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Point de vue des joueurs et des joueuses problématiques concernant le lien entre la commission de délits et leurs habitudes de jeu

Le trouble lié aux jeux de hasard et d’argent (TJHA) consiste en une pratique du jeu inadaptée, persistante et répétée amenant une altération du fonctionnement ou une souffrance cliniquement significative chez l’individu (American Psychiatric Association [APA], 2013). Que les habitudes de jeu soient de l’ordre du trouble tel que défini dans le DSM-5 (APA, 2013) ou qu’il soit à des seuils sous-cliniques, il entraîne des conséquences importantes dans différentes sphères de vie de l’individu (Jeffrey et al., 2019) de même que pour ses proches ou la communauté (Kourgiantakis et al., 2013 ; Langham et al., 2016). Plus précisément, le jeu problématique est reconnu pour les impacts individuels qu’il engendre sur le plan des finances (ex. : perte d’emploi, perte de propriétés), des relations interpersonnelles (ex. : perte de relations significatives) et de l’état de santé psychologique (ex. : troubles anxieux et de l’humeur, troubles de personnalité, abus de substances) (Downs et Woolrych, 2010 ; Riley et al., 2018). Il est également reconnu que le jeu problématique entraîne des coûts sociaux importants (Winkler et al., 2017) dont notamment les coûts financiers liés aux services de réadaptation et de traitement des joueurs et des joueuses ainsi que ceux associés à la commission d’actes criminels que ces personnes peuvent commettre (Adolphe et al., 2019).

En effet, selon Rosenthal et Lesieur (2007), il n’est pas rare de voir des joueurs ou des joueuses commettre des délits dans le but de soutenir leurs activités de jeu ou de se sortir d’une situation financière difficile occasionnée par ces activités. Ces auteurs établissent donc un lien entre la présence d’habitudes de jeu problématiques et la commission de délits. Ainsi, historiquement, l’interprétation du lien jeu problématique/délit a été expliqué de façon assez étroite en mettant l’accent sur les délits d’acquisition soit, selon le ministère de la Sécurité publique (2022), l’ensemble des délits portant atteinte aux droits de propriété. Ils incluent notamment les vols, la fraude, les méfaits, l’introduction par effraction, les vols de véhicules à moteur, la possession de biens volés et le crime d’incendie. Selon Sakurai et Smith (2003), les délits d’acquisition commis par les joueurs et les joueuses serviraient à financer leurs activités de jeu ou les insuffisances financières occasionnées par les habitudes de JHA. Conséquemment, ce sont davantage les délits tels que le détournement de fonds, la fraude, le vol et la contrefaçon qui ont été étudiés en lien avec le jeu (Grinols et Mustard, 2006). Cependant, un nombre croissant d’évidences empiriques suggèrent que les JHA peuvent également être associés à des délits contre la personne, à de la violence et à de la négligence (Dowling et al., 2016 ; Roberts et al., 2016 ; Suomi et al., 2013) soit des délits qui sont davantage de l’ordre des infractions contre la personne.

Une revue de la littérature menée par l’équipe de Adolphe (2019) sur ce sujet conclut que le lien entre le jeu problématique et la commission de délits existe. Ces auteurs précisent toutefois qu’il demeure encore beaucoup d’incompréhension quant à la nature de ce lien, car celui-ci serait beaucoup plus large que la conceptualisation utilisée actuellement.

Lorsqu’il est question de criminalité et de JHA, il apparaît important de tenir compte de la consommation de substances psychoactives puisque celle-ci est souvent présente lorsqu’un délit est commis (Hayhurst et al., 2017). Dans ces cas, comme pour les joueurs et les joueuses, la commission de délits peut être motivée par le besoin de financer la consommation de substances soit des délits d’acquisition (Pierce et al., 2015). Les délits associés aux substances (ex. : trafic de drogues) peuvent aussi prendre place dans le but de financer les habitudes de JHA ou encore pour rembourser des dettes occasionnées par les habitudes de JHA. Ce lien tripartite (délit/consommation/JHA) a entre autres été documenté par Le et Gilding (2016) dans une étude menée auprès de femmes incarcérées. Les résultats de cette étude montrent en effet que la majorité de ces femmes ont participé à des activités de trafic de stupéfiants, volontairement ou non, pour rembourser des dettes de JHA.

