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SELON PLUSIEURS EXPERTS, LE VINGT ET UNIÈME SIÈCLE VERRA DISPARAÎTRE au moins la moitié des 6 000 à 7 000 langues existantes. Crystal (2000) estime, en effet, qu’une langue en moyenne doit disparaître toutes les deux semaines. Divers facteurs contribuent à cet inquiétant phénomène, notamment, la mondialisation économique, la multiplication des réseaux de communication de masse et des moyens de transport et la diffusion massive de la culture populaire anglo-américaine, dans un contexte de faible vitalité des minorités ethnolinguistiques.

Concomitamment, des communautés ethnolinguistiques minoritaires à l’échelle de la planète se lancent dans une lutte acharnée pour faire respecter leurs droits linguistiques et culturels, en plus de leurs droits politiques et territoriaux (Grenoble & Whaley, 2006). L’adoption de la Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle a constitué un moment fort de ce mouvement assimilant à des droits humains les droits linguistiques et culturels. Par exemple, elle prévoit ce qui suit dans son article 5 :

« Toute personne doit ainsi pouvoir s’exprimer, créer et diffuser ses oeuvres dans la langue de son choix et en particulier dans sa langue maternelle; toute personne a le droit à une éducation et une formation de qualité qui respecte pleinement son identité culturelle; toute personne doit pouvoir participer à la vie culturelle de son choix et exercer ses propres pratiques culturelles, dans les limites qu’impose le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. »

UNESCO, 2001

Même si la langue française à l’échelle de la planète ne risque aucunement l’extinction, les francophones en milieu minoritaire canadien se doivent de lutter sans relâche pour assurer la vitalité ethnolinguistique de leurs communautés. Plusieurs tendances démolinguistiques attestent leur vitalité décroissante (Marmen & Corbeil, 2004). Alors qu’en 1951 ces communautés représentaient 7,3 % de la population canadienne hors Québec, elles n’en forment plus que 4,1 % en 2006. Une proportion encore plus faible parle le français le plus souvent au sein de la famille (2,5 %).

La proportion des francophones de langue maternelle qui parlent le français comme langue principale au foyer chez ces minorités francophones varie considérablement selon les provinces et les territoires (de 88,8 % au Nouveau-Brunswick à 25,6 % en Saskatchewan), mais, globalement, elle diminue de recensement en recensement (Statistique Canada, 2007). Le taux de fécondité traditionnellement élevé (exemple, 4,95 enfants par famille entre 1956 et 1961) est maintenant de 1,46 enfant par famille entre 1996 et 2001, et inférieur au taux de remplacement de la population, qui est de 2,1 (Marmen & Corbeil, 2004). Les communautés minoritaires francophones se tournent de plus en plus vers l’immigration afin d’assurer leur croissance à l’extérieur du Québec. Toutefois, au Canada, les transferts linguistiques des allophones vers l’anglais dans les provinces et les territoires majoritairement anglophones sont de 21,0 à 75,4 % en comparaison de 0,0 à 3,6 % seulement vers le français (Statistique Canada, 2002).

De plus, le taux d’exogamie est en croissance; 64 % des enfants qui constituent maintenant la clientèle scolaire des écoles de langue française à l’extérieur du Québec sont issus de familles dont un seul des parents est francophone (Gouvernement du Canada, 2003; Landry, 2003a). Dans ces familles, seulement 22,6 % des enfants ont le français comme langue maternelle. L’incidence de l’exogamie est telle que, globalement, pour l’ensemble des enfants ayant le droit d’aller à l’école de langue française selon l’article 23 de la Chartecanadiennedesdroitsetlibertés, seulement un enfant sur deux a le français comme langue maternelle (Landry, 2003a).

Ces réalités démolinguistiques, et plusieurs autres d’ailleurs, nous permettent de conclure qu’il s’agit de tendances lourdes qui sont difficilement réversibles. Pour les contrer, nous sommes d’avis qu’il faut dans plusieurs cas outrepasser la « résistance » afin d’oeuvrer directement à la « revitalisation » ethnolinguistique. Il est impératif cependant de demeurer conscient que, dans le monde, les communautés ethnolinguistiques qui ont réussi à se revitaliser, c’est-à-dire à renverser les tendances vers l’assimilation – reversinglanguageshift selon la conceptualisation de Fishman (1990, 1991 et 2001) –, sont peu nombreuses (Bourhis & Landry, 2008; Grenoble & Whaley, 2006).

Nous décrivons ici un modèle conceptuel macroscopique qui permet d’envisager l’ensemble des composantes d’un plan global de revitalisation ethnolinguistique (Landry, Allard, & Deveau, 2006; Landry, Deveau, & Allard, 2006a). Le biologiste français Joël de Rosnay (1975) explique qu’un macroscope est un outil conceptuel qui vise la compréhension d’un phénomène dans sa globalité et sa complexité. Il permet de comprendre le tout ainsi que la place des parties dans le tout. Aussi la considération d’un ensemble de composantes en interaction dans un plan global de revitalisation ethnolinguistique permet-elle d’éviter le réductionnisme des perspectives et de planifier des actions concertées et synergiques. Notre modèle théorique ne prétend pas comprendre l’intégralité du phénomène analysé, mais il fait apparaître clairement la nature globale et complexe de toute tentative de revitalisation d’une communauté ethnolinguistique minoritaire.

