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AU CANADA, LES IMMIGRANTS SONT NOMBREUX À PROVENIR DE PAYS où les altérations infligées à la démocratie les ont privés des droits fondamentaux en vigueur dans les démocraties modernes. Leur socialisation politique a eu lieu dans un environnement tantôt marqué par la guerre, les conflits ethniques et la famine, tantôt caractérisé par les coups d’État et la corruption. Devenus citoyens canadiens, ils doivent apprendre les us et coutumes électoraux du pays et prendre part au jeu de la participation civique, communautaire et politique.

Loin de se faire en vase clos, l’intégration et la participation politiques des nouveaux citoyens canadiens sont conditionnées par l’environnement politique du pays. Or, à l’instar des citoyens vivant dans les démocraties occidentales, on constate que les Canadiens éprouvent de plus en plus de cynisme à l’égard des politiciens et de la politique en général; pire encore, plus d’un sur deux croit que les gouvernements sont corrompus. Dans un contexte où, tant au Canada et aux États-Unis qu’en Grande-Bretagne, on observe un déclin du taux de participation aux élections, un tel désenchantement inquiète grandement Élections Canada[1]. En effet, l’exercice du droit de vote constitue un indice de la bonne santé démocratique d’un pays, une mesure de la responsabilité citoyenne. Pour Élections Canada, le fait que les personnes nées au Canada participent moins qu’auparavant aux élections est éminemment problématique, d’autant que certains groupes affichent un taux d’abstention plus élevé que celui de l’ensemble des citoyens, notamment les minorités visibles et les jeunes âgés de 18 à 35 ans.

Si un nombre accru de Canadiens estime que leur système démocratique peine à prendre en charge les enjeux portés à l’attention des pouvoirs publics, qu’en est-il des personnes qui n’ont pas connu la démocratie dans leur pays de naissance? C’est à cette question que nous tentons de répondre dans cette étude exploratoire. L’analyse présentée dans ce texte porte sur la participation politique et communautaire de trois groupes de citoyens canadiens nés à l’étranger. Nous abordons deux ensembles de questions : le premier concerne l’implication de ces trois groupes dans les institutions politiques canadiennes et le second renvoie à l’examen de leurs opinions à l’égard du système politique, de ses institutions et de son fonctionnement, ainsi qu’à l’idée qu’ils se font de leur participation politique. Dans cet article, la participation politique est entendue au sens large : elle réfère tant aux institutions politiques et au processus électoral qu’aux transactions ayant lieu à l’extérieur du champ politique, notamment celles qui relèvent des échanges dans les organisations communautaires, les groupes de pression et les syndicats.

Recherches sur la participation politique

Au Canada, plusieurs chercheurs ont comparé les taux de participation politique des personnes nées au pays avec ceux des nouveaux Canadiens (Black 2000, 1991, 1987, 1982; Chui et al. 1991; Jedwab 2006; Lapp 1999; Tossutti et Najem 2002). Des travaux ont également analysé les niveaux de participation politique et civique de divers groupes ethnoculturels (Megyery 1991; Pelletier 1991; Simard 1991). D’autres encore se sont intéressés à la représentation politique des personnes appartenant à des groupes ethnoculturels (Black et Lakhani 1997; Siemiatycki et Saloojee 2002; Simard 2004, 2003, 2002, 2001a, 2001b; Stasiulis et Abu-Laban 1991).

La question de savoir si les personnes nées à l’étranger participent moins à la vie politique et communautaire demeure préoccupante pour les chercheurs. Selon Reitz (1980), la participation politique des nouveaux citoyens canadiens serait négativement corrélée avec l’amplitude de leur identification à un groupe ethnique. Une telle conclusion a néanmoins été remise en question par d’autres travaux portant sur la participation politique des immigrants. Pour Jedwab, notamment, « rien dans l’EDE[2] ne vient étayer l’idée qu’une appartenance ethnique forte se traduit par un taux de participation faible » (2006 : 7) aux élections. En outre, ce même auteur constate qu’il est périlleux d’établir un lien de cause à effet entre la participation électorale, par exemple, et la durée de séjour au Canada.

Selon des chercheurs (Black 2000; Jedwab 2006; Lapp 1999), le pays d’origine des immigrés ne saurait, à lui seul, expliquer les taux de variation observés entre les diverses communautés quant à leur participation électorale. À cet égard, il semble impératif de produire une réflexion critique sur le panorama des comportements politiques en restant vigilant. En effet, selon les recherches menées depuis plusieurs années, les formes de participation politique adoptées par les groupes ethnoculturels présents au Canada et par les personnes nées à l’étranger sont très variées. Il est donc nécessaire de bien observer les pratiques politiques associées aux diverses communautés, d’examiner leur évolution et les formes qu’elles épousent.

À la lumière de ce qui précède, il faut reconnaître que les travaux dans le domaine de la participation politique des immigrés sont loin d’être parvenus à une conclusion unanime. Une telle absence de consensus nous incite à mieux cerner les dynamiques en jeu dans le rapport au politique et à la politique des Canadiens naturalisés. De cette manière, nous serons à même de mettre en relation la participation politique de ces derniers avec celle des Canadiens nés au pays.