Comme les taux de prévalence varient selon les critères utilisés pour définir ce qu’est un crime et selon la population étudiée (population générale, population clinique, population carcérale), il est difficile de déterminer avec justesse la prévalence des délits commis en lien avec les habitudes de JHA. De plus, les études concernant cette concomitance sont habituellement de nature quantitative et rapportent la présence de criminalité chez les joueurs et les joueuses sans estimer le lien entre ces deux comportements. Malgré ceci, les taux de commission de délits retrouvés varient de 32 % chez une population de joueurs et joueuses effectuant une demande d’aide via une ligne d’appel (Folino et Abait, 2009) et chez les joueurs et joueuses incarcérés (Rudd et Thomas, 2016) à 89 % chez les personnes ayant eu un problème de JHA au cours de leur vie (Meyer et Stadler, 1999). Malgré que certains joueurs et joueuses commettent des délits pour soutenir leurs habitudes de jeu, les études majoritairement quantitatives qui rendent compte de cette problématique informent sur l’incidence de ces comportements délictuels, mais peu sur les raisons motivant ces actes. Il est permis de croire que les joueurs et joueuses qui commettent des délits peuvent le faire pour maintenir leur dépendance au jeu, mais également pour d’autres raisons (Arthur et al., 2013). D’ailleurs, à l’issue de leur revue de la littérature Adolphe et ses collaborateurs (2019) proposent d’étudier les joueurs et joueuses ayant commis un délit lié à leurs habitudes de JHA sous l’angle individuel afin de mieux comprendre cette relation et d’établir une meilleure compréhension clinique sur le sujet. De plus, selon Banks et Waugh (2019) il importe de tenir compte tant des actes criminels directement liés aux JHA que de ceux qui y sont indirectement liés afin de mieux comprendre comment se situe la commission d’actes criminels dans le vécu du joueur ou de la joueuse.

Ainsi, afin de pallier ce manque d’information dans la littérature, l’objectif de cette étude de nature qualitative consiste à documenter les liens pouvant exister entre les délits commis au cours de la vie et les habitudes de JHA de joueurs et joueuses ayant bénéficié d’un traitement pour un jeu problématique. Les liens faits par ces personnes entre leurs problèmes de jeu et la commission de délits seront également conceptualisés à la lumière de leurs habitudes de consommation de substances.

Méthode

Participants et participantes

Les personnes ayant pris part à l’étude ont été recrutées parmi l’ensemble des individus ayant fait une demande d’aide pour leurs habitudes de JHA dans un centre public de réadaptation en dépendance (CPRD) du Québec entre avril 2018 et janvier 2020. Les critères de sélection retenus sont les suivants : 1) avoir fait une demande d’aide en JHA dans un CPRD, 2) avoir un score de 11 et plus au questionnaire Détection du besoin d’aide – Jeu de hasard et d’argent (DÉBA-Jeu ; Tremblay et al., 2013) et 3) avoir été reconnu coupable d’au moins un délit ou une infraction à l’âge adulte dans les deux dernières années. La sphère « Situation judiciaire » de l’Indice de gravité d’une toxicomanie (IGT ; Bergeron et al., 1998) a été utilisée pour vérifier ce critère. Aucun critère d’exclusion n’a été retenu afin de permettre une plus grande variété des profils.

Au total, 29 personnes répondaient aux trois critères d’inclusion dans la période visée et 16 ont pu être rejointes par téléphone. Treize d’entre elles ont accepté de participer à l’étude : douze ont complété l’entrevue et une personne ne s’est pas présentée à la rencontre et n’a pu être rejointe par la suite. Il est de plus à noter qu’une des entrevues a été exclue des analyses, car la personne ne reconnaissait pas l’acte criminel indiqué dans son questionnaire d’entrée en CRPD. L’échantillon final consiste donc en 11 personnes, soit 10 hommes et une femme. Le Tableau 1 présente les données sociodémographiques ainsi que les types de délits et de jeux des participant·es. Il est à noter que les noms donnés aux participants et participantes sont des noms fictifs et que tous avaient déjà consommé des substances psychoactives au cours de leur vie. Précisons en outre qu’aucune donnée sociodémographique n’a été recueillie auprès des personnes qui ont refusé de participer à l’étude.

Instruments

Questionnaire sociodémographique. Un questionnaire conçu pour l’étude permet de recueillir des informations sociodémographiques sur les participants et les participantes. Il contient sept questions concernant le genre, la date de naissance, l’âge, l’état civil, le niveau de scolarité, les différentes sources de revenus et l’aisance financière perçue.