Nous avons conçu ce modèle dans le cadre de notre étude consacrée aux principaux défis de la revitalisation des communautés francophones et acadiennes minoritaires du Canada. Nous l’illustrerons à l’aide d’exemples tirés de la situation dans laquelle se trouvent ces communautés.

Un modèle macroscopique

Le modèle reproduit à la figure 1 offre une perspective intergroupe. Il montre l’existence d’un rapport de force entre un endogroupe minoritaire et un exogroupe majoritaire, représenté par l’axe horizontal[2]. Ce rapport de force s’exerce au sein de la société, voire sur l’ensemble de la planète (c’est sûrement le cas pour deux langues internationales comme le français et l’anglais), et se manifeste de diverses façons tout le long d’un axe vertical reliant le pôle « société/planète » au pôle « individu ». Cet axe vertical montre que les relations intergroupes se vivent à différents niveaux, du macrosocial au psychologique en passant par le microsocial.

Figure 1

Modèle intergroupe de revitalisation ethnolanlagière : une perspective macroscopique (Landry,Allard, & Deveau, 2006b)

Modèle intergroupe de revitalisation ethnolanlagière : une perspective macroscopique (Landry,Allard, & Deveau, 2006b)

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Cadre idéologique, juridique et politique

Sur un premier plan macrosocial, on peut concevoir le rapport entre les groupes linguistiques dans un cadre idéologique, juridique et politique (Skutnabb-Kangas, 2000). Pour des raisons historiques, politiques ou géographiques, les États-nations adoptent à l’égard de leurs minorités ethnolinguistiques des politiques linguistiques reflétant un large éventail idéologique. Selon le modèle proposé par Bourhis (2001), ces orientations idéologiques peuvent se situer sur un continuum allant du pluralisme à l’ethnicisme (voir figure 2).

Figure 2

Continuum des orientations idéologiques des politiques linguistiques des États par rapport aux langues minoritaires et majoritaires (adapté de Bourhis, 2001)

Continuum des orientations idéologiques des politiques linguistiques des États par rapport aux langues minoritaires et majoritaires (adapté de Bourhis, 2001)

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L’idéologie pluraliste se définit par une reconnaissance explicite et une forte valorisation des minorités linguistiques. L’État joue ainsi un rôle actif d’appui à leur développement et à leur épanouissement en adoptant des politiques, en mettant en oeuvre des programmes et en y consacrant des fonds publics contribuant ainsi au soutien institutionnel des minorités linguistiques (en éducation, en santé, services publics, cultures et associations).

L’idéologie civique reconnaît les minorités linguistiques dans le discours, mais considère leur développement et leur épanouissement comme relevant du domaine privé, et donc, étant de leur propre ressort financier et organisationnel. La position officielle de l’État sur cette question est une position de neutralité. Seule la langue de la communauté dominante obtient un appui formel de l’État. Seule la langue de la majorité bénéficie de l’appui formel étatique dans l’ensemble des institutions incluant l’administration publique, les services publics, l’éducation, la santé, les industries culturelles et sportives, etc. Cette position de « neutralité » a pour effet de réduire la vitalité des minorités linguistiques à moyen et long terme (Bourhis, 2001).

Sous le prétexte fréquent d’assurer une meilleure cohésion sociale, l’idéologie assimilationniste vise l’assimilation linguistique et culturelle des minorités. Leur assimilation favorisera, estime-t-on, leur intégration dans la société, leur mobilité sociale et l’égalité des chances. En refusant un soutien étatique aux langues minoritaires au nom de l’intégration, certains États favorisent une assimilation graduelle des minorités linguistiques qui s’échelonne au fil des générations. D’autres États interviennent plus vigoureusement afin d’accélérer l’assimilation en interdisant l’enseignement des langues minoritaires dans les écoles et en sanctionnant l’usage de ces langues dans l’ensemble des sphères de la vie publique.

Enfin, l’idéologie ethniciste se caractérise par des formes de rejet d’un groupe minoritaire incluant sa ségrégation territoriale ou sociale qui maximise ainsi la distance séparant la communauté linguistique dominante des minorités linguistiques. Au nom de l’authenticité et de la vitalité de la langue et de la culture dominantes, cette idéologie peut favoriser l’exode en douce ou en force d’une minorité linguistique d’une région, province ou État (Bourhis, 2001). Dans ses formes les plus extrêmes, cette idéologie justifie le génocide culturel et linguistique et peut mener à l’extermination d’une minorité linguistique par le génocide (Skutnabb-Kangas, 2000).

Selon le contexte idéologique prévalant, l’endogroupe minoritaire peut jouir de plus ou moins de droits linguistiques et bénéficier de plus ou moins de complétude institutionnelle. De plus, le pouvoir politique obtenu par la minorité linguistique peut contribuer au développement de sa vitalité démographique et institutionnelle et à son statut social au sein de la société majoritaire.

