langues devenues officielles en 1969, seulement « là où le nombre le justifie[11] ».

Ainsi, pendant qu’on tentait de calculer officiellement la présence et l’importance de ces deux communautés linguistiques avec des moyens de plus en plus sophistiqués, le flux de personnes n’appartenant ni à l’un ni à l’autre de ces groupes, conceptualisés d’une façon quasi étanche, continuait de croître. On assistait en effet à l’arrivée de personnes dont la langue maternelle n’était ni le français ni l’anglais. Un troisième groupe était né, celui des « allophones », nommé en opposition aux peuples fondateurs : « allo » (du grec allos, « autre ») et « phone » (du grec phonè, « voix » ou « son »). Le groupe des « personnes parlant d’autres langues ou d’autres origines » était constitué et, dans l’imaginaire collectif, alimenté par un flux de personnes immigrantes de plus en plus diversifié. En témoigne le fait que Statistique Canada choisit, depuis 2011, de désigner ces autres langues comme « langues immigrantes »[12].

Alors que ce flux migratoire international était depuis toujours essentiellement composé de personnes européennes s’assimilant au fur et à mesure à l’un ou à l’autre des deux groupes linguistiques en présence, celui-ci a vu ses origines se modifier à la suite de plusieurs événements marquant l’immigration canadienne et québécoise (MIDI 2015 ; Statistique Canada 2006), résultant en une diversité grandissante.

Le recensement et la mesure de ces diversités et de ces appartenances se font moyennant les données recueillies, soit par l’institution officielle canadienne, Statistique Canada, à travers les données censitaires ou les enquêtes populationnelles, soit par les institutions gouvernementales des deux paliers gouvernementaux par leurs données administratives ou par des enquêtes menées par différents organismes ou ministères. Dans les pages qui suivent, seront d’abord décrites certaines données en provenance de Statistique Canada, ce qui permet en même temps de dresser un portrait rudimentaire de quelques-unes des données disponibles, pour ensuite présenter les bases de données en provenance des administrations, pour aboutir à un tableau réunissant les connaissances de certaines de ces sources. Cette description permet d’assembler une sorte de courtepointe des accès disponibles pour la description de la diversité ethnoculturelle au Canada et au Québec et laisse également, par ricochet, entrevoir les morceaux manquants d’une couverture complète. Chacun des accès ayant son propre historique, la description suivante inclut également celle de quelques limitations conceptuelles ou méthodologiques, contextualisant autant que possible leurs objectifs premiers.

Si recueillir des données sur les minorités ethnoculturelles n’est pas chose facile, retracer leurs compositions grâce à ces données l’est encore moins. Toute description quantitative de ces minorités en est pourtant tributaire. La démarche entreprise ici était au départ motivée par un mandat concernant la participation des personnes immigrantes et de minorités ethnoculturelles à la vie collective québécoise[13]. Dès le départ, la description de cette participation selon l’appartenance à un statut de minorité ethnoculturelle ou à un statut d’immigration se heurtait non pas à la difficulté de conceptualiser ces statuts, mais bien à celle d’accéder à des données pertinentes pour les mesurer. D’un côté, il y a une certaine abondance de variables disponibles (dont la description est présentée ci-dessous), mais d’un autre côté, la cohérence et la congruence d’ensemble de ces données font défaut – ce qui pourrait pourtant alimenter une définition univoque d’une minorité ethnoculturelle[14].

Même s’il semble opportun d’inclure dans cette démarche une critique plus approfondie à l’endroit du choix des variables caractérisant une minorité ethnoculturelle, de leur mesure, de leur définition, de leur dénomination ou de leurs interprétations, elle devait dans un premier temps se limiter à son but premier, soit de démontrer que l’utilisation de ces variables se substitue souvent à la conceptualisation même de ce que la notion de « minorité ethnoculturelle » désigne. Seuls certains points critiques sont effleurés, telle la notion de « langue immigrante » qui se prête mal à caractériser une langue parlée par des personnes citoyennes non immigrantes ou immigrées. D’autres aspects tels que l’hétérogénéité interne des membres de certains regroupements (« Noir », par exemple) ou les oscillations dans le choix de l’angle de définition des catégories (le pays ou la région d’origine ou de naissance, par exemple) étaient trop complexes pour être abordés dans cet article.

La démarche ici est donc de retracer, à travers les données disponibles, ce qui pourrait constituer une approche de description quantitative d’une « minorité ethnoculturelle ». Il s’agit ainsi de voir de façon non exhaustive de quels moyens la société québécoise dispose actuellement pour appréhender ces minorités de façon quantitative dans des banques de données à sa disposition.