Indice de gravité d’une toxicomanie (IGT ; Bergeron et al., 1998). Ce questionnaire d’évaluation est utilisé à l’admission dans les CPRD. Bien qu’il permette d’évaluer les besoins de services dans plusieurs sphères de vie, seule la sphère « Situation judiciaire » a été considérée puisqu’elle dresse un portrait des différentes infractions et délits judiciarisés commis par les personnes requérant des services. Ainsi, les personnes pour lesquelles l’évaluateur avait indiqué la présence d’une infraction ou d’un délit judiciarisé au cours des 24 derniers mois (et au cours de l’âge adulte) étaient contactées.

Tableau 1

Données sociodémographiques, type de jeu joué et délit commis pour chacun des participants

Données sociodémographiques, type de jeu joué et délit commis pour chacun des participants

Note : Tous les participants ont consommé des substances psychoactives (alcool ou drogues) au cours de leur vie.

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Détection du besoin d’aide – Jeu (DÉBA–Jeu-8) (Tremblay et al., 2013). Ce questionnaire comprend deux sections. La première section permet de documenter la fréquence à laquelle la personne a participé à différents JHA au cours des 12 derniers mois en utilisant une échelle de type « Likert » variant de 0 (« Jamais ») à 4 (« 3 fois et plus par semaine »). La seconde section comprend huit items évalués sur une échelle de type Likert variant de 0 (« Jamais ») à 4 (« Presque toujours »). Le score obtenu à chaque item est additionné pour donner un score total qui permet de déterminer la sévérité du problème de jeu. Ce questionnaire permet de vérifier l’intensité du problème de jeu au moment de l’entrevue de recherche. Le questionnaire n’a pas été validé, mais il bénéficie d’une bonne diffusion dans le réseau de la santé et des services sociaux du Québec.

Guide d’entrevue. Celui-ci a été conçu afin de répondre aux objectifs de l’étude. À l’aide d’une première question d’amorce, ce canevas permettait de documenter les perceptions des participants et participantes quant à la manière dont les délits commis au cours de leur vie étaient liés ou non à leurs habitudes de JHA. Il ciblait entre autres : la nature des délits judiciarisés et non judiciarisés commis, les raisons pour lesquelles les délits avaient été commis et la place occupée par la consommation de substances dans le parcours de vie. Bien que la sévérité de la consommation de substances ne fasse pas partie des thèmes abordés lors des entretiens, celle-ci a émergé du discours de certains participants et participantes et a donc été considérée.

Life History Calendar. Cet outil, traditionnellement utilisé pour des recherches quantitatives au long cours, vise à intégrer ensemble différents angles considérés dans une recherche (ex. : sphères familiales, scolaires, emploi, etc.) dans le parcours de vie d’un individu. Il permet de mettre l’accent sur les relations temporelles et le contexte historique reliant les évènements et les éléments à l’étude. Son utilisation en recherche qualitative permet de faciliter la discussion autour de comportements et d’expériences passés qui peuvent être interreliés (Nelson, 2010). Dans cette étude, trois lignes de vie ont été représentées graphiquement et mises à la disposition des personnes pour qu’elles y inscrivent les éléments souhaités. Celles-ci concernent les habitudes de JHA, les délits commis ainsi que les habitudes de consommation de substances psychoactives.

Procédure

La sollicitation des participants et des participantes s’est faite en deux temps. D’abord, les personnes répondant aux critères de sélection ont été contactées par un· assistant·ou une assistante de recherche qui leur expliquait brièvement le projet et leur demandait si la chercheure pouvait les contacter. Au moment de l’appel, les personnes recevaient des explications détaillées sur l’étude puis, si elles le désiraient, la rencontre de recherche était ensuite fixée dans les locaux du CPRD. Les entretiens ont duré entre quarante-cinq minutes et deux heures et ont été enregistrés en format audionumérique afin de pouvoir être retranscrits pour l’analyse.

Les rencontres avec chacune des personnes débutaient par la lecture et la signature du formulaire d’information et de consentement puis le participant ou la participante remplissait individuellement le questionnaire sociodémographique avant d’effectuer l’entrevue. À la fin de la rencontre, une compensation monétaire de 50 $ sous forme de chèque cadeau dans un centre commercial de la région était remise.