Au Canada, les minorités linguistiques de langue officielle, c’est-à-dire les anglophones du Québec (Bourhis, 2008) et les francophones à l’extérieur du Québec (Johnson & Doucet, 2006), jouissent d’une reconnaissance de l’État dans la Constitution canadienne. Ainsi, les articles 16 à 20 de la Chartecanadiennedesdroitsetlibertés (1982) affirment l’égalité de l’anglais et du français et obligent les gouvernements provinciaux et territoriaux à reconnaître le droit à l’enseignement dans la langue officielle minoritaire et à la gestion des établissements scolaires par la minorité (article 23 de la Charte). Une révision de la Loisurleslanguesofficielles de 1988, effectuée en 2005, engage le gouvernement fédéral à adopter des « mesures positives » pour favoriser et promouvoir l’épanouissement des minorités de langue officielle (voir en particulier l’article 41), ce qui rend cette loi exécutoire et les actions du gouvernement justiciables (Doucet, 2007).

Il reste que toutes les communautés francophones et acadiennes du pays ne jouissent pas effectivement des mêmes droits. L’égalité du français et de l’anglais au Nouveau-Brunswick est inscrite dans la Chartecanadiennedes droitsetlibertés et cette province est la seule à les reconnaître comme langues officielles. Les principes de la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles du Nouveau-Brunswick ont été constitutionnalisés en 1993. De plus, la Loisurleslanguesofficielles adoptée par cette province en 1969 a été révisée en 2002. Les provinces d’Ontario (1986), de l’Île-du-Prince-Édouard (1999) et de la Nouvelle-Écosse (2004) de même que les Territoires du Nord-Ouest, le Yukon et le Nunavut ont voté des lois portant sur les services à la minorité francophone. Les services aux francophones peuvent donc varier selon les provinces et les territoires et, même, selon les régions (Bourgeois, Denis, Dennie, & Johnson, 2006). Les droits linguistiques reconnus sont généralement mieux respectés dans les régions à plus forte concentration francophone.

Il faut reconnaître que le Canada n’offre pas aux minorités allophones (celles ayant une langue autre que le français ou l’anglais) les mêmes droits et privilèges que ceux qu’il accorde aux minorités de langue officielle. La Loi sur le multiculturalisme canadien (1988) engage néanmoins le gouvernement fédéral « à reconnaître l’existence de collectivités dont les membres partagent la même origine et leur contribution à l’histoire du pays, et à favoriser leur développement » [alinéa 3 (1) d)]. Au dernier recensement (2006), les allophones constituaient 20,1 % de la population canadienne (Statistique Canada, 2007). Quant aux langues autochtones, quoique des efforts de revitalisation de certaines d’entre elles soient maintenant en cours, elles ont bénéficié historiquement d’un très faible statut au Canada et elles ont souvent fait l’objet de politiques visant leur élimination (Rousselle, 2006; Kymlicka, 2002).

En somme, s’agissant des minorités linguistiques, le Canada se situerait entre le pluralisme et le civisme sur le continuum idéologique proposé par Bourhis (2001). À ce premier niveau du modèle, nous intégrons également trois variables sous-jacentes au concept de vitalité ethnolinguistique de Giles, Bourhis et Taylor (1977), à savoir le nombre, le pouvoir et le statut. Force est de constater que ces trois variables ont servi à de nombreuses études de psychologie sociale dans le domaine des relations intergroupes (voir Sachdev & Bourhis, 1985, 1987, 1991). Selon Giles et al. (1977), les communautés linguistiques ayant une forte présence démographique (le nombre), tirant avantage d’un large soutien institutionnel (le pouvoir) et jouissant d’un statut linguistique, social, économique et historique appréciable, demeurent des entités distinctes et actives dans leurs relations intergroupes. Les groupes faibles au regard de ces variables structurales tendraient à s’affaiblir, puis à s’assimiler au groupe dominant.

En résumé, comme le montre la figure 1, l’exogroupe majoritaire sera normalement caractérisé comme manifestant une vitalité ethnolinguistique forte, alors que l’endogroupe minoritaire fera très souvent preuve d’une faible vitalité ethnolinguistique, cette dernière étant toutefois tributaire du contexte idéologique vécu et de son statut sur les variables structurales régissant sa vitalité.

Contexte institutionnel et social

Le modèle propose sur un deuxième plan macrosocial – celui du contexte institutionnel et social – que la vitalité ethnolinguistique des groupes en contact s’exprime dans la dynamique de la « vie communautaire » des groupes. Selon Fishman (1991 et 2001), c’est lorsque la vie communautaire du groupe diminue que la langue cesse d’être transmise de génération en génération. Les personnes âgées sont alors les dernières à parler la langue du groupe, les jeunes étant peu nombreux à l’apprendre et encore moins nombreux à en faire usage au sein de la communauté. Pour bâtir cette vie communautaire, Fishman insiste sur l’importance d’avoir un « noyau foyer-famille-voisinage-communauté » qui constitue la base de la transmission intergénérationnelle de la langue et de la culture auquel on ajoute les institutions culturelles et sociales du groupe. Par ailleurs, déjà en 1964, Breton proposait le concept de « complétude institutionnelle » comme nécessité pour maintenir chez la minorité une vie de groupe (Breton, 2005). En conséquence, sans un minimum d’institutions ou d’espaces sociaux capables de garantir l’usage de la langue et l’expression culturelle, la vie communautaire du groupe minoritaire risque de s’atténuer avant de disparaître (Gilbert, 1999; Stebbins, 2001).