Les minorités ethnoculturelles dans les données censitaires

La grande majorité des descriptions, des analyses ou des recherches qui abordent les appartenances ethnoculturelles de façon quantitative se basent sur les données constituées par Statistique Canada à travers les recensements ou les enquêtes qui sont menés périodiquement au Canada et au Québec. Ce sont donc avant tout ces données qui, par le choix et par la définition des variables, façonnent la manière selon laquelle les minorités ethnoculturelles sont appréhendées. La conceptualisation qui transcende chaque mesure isolément, mais également celle qui se dégage une fois toutes les mesures prises ensemble, ne peut être reconstruite de façon claire. Cette conceptualisation n’est pas énoncée : c’est plutôt le fruit d’un cheminement historique particulier qui cumule plusieurs compromis entre besoins gouvernementaux, comparabilités dans le temps et contraintes méthodologiques. Ne pouvant retracer ni la motivation qui a amené l’inclusion de chacune des variables suivantes ni l’historique de la formulation qu’elles ont connu dans les questionnaires successifs, la liste suivante se limite à la description des données recueillies lors des recensements et de l’Enquête nationale auprès des ménages (ENM) de 2011, soit les données qui abordent un aspect attribuable à une appartenance ethnoculturelle de la population ciblée. Toutes les définitions se trouvent sur le site de Statistique Canada[15].

Le statut d’immigration[16]

Le statut d’immigration est déterminé par l’endroit de naissance, puisque le Canada décerne la citoyenneté par droit de sol. Ainsi, hormis de rares cas, sont respectivement des personnes non immigrées celles qui sont nées sur le territoire canadien et des personnes immigrées ou résidentes temporaires celles qui sont nées ailleurs. Les personnes immigrées ont un permis de résidence permanente ou sont devenues des citoyens canadiens par naturalisation. Les recensements et l’ENM les dénombrent, peu importe leur date d’arrivée. En 2016, le nombre total de personnes immigrées au Québec était de 1 091 310, soit 13,7 % de la population totale.

Graphique 1

Nombre de la population immigrée et sa proportion dans la population totale du Québec, recensements de 1911 à 2016 et ENM de 2011

Nombre de la population immigrée et sa proportion dans la population totale du Québec, recensements de 1911 à 2016 et ENM de 2011
Source : Statistique Canada, recensements de 1911 à 2016 et ENM 2011, traitement : ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, compilation : Direction de la recherche et de la statistique

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Ces données permettent différents croisements avec d’autres variables censitaires, tel le continent de naissance, par exemple, qui est l’une des mesures permettant d’illustrer la diversification grandissante des provenances au cours des deux dernières décennies (voir le graphique 2 ci-dessous).

Graphique 2

Population immigrée selon le continent de naissance, Québec, 1996, 2006 et 2016

Population immigrée selon le continent de naissance, Québec, 1996, 2006 et 2016
Source : Statistique Canada, recensements de 1996, 2006 et 2016, traitement : ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, compilation : Direction de la recherche et de la statistique

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La deuxième génération[17]

Si, par définition, les personnes immigrées sont nées à l’extérieur du Canada, elles forment également la « première génération ». La population des personnes natives du Canada se divise entre celles dont au moins un parent est né à l’extérieur du Canada, la « deuxième génération », et celles dont les deux parents sont également nés au Canada, soit la « troisième génération et plus ». Si cette dernière est souvent considérée comme étant une entité à part, celle qui est « de souche », il n’en reste pas moins que les traces des personnes immigrées s’y sont simplement plus ou moins effacées : les personnes natives du Québec de parents natifs sont forcément des descendants de personnes immigrantes, sauf si elles sont autochtones. Cette évidence est encore plus palpable parmi les personnes natives de troisième génération et plus de descendance immigrante relativement plus récente, tels les « Italiens », les « Grecs », les « Allemands », bref : des mouvements d’immigration qui datent de plusieurs générations mais dont l’héritage « ethnique » a été plus ou moins préservé, assez pour continuer à faire la distinction après plusieurs générations. Ces ascendances ethniques seront des fois déclarées comme « origine ethnique », d’autres, non. La valeur subjective de cette variable, censée mesurer des origines ancestrales, reste importante.

L’origine ethnique[18]

L’origine ethnique semble une variable tout indiquée pour mesurer l’appartenance ethnoculturelle, puisqu’elle fait référence à une ancestralité reconstruite par la personne répondante. Cette ancestralité reste toutefois très subjective, celle-ci relevant d’un sentiment d’appartenance affirmé. Cette affirmation ne peut toutefois pas être réfléchie par sa contrepartie, soit le sentiment d’acceptation du groupe ethnoculturel ainsi incorporé, puisqu’elle n’est pas mesurée. Le sentiment d’appartenance peut être la résultante d’une acceptation, tout comme il peut être une réaction à un manque d’acceptation. Sa signification reste donc imprécise.