Considération éthique

Cette étude a été approuvée par le comité d’éthique en recherche sectorielle en neurosciences et santé mentale du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale-Nationale (Numéro d’approbation #2018-242) et subséquemment par le Comité d’éthique de la recherche avec des êtres humains de l’Université Laval.

Analyses

L’analyse qualitative des entrevues a été faite selon la méthode de thématisation en continu qui permet d’identifier, d’analyser, d’extraire et d’obtenir une liste complète des thèmes présents dans les entrevues. Les six étapes mises de l’avant par Braun et Clarke (2006) pour faire une analyse thématique ont été respectées soit : 1) familiarisation avec les données par l’intermédiaire de la lecture et de la relecture des entrevues ; 2) premier encodage des caractéristiques intéressantes ; 3) attribution de noms de thèmes aux regroupements de codes ; 4) raffinement des thèmes via une relecture des extraits sélectionnés pour chaque thème et mise en relation de ceux-ci avec l’ensemble des données ; 5) raffinement des thèmes pour en réduire le nombre tout en conservant la signification et 6) production du rapport d’analyse.

Une concordance inter-juges a été faite jusqu’à l’obtention d’un consensus pour chacun des codes, permettant ainsi un raffinement du livre de codes au fur et à mesure du processus. Plus précisément, avant d’amorcer la codification la première auteure a établi un arbre de codification des thèmes de départ selon le guide d’entrevue. Par la suite, celle-ci codait individuellement deux entrevues avant d’effectuer une réflexion commune avec une deuxième personne pour en arriver à l’obtention d’un consensus sur la codification effectuée. Ce consensus permettait de modifier l’arbre de codification en ajoutant, retirant ou clarifiant les thèmes. Il est à noter que les entrevues faites avec les participants et les participantes ont permis d’atteindre une saturation empirique telle qu’observée par les deux personnes responsables de la codification.

Résultats

L’analyse qualitative permet de faire ressortir les divers types de délits que les personnes ayant pris part à l’étude relient à leurs habitudes de jeu, et ce, d’une façon directe ou indirecte, par exemple à travers la consommation de substances. Les délits que les participants et les participantes relient au jeu seront présentés par catégorie, soit a) les infractions contre la propriété (ex. : vols, fraude, méfaits, etc.) ; b) les infractions contre la personne (ex. : voies de fait et négligence) ; c) les infractions relatives aux drogues et aux stupéfiants (ex. : trafic de drogues) ; ainsi que d) les infractions relatives à la conduite d’un véhicule (ex. : conduite avec les facultés affaiblies).

Infractions contre la propriété

Il ressort du discours des participants et des participantes que des infractions contre la propriété peuvent être effectuées afin de soutenir les habitudes de JHA. Ce sont principalement des vols qui sont rapportés. Ces vols sont présentés comme des façons d’obtenir l’argent nécessaire pour jouer ou pour se procurer des biens essentiels qui permettront de conserver l’argent obtenu légalement pour jouer.

Mes neveux viennent chez nous, ils perdent leur portefeuille pis ils m’accusent. [...] Ça c’est le premier délit. Je l’ai pas volé, mais je l’ai retrouvé quatre ou cinq mois après. La neige a fondu, il était dehors. Là il y avait de l’argent. [...] Là je l’ai pris, parce qu’ils m’accusaient, pis ils m’écoeuraient. Bien allez chier, je vais le prendre l’argent. [...] Je me sentais coupable pareil, mais je l’ai pris, j’ai commencé à jouer.

Guy, 55 ans

Bin là mon épicerie, c’était devenu que je sortais avec des sacs pleins sans payer. J’avais développé des drôles d’habitudes. Jusqu’à me faire prendre trois fois. Fait que là, j’t’en justice à cause de ça… […] Tout ce que je pouvais sauver pis garder dans mes poches pour aller jouer, je le faisais.

Simone, 58 ans

Il ressort également du discours des participants et des participantes que le vol d’argent ou d’objets à des proches permet de financer les habitudes de JHA. Les objets volés sont alors mis en gage afin d’obtenir du financement pour les habitudes de JHA.

C’était vraiment, euh, je vidais les comptes. Je vidais les comptes, endettement. Tsé tu perds le contrôle. Fait que tu te soucies pas de… Fait que là les comptes impayés, euh des emprunts à la banque, euh vider le compte d’épargne de la petite [sa fille]. Ça… ça a été une des plus grosses gaffes que j’ai regretté.