On le voit, l’hypothèse selon laquelle les Canadiens naturalisés seraient moins enclins à voter que les natifs laisse supposer que leur taux de participation à la vie politique et communautaire de leur nouveau pays est également moindre. Assez largement répandue au Canada, cette croyance interpelle les politologues qui ont le mieux mis en évidence les nombreux facteurs susceptibles d’expliquer ces différences entre les Canadiens nés à l’étranger et les natifs. Cela étant, la plupart des auteurs soutiennent que les effets de ces différences ont tendance à s’estomper lorsque les variables socioéconomiques sont contrôlées. Les chercheurs, pour la majorité travaillant sur la participation politique et communautaire, ont testé deux types de variables : sociodémographiques et politiques. On sait néanmoins que d’autres variables d’ordre psychologique, comme la confiance dans le système politique et la croyance de l’individu dans sa capacité d’agir sur ce système, sont des facteurs importants de la participation politique. Dans cet article, nous examinons donc l’idée que l’apprentissage politique des nouveaux citoyens canadiens soit en partie déterminé par ces derniers facteurs.

Selon Cohen etal. (2001), l’estime de soi et le sentiment de maîtriser son environnement favorisent la confiance à l’égard du système politique; chez l’individu qui possède ces qualités, on note une augmentation de la croyance en sa capacité d’agir. D’après eux, la notion d’efficacité politique est centrale. Elle renvoie au sentiment d’avoir une certaine emprise sur sa vie, mais également sur son environnement. Un tel sentiment a des effets sur la façon dont on se représente le système politique et les politiciens; règle générale, on les perçoit comme étant sensibles aux préoccupations des citoyens en plus d’être capables de prendre en compte leurs revendications dans l’élaboration des politiques publiques. Quant à Zimmerman (1995), il insiste sur la participation active qu’il voit comme la capacité de l’individu à croire qu’il a le pouvoir de changer les choses et qu’il possède, de surcroît, les compétences requises pour y arriver. Zimmerman utilise le concept « d’empowerment psychologique », formé de deux dimensions : l’une qualifiée d’intrapersonnelle (l’estime de soi, le sentiment de pouvoir et les compétences personnelles) et l’autre, d’interactionnelle (la compréhension du milieu environnant). Pour cet auteur, un des fondements de la participation politique a trait à la socialisation citoyenne et à l’implication dans les réseaux communautaires et politiques.

Cette recherche s’inscrit dans le panorama du modèle d’intégration propre au Canada et au Québec, où les différences ethniques et culturelles sont appelées à composer une mosaïque canadienne et québécoise qui constitue un des fondements de l’identité nationale. C’est sur un tel socle que se sont construites et structurées les relations entre l’État et la société. Toutefois, on reconnaît de plus en plus que, quel que soit le modèle d’intégration adopté, il n’est nullement déterminant. En effet, des particularismes propres à chaque formule agissent de manière à occulter les fondements idéologiques à la base de l’édification de l’État. L’intelligibilité des relations politiques commande dès lors l’examen des pratiques concrètes, tout autant que l’analyse des perceptions les accompagnant. Cela étant dit, le brassage ethnoculturel que connaissent le Canada et le Québec exige une bonne compréhension de la manière dont se développent les nouvelles dynamiques ethniques, particulièrement dans le champ politique. Un tel brassage sert également de révélateur des processus de mobilisation des identités ethniques. L’examen de celui-ci est susceptible de nous mettre sur la piste de nouvelles clés d’interprétation du politique dans les sociétés canadienne et québécoise. Le pluralisme ethnique étant devenu une composante essentielle du vivre-ensemble, ce travail sera aussi l’occasion de faire le point sur les nouvelles représentations du pouvoir.

L’enquête et l’analyse

L’enquête

Rappelons que l’enquête dont les résultats sont présentés ici a été menée en 2003 et en 2004 auprès de 30 Canadiens nés en Haïti (7), au Liban (7) et au Pérou (16), immigrants de première génération et arrivés au Canada à l’âge adulte (à l’exception d’une personne). Le Liban et Haïti figurent parmi les dix pays d’où proviennent le plus grand nombre d’immigrants qui choisissent de s’établir dans la région métropolitaine de Montréal.

L’échantillon regroupe 15 hommes et 15 femmes. Au moment de l’enquête, ils étaient tous citoyens canadiens et vivaient dans la région de Montréal. Ils ont été sélectionnés à partir de multiples contacts auprès de personnes issues de ces trois communautés, dans des endroits aussi différents que des associations communautaires et religieuses. Étant donné sa petite taille, cet échantillon n’est aucunement représentatif. Par ailleurs, d’un point de vue sociologique, il est relativement homogène dans la mesure où la grande majorité des interviewés appartiennent à la classe moyenne, sont détenteurs d’un diplôme universitaire ou détiennent une formation professionnelle et ont fait l’expérience d’une activité militante plus ou moins importante[3]. Tous les entretiens, d’une durée moyenne d’une heure, ont été enregistrés et se sont déroulés en français auprès des Haïtiens et des Libanais et en espagnol auprès des Péruviens. Pour les besoins de l’étude, ils ont été retranscrits intégralement[4].