Dans les données de Statistique Canada, une origine multiple peut être déclarée. Des portraits sont disponibles sur le site du MIDI[19] et sur celui de Statistique Canada[20]. Cependant, pour dresser un portrait adéquat, ces déclarations demandent une analyse plus approfondie avec les autres variables mentionnées ici : la langue maternelle, le statut des générations, etc.

L’appartenance à une minorité visible

Statistique Canada a adopté la définition de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, soit : « personnes, autres que les Autochtones, qui ne sont pas de race blanche ou qui n’ont pas la peau blanche. Il s’agit de Chinois, de Sud-Asiatiques, de Noirs, de Philippins, de Latino-Américains, d’Asiatiques du Sud-Est, d’Arabes, d’Asiatiques occidentaux, de Japonais, de Coréens et d’autres minorités visibles et de minorités visibles multiples[21] ». Il importe de mentionner que les personnes appartenant à des groupes de minorités visibles sont de plus en plus natives du Canada et que les groupes inclus dans ce regroupement sont très hétérogènes.

Graphique 3

Population des minorités visibles du Québec, recensements de 2001, 2006, 2016 et ENM de 2011

Population des minorités visibles du Québec, recensements de 2001, 2006, 2016 et ENM de 2011
Source : Statistique Canada, recensements de 2001, 2006, 2016 et ENM 2011, traitement : ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, compilation : Direction de la recherche et de la statistique

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Graphique 4

Proportion de la population des minorités visibles selon le statut migratoire, Québec, 2016

Proportion de la population des minorités visibles selon le statut migratoire, Québec, 2016
Source : Statistique Canada, Recensement 2016, traitement : ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, compilation : Direction de la recherche et de la statistique

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Graphique 5

Population de minorités visibles selon le groupe d’appartenance, Québec, 2006 et 2016 (en %)

Population de minorités visibles selon le groupe d’appartenance, Québec, 2006 et 2016 (en %)
Source : Statistique Canada, Recensements 2006 et 2016, traitement : ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, compilation : Direction de la recherche et de la statistique

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Les langues maternelles « immigrantes »[22]

Le qualificatif « immigrant » pour les langues maternelles a été ajouté pour l’ENM en 2011 et définit toute langue maternelle autre que le français, l’anglais et les langues autochtones, ce qui renvoie aux personnes allophones (simples ou multiples) décrites plus haut. Déclarer que le terme « langues immigrantes » désigne les langues autres que le français, l’anglais et les langues autochtones dont la présence au Canada est initialement attribuable à l’immigration sous-entend que les personnes de langue maternelle française ou anglaise ne sont pas, ou n’ont jamais été, des personnes immigrantes. Or, outre le fait que les personnes immigrantes qui arrivent sur le sol canadien peuvent avoir encore aujourd’hui le français ou l’anglais comme langue maternelle mais ne sont néanmoins pas considérées à cet égard comme étant « immigrantes » ou « ethniques » (à tout le moins dans les données présentées), les premiers colons de langue maternelle française ou anglaise n’étaient-ils pas également nés hors du Canada, donc des personnes immigrantes parlant des langues immigrantes ? Ainsi, la présentation des données et leur désignation induisent des interprétations et confortent des certitudes conceptuelles.

Au-delà de ces considérations lexicales ou glossiques, le fait de la mesure reste le même à partir des variables déjà présentées plus haut. Le débat sur la signification et sur la pertinence de l’utilisation de toutes ces variables est long et ardu, puisque plusieurs dispositions sociétales en dépendent, comme mentionné auparavant. Toutefois, la discussion sur la pertinence de l’indicateur est importante puisque la langue maternelle est strictement privée, son utilisation peut être plus symbolique qu’effective et son importance peut relever davantage d’une conviction, voire d’une fonction identitaire, que d’une utilité communicationnelle.

Graphique 6

Langues pour lesquelles la proportion des enfants de 18 ans et moins, nés au Canada, ayant la même langue maternelle que la mère, est égale ou supérieure à 50 % (Canada, 2006)

Langues pour lesquelles la proportion des enfants de 18 ans et moins, nés au Canada, ayant la même langue maternelle que la mère, est égale ou supérieure à 50 % (Canada, 2006)

*Il s’agit des langues chinoises : le chinois (sans autre précision), le mandarin, le cantonais, le hakka, le chaochow, le fou-kien, le shanghaïen et le taïwanais.