Benoît, 38 ans

Souvent j’allais pawner [c.-à-d., mettre en gage] des choses, ma guitare, des appareils qui ont de la valeur, que je prenais parfois à mon chum. [...] Le pawnage d’affaires c’est ça, tu vas porter ta guitare, ils te donnent un montant, puis ça te coûte deux fois plus cher pour aller la rechercher.

Simone, 58 ans

Les participants et participantes à l’étude rapportent diverses stratégies délictuelles utilisées pour obtenir de l’argent ou pour conserver de l’argent qui sera ensuite utilisé pour jouer.

Ouais ben j’ai fait ça… J’ai fait des faux chèques ou hum… ou même j’ai déplaqué mon véhicule parce que je savais que j’avais de l’argent dans 3 jours, je le replaquerais… Fait que je me promenais avec le véhicule pas plaqué. Ça, je l’ai fait souvent pour avoir de l’argent pour aller chercher la cagnotte mettons…

Guy, 55 ans

Du point de vue des personnes participantes, avoir commis un délit contre la propriété, par exemple un vol, n’est pas nécessairement en lien avec leurs habitudes de JHA. Les vols peuvent être une façon d’obtenir des fonds pour autre chose, par exemple soutenir la consommation de substances.

On a faite des p’tites affaires, là, pis il y a eu des p’tits vols, pis euh, des p’tits euh, ouin, on, des bris qu’on a faites. Dans les chalets, faque. [...] Pis quand on faisait les vols, pis on, on pouvait vendre des choses qu’on avait, bin on s’achetait du pot.

Gaétan, 60 ans

Une fois ce type de délits effectué une première fois, celui-ci semble devenir une option envisageable par la suite pour obtenir de l’argent qui permettrait de jouer. Le recours au vol par le passé peut faire en sorte d’envisager effectuer ce type d’infractions plus tard dans la vie comme stratégie de financement des habitudes de JHA.

[L’idée de financer le jeu] en faisant un vol ça m’est déjà venu, mais je serais pas capable. J’essayais à un moment donné une connerie, mais j’suis devenu anxieux. Fait que là je bloque. Je bloque puis je suis plus capable.

Gaétan, 60 ans

Infractions contre la personne

Cette catégorie d’infraction regroupe les délits qui portent atteinte à l’intégrité d’une personne ou qui sont susceptibles de le faire. Bien que cette catégorie regroupe un grand nombre d’infractions, la seule à être ressortie du discours des participants et des participantes est la commission de voies de fait. Tous et toutes rapportent toutefois que la commission de ces délits n’était pas reliée à leurs habitudes de JHA.

Il y a un de mes amis qui m’a dit qu’il y a quelqu’un qui me parle mal, pis ainsi de suite. Puis là il a dit je vais aller le voir, mais ils étaient 3-4 de ses amis. Il dit tu viens-tu avec moi. Fait que là moi avec les réflexes que j’avais… j’ai dit oui. Puis là ça adonné que je montais les marches puis que le gars était tout seul. Mais là mon ami allait lui parler, puis là moi j’ai poussé le gars. Puis là j’ai dit : tsé regarde arrête parce que mon ami, tsé, il va te faire quelque chose dans le fond. [...] Il dit : regarde… je sais pas trop… Il avait peur un peu fait que moi je l’ai lâché. Tsé je l’ai juste accoté dans le mur dans le fond.

Mathias, 31 ans

Les participants et les participantes ayant commis des voies de fait au cours de leur vie rapportent que ce délit était davantage relié à leurs habitudes de consommation de substances qu’à leurs habitudes de JHA.

Pis j’ai même pas eu le temps de fermer la porte de la chambre de bain, pis il me poussait. faque… pis je savais, je peux pas frapper avec mes mains, c’est, ça, ça va être trop destructeur. Faque je l’ai pris pis je l’ai accroché, je, je l’ai, je l’ai écrasé au plafond. Pis avec son corps, bin j’ai arraché la toilette pis le lavabo. [...] Là j’ai vu l’impact de la drogue…

Arthur, 42 ans

Pour certaines personnes, comme Mathias (31 ans), la peur des représailles associées avec la commission de ce type de délits semble représenter un facteur de protection faisant en sorte que cela ne devient pas une option envisageable par la suite : « J’irai pas me mettre dans une situation de risque où je vais aller en prison ou quelque chose comme ça. Parce que là ça sera pas mieux pis mes parents ne m’aideront pu. »

Les personnes participantes ont également abordé comment une incarcération peut affecter les proches. Ainsi, pour Benoît, la présence d’habitudes de JHA envahissantes l’a mené à ne pas respecter ses obligations familiales.