Lorsqu’un groupe minoritaire et un groupe dominant se côtoient, la relation intergroupe est souvent diglossique (Fishman, 1965 et 1967; Landry & Allard, 1989 et 1994a). Dans une relation de diglossie, la langue du groupe minoritaire est considérée comme une « langue de bas statut », acceptable dans des contextes informels d’amitié et de famille et dans des situations intragroupes. En contrepartie, la langue majoritaire est une « langue de haut statut » employée dans les fonctions formelles de la société et dans les contacts intergroupes.

Au Canada, dans les régions où le français est une langue minoritaire, les francophones vivent souvent une situation de diglossie. L’anglais est la langue de statut et est la langue d’usage dans la plupart des contextes formels incluant les services du gouvernement, les commerces et industries, l’affichage commercial et public et dans les milieux sociaux qui regroupent francophones et anglophones. L’école de langue française obtenue grâce à l’article 23 de la Chartecanadiennedesdroitsetlibertés, parfois seulement à la suite de longues luttes judiciaires, est souvent la seule institution qui soit franco-dominante, l’anglais devenant de plus en plus souvent la langue de communication, même dans la famille (Landry, 2003a).

Socialisation langagière et culturelle

La faible vitalité du groupe minoritaire et le caractère diglossique des langues en contact ont pour effet d’influencer fortement tout le vécu langagier de ses membres, c’est-à-dire l’ensemble de leur socialisation langagière et culturelle. À ce niveau-ci du modèle, il s’agit d’un phénomène microsocial que l’on peut mesurer pour chacun des membres de la communauté. Les deux premiers niveaux du modèle (voir figure 1) étaient d’ordre macrosocial puisque les interactions sont de nature sociétale, en ce sens qu’elles concernent les institutions de la société ou la vie communautaire des groupes en contact. Ce sont alors les collectivités qui sont en contact. Selon Ibanez (1994), il faut comprendre que « l’hostilité entre les groupes s’insère dans l’histoire de leurs rapports, qu’elle se forge dans une durée qui n’est pas nécessairement celle de l’individu, et qu’elle a un caractère collectif plutôt qu’individuel […] les inégalités de statut ont une inscription structurelle et macrosociale qu’il n’est pas facile d’altérer sans prendre des mesures qui soient, elles-mêmes, de cet ordre. » (p. 337).

La socialisation langagière et culturelle est un phénomène qui peut à l’occasion se vivre en groupe, mais que chaque individu vivra idiosyncratiquement, c’est-à-dire à sa façon. La faible vitalité et la diglossie langagière du groupe minoritaire ont néanmoins pour effet que le vécu dans la langue de l’endogroupe minoritaire sera souvent confiné à des domaines de « solidarité » (Fishman, 1967), autrement dit aux situations d’intimité, aux contacts intragroupes et aux contacts sociaux informels. Par ailleurs, la langue du groupe majoritaire devient une « langue de statut »; c’est elle qui domine les contacts intergroupes et qui sera principalement employée dans les domaines liés à la mobilité sociale. En d’autres termes, la langue minoritaire aura tendance à devenir une « langue privée » et celle du groupe dominant s’imposera comme « langue publique ». Par exemple, le Québec, pour maintenir la vitalité du français sur son territoire, n’a pas pour politique d’assimiler les groupes allophones et anglophones au français, mais plutôt de faire du français la langue publique (Bouchard & Bourhis, 2002). Par cette approche, on vise à faire du français la « langue de statut » du Québec.

Le modèle met en évidence trois types de vécus ethnolangagiers qui produiront des effets distincts mais complémentaires sur le développement psycholangagier des membres d’un groupe linguistique minoritaire (Landry, Allard, Deveau, & Bourgeois, 2005).

Le vécuenculturant se définit principalement par la fréquence et la diversité des contacts avec chacune des langues. Ce type de socialisation tend à favoriser l’intériorisation des normes sociales du milieu, soit les règles qui régissent la conduite des membres du groupe selon les contextes. Un jeune, observant les normes en vigueur dans son groupe, pourra apprendre la règle voulant que la présence d’un seul membre du groupe dominant dans une rencontre sociale soit suffisante pour forcer l’usage de la langue majoritaire par toutes les personnes présentes. Ainsi, dans son voisinage, au sein de son cercle d’amis comprenant francophones et anglophones, il pourra parler quasi exclusivement l’anglais pendant toute la durée de son enfance et de son adolescence, sans être nécessairement conscient des conséquences identitaires et langagières de son comportement.