Source : Houle 2011 : 8. Traitement : ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, Direction de la recherche et de la statistique

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Un indicateur peu utilisé, mais révélateur d’une valeur ancestrale ou culturelle, est la proportion de parents qui décident d’élever leurs enfants dans leur langue d’origine. La transmission des langues est ainsi un baromètre de l’importance accordée à la persistance de cette caractéristique dans le temps, peu importe si elle est plutôt culturelle ou ethnique. Il s’avère que cette transmission, ou les chances d’avoir la même langue maternelle que la mère, est très variable, quoique les données recueillies datent déjà. Ainsi, par rapport à 1981, les langues maternelles « immigrantes » ayant le plus perdu dans les rapports de cotes des chances d’avoir la même langue maternelle que la mère en 2006[23] sont issues d’une vieille immigration : l’italien, le grec, le portugais, mais aussi le chinois (Houle 2011). D’autres langues maternelles, telles l’espagnol, le hongrois, le polonais, le serbo-croate, l’allemand, se voient transmises davantage 25 ans plus tard. Il semble néanmoins clair, dans ce tableau, que la transmission est en diminution dans toutes les langues étudiées de 1981 à 2006. L’utilisation de la seule langue maternelle comme indice d’une appartenance ethnoculturelle semble donc réductrice si l’appartenance ancestrale ou culturelle est visée.

À cela s’ajoute le fait que la non-transmission de la langue en tant qu’unique langue maternelle n’empêche pas son utilisation au sein du foyer ou sa connaissance plus ou moins affirmée. Ainsi, la langue ancestrale peut se manifester par une connaissance plutôt que comme une première langue apprise dans l’enfance. L’indicateur s’avère donc plutôt variable, dépendant de comportements sociolinguistiques complexes et pas toujours mesurables.

L’appartenance religieuse

Il s’agit de l’appartenance autodéclarée d’une personne à une confession, un groupe, un organisme, une secte ou un culte religieux, ou à un autre système de croyances ou une communauté religieuse. L’appartenance religieuse ne se limite pas à l’appartenance officielle à une organisation ou à un groupe religieux. Il est à noter que cette variable est mesurée aux dix ans et sera donc mise à jour lors du recensement de 2021.

Graphique 7

Distribution des groupes d’âge au sein de certains groupes religieux, Québec, ENM 2011

Distribution des groupes d’âge au sein de certains groupes religieux, Québec, ENM 2011
Source : Statistique Canada, ENM 2011. Traitement : ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, Direction de la recherche et de la statistique

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Les banques de données

Statistique Canada dispose également de plusieurs banques de données qui reprennent ces variables censitaires à différents degrés et les jumellent avec d’autres banques, notamment administratives. Ainsi, le recensement de 2016 est le premier à jumeler les données administratives pour les catégories d’immigration (jumelage valide à compter de 1986)[24].

La mesure des appartenances dans les données administratives

Deux sortes de sources de données différentes seront abordées ici : celles de l’administration fédérale canadienne, qui enregistrent les admissions des personnes immigrantes sur le sol canadien et les données dérivées sur la présence au Québec, ainsi que celles sur les personnes employées dans quelques administrations publiques québécoises.

Les données administratives fédérales sur l’immigration

Les données sur les admissions de personnes immigrantes au Québec sont fournies par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) et traitées par le ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion (MIDI)[25]. Ces données permettent notamment de décrire les personnes immigrantes par leurs catégories d’immigration selon certaines caractéristiques sociodémographiques (sexe, âge, continent de provenance, région de destination, etc.), linguistiques (connaissance du français et de l’anglais) et socioéconomiques (catégories professionnelles, scolarité, etc.).

En plus de publier des descriptions de ces données, le MIDI procède annuellement à des jumelages des renseignements contenus dans cette banque de données sur les admissions permanentes avec ceux qui sont disponibles dans le fichier d’inscription des personnes assurées (FIPA) de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), afin de les retracer sur le territoire quelques années après leur admission[26]. Or, aucune mesure d’une appartenance ethnoculturelle n’y figure et aucune comparaison avec la population native n’est possible.

La mesure des appartenances ethnoculturelles de la fonction publique québécoise

Au Québec, plusieurs assises législatives réglementent la prise en compte de la diversité au sein de la population en général, mais également au sein de sa fonction publique, parapublique, ou encore, au sein d’autres instances privées, notamment par des programmes ou des lois d’accès à l’égalité. Ces programmes se fondent sur la Charte des droits et libertés de la personne (Lois refondues du Québec, chapitre C-12) depuis 1985. Depuis 2001, « un programme d’accès à l’égalité en emploi est, eu égard à la discrimination fondée sur la race, la couleur, le sexe ou l’origine ethnique, réputé non discriminatoire s’il est établi conformément à la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics » (chapitre A-2.01). Ainsi, la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics (2001), le Règlement sur les programmes d’accès à l’égalité (1986), le Programme d’accès à l’égalité s’appliquant à certains organismes publics (2001) et les Lignes directrices concernant la validité des programmes d’accès à l’égalité établis volontairement dans le secteur de l’emploi (1986) s’appuient sur deux expressions :

  • Minorité visible : « les personnes qui font partie d’une minorité visible en raison de leur race ou de la couleur de leur peau[27] » ;

  • Minorité ethnique : « les personnes dont la langue maternelle n’est pas le français ou l’anglais et qui font partie d’un groupe autre que celui des autochtones et celui des personnes qui font partie d’une minorité visible[28] ».