Tsé [le jeu] ça a eu des conséquences familiales. Le lendemain matin j’étais supposé aller porter ma fille. Elle avait une sortie […] d’école pis c’était les parents qu’on allait les porter, c’était pas l’autobus. [...] Le lendemain matin j’étais pas là. Personne savait où j’étais… J’étais pogné… pogné en prison.

Benoît, 38 ans

Infractions relatives aux drogues et aux stupéfiants

Des délits liés aux substances, plus particulièrement à la possession ou au trafic de drogues, ont été directement associés au financement des activités de JHA par les participants et les participantes. Vendre de la drogue devient ainsi une source de financement additionnelle permettant de jouer. Pour les personnes participantes, la vente de drogues est un moyen directement lié au financement des activités de JHA ou encore peut le devenir insidieusement au fil du temps.

J’ai continué à vendre de la drogue, continué à vendre du pot pour continuer à jouer… Avant c’était censé être l’inverse là. C’était censé être arrêter de vendre du pot pour devenir un joueur professionnel. Puis finalement, c’est devenu l’inverse. Je continuais à vendre parce que fallait j’paye ma dépendance. Sinon j’aurais sûrement arrêté avant de me faire arrêter.

Milo, 26 ans

Comme le précise Arthur (42 ans), le revenu supplémentaire engendré par la vente de drogues permet donc d’obtenir de la liquidité qui est réinvestie directement dans les habitudes de JHA : « On était 2, on en vendait pour 6 000 piasses par semaine. On passait toute dans le jeu. »

Il est à noter que certaines personnes participantes n’avaient pas nécessairement pu faire le lien entre leurs activités criminelles et leurs habitudes de JHA au moment où celles-ci se produisaient. C’est seulement à la suite du processus d’intervention pour leur dépendance et avec le recul qu’elles ont rapporté voir plus clairement le lien entre les deux, comme l’explique Arthur (42 ans) : « Aveuglément à ce moment-là, oui [la vente de cocaïne était pour financer le jeu]. Vous me l’auriez demandé et j’aurais dit non, que c’était pour tout autre besoin quelconque. Mais concrètement, je me voilais [la face] quasiment volontairement. »

Infractions relatives à la conduite d’un véhicule

Les participants et les participantes ayant été arrêtés pour la conduite avec les facultés affaiblies décrivent ce délit comme étant davantage relié à la consommation de substances qu’aux habitudes de JHA. « L’alcool, affirme Benoît (38 ans), me fait plus peur que le jeu. Parce que l’alcool j’en prends beaucoup. Ça fait que je perds le nord. Je perds le nord là, je sais plus ce que je fais, puis je fais plus de délits ».

La perte du permis de conduire peut résulter de la conduite avec facultés affaiblies et elle est perçue comme un impact important de ce délit. Toutefois, bien que cette conséquence soit directement liée à la consommation de substances psychoactives, elle peut tout de même survenir dans une période trouble de la vie de la personne où les JHA et la consommation vont de pair. « Je me suis fait arrêter au printemps pour ivresse au volant. J’étais pas mal dans ma passe. J’étais en période de jeu et d’alcool assez prononcée. Ouais, c’était une période d’autodestruction. » (Benoît, 38 ans)

Il ressort également du discours des participants et des participantes que le jeu et la consommation de substances sont deux problématiques qui sont souvent présentes de manière concomitante. La présence d’un problème de consommation de substances psychoactives sur une longue période peut avoir un impact direct sur les habitudes de JHA, comme le relate Sylvain (48 ans) : « Bin tsé, la cocaïne, c’était plus le jeu. Bin en tout cas, c’était plus le jeu qui m’amenait à en prendre pour pas dormir ».

La difficulté de consommer sans jouer ou de jouer sans consommer se voit nommée. Pour certaines personnes, la consommation de substances était une partie intégrante de leurs habitudes de JHA. « J’étais pas capable de faire juste le jeu, juste l’alcool. C’était tout le temps toute, toute, toute. » (Benoît, 38 ans).

Par conséquent, il peut devenir difficile de départager ce qui appartient à la consommation de ce qui appartient aux JHA, car les deux problématiques se confondent.