La définition du vécu autonomisant s’inspire de la théorie de l’autodétermination de Deci et Ryan (1985, 2000 et 2002). Selon cette théorie, tous les êtres humains s’appliquent à satisfaire trois besoins fondamentaux : l’autonomie, la compétence et l’appartenance. L’être humain ressent le besoin inné d’être la source causale de ses comportements (de Charms, 1968) et tous sont capables d’autopoïèse (Maturana & Varela, 1988), c’est-à-dire d’autorégulation et d’action autonome sur leur milieu. Dès le plus jeune âge, il manifeste aussi le besoin d’être effectif, c’est-à-dire de produire les effets désirés sur son environnement (White, 1959). Enfin, être social, il éprouve aussi le besoin naturel d’être avec d’autres humains et d’entretenir des relations positives et sécurisantes (Baumeister & Leary, 1995). Selon la théorie, la motivation d’agir sera autodéterminée : a) plus la personne vit dans un environnement qui lui permet d’opérer des choix et d’être à l’origine d’actions sur son milieu (autonomie); b) plus l’individu a des occasions de se mesurer à des défis optimaux, de bénéficier de rétroactions positives et valorisantes et de constater les progrès reliés à ses efforts (compétence); c) plus la personne cultive des relations interpersonnelles positives et se sent estimée et comprise (appartenance). Le comportement est dit autodéterminé lorsqu’il trouve sa source dans le « moi » et qu’il est congruent avec des valeurs et des principes personnels. Ryan et Deci (2003) affirment que le développement du sentiment d’appartenance de l’individu favorise l’intégration au groupe et l’acceptation volontaire des valeurs et des normes du groupe.

Ainsi, suivant le modèle, plus les contacts avec des francophones et la langue française auront contribué à la satisfaction des besoins d’autonomie, de compétence et d’appartenance, plus forte sera l’identité francophone et plus autodéterminés seront la motivation et les comportements langagiers (Deveau, Landry, & Allard, 2005; Deveau, 2007).

La définition du vécuconscientisant s’inspire des travaux de Paulo Freire (1983) et du concept de la pédagogie de la conscientisation et de l’engagement (Ferrer & Allard, 2002a et 2002b). Selon Freire, les êtres humains sont capables d’être conscients d’eux-mêmes et de leur existence dans le temps et dans l’espace. Le développement d’une « conscience critique » leur permet non seulement de s’adapter à leur environnement, mais aussi de le transformer. Par le processus de conscientisation, les minorités et les opprimés peuvent acquérir cette conscience critique qui leur permet de comprendre à quel degré leurs situations personnelles et de groupe sont légitimes et stables. Le vécu ethnolangagier conscientisant favorise le développement d’une conscience critique ethnolangagière :

« La conscience critique ethnolangagière est la capacité de déterminer, d’observer et d’analyser de manière critique l’ensemble des facteurs qui influent favorablement ou non sur sa langue et sa culture, sur sa communauté ainsi que sur la langue et la culture d’autres personnes et d’autres collectivités. Cette conscience critique permet d’approfondir la compréhension de ces phénomènes, en voyant d’un tout autre oeil ses valeurs, ses croyances et ses systèmes de croyances. »

Allard, Landry, & Deveau, 2005, p. 97

Le vécu conscientisant peut être multiforme. Il peut s’agir de l’observation de modèles qui valorisent la langue et la culture françaises, qui affirment leur identité ou qui revendiquent leurs droits linguistiques. Il peut s’agir aussi d’expériences personnelles positives ou négatives par rapport à sa langue et sa culture. Il peut s’agir également d’expériences éducatives où, selon un processus de dialogue, d’action et de réflexion, la personne est amenée à faire une analyse critique des facteurs associés au développement ethnolangagier des membres de son groupe et à l’épanouissement du groupe. Ce vécu peut ainsi favoriser un plus grand engagement de la personne envers son propre développement psycholangagier et envers le développement de sa communauté. Selon notre modèle, chacun des trois types de vécus ethnolangagiers produira des effets sur divers aspects du développement psycholangagier des membres du groupe minoritaire.

Développement psycholangagier

Le développement psycholangagier reflète ce que la personne devient comme conséquence de sa socialisation langagière et culturelle. Le modèle privilégie à ce niveau six variables psycholangagières qui sont en interaction. La figure 3 indique les liens proposés entre ces variables et les relations qu’ils entretiennent avec les types de vécus ethnolangagiers.

Figure 3

Modèle du comportement langagier autonomisé et conscientisé (Landry, Allard, Deveau, & Bourgeois, 2005; adapté de Landry, Allard, & Deveau, 2007a)

Modèle du comportement langagier autonomisé et conscientisé (Landry, Allard, Deveau, & Bourgeois, 2005; adapté de Landry, Allard, & Deveau, 2007a)

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La vitalité ethnolinguistique subjective est constituée de la représentation mentale ou des croyances de la personne concernant la vitalité ethnolinguistique de son groupe et celle de l’exogroupe (Bourhis, Giles, & Rosenthal, 1981; Allard & Landry, 1986 et 1994). Ces croyances sont surtout influencées par les vécus langagiers de type enculturant des domaines « publics » – les contacts sociocommunautaires et institutionnels et le paysage linguistique, c’est-à-dire l’affichage public et commercial (Landry & Allard, 1994b et 1996; Landry & Bourhis, 1997). Par sa vitalité ethnolinguistique subjective, le sujet prend conscience du statut social de son endogroupe et de l’exogroupe majoritaire. En d’autres termes, il intériorise dans ses représentations et selon sa propre perspective le rapport de force qui prévaut entre l’endogroupe et l’exogroupe sur les plans macrosociaux susmentionnés.