Néanmoins, la Loi sur la fonction publique (article 43)[29] et le Programme d’accès à l’égalité de la fonction publique du Québec pour les membres des communautés culturelles (1990)[30] se basent sur le concept de « communauté culturelle », qui inclut les personnes de minorités visibles ainsi que les personnes des minorités ethniques telles que définies ci-haut. L’expression « communauté culturelle » devient donc un amalgame de ces deux caractéristiques distinctes, soit la couleur de la peau autre que blanche et la langue maternelle autre que française, anglaise ou autochtone.

Les pratiques de mesure de ces caractéristiques se font de deux façons : soit par une compilation d’information sur les formulaires d’embauche ou par la distribution de questionnaires aux employés. Remarquons avant tout qu’il s’agit dans les deux cas d’une autodéclaration. Par contre, il se pourrait que les effectifs soient déclarés non pas par la personne elle-même, mais par une tierce personne, un gestionnaire ou un chef d’équipe par exemple (et qu’il ne s’agisse pas d’une autodéclaration, en fait).

En plus de ces écueils inhérents à la méthode (et l’authenticité de la déclaration), quelques défis se présentent : l’autodéclaration, même authentique, permet de rendre compte des appartenances subjectivement ressenties et pourrait donc être plus réaliste. D’un autre côté, elle peut mener à une sous-estimation des effectifs, puisque certaines personnes pourraient également hésiter à s’autodéclarer, par refus d’être minorisées, voire par crainte d’être victimes de discrimination ou d’autres représailles.

La déclaration par un tiers se révèle aussi difficile : la personne qui déclare une appartenance (à la place) de ses employés peut se retrouver devant un double défi, c’est-à-dire celui d’estimer le nombre de personnes dans l’entreprise ayant soit une langue maternelle autre que le français et l’anglais, soit une apparence autre que « blanche ». Il semble difficile d’évaluer une telle appartenance, même lorsqu’elle est présumée « visible » ou « audible ». Une telle déclaration peut donc parfois refléter davantage les préjugés de la personne qui évalue que la réalité à mesurer, surtout lorsqu’une population assez nombreuse doit être évaluée et que les traits d’une appartenance ethnoculturelle laissent place à l’interprétation. La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) fournit sur son site Internet un questionnaire à cet effet, à titre de suggestion. Le questionnaire est rempli de façon variable par les institutions[31].

Comme les données administratives se basent sur les catégories de « minorités visibles » et de « minorités ethniques » (ou leur amalgame), il est impossible de savoir, par exemple, combien de personnes immigrantes travaillent actuellement dans la fonction publique québécoise. En effet, l’appartenance à une minorité visible et l’appartenance à une « minorité ethnique » (le fait de parler une langue maternelle autre que l’anglais ou le français) peuvent l’une comme l’autre être le fait d’une personne native tout comme d’une personne immigrante. De plus, le français figure parmi les langues maternelles les plus recensées parmi les personnes immigrantes, ce qui ajoute à l’imprécision de la mesure.

Les mesures et les compilations créent ainsi des amalgames qui ne permettent pas forcément de dresser un portrait de la diversité ethnoculturelle dans différents sous-groupes, ce qui comporte certainement son lot de conséquences quant aux mesures d’accès à l’égalité et à la mesure de la discrimination. Assurément, l’objectif de ces mesures n’étant pas la description d’une population ou d’un sous-groupe, mais plutôt la prévention de la discrimination en emploi, les mesures doivent répondre à d’autres contraintes que celles d’un recensement. Néanmoins, comme ces données sont souvent citées en exemple pour démontrer une sous-représentation des minorités ethnoculturelles dans la fonction publique québécoise (Charest 2013 ; Chicha et Charest 2013 ; Seidle 2015, entre autres), il semble important de clarifier ce qu’elles mesurent précisément et de quelle manière l’accès aux données récoltées peut limiter les conclusions à tirer sur la représentation équitable des groupes minoritaires au sein de ces institutions.