Quatre hommes et trois femmes composent le groupe des répondants d’origine haïtienne. Au moment des rencontres, ils avaient de 29 à 50 ans. Ils sont installés au Québec depuis au moins neuf ans et trois d’entre eux le sont depuis 18 ans ou plus. Une personne a obtenu sa citoyenneté il y a 20 ans, deux autres depuis au moins dix ans et deux autres encore depuis cinq ans. Un seul interviewé est né au Canada. Quant à la dernière personne d’origine haïtienne, elle a obtenu sa citoyenneté il y a sept mois. Trois de nos répondants sont célibataires. Tous les autres ont des enfants. Contrairement aux répondants d’origine libanaise et péruvienne, tous les enfants des répondants d’origine haïtienne sont nés au Canada. Les parents haïtiens vivent tous à Montréal au moment des rencontres et ont émigré d’Haïti pour venir au Canada sans séjourner dans un autre pays.

Lorsqu’elles sont arrivées au Canada, les personnes d’origine haïtienne n’avaient pas de formation universitaire (à l’exception d’un répondant). Après leur établissement au Québec, la moitié a entrepris et réussi des études d’un tel niveau.

L’échantillon de Québécois d’origine libanaise comprend quatre hommes et trois femmes dont l’âge varie de 30 à 58 ans. Quatre d’entre eux sont citoyens canadiens depuis moins de dix ans et trois le sont depuis plus de 12 ans. Le temps vécu par chacun au Québec varie de 5 à 18 années. Les quatre répondants les plus âgés du groupe ont fui le Liban pendant la guerre tandis que les trois plus jeunes ont immigré après 1990, année de la cessation du conflit armé. En quittant le Liban, tous nos répondants sont venus au Canada directement; ils sont originaires de trois grandes villes : Beyrouth, Tripoli et Barja. À l’exception d’une personne, ils vivent à Montréal.

Tous les répondants d’origine libanaise possèdent une formation universitaire. Certains l’ont acquise au Liban, mais la plupart d’entre eux ont obtenu leur diplôme au Québec. Trois religions sont davantage représentées dans l’échantillon : musulmane sunnite, catholique et chrétienne arménienne.

L’échantillon de répondants d’origine péruvienne se compose de huit hommes et de huit femmes. Ils ont tous, sauf une personne, immigré au Canada à l’âge adulte en provenance du Pérou; deux d’entre eux avaient 18 ans, les autres étaient âgés de 27 à 48 ans. Au moment des entrevues, leur âge varie de 24 à 59 ans. Ils ont tous la citoyenneté canadienne, sept d’entre eux depuis cinq ans et les autres depuis plus de huit ans, le plus ancien l’ayant obtenue il y a 15 ans. Ils ont toujours résidé dans la région de Montréal. Neuf répondants disent avoir appartenu à la classe moyenne au Pérou, cinq à la classe moyenne-inférieure et les deux autres à la classe défavorisée. Douze personnes ont fait des études universitaires, au Pérou ou ailleurs, dont une à Montréal. Quatre autres ont obtenu leur diplôme d’une école spécialisée.

L’analyse

La présente analyse porte sur les données de ces 30 entretiens semi-directifs. Une méthodologie mixte, qualitative et quantitative, est utilisée afin de dégager de ces entretiens approfondis des structures de sens spécifiques et de mettre en évidence des similitudes agrégées (Rihoux 2008). L’intention de recherche consistait à établir empiriquement un lien entre le fait, pour des individus, d’avoir été socialisés dans un pays où la vie démocratique connaissait des altérations graves et leur expérience de la démocratie dans leur nouveau pays d’accueil. Autrement dit, l’intention était de cerner dans quelle mesure leurs expériences politiques dans leur pays de naissance leur ont donné des ressources pour construire du sens au sein de la démocratie canadienne. À cette fin, nous avons mené nos entretiens à partir des questions suivantes : quelles sont, à leur avis, les caractéristiques principales d’un régime démocratique? À cet égard, quelle évaluation font-ils du régime politique qu’ils ont connu dans leur pays d’origine? Quel a été leur degré de participation politique et communautaire dans leur pays de naissance et qu’en est-il au Canada? Quels sont les éléments ayant limité leur participation communautaire et politique dans leur pays d’origine ainsi qu’au Canada et quels sont les facteurs qui la favorisent en contexte canadien? Que pensent-ils de la participation communautaire et politique des citoyens canadiens?

De manière à mettre au jour les contours de l’apprentissage politique qui se construit chez les répondants, des variables psychologiques, telles que la confiance dans le système politique et la capacité à agir sur ce dernier, servent à interpréter les structures de sens relatives à la participation politique.

Le corpus colligé met en lumière davantage de convergences que de divergences. Le discours analysé détaille divers aspects particuliers de la confiance et de la capacité à agir sur le système politique. En lien avec celles-ci, les opinions agrégées mobilisent notamment l’idée de démocratie et celle de l’importance des réseaux sociaux. Dans l’analyse des opinions qui suit, il apparaît donc que les répondants établissent des liens structurants entre les notions de confiance et de capacité d’action sur le système politique et celles de démocratie et d’implication dans les réseaux sociaux. C’est donc à cette grille d’interprétation que répond l’analyse présentée. Aux fins de cet article et à la lumière des définitions usuelles de la démocratie, on retient que cette dernière repose sur ces trois dimensions interdépendantes : la représentativité des dirigeants politiques, la séparation des pouvoirs ainsi que l’indépendance du judiciaire et de l’implication citoyenne (Touraine 1994). Quant aux réseaux sociaux, ils sont au coeur de la vie associative. Ils servent à tisser des liens sociaux dont la nature et la qualité dépendent de l’environnement dans lequel les personnes et les groupes évoluent (Adler et Kwon 2002).