L’identitéethnolinguistique est la partie la plus affective de la disposition cognitivo-affective envers chacune des langues et chacun des groupes linguistiques (Allard & Landry, 1994; Landry & Rousselle, 2003). Elle comprend deux composantes distinctes : l’autodéfinition (le « ce que je suis ») et l’engagementidentitaire, le degré auquel cette identité est valorisée et le degré d’engagement envers elle (Deveau, Landry, & Allard, 2005). En milieu minoritaire, le sujet peut vivre des tensions identitaires; attaché à son endogroupe pour des raisons de « solidarité », il peut être en même temps fortement attiré par l’exogroupe pour des raisons de « statut ». Ce sont les expériences langagières du domaine « privé », la famille, le réseau social et l’école, qui ont le plus d’influence sur l’identité ethnolinguistique (Landry & Allard, 1996; Landry, Deveau, & Allard, 2006b). Nos études récentes montrent que les qualités autonomisantes et conscientisantes du vécu ethnolangagier s’avèrent très importantes dans le processus de la construction identitaire, particulièrement en ce trait à la composante engagement identitaire (Deveau, Landry, & Allard, 2005; Deveau, 2007).

Le désir d’intégration se traduit dans les dispositions du sujet envers l’intégration à chacune des communautés linguistiques. La vitalité subjective se fonde sur des croyances cognitives de nature « exocentrique » : croyances par rapport à des réalités qui sont externes à la personne, reflétant le « ce qui est ». Par ailleurs, le désir d’intégration prend appui sur des croyances « egocentriques » reflétant des dispositions propres au sujet (le « ce que je veux »). Ces dernières croyances sont donc autant affectives que cognitives et se révèlent d’excellents prédicteurs du comportement langagier (Allard & Landry, 1986, 1992 et 1994). Le désir d’intégration communautaire est principalement influencé par les médias, le réseau social, la scolarisation et les comportements des pairs (Landry & Allard, 1996; Landry, Allard, & Deveau, 2007b). Des recherches récentes montrent que la vitalité subjective et l’identité ethnolinguistique médiatisent l’effet de la socialisation sur le désir d’intégration (Landry, Deveau, & Allard, 2006b; Landry, Allard, & Deveau, 2007b).

La motivationlangagière est définie en fonction du degré et du type de motivation éprouvée à l’égard de l’apprentissage et de l’usage des langues. Dans la perspective de la théorie de l’autodétermination (Deci & Ryan, 1985, 2000 et 2002), la motivation langagière est davantage autodéterminée lorsque les contacts avec la langue minoritaire contribuent à la satisfaction des besoins d’autonomie, de compétence et d’appartenance (voir SentimentsA-C-A à la figure 3), c’est-à-dire lorsque le vécu ethnolangagier est autonomisant. La motivation intrinsèque (apprendre une langue pour le plaisir, l’intérêt ou la stimulation), la motivation extrinsèque avec régulation intégrée (parce que cela correspond aux valeurs et aux croyances personnelles) et la motivation extrinsèque avec régulation identifiée (parce que cela est important pour l’atteinte d’objectifs personnels) représentent trois formes de motivation autodéterminée (Deveau, Landry, & Allard, 2006a). Comme nous pouvons le voir à la figure 3, nous émettons l’hypothèse que le degré d’autodétermination de la motivation se rapporte directement aux sentiments d’autonomie, de compétence et d’appartenance. Une recherche récente confirme cette hypothèse (Deveau, Allard, & Landry, soumis).

Les compétenceslangagières considérées sont de deux ordres. À l’instar de Cummins (1979 et 1981), le modèle distingue deux aspects de la compétence langagière. D’abord, la compétence orale-communicative est favorisée par la fréquence des contacts avec la langue dans une variété de contextes sociaux. Ensuite, la compétence cognitivo-scolaire est davantage favorisée par les expériences de littératie et principalement par la scolarisation dans la langue. Toutefois, en raison de la forte interdépendance entre les langues apprises sur le plan cognitivo-scolaire et des fortes pressions sociales pour l’apprentissage et l’usage de la langue dominante (Cummins, 1981), un degré élevé de bilinguisme peut être favorisé chez les membres d’un groupe minoritaire en optimisant l’enseignement dans la langue minoritaire (Landry & Allard, 1991, 1993, 1997 et 2000). Le modèle formule l’hypothèse que les compétences sont influencées principalement par le vécu enculturant et par les motivations langagières (voir figure 3).

Le modèle conceptuel s’intéresse à deux types de comportements langagiers. La fréquence d’usage de la langue est surtout influencée par la force du vécu enculturant, à savoir la fréquence des contacts avec chacune des langues dans différents domaines de vie (Landry & Allard, 1994a et 1994b). Par ailleurs, le comportement socialement engagé se manifeste dans les actions de l’individu visant la valorisation de sa langue, l’affirmation de son identité sociale et la revendication de ses droits linguistiques. Ce dernier type de comportement langagier est surtout influencé par le vécu ethnolangagier conscientisant (Allard, Landry, & Deveau, 2005). Notre modèle énonce l’hypothèse que le désir d’intégration, la motivation langagière et les compétences linguistiques agissent comme des variables médiatrices entre la socialisation ethnolangagière et les comportements langagiers.