Selon cette perspective, les mesures prises et véhiculées, notamment dans les programmes d’accès à l’égalité, paraissent plutôt réductrices : les minorités visibles sont traitées comme une seule entité alors qu’elles embrassent une grande diversité. Quant à l’appartenance ethnique, elle ne saurait se réduire à une langue maternelle, même si elle peut en constituer un trait important. Les mesures actuelles ne répondent donc que très partiellement au besoin de connaissance quant à la représentativité des minorités ethnoculturelles dans les institutions publiques.

Quoi en retenir ?

À partir de ces variables se dégagent plusieurs façons d’accéder à une approximation de ces minorités ethnoculturelles. Quoique toujours limitées, ces variables, une fois croisées et compilées, permettent de dresser un portrait beaucoup plus nuancé de la complexité de la diversité au Québec. C’est alors l’accès aux bases de données qui devient primordial, surtout celles qui permettent les croisements voulus.

L’accès aux informations

Il est évidemment possible de procéder à des commandes spéciales plus ou moins coûteuses afin de combler certaines cases laissées vides par les données accessibles publiquement ou encore de recourir aux données des fichiers de grande diffusion. Celles-ci présentent toutefois d’autres défis d’estimations puisqu’il s’agit d’échantillons ne pouvant pas toujours fournir des données fiables et valides lorsque les croisements de variables deviennent trop fins. L’accès aux bases de données complètes est limité à des centres universitaires et nécessite des demandes complexes d’accès afin de garantir la confidentialité de certaines données : elles ne sont donc pas facilement accessibles. D’autres enquêtes de Statistique Canada peuvent partiellement combler le besoin de mieux connaître certaines caractéristiques des minorités ethnoculturelles, telle la participation au marché du travail. Il y a, par exemple, l’enquête sur la population active (EPA) qui permet, pour les personnes immigrantes et selon la durée depuis leur arrivée, de connaître le taux d’emploi, le taux d’activité et le taux de chômage ainsi que d’autres indicateurs. Toutefois, cette enquête ne croise les données avec le statut d’immigration qu’annuellement et il n’y a pas d’autres variables dans la banque en lien avec l’appartenance ethnique ou avec la catégorie d’immigration. Par ailleurs, la Base de données longitudinales sur l’immigration (BDIM) permet de connaître plusieurs caractéristiques tirées de la déclaration de revenus en lien avec le lieu de résidence, la connaissance du français et de l’anglais, etc. Toutefois, compte tenu de la fusion nécessaire avec les données fiscales, les données portent seulement sur les personnes immigrantes ayant produit une déclaration de revenus auparavant ; elles ne contiennent aucune autre variable pour établir une appartenance aux minorités ethnoculturelles ou une comparaison possible avec le comportement des personnes natives, en plus de porter forcément sur des années antérieures de déclaration de revenus.

Ces banques, surtout celles qui contiennent plusieurs des variables mentionnées, peuvent dater de plusieurs années : tel est le cas des données censitaires, par exemple, reproduites tous les cinq ans, voire, pour ce qui est de l’appartenance religieuse, tous les dix ans. Les enquêtes ne sont pas forcément reproduites tous les cinq ans avec des thématiques semblables. Elles peuvent également présenter un biais contextuel de questions (par exemple, l’un des biais connus est celui de la proximité de la question du bien-être avec celle sur la victimisation : les réponses varient selon leur degré de juxtaposition) ou d’autres défis méthodologiques, tels les coefficients de variation élevés déjà évoqués plus haut. Le taux de non-réponse était également une grande préoccupation lors de l’ENM. D’autres enquêtes ne sont simplement pas reprises, telles l’Enquête sur la diversité ethnique, l’Enquête sur la dynamique du travail et du revenu, l’Enquête longitudinale auprès des immigrants du Canada, etc.

Lorsque la disponibilité, l’actualité ou la fiabilité de ces données portant sur toute la population (ou sur un échantillon représentatif) est en cause, il est toujours possible de recourir aux banques de données administratives qui, elles, enregistrent par contre le flux des personnes et non pas l’ensemble de la population ciblée. De plus, ces données administratives ou opérationnelles peuvent présenter des lacunes attribuables à des problématiques de saisie de l’information ou d’extractions thématiques. La comparabilité avec les données populationnelles est donc très limitée et les caractéristiques relevées sur l’appartenance ethnoculturelle portent souvent seulement sur le statut d’immigration. Ceci est d’autant plus vrai pour les données récoltées à l’intérieur des administrations publiques puisqu’elles ne sont pas toujours compatibles et que les mesures prises peuvent être partielles ou présentées d’une façon agrégée.