La confiance et le sentiment d’efficacité

L’environnement politique dans lequel ont vécu toutes les personnes de notre enquête diffère radicalement de celui qui existe au Canada. En Haïti, les répondants ont vécu sous les régimes dictatoriaux de Duvalier, père et fils. Au Liban, certains des interviewés ont vécu la guerre civile qui a duré de 1975 à 1990. Bien que la démocratie y ait été réinstaurée en 1992, d’autres répondants estiment qu’au pays des cèdres, on est encore loin de vivre dans une société proprement démocratique. Malheureusement, les événements de l’été 2006 et le chaos politique qui en a résulté leur donnent raison. Finalement, à propos du Pérou, rappelons que le pays a beaucoup souffert dans les années 1990, à la suite de la prise du pouvoir par les militaires désireux de contrer la guérilla du Sentier lumineux, d’inspiration maoïste. Depuis, la mise en place d’un nouveau régime n’a pas donné lieu à une véritable démocratisation du pays.

Les personnes rencontrées dans cette enquête ont été socialisées dans des régimes corrompus et en proie au népotisme; il n’est donc pas étonnant qu’elles se soient tenues à l’écart de la politique dans leur pays d’origine. La question de savoir quels comportements les nouveaux citoyens canadiens adopteront à l’égard du système politique de leur pays d’adoption et quel sera leur niveau de participation communautaire et politique demeure néanmoins pertinente. De même, il est nécessaire de se demander si, une fois au Canada, ils continueront de se méfier de la politique et des politiciens ou, au contraire, s’ils leur témoigneront de la confiance.

La participation électorale de la majorité des répondants est très élevée. Cette donnée permet de mettre en doute la validité de l’opinion selon laquelle les cultures différentes exerceraient des effets négatifs sur l’engagement électoral. Selon White etal. (2006), la motivation à participer aux élections et la croyance en l’efficacité du système politique constituent des facteurs favorisant l’engagement politique et la participation électorale. Par ailleurs, compte tenu des tendances observées, ces chercheurs soutiennent que l’apprentissage politique des nouveaux arrivants qui s’installent au Canada est plus rapide que prévu.

Dans les trois communautés étudiées, les personnes rencontrées manifestent un intérêt marqué pour la politique. Leur comportement donne du poids à la thèse de Miriam Lapp (1999) selon laquelle le degré d’intérêt pour la politique permettrait de prédire les taux de participation électorale et qu’il s’agirait d’un indicateur fiable. Dans une étude déjà parue, Simard (1991) en arrive aux mêmes conclusions. Par ailleurs, si, comme le prétendent White et al. (2006), l’expérience politique acquise au pays d’accueil influence positivement la participation électorale des Canadiens naturalisés, c’est sans doute parce que les nouveaux électeurs estiment que le jeu en vaut la chandelle.

En matière de politique, Cohen et al. (2001) ainsi que Chastenay et al. (2004) prétendent que toutes les expériences politiques, en se cumulant, accroissent la confiance à l’égard du système politique et favorisent la participation électorale. Une bonne connaissance du fonctionnement du système démocratique permet aux nouveaux Canadiens une meilleure compréhension des mécanismes en vigueur. Elle génère également la croyance qu’un tel système est efficace, ce qui renforce la perception que la participation politique et électorale a de nombreux avantages.

C’est un sentiment d’obligation citoyenne qui pousse les interviewés d’origine libanaise et péruvienne à aller voter. Considérant qu’une telle obligation fait partie des principaux facteurs qui incitent les Canadiens d’origine étrangère à exercer leur droit de vote, on en retient la pertinence. Quant aux personnes d’origine haïtienne, outre l’idée d’agir par devoir, leur vote renvoie à d’autres préoccupations, notamment celle d’augmenter la présence des personnes d’origine haïtienne dans les parlements. Elles croient aussi que leur action citoyenne peut servir d’exemple au sein de leur communauté, entre autres auprès des jeunes.

Pour les nouveaux citoyens, la participation électorale peut constituer un moyen privilégié d’intégration à leur nouvelle communauté. Des personnes d’origine libanaise ont insisté sur le fait qu’en exerçant leur droit de vote, ils avaient le sentiment d’être membres à part entière de la société québécoise et canadienne.