Comme le montre la boucle de rétroaction à la figure 1, le modèle macroscopique propose que le développement psycholangagier résulte de la socialisation langagière et culturelle, mais que celui-ci influence à son tour la socialisation ethnolangagière dans la langue privilégiée selon le contexte. Des habitudes de vie se forgent, renforçant la socialisation dans la langue de son endogroupe ou dans celle de l’exogroupe. C’est pourquoi nos mesures des trois vécus ethnolinguistiques visent les vécus pendant différentes périodes de vie depuis la petite enfance (ex. Landry, Allard, & Deveau, 2007c).

Les termes additif et soustractif au bas de la figure 1 rappellent que plus la socialisation langagière renforce le développement psycholangagier dans la langue minoritaire, plus le bilinguisme sera de type additif. Le bilinguisme est dit additif lorsque l’acquisition de la langue seconde ne se fait pas au détriment de la langue maternelle (Lambert, 1975). Par contre, plus la socialisation langagière aura favorisé le développement de la langue majoritaire, plus le bilinguisme tendra à relever du type soustractif, la langue seconde étant acquise au détriment de la langue maternelle.

Suivant les ovales allongés présentés à la droite et à la gauche de la figure 1, le développement psycholangagier découle de déterminants sociaux largement définis par la vitalité des groupes linguistiques en contact, mais aussi par les choix volontaires des individus et des collectivités. Il y a par conséquent une dialectique, un rapport de force entre le déterminisme social et l’autodétermination des personnes et des groupes. Nos recherches ont déjà fait apparaître la présence d’un déterminisme social très fort, les comportements langagiers (Landry & Allard, 1994a et 1994b) et les dispositions affectives envers la langue et les groupes (Landry, 1995 et 2003b) étant très fortement associés à la quantité des contacts langagiers et à la vitalité ethnolinguistique communautaire. Nos recherches montrent que l’engagement identitaire et les comportements engagés peuvent être fortement influencés par la qualité des contacts langagiers, c’est-à-dire les vécus autonomisant et conscientisant (Deveau, Landry, & Allard, 2005; Allard, Landry, & Deveau, 2005; Deveau, 2007).

Le modèle formule l’hypothèse que le déterminisme social est surtout favorisé lorsqu’il y a absence de conscience collective de groupe (ce que nous appelons la « naïveté sociale »). Par exemple, une majorité de parents francophones pensent que le programme scolaire idéal pour favoriser le bilinguisme français-anglais de leur enfant serait un programme « 50/50 », la moitié de l’enseignement étant offert en français et l’autre moitié, en anglais (Deveau, Clark, & Landry, 2004; Deveau, Landry, & Allard, 2006b; Landry & Allard, 1994b). Comme nous l’avons souligné précédemment, en contexte de faible vitalité francophone, le meilleur degré de compétence bilingue est favorisé lorsque tous les cours sont offerts en français, sauf pour les cours d’anglais (Landry & Allard, 1991, 1993, 1997 et 2000). Les parents attribueraient essentiellement le développement du bilinguisme à la scolarisation, oubliant de considérer les influences non négligeables du contexte social et de la famille. Ainsi, plusieurs parents francophones n’inscrivent pas leurs enfants à l’école de langue française (Martel, 1991 et 2001), préférant les inscrire dans le système anglais qui offre un programme d’immersion en français. Il s’agit souvent d’un compromis entre les deux membres d’un couple exogame, le programme d’immersion constituant dans ce cas une autre version du mythe 50/50 (Landry, Allard, & Deveau, 2007d). Une étude récente de Statistique Canada montre que c’est environ 15% des enfants des ayants droits francophones qui sont inscrits en immersion (Corbeil, Grenier, & Lafrenière, 2007).

Une autre forme de naïveté sociale se manifeste lorsque les membres d’une minorité linguistique ne demandent pas de services communautaires dans leur langue sous le prétexte de leur bilinguisme. Ils ne se rendent pas compte que, si tous les membres de la minorité agissent ainsi, la langue minoritaire devient superflue. Ils n’ont pas conscience des conséquences collectives de leurs actions individuelles. Il arrive aussi que les gens surestiment la vitalité de leur groupe ethnolinguistique, ce qui peut conduire à une sous-estimation des influences soustractives de la langue dominante (Deveau, Landry, & Allard, 2006b; Harwood, Giles, & Bourhis, 1994)

Par ailleurs, le modèle propose que l’autodétermination du comportement langagier est favorisée par deux types de socialisation : les vécus ethnolangagiers autonomisants et les vécus ethnolangagiers conscientisants. L’autodétermination serait façonnée à la fois par le développement d’une conscience sociale « critique » et par une motivation langagière autodéterminée. Les personnes et les collectivités conscientisées peuvent agir sur leur environnement de façon engagée et créative. Lorsque les personnes apprennent à agir sur leur environnement, le déterminisme se transforme, dit Bandura (1978), en « déterminisme réciproque ». Elles prennent conscience des facteurs qui les conditionnent, voire qui les aliènent, et peuvent développer des sentiments d’efficacité devant les possibilités d’agir sur leur environnement pour modifier les conditions de leur existence. Selon Giles, Bourhis et Taylor (1977), concepteurs de la vitalité ethnolinguistique, les membres d’une minorité adoptent dans leurs relations intergroupes des stratégies créatives d’affirmation identitaire lorsqu’ils perçoivent leur situation comme illégitime et instable, c’est-à-dire non seulement injuste et inéquitable, mais aussi susceptible d’être changée et transformée.