Face à ces lacunes d’information, plusieurs ministères et organismes ont pris l’initiative de constituer leurs propres banques de données, moyennant des enquêtes plus ou moins grandes ou suivies dans le temps : l’Enquête sur les pratiques culturelles (2014), initiative du ministère de la Culture et des Communications, reprise tous les cinq ans ; l’Enquête auprès des immigrants de la catégorie des travailleurs qualifiés (2013) et l’Enquête sur les cheminements d’intégration au marché du travail des personnes nouvellement arrivées (2016), toutes les deux menées conjointement par le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale et le ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion ; l’enquête Conscience linguistique et usage du français (2010), menée par le Conseil supérieur de la langue française, etc.

Toutes ces enquêtes permettent évidemment de récolter des informations qui ne sont pas disponibles ailleurs, mais qui restent non jumelables et donc limitées quant aux thématiques et aux analyses à envisager. Comme il s’agit d’enquêtes coûteuses, la taille des échantillons est limitée, leurs reprises rares, et le taux de réponse souvent faible (voir également Laur 2016). L’accessibilité aux données reste également limitée, même si plusieurs ententes permettent un échange entre ministères et organismes ou chercheurs universitaires.

Il est à noter que les données du recensement de 2016 sont pour la première fois jumelées avec des données administratives rendues disponibles par IRCC afin d’inclure les catégories d’immigration dans la base de données censitaire diffusée depuis le 25 octobre 2017. Les tableaux suivants résument certaines des caractéristiques et des limites évoquées d’une façon comparative.

Tableau 1

Certaines banques de données selon des caractéristiques intrinsèques et des variables ethnoculturelles

Certaines banques de données selon des caractéristiques intrinsèques et des variables ethnoculturelles

X = présent ; O = présent sans comparatif ; b = seulement pour le recensement 2016

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Tableau 2

Certaines banques de données administratives selon des caractéristiques intrinsèques et des variables ethnoculturelles*

Certaines banques de données administratives selon des caractéristiques intrinsèques et des variables ethnoculturelles*

* Les banques de données peuvent avoir différentes définitions de ces variables et donc ne pas forcément couvrir les mêmes sous-groupes.

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La reconstitution des minorités ethnoculturelles

Une fois accessibles, ces banques de données constituent une porte d’entrée dans un univers qui se révèle beaucoup plus hétérogène et multiforme que le traitement des appartenances uniques, binaires ou uni-définies le laisse sous-entendre. Toutefois, lorsque ces caractéristiques présentées sont croisées, comment considérer ou constituer les sous-groupes ainsi obtenus ? À quel degré représentent-ils les composantes de ce qui est communément compris comme étant des minorités ethnoculturelles ?

Le tableau suivant donne un aperçu des croisements possibles à l’échelle des données du recensement 2016. Il donne l’occasion de se poser certaines questions quant à la constitution de ces groupes et de ces sous-groupes. Ainsi, si seulement le nombre et la proportion des personnes immigrantes et des personnes de leur descendance directe, la deuxième génération, sont considérés (la première colonne, en vert), ces personnes sont habituellement désignées comme étant membres de minorités ethnoculturelles, alors que, par opposition, les personnes natives de troisième génération ou plus constituent la majorité (en gris).

Tableau 3

Nombres et proportions de la population québécoise selon différentes caractéristiques ethnoculturelles, recensement 2016 et ENM 2011

Nombres et proportions de la population québécoise selon différentes caractéristiques ethnoculturelles, recensement 2016 et ENM 2011

* incluant la première génération non immigrante et les résidents non permanents

** total première génération

1 Langues maternelles autres que le français ou l’anglais

2 Origines ethniques autres que canadienne ou québécoise

3 Autre que « catholique » ou « aucune appartenance »

Source : Statistique Canada, recensement 2016 et ENM 2011, traitement : ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, compilation : Direction de la recherche et de la statistique

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Or, une fois ces données croisées avec d’autres variables, sont également considérées comme minoritaires ethnoculturelles toutes les personnes de troisième génération ou plus appartenant à une minorité visible ou ayant une langue maternelle « immigrante » (deuxième et troisième colonnes). Alors que la variable d’une appartenance à une minorité visible détermine l’appartenance à une minorité ethnoculturelle, peu importe la génération dont la personne est issue, la situation diffère pour la variable de la langue maternelle. Pour la deuxième et la troisième génération et plus, si la langue maternelle n’est pas française ou anglaise, elle est « immigrante » et peut classer la personne dans une catégorie d’appartenance ethnique. Une personne de deuxième génération appartient-elle à une minorité ethnoculturelle, peu importe sa langue maternelle ou seulement lorsque celle-ci diffère du français ou de l’anglais ? En fait, à l’heure actuelle, la réponse dépend de l’interprétation qu’en fait la personne qui utilise, génère ou analyse la donnée, ce qui veut dire qu’elle peut être très variable. La réponse peut aussi dépendre des limitations de la collecte des données. Dans certains cas, ce sera le statut de génération qui déterminera l’appartenance, mais dans d’autres, comme pour la compilation de la fonction publique québécoise, ce sera seulement le fait que la langue maternelle diffère du français ou de l’anglais.

