À L’HEURE ACTUELLE, la religion et les pratiques religieuses sont souvent abordées en tant que facteurs de clivages sociaux. Dans la section thématique de ce numéro, plusieurs auteurs (Tremblay, Gélinas et Vatz-Laaroussi, Boucher) montrent en quoi la religion ou les institutions religieuses contribuent à l’intégration de la société québécoise. Par ailleurs, nous insistons sur la nécessité de parler de l’intégration de la société, suivant l’usage sociologique du terme, selon Schnapper (2007) et non seulement de celle des immigrants, suivant l’usage politique du terme, selon la même auteure. Dans cet ordre d’idées, il convient de s’attarder brièvement sur la question des religions au Québec aujourd’hui. Plusieurs auteurs, dont les articles apparaissent dans la section thématique de ce numéro (Gélinas et Vatz-Laaroussi, Mossière et Le Gall, Boucher), participent à une recherche en équipe sur la diversité religieuse développée au Québec à la suite de la Révolution tranquille. L’enquête concerne non seulement la ville de Montréal, mais aussi plusieurs régions, notamment l’Estrie et celles des villes de Saint-Jérôme et de Saguenay. Raymond Lemieux a dirigé une étude importante, Les croyances de Québécois (Lemieux et Milot, dir. 1992), qui concernait 600 personnes de la région de Québec. Cette étude a montré qu’en général, les Québécois croyaient en Dieu et plus largement à une conscience commune qui englobe la totalité du monde, une réalité transcendantale qui dépasse le quotidien et le visible. Le plus souvent, les Québécois dits « de souche » décrivent leurs fréquentations et pratiques comme « spirituelles » plutôt que « religieuses ». Outre quelques conversions vers l’Islam, les églises évangéliques, les mormons ou les Témoins de Jéhovah, on remarque bien d’autres mouvements (néochamanisme, spiritualisme, etc.) centrés sur la subjectivité et l’expérience personnelle du sacré, et non sur la conversion (Meintel 2007). En général, nous observons un tabou social en ce qui concerne les croyances et les pratiques religieuses (ou spirituelles) de la part des Québécois natifs majoritaires. Par ailleurs, nous avons des raisons de croire que cette grande discrétion s’étend même à des catholiques pratiquants. La religiosité des natifs majoritaires demeure donc peu visible, tout comme celle d’un grand nombre d’immigrants. De plus, certains croyants musulmans, catholiques ou autres ne fréquentent aucun groupe. La diversité religieuse rencontrée sur le terrain n’est pas à l’image de ce qui est habituellement présenté dans les médias où l’attention est typiquement centrée sur certains « signes ostentatoires » de minorités religieuses immigrantes (par exemple, le voile islamique ou le kirpan sikh). Tout en reconnaissant l’apport des immigrants à la diversité religieuse, il importe de souligner celle qui se retrouve au sein de la majorité sociale. En guise d’illustration, mentionnons la recension de groupes religieux effectuée à Sherbrooke où, des 133 groupes recensés par Lorraine Derocher dans le cadre de notre projet, un seul est de composition immigrante tandis qu’une quarantaine sont des paroisses catholiques; tous les autres représentent des groupes d’installation relativement récente sur le territoire et sont fréquentés principalement par des gens nés au Québec (Eckankar, églises évangéliques, Vipassana, etc.). Ainsi, la réelle diversité religieuse québécoise semble être autant, voire davantage le fait des natifs que des immigrants. Notre recherche nous amène à constater les diverses façons par lesquelles les groupes religieux aident à l’insertion des nouveaux arrivants (à ce sujet, voir l’article de Gélinas et Vatz-Laaroussi dans ce numéro). En plus, nous avons constaté que les groupes religieux constituent des sites de relations interethniques où celles-ci se présentent différemment que dans l’ensemble de la société, notamment pour les congrégations formées principalement par des immigrants, thème qu’aborde Yannick Boucher dans son article. Il importe de souligner que, selon nos observations, les groupes religieux immigrants …
Parties annexes
Bibliographie
- Betbeder, A-L., 2009. Hétérogénéité et force d’intégration dans les temples hindous montréalais, Document de travail du Groupe de recherche diversité urbaine, Montréal.
- Boucher, G., D. Meintel et C. Gélinas, 2013. Diversité religieuse dans les Basses- Laurentides:lecasdeSaint-Jérôme. Capsule de recherche, Centre d’études ethniques des universités montréalaises. http://www.ceetum.umontreal.ca/fr/publications/capsule-recherche/.
- Détolle, A., 2010. Alimenter l’identité : Rapport de terrain d’ethnologie culinaire et religieuse au sein d’une pagode bouddhiste vietnamienne au Québec, Document de travail du Groupe de recherche diversité urbaine, Montréal. http://www.grdu.umontreal.ca/fr/publications-workingpapers.html.
- Ecklund, E.H. et E. Long, 2011. « Scientists and Spirituality », Sociology of Religion, vol. 72, no 3, p. 253-274.
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- Laviolette, S., 2012. La spiritualité comme ressort de développement de leaders en innovation sociale. Communication présentée au Colloque pour les étudiants et jeunes diplômés, le 16 mars 2012.
- Lemieux, R. et M. Milot (dir.), 1992. Les croyances des Québécois. Esquisses pour une approche empirique, collection « Cahiers de recherches en sciences de la religion », vol. 11, Québec, Université Laval, Groupe de recherche en sciences de la religion.
- Maynard, S., 2009. Vivre au Québec selon l’islam : Étude de cas d’une association musulmane montréalaise. Document de travail du Groupe de recherche diversité urbaine, Montréal.
- Meintel, D., 2007. « When There is No Conversion: Spiritualists and Personal Religious Change», Anthropologica, vol. 49, no 1, p. 149-162.
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- Moisa, D., 2011. « “Être un vrai orthodoxe”. L’identité religieuse au carrefour des registres d’authenticité », Diversité urbaine, vol. 11, no 2, p. 45-68.
- Moisia, D., D. Meintel et C. Gélinas, 2013. Diversité religieuse et nouvelles mobilités spirituelles dans la région de Lanaudière. Capsule de recherche, Centre d’études ethniques des universités montréalaises. http://www.ceetum.umontreal.ca/fr/publications/capsule-recherche/.
- Mossière, G., 2006. « Former un citoyen utile au Québec et qui reçoit de ce pays. Le rôle d’une communauté religieuse montréalaise dans la trajectoire migratoire de ses membres », Diversité urbaine, vol. 6, no 1, p. 45-61.
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- Schnapper, D., 2007. Qu’est-ce que l’intégration? Paris, Gallimard.