Conclusion

Le modèle intergroupe de revitalisation ethnolangagière (figure 1) propose une approche multiniveaux à l’étude du développement psycholangagier des membres d’un groupe linguistique et permet d’envisager des interventions multiples menées de façon simultanée et concertée tout le long du continuum vertical (Landry, Deveau, & Allard, 2006a). Pour sa part, le modèle du comportement langagier autonomisé et conscientisé (figure 3) offre une conceptualisation opérationnelle du système de relations entre la vitalité ethnolinguistique du groupe, la socialisation ethnolangagière vécue par ses membres et les divers aspects de leur développement psycholangagier. Ce modèle peut servir de cadre conceptuel à des recherches empiriques visant à mieux comprendre les relations entre le vécu des personnes, leurs croyances et attitudes, leurs sentiments et identités sociales, leurs compétences et leurs comportements ethnolangagiers.

Récemment nous avons proposé un troisième modèle, lequel permet de faire une synthèse des divers facteurs reliés à la revitalisation d’une communauté ethnolinguistique minoritaire (voir la figure 4; Landry, 2008a; Landry, Allard, & Deveau, 2007a et 2007d). Selon ce modèle, la revitalisation peut se concevoir comme un projet politique d’autonomie culturelle.

L’autonomie culturelle se fonde sur une identité collective et s’exprime par une prise en charge d’institutions sociales et culturelles qui la dotent d’une capacité de gouvernance (ou d’autonomie) dans un contexte de proximité socialisante et de légitimité idéologique.

Figure 4

Composantes de l’autonomie culturelle (adapté de Landry, 2008a)

Composantes de l’autonomie culturelle (adapté de Landry, 2008a)

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La légitimitéidéologique regroupe les concepts de légitimité (Bourdieu, 1982) et d’idéologie (Bourhis, 2001; Skutnabb-Kangas, 2000) et renvoie à la reconnaissance que l’État accorde au groupe minoritaire, à sa langue et à sa culture par des programmes, des politiques et des lois ainsi qu’à la légitimité que lui octroient les citoyens (membres et non-membres de la minorité) sur le « marché des langues » (Bourdieu, 1982). Plus un groupe minoritaire bénéficie d’une telle « reconnaissance », plus est rendue possible la prise en charge de ses institutions sociales et culturelles par ses membres (Taylor, 1992). La complétude institutionnelle correspond justement à la prise en charge par le groupe minoritaire (autogestion) des institutions essentielles à sa vie communautaire et à sa vitalité. L’interaction entre ces deux composantes du modèle contribue à forger la forme de gouvernance dont le groupe se dote. Alors que la légitimité du groupe et sa complétude institutionnelle sont importantes pour la reproduction linguistique et culturelle du groupe, le noyau foyer-famille-voisinage-communauté (Fishman, 1991) constitue le fondement de la transmission intergénérationnelle de sa langue et de sa culture. La proximitésocialisante, représentant ce fondement dans le modèle, constitue l’assise de la construction identitaire et de l’enculturation des membres de l’endogroupe. Les trois types de vécus (enculturant, autonomisant et conscientisant) contribuent à cette socialisation primaire. En interagissant avec la complétude institutionnelle et avec la légitimité idéologique, la proximité socialisante favorise la participation communautaire des membres du groupe et peut influencer les politiques et les services qui les concernent.

En somme, les modèles conceptuels proposés montrent que tout projet de revitalisation ethnolangagière est de nature politique. Tout groupe qui cherche à revitaliser sa langue et sa culture s’engage dans une lutte idéologique pour la légitimité (Fishman, 2001). Le groupe se donne des « frontières d’identité » (Capra, 2002) et construit son organisation sociale en gérant ces frontières (Barth, 1969). Rappelons, néanmoins, que, comme le propose le modèle macroscopique, toute politique linguistique ou intervention qui n’influence pas le vécu ethnolangagier des membres de la minorité risque d’avoir peu d’effet sur la revitalisation ethnolinguistique de cette dernière. Plus les différents ordres de gouvernement et les chefs de file de la communauté pourront s’entendre sur des actions ayant des répercussions sur la vie communautaire et sur la socialisation langagière et culturelle des membres (Landry, 2008b) et plus le plan d’action se prêtera à des actions synergiques des partenaires (Landry, Deveau, & Allard, 2006a), plus les efforts de revitalisation ethnolangagière se révéleront utiles et efficaces. En outre, plus ce plan englobera des actions sur tout le continuum société/individu, plus la revitalisation deviendra un objectif réalisable. Les modèles présentés ici s’inspirent de nombreuses théories et de concepts diversifiés émanant de plusieurs disciplines. Nos recherches empiriques ont toutefois été effectuées surtout auprès des communautés francophones de l’Amérique du Nord. Nous espérons que d’autres recherches se proposeront de vérifier la validité et la pertinence de ces modèles dans d’autres contextes et auprès d’autres groupes ethnolinguistiques. Le but ultime de ces modèles et de ces recherches, comme le dit Rousselle (2006), est de favoriser le développement durable des minorités linguistiques et ethnoculturelles et de contribuer au maintien de la diversité culturelle dans nos sociétés modernes.