La situation particulière des personnes nées au Pérou permet un retour critique sur l’idée qu’il existe un lien entre l’intégration et la participation politique. On se souviendra que le vote est obligatoire au Pérou. Les nouveaux Canadiens d’origine péruvienne participaient donc massivement au processus électoral, étant passibles de sanctions s’ils ne votaient pas. Depuis qu’ils sont au Canada, beaucoup ont continué de voter au Pérou, leur intérêt pour la politique péruvienne ne se démentant nullement. Le fait d’avoir encore de la famille là-bas constitue une source de motivation essentielle pour certains. D’autres disent se sentir encore concernés par l’évolution de la situation politique de leur pays d’origine, même si, avec le temps, les liens familiaux se sont quelque peu distendus. Près de la moitié des répondants disent voter aux élections péruviennes, via leur consulat. Pour les uns, il s’agit là d’une obligation morale; pour les autres, c’est un acte de protestation contre le gouvernement. Enfin, ceux qui sont désireux de tourner la page sur leur vie passée participent pleinement à la vie politique du pays d’accueil et plusieurs d’entre eux disent ne plus voter aux élections péruviennes.

La grande majorité des répondants des trois groupes témoigne une confiance des plus élevées à l’égard des systèmes politiques canadien et québécois, un sentiment qui s’avère cependant moindre envers les politiciens. Leurs propos révèlent de plus une compréhension profonde des différences constatées entre leurs pays d’origine et d’adoption. Parmi les interviewés des trois groupes, nombreux sont ceux qui dénoncent la corruption politique sévissant dans leur pays d’origine, privant les politiciens de toute légitimité. Beaucoup d’entre eux décrivent les moeurs politiques en vigueur dans leur pays de naissance avec beaucoup de cynisme. Les membres de chaque communauté racontent leur petite histoire politique, ainsi résumée : en Haïti, les élections sont truquées et, une fois élus, les politiciens détournent les fonds publics; au Liban, celui qui se mêle trop de politique peut être l’objet de représailles; au Pérou, les politiciens sont peu ou pas imputables.

«AuCanada,lacitoyennetéaunsens». Cette phrase, prononcée par un Canadien d’origine haïtienne, résume bien les perceptions de l’ensemble des participants à l’égard du système politique canadien. De telles perceptions prennent racine dans le fait qu’au Canada, les politiciens ne peuvent ignorer trop longtemps les pressions qui s’exercent sur eux. À cet égard, les interviewés citent de nombreux exemples à l’appui. Ils font parallèlement de nombreux reproches aux dirigeants de leur ancien pays : au Liban, souligne-t-on, ceux qui détiennent le pouvoir ne se sentent nullement tenus de rendre des comptes à la population. Des personnes nées au Pérou ajoutent qu’au Canada, les citoyens disposent de nombreux moyens légaux pour influencer les politiciens, notamment une presse libre, chose impensable dans le cadre péruvien. En somme, en insistant sur les liens qu’entretiennent les politiciens canadiens avec la population, les trois groupes d’interviewés soulignent l’importance de ce facteur qu’ils associent aux régimes démocratiques.

Ceci étant dit, les interviewés ne croient pas que la corruption est totalement absente de la politique canadienne. Toutefois, lorsqu’ils comparent le Canada à leur pays d’origine, ils constatent l’existence de moyens susceptibles de limiter le plus possible les fraudes électorales, les détournements de fonds et le népotisme. Ils mentionnent par exemple les mécanismes de contrôle mis en place par les institutions gouvernementales et administratives et les principes de justice en vigueur dans un véritable État de droit. La très grande transparence caractérisant la gestion publique favorise également, croit-on, le recours aux services publics et augmente la confiance à l’égard du système politique et administratif.

Des répondants d’origine péruvienne insistent sur cette réalité : en ce qui a trait à la compétence dans la gouverne des affaires de l’État, à l’honnêteté des politiciens et à l’importance accordée au bien commun par ces derniers, des différences de taille séparent les gouvernants péruviens et canadiens. Règle générale, ils affichent une grande confiance envers les politiciens du Canada, un sentiment qu’ils sont en revanche loin d’entretenir à l’égard de ceux de leur pays d’origine. En somme, ces répondants lient la qualité de leur action citoyenne à l’environnement politique.

Les personnes d’origine libanaise se plaisent à dire qu’au Canada, le niveau de corruption est sans commune mesure avec ce qu’ils ont connu au Liban. Elles portent un regard très positif sur le système des partis politiques canadiens, dont les programmes électoraux sont largement diffusés au sein de la population. D’une voix unanime, ces interviewés dénoncent le modèle communautariste libanais issu des élections, qu’ils décrivent comme un système basé sur des divisions religieuses et où la succession héréditaire des politiciens est devenue la norme plutôt que l’exception.

Dans l’ensemble, les interviewés se disent déçus par l’inertie de la population canadienne de souche à l’égard de la politique et des politiciens. Des personnes d’origine haïtienne déplorent, pour leur part, le manque de participation politique des membres de leur propre communauté. L’une d’elles estime même que l’amélioration du sort de ses semblables passe obligatoirement par une augmentation de leur participation à la vie politique. D’autant que, comme se plaisent à le rappeler des répondants haïtiens : au Canada, chaque vote compte. Ils insistent sur le fait que le poids du vote d’un électeur ne dépend nullement de son appartenance à une classe sociale.