Moi le jeu était relié directement à la cocaïne. J’avais jamais touché la cocaïne jusqu’à la fin de la trentaine. Puis euh, peine d’amour, manque de reconnaissance, etc. Je me suis saboté. Pour moi, c’était de mourir à petit feu.

Arthur, 42 ans

Il ressort toutefois du discours des personnes ayant vécu des problématiques de dépendance aux JHA ainsi qu’à l’alcool que les JHA ont été plus dommageables à plusieurs égards.

Je pense que [le jeu] c’est le pire. C’est la pire affaire, parce que la consommation, t’es « poqué » le lendemain ça parait dans ta face t’as… physiquement t’as… Le jeu, t’as pas les yeux rouges, tu pu pas. Fait que tu sais pas là, mais c’est juste toi avec toi. Il y a toi avec toi qui l’sais pis y’a ton… Puis ton compte de banque il sait là.

Émilien, 44 ans

On en entend moins parler du jeu, mais moi à mon avis c’est plus fort que tout. Parce que j’ai passé à travers la drogue jeune, ensuite la boisson un petit peu plus tard. Je suis une personne facilement dépendante, même dépendante affective probablement. Puis le jeu, c’est ce qui a été me chercher le plus… Ouin ça a été le plus problématique à m’enlever du cerveau.

Simone, 58 ans

Discussion

L’objectif de cette étude était de documenter la nature du lien existant entre les habitudes de JHA et les délits commis au cours de la vie selon le type d’infractions commis, qu’ils aient été judiciarisés ou non. Afin d’atteindre cet objectif, 11 entrevues ont été réalisées avec des personnes ayant effectué une demande d’aide pour leurs habitudes de JHA problématiques et ayant commis au moins un délit judiciarisé à l’âge adulte, que ce délit ait été ou non en lien avec les habitudes de JHA. Le résultat principal de cette étude souligne que le portrait des délits commis en lien avec les habitudes de JHA semble plus large que celui qui est historiquement présenté, à savoir que les délits commis pour soutenir les habitudes de JHA sont strictement de nature financière (Adolphe et al., 2019) et incidemment s’apparenteraient aux infractions contre la propriété. Cette conceptualisation des délits liés aux JHA ressort d’ailleurs dans la manière dont était défini le critère diagnostique portant sur les actes illégaux figurant dans la version précédente du DSM (APA, 2000). Les actes illégaux y étaient en effet détaillés comme étant des infractions contre la propriété (fraude, vols, contrefaçon entre autres).

Il ressort effectivement de cette étude que des infractions financières de toutes sortes peuvent avoir été effectuées pour soutenir les habitudes de JHA. Ces dernières sont par exemple des vols dans des commerces ou aux proches. D’autres moyens n’ayant pas nécessairement été judiciarisés sont également rapportés (dépôt de faux chèque, mise en gage d’objets de valeur n’ayant pas appartenu au joueur, etc.). Ainsi, une gamme d’infractions contre la propriété se retrouve dans le discours des personnes participant à l’étude. Il est donc possible de constater qu’effectivement, plusieurs délits de nature financière en lien avec les habitudes de JHA sont effectués par des joueurs et des joueuses. Cela s’accorde avec la littérature à ce sujet qui met l’accent sur les crimes non violents permettant d’obtenir des fonds pour jouer (Abbott et al., 2005 ; Turner et al., 2009). Cependant, lorsqu’un intérêt est porté aux autres types d’infractions (infractions contre la personne, infractions relatives aux drogues et aux stupéfiants, infractions relatives à la conduite d’un véhicule), il est possible de constater que celles-ci peuvent également avoir été effectuées dans le but de soutenir les habitudes de JHA ou encore peuvent avoir été indirectement liées à ces habitudes.

En ce qui concerne les infractions contre la personne et les incarcérations, les participants et les participantes à l’étude rapportent que celles-ci peuvent avoir un impact sur leurs proches bien que cet impact ne soit pas intentionnel. Cela peut par exemple engendrer des absences à des moments où la présence de la personne était indispensable. Selon Tepperman et al. (2006). Lorsqu’elle implique un enfant, une telle absence non prévue peut affecter la relation parent-enfant et créer un sentiment d’insécurité chez l’enfant (Darbyshire et al., 2001), surtout si les absences surviennent à répétition.