Pour ce qui est de l’origine ethnique et de l’appartenance religieuse, les frontières des groupes deviennent encore plus floues : les personnes natives ne sont considérées comme faisant partie d’une minorité ethnoculturelle que lorsqu’elles appartiennent à un groupe « autre » (sauf pour les personnes immigrantes). Encore faudrait-il définir l’« autre » : dans le contexte québécois, s’agit-il des personnes d’une origine autre que québécoise, canadienne ou amérindienne ? Et, dans le cas des religions, la catégorie « autres » regroupe-t-elle toutes celles qui ne font pas partie des quelques centaines de religions que l’on retrouve sous le libellé « chrétiens » ?

Dans l’ensemble, si tous ces groupes font partie des minorités ethnoculturelles, environ la moitié de la population québécoise en ferait partie, ce qui laisserait une autre moitié majoritaire. Il y a presque égalité entre les nombres. Cette quasi-égalité dans les nombres nous met devant le fait que « les minorités ethnoculturelles » ne sont pas si minoritaires, à tout le moins en ce qui concerne leur simple dénombrement. Le terme renferme donc plutôt une notion de dominance ou d’influence du groupe « majoritaire ». Dans tous les cas, ce qui semble important à retenir, c’est que la population québécoise est très diversifiée et que les personnes immigrantes ne représenteraient que moins d’un tiers de ces minorités ethnoculturelles.

Conclusions

La diversité et l’appartenance ethnoculturelle sont composées d’une multitude de caractéristiques qui ne pourraient se réduire à un seul indicateur. Il n’est donc pas étonnant de trouver une vaste panoplie jamais assez détaillée de mesures qui, même si elles étaient (ou pouvaient être) regroupées dans un seul ensemble de données, ne pourraient rendre compte de la pluralité des personnes ou des situations, mais seulement de sous-ensembles dont la construction et la composition restent plus ou moins justifiables sociologiquement, démographiquement ou politiquement, selon la perspective adoptée.

Les sources de données probantes, avec leurs mesures diverses, constituent toutefois la réelle clé de voûte de l’accès à ces caractéristiques, puisqu’elles déterminent la gamme des possibles conceptualisations des appartenances et de la diversité. Il y a donc une certaine dépendance conceptuelle de la mesure plutôt qu’une mesure d’un concept prédéfini.

Ceci s’explique en partie par le fait que ces mesures ont été construites au fur et à mesure que les besoins de connaissance se sont concrétisés à travers l’évolution des politiques, des programmes et des législations. Ainsi, divers compromis entre besoins évolutifs de connaissance et contraintes méthodologiques ou éthiques ont mené à une évolution historique, par poussées successives, toujours en réponse aux besoins plus ou moins explicités, et peu en leur prévision.

Ainsi, la composition des mesures telle qu’elle se présente actuellement semble ne pas vraiment réussir à combler ces besoins, soit parce que les mesures ne suivent pas (ou trop tardivement) l’évolution des besoins de connaissance, soit parce que la diversité réelle est trop complexe et quasiment impossible à mesurer pour répondre à ces besoins, soit parce que les besoins évolutifs eux-mêmes ne sont pas assez clairement énoncés (ou mis à jour) pour être mesurés adéquatement.

Les besoins administratifs, politiques ou scientifiques des connaissances sur la diversité de la population semblent avoir évolué séparément et, dans certains cas, mené à une démultiplication des mesures qui ne peuvent être complémentaires. Ainsi, malgré l’existence d’un lien entre le besoin de connaissance et l’introduction de mesures à travers l’histoire récente, plusieurs lacunes et incongruences se sont créées et persistent. Le jumelage des données administratives et censitaires étant un pas dans la bonne direction pour contrer ces lacunes, une solution complémentaire pourrait consister en une uniformisation accrue de certaines mesures pour assurer un suivi stable d’un côté tout en permettant, de l’autre, une gamme assez vaste de mesures afin de rendre compte de la multiplication des appartenances.

L’appartenance ethnoculturelle demeure ainsi un fait reconstruit par des mesures qui, prises d’une façon complémentaire, permettent de s’approcher le plus possible du concept qui reste, par ailleurs, à définir. En attendant, le concept constitue un construit de mesures qui dresse un portrait partiel, contextuel et fluctuant.