Les questions posées sur le niveau de confiance des répondants de l’enquête à l’égard du système politique et des politiciens mettent en lien l’importance de l’environnement politique et des règles du jeu prévalant dans l’arène politique avec l’idée de la participation politique et électorale. Leurs témoignages font état de leur capacité nouvelle à devenir des citoyens conscients des enjeux politiques et révèlent leur intérêt tant pour la politique que pour la participation électorale. Pour nombre d’entre eux, l’apprentissage politique qu’ils ont fait au Canada leur a permis de prendre conscience de l’immense avantage que représente le vote pour la vie démocratique. En somme, puisque le contexte canadien favorise la participation politique, notamment parce que le vote de chacun revêt la même importance, ils entendent jouer à fond les règles du jeu démocratique.

L’engagement démocratique

Pour la plupart des répondants, le fondement d’une société démocratique repose sur un régime de droits et libertés. C’est dans ce cadre que les interviewés d’origine haïtienne et libanaise établissent un lien entre la démocratie et le respect des droits humains. Pour plusieurs d’entre eux, le droit d’association et la liberté d’expression priment. En outre, ils estiment que la démocratie va de pair avec la justice sociale : tous ont le droit de se nourrir, de se vêtir, de se loger et de se faire soigner. Quant aux Canadiens d’origine péruvienne, plus de la moitié d’entre eux définissent la démocratie comme le droit de voter et de participer à la gouverne du pays. Par ailleurs, la majorité des interviewés venant d’Haïti rappellent que, dans un régime démocratique, le citoyen a également des obligations, notamment le respect de l’État de droit. Enfin, selon une personne d’origine libanaise, le fait de vivre en paix fait partie des caractéristiques essentielles d’une société démocratique.

En somme, on retient que la définition d’un régime démocratique ne saurait se limiter à l’exercice du droit de vote. Nos répondants estiment que l’émergence et la survie d’un tel système reposent notamment sur la présence d’une importante classe moyenne et le partage des richesses.

Il n’est donc pas étonnant que les personnes interrogées pour notre étude qualifient de non démocratique leur pays d’origine. Au sein des trois communautés, sont mises de l’avant les différences entre la démocratie de surface – le Pérou possède une très belle constitution démocratique, on nous l’a rappelé – et la démocratie réelle, cette dernière devant prendre forme dans des institutions politiques et administratives. Il est frappant de constater que dans les trois pays d’origine des répondants, la pauvreté endémique d’une majorité de citoyens s’accompagne d’un taux d’analphabétisme très élevé. Les répondants se montrent pour cette raison fort sceptiques quant à la possibilité que la démocratie puisse y prévaloir un jour, même dans un avenir lointain. La corruption généralisée, combinée au non-respect quotidien des libertés fondamentales, complique davantage la situation, selon eux. Voilà pourquoi quelques Canadiens d’origine haïtienne doutent fort qu’Haïti soit en mesure d’évoluer vers un cadre plus démocratique. En observant le fonctionnement des partis politiques au Liban, des personnes qui y sont nées constatent que le pays se trouve dans un véritable cul-de-sac; le programme des partis politiques, insistent-elles, doit être indépendant des factions religieuses ou paramilitaires. Malheureusement, avouent nos répondants libanais, les alliances entre les partis religieux continuent pour l’heure de surdéterminer les rapports politiques dans ce pays.

Le contraste entre les principales caractéristiques d’un régime démocratique, telles qu’énoncées par nos répondants, et l’impasse dans laquelle est plongé leur pays d’origine, révèle à quel point les variations fondées sur l’origine ethnique sont peu significatives. Fortes de l’énoncé des principales conditions de la mise en place et du maintien d’un État de droit, les personnes interrogées dans le cadre de l’enquête sont profondément imprégnées de la manière dont se déclinent les éléments partagés des régimes démocratiques.

À la suite des travaux sur le capital social de Putnam (2000, 1993), Nakhaie (2006) a constaté que l’existence de liens communautaires serrés allait de pair avec l’engagement et la participation politiques. De même, la variable du capital social jouerait un rôle plus important que les variables sociodémographiques et économiques. Dans leur recherche sur le taux de participation électorale des Canadiens naturalisés, White etal. (2006) constatent également que les liens sociaux tissés par les Canadiens nés à l’étranger avec leur communauté d’origine vivant au Canada (le capital social qui unit, selon Putnam) favorisent l’implication politique et accroissent l’intérêt pour le processus électoral. À cet égard, les phénomènes de « latinisation » de Miami (Croucher 2002) et de « l’Asian American » en banlieue de Los Angeles (Saito 1998) donnent encore plus de poids à la variable des réseaux sociaux.

Au sein des trois communautés de l’étude, les personnes les plus actives se retrouvent dans divers mouvements associatifs, tantôt monoethniques, tantôt pluriethniques, ce qui fait dire à Germain (2004) que les communautés culturelles figurent au nombre des acteurs importants de la vie associative de quartier montréalais. L’idée que l’engagement communautaire influe de manière importante sur les comportements politiques et électoraux tend donc à être accréditée par les opinions colligées.