Sur le plan des infractions relatives aux drogues et aux stupéfiants, les participantes et participantes indiquent que le trafic de substances illégales peut être une façon de financer les habitudes de JHA. Le lien entre les délits associés aux drogues et les habitudes de JHA a précédemment été documenté par Le et Gilding (2016) dans une étude qualitative dont les résultats indiquaient que la pratique du jeu pouvait influencer la commission de ce type de délits de deux manières. Selon ces chercheurs, le réseau associé aux JHA pourrait faciliter l’entrée du joueur ou de la joueuse vers le marché des drogues illégales alors que les habitudes de JHA pourraient fournir la motivation nécessaire pour commettre des infractions liées aux drogues et aux stupéfiants (ex. : en raison de dettes de jeu) (Le et Gilding, 2016). Par ailleurs, sans que celle-ci soit associée à la commission de délits, la consommation de substances peut être ou non reliée aux habitudes de JHA comme l’ont indiqué certaines personnes consommant pour être en mesure de jouer plus longtemps. Bien que le lien entre la consommation de substances, les délits qui sont associés aux substances et les habitudes de JHA soit peu étudié, mieux comprendre celui-ci semble être une avenue intéressante afin de pouvoir adapter l’intervention aux besoins spécifiques de ces joueurs et joueuses (Grant et Chamberlain. 2020).

Les résultats de la présente étude appuient la décision de retirer la présence de délits des critères diagnostiques retenus pour le TJHA dans le DSM-5 (APA, 2013) puisque ceux-ci ne semblent pas être une caractéristique inhérente à cette problématique. En effet, comme l’ont mentionné les participants et les participantes à l’étude, l’apparition de délits surviendrait à un moment où tous les modes de financement légaux auraient été utilisés ; les délits seraient alors considérés comme le moyen pour régler les problèmes (Wegrzycka, 2007). Il ressort toutefois de la présente enquête que la commission d’un délit par le passé n’est pas garante d’un nouveau recours aux délits ni de l’usage de délits plus graves en vue de soutenir les habitudes de JHA. Comme le mentionnait, Wegrzycka (2007), il existe des barrières à la commission de délits qui interviendraient dans le processus d’escalade des délits. Ainsi des éléments comme l’anxiété et la peur des représailles seraient des facteurs déterminants pour éloigner le joueur ou la joueuse du cycle menant à la commission de délits (Wegrzycka, 2007).

Forces et limites

Les principales forces de cette étude sont d’avoir rencontré des joueurs et des joueuses ayant commis différents types de délits permettant ainsi d’explorer les délits autres que financiers. Ceci a permis de mieux comprendre comment les différents types de délits peuvent s’insérer dans la vie des joueurs et des joueuses requérant de l’aide et comment ces délits peuvent ou non être associés au TJHA. Une autre force de cette étude est d’avoir utilisé un devis qualitatif afin d’explorer et de mieux comprendre le point de vue des participants et des participantes concernant le lien entre leurs habitudes de JHA et leurs délits. Le projet compte toutefois quelques limites dont le fait que les personnes ayant pris part à l’étude proviennent d’une même région et d’un même CPRD, ce qui réduit la diversité des profils des personnes rencontrées. Il est donc possible de se demander si des joueurs et des joueuses issus de la population générale présenteraient les mêmes caractéristiques. De plus, même si des efforts ont été faits pour recruter des joueuses, une seule a participé aux entretiens de recherche, ce qui limite la portée des résultats pour les joueuses. Finalement, les difficultés à rejoindre les personnes répondant aux critères de participation (13 des 29 personnes n’ont pu être rejointes) peuvent également représenter une limite de l’étude puisque l’expérience de ces personnes n’a pu être prise en compte dans les analyses et qu’elle aurait sans doute pu enrichir les résultats.

Conclusion

Comme l’indiquent les résultats, il importe de continuer à s’intéresser aux divers types de délits commis en lien avec les habitudes de JHA pour mieux comprendre comment ceux-ci s’inscrivent dans le parcours des joueurs et des joueuses. Le lien entre ces deux problématiques n’étant pas toujours direct ni associé au financement des habitudes de JHA, il devient essentiel de considérer la commission de délits de manière plus inclusive et de considérer un spectre plus large de délits. Une meilleure connaissance du portrait global des joueurs et des joueuses qui inclut à la fois JHA, délits et consommation de substances semble une avenue prometteuse pour adapter l’intervention aux besoins de ces personnes.