Dans leurs témoignages, les répondants établissent un lien entre leur engagement dans des réseaux communautaires et leur participation politique. Il n’est pas étonnant, par ailleurs, que leur niveau de participation à la vie communautaire soit élevé, ce qui contraste avec leur relative absence d’engagement dans leur pays d’origine. Le développement important des milieux associatifs canadien, québécois et montréalais, de même que leur sentiment que la mobilisation citoyenne est l’affaire de tous au Canada, expliquent cet écart. En somme, leur apport communautaire est perçu comme un atout qui donne un sens à leur processus d’intégration. Au total, grâce à la participation sociale et communautaire, les trois groupes de répondants acquièrent des ressources essentielles qui viennent enrichir leur contribution citoyenne. Non seulement développent-ils de nouvelles habiletés politiques, mais ils sont plus aptes à mesurer leurs effets sur les processus politiques.

À ce stade-ci, quelques différences entre les trois groupes de répondants méritent d’être rappelées. D’après les témoignages entendus, les personnes nées en Haïti et au Liban semblent s’engager davantage dans des associations pluriethniques que les Péruviens d’origine, dont la participation communautaire semble se limiter presque exclusivement aux associations péruviennes. D’ailleurs, plusieurs des Canadiens péruviens naturalisés de cette enquête rappellent avoir pris part, dans leur pays d’origine, à un large éventail d’activités : participation à la vie paroissiale ou au mouvement syndical, scoutisme, entraide universitaire, aide sociale et organisation d’événements sportifs. Au Pérou, ils vivaient leur investissement communautaire comme une nécessité, car la mise en place de services destinés aux plus démunis de la société leur apparaissait primordiale, d’autant plus qu’il s’agissait d’une responsabilité négligée par l’État. Devenus citoyens canadiens, ils se sont investis dans des associations d’aide aux immigrants et aux étudiants, dans des clubs sportifs et de loisir et dans des regroupements religieux. Les Canadiens d’origine péruvienne interviewés participent donc à la vie communautaire pour divers motifs, tantôt pour faire la connaissance de compatriotes péruviens, tantôt pour travailler à l’amélioration de la qualité de vie en général.

Pour expliquer leur engagement communautaire, les personnes nées en Haïti mettent de l’avant d’autres motifs, nettement plus diversifiés. Avant toute chose, elles tiennent à rappeler qu’ayant vécu dans un pays où sévissait la dictature, leur militantisme est beaucoup plus développé qu’auparavant. Règle générale, les Canadiens d’origine haïtienne rencontrés s’investissent souvent dans des associations consacrées à des causes qui dépassent le cadre d’Haïti. Toutefois, la plupart d’entre eux continuent d’entretenir des liens avec divers groupes préoccupés par le sort de leur pays de naissance. Ces nouveaux Canadiens disent avoir participé à des manifestations pour la lutte contre la pauvreté, contre la guerre en Irak et pour s’opposer à la violence conjugale. Par ailleurs, des propos colligés, il ressort que les personnes d’origine haïtienne entendent prendre davantage part à la dynamique de changement social que les deux autres groupes de l’étude. Leur niveau de politisation et d’investissement dans les associations de leur groupe d’origine en témoigne.

Quant aux répondants d’origine libanaise, ils misent sur le développement de liens communautaires solides avec les autres groupes de la société d’accueil. Certains disent même éviter, dans la mesure du possible, de s’investir dans des associations libanaises monoethniques. Par ailleurs, contrairement à ceux des deux autres groupes de l’enquête, les répondants d’origine libanaise semblent moins enclins à s’engager socialement, et ce, bien qu’ils soient plus motivés à le faire au Canada qu’au Liban. Enfin, leur participation dans des réseaux sociaux semble moins assidue que celle des deux autres groupes. Compte tenu de la situation chaotique que connaît le Liban depuis plusieurs années, il est possible que les répondants qui y sont nés aient encore du mal à dépasser les clivages politiques de leur pays de naissance, l’actualité quotidienne les leur rappelant constamment.

La participation communautaire demeure une voie privilégiée d’accès à la connaissance sociale et permet de tisser des liens solides avec sa communauté d’origine. Il faut également ajouter qu’elle permet de redéfinir le contenu du processus d’intégration politique et d’en évaluer la pertinence. Les Canadiens naturalisés de l’enquête savent fort bien mettre à profit leurs ressources communautaires et leur rayonnement dépasse souvent le cadre étroit de leur communauté d’origine. Ouverte sur la société d’accueil, leur coopération avec l’extérieur se traduit entre autres par des gains sociaux, politiques et économiques (le capital social qui lie).

Discussion et conclusion

Le fait que les répondants de cette étude témoignent d’une forte participation électorale peut étonner. En réalité, à l’exception d’une personne, tous les répondants disent voter avec assiduité aux élections fédérales et provinciales. Les interviewés faisant tous partie de la première génération d’immigrants (sauf un), ils peuvent être comparés aux immigrants de première génération étudiés dans l’Enquêtesurladiversitéethnique de Statistique Canada (2002). Cette étude conclut entre autres que le taux de vote des immigrés varie en fonction de la durée de vie au Canada. Dans l’échantillon de Statistique Canada, 53 % des immigrés arrivés au pays après 1991 disent prendre part au processus électoral. Ce taux peut atteindre 80 % chez les immigrés accueillis entre 1971 et 1980. Il semble donc, selon cette étude, que plus le temps vécu au Canada est important, plus le taux de participation électorale est élevé.

Il convient maintenant de rappeler que, dans la présente étude, 13 répondants sont arrivés au Canada entre 1980 et 1991 et 16 entre 1991 et 2002. Or, la grande majorité de ces personnes déclarent voter avec beaucoup d’assiduité depuis qu’elles ont leur citoyenneté canadienne. On peut penser que leur comportement électoral permet de comprendre et de décrire une partie de leur trajectoire d’intégration. Rappelons, par ailleurs, que les répondants se sont fort bien intégrés économiquement et que c’est là une variable qui renvoie à l’avantage conféré aux personnes jouissant d’un statut socioéconomique élevé, lorsqu’il s’agit de la participation politique (Verba et al. 1978). Pour les répondants, le vote semble constituer un enjeu citoyen, une manière réelle et symbolique d’exprimer leur appartenance au Canada. Leur engagement citoyen ne se vit nullement comme un devoir, encore moins comme une manière de se conformer aux pressions extérieures. À travers leur cheminement politique, ils ont appris que le maintien de la vie démocratique a un prix : des élections libres et la participation au processus électoral. Ils affirment unanimement la supériorité de l’univers démocratique canadien, lorsqu’ils le comparent à ce qu’ils ont connu dans leur pays de naissance. En somme, pour la plupart des interviewés, la participation politique constitue une ressource dont ils entendent bien tirer profit.

Dans leur étude sur les effets de médiation des variables psychologiques sur la participation politique, Cohen etal. (2001) examinent les conséquences du statut socioéconomique sur les caractéristiques personnelles, telles que l’estime de soi et le sentiment de maîtriser son environnement. D’après le modèle proposé par ces auteurs, ces qualités personnelles, lorsque positives, favorisent une augmentation de la confiance à l’égard du système politique. Toujours selon Cohen etal. (ibid.), un sentiment élevé d’efficacité politique agirait positivement sur la participation politique. Les données exploratoires obtenues dans le cadre de notre recherche révèlent que les personnes qui font montre d’un fort investissement communautaire sont parvenues à acquérir assez rapidement l’expérience requise pour participer à la vie politique, ce qui a ensuite favorisé leur intérêt pour celle-ci.

Seule une recherche réalisée sur une plus grande population de citoyens issus de l’immigration aidera à juger la pertinence de nos résultats quant à la participation électorale : ces derniers sont-ils le reflet d’une tendance générale chez les groupes ethnoculturels de première génération ou s’agit-il là d’une exception? Des éléments de réponse à cette interrogation seront obtenus à l’aide d’un questionnaire déjà élaboré à cette fin et regroupant des questions sur ces cinq thèmes : 1) les données sociodémographiques; 2) les comportements de participation politique; 3) le sentiment d’efficacité politique; 4) la confiance envers les élus et 5) les dimensions de l’identité[5]. Grâce à cet outil, la portée de l’étude peut être considérablement étendue.

Un autre volet des résultats soulève des questions qu’une recherche de plus grande envergure devra traiter. Le niveau de confiance élevé dont font preuve les répondants à l’égard des politiciens et des institutions démocratiques n’est, en effet, nullement partagé par le reste des Canadiens. Parmi ces derniers, un nombre de plus en plus élevé se dit désabusé de la politique, fait montre de cynisme à l’égard des politiciens et souhaite peu se prévaloir de son droit de vote. Une enquête (Beauchemin 2006) très récente n’a-t-elle pas révélé que plus de 58 % des Canadiens pensent que les politiciens sont corrompus? La recherche de Chastenay etal. (2004), entreprise auprès de plus de 2500 étudiants du Québec, du Nouveau-Brunswick et de l’Alberta, âgés de 17 à 20 ans, indique que la confiance envers les élus est plutôt basse, le niveau de réponse général se situant sous le milieu d’une échelle de 10 points. Quant à leurs perceptions relatives au fait qu’ils peuvent influencer leur environnement politique (efficacité politique), elles ne sont guère plus positives. Ajoutons à ce tableau que, dans les sondages où l’on demande de situer hiérarchiquement les personnages politiques parmi d’autres fonctions dans la société d’après la confiance qu’ils inspirent, ceux-ci sont classés au bas de l’échelle, quand ce n’est pas tout simplement au dernier rang.

Enfin, les entretiens indiquent que les répondants de cette enquête se montrent peu inquiets des problèmes de corruption dénoncés par les médias et les groupes de pression. Ils ont tous suivi l’information sur « le scandale des commandites », mais leur confiance à l’égard du système politique n’a pas été ébranlée. Ils jugent peu préoccupant le niveau de corruption dévoilé et sont satisfaits que les coupables aient été punis. Leur confiance semble donc être restée intacte, contrairement à celle des citoyens de souche pour qui ce scandale a confirmé la perversion de notre système politique et jeté le discrédit sur les politiciens.

L’examen des rapports que construisent les citoyens naturalisés à l’égard de la politique, de la démocratie, du vote et des politiciens mérite d’être poussé plus loin. En effet, dans les sociétés d’immigration comme le Canada et le Québec, il s’agit là d’un enjeu qui mérite un plus grand intérêt de la part des chercheurs intéressés par les politiques d’immigration et d’intégration. À cet égard, les considérations examinées dans cet article mettent sur la piste de tout ce qui reste encore à explorer.