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Introduction

Douance et double exceptionnalité : caractéristiques et enjeux

À ce jour, la conceptualisation de la douance intellectuelle demeure au centre de débats académiques et scientifiques. Il n’existe pas de consensus sur sa définition ni sur la façon d’évaluer et d’identifier les personnes douées (Brown et al., 2020 ; Cao et al., 2017 ; Carman, 2013). Ainsi, selon la façon de conceptualiser la douance, les personnes douées pourraient représenter de 2,2 à 10 % de la population générale (Bélanger et Gagné, 2006 ; Lang et al., 2019). À titre indicatif, en se basant uniquement sur le quotient intellectuel (QI) et en considérant uniquement les scores de 130 et plus comme c’est plus courant au Québec (Bégin-Auclair, 2021), on estime que cette prévalence se rapprocherait de 2 % de la population générale.

Le concept de la douance a significativement évolué au cours du dernier siècle (Sternberg et Kaufman, 2018). Si en 1904 la douance était uniquement représentée par l’intelligence générale, elle s’est ensuite élargie à diverses aptitudes intellectuelles globales ou spécifiques supérieures à la moyenne. Plus récemment, des éléments non strictement intellectuels, comme la créativité et l’engagement, ont été associés à la douance, notamment par l’entremise du modèle conceptuel des trois anneaux de Renzulli (2002 ; 2016). Actuellement, la douance intellectuelle est davantage reconnue comme un processus développemental soumis à l’influence de facteurs biologiques et environnementaux (Dai et Gauvrit, 2021) et englobant diverses caractéristiques intellectuelles, physiques, sociales ou sensorielles (Clobert et Gauvrit, 2021).

De façon générale, les personnes douées se démarquent par des particularités neurophysiologiques et cognitives distinctes, favorisant entre autres une assimilation rapide et efficace des informations cognitives et sensorielles (Melnick et al., 2013 ; Rinn et Majority, 2018). Des particularités chez le cerveau des personnes douées (Ma et al., 2017 ; Neubauer et Fink, 2009) leur confèrent, de façon typique, des compétences attentionnelles et analytiques supérieures, ainsi qu’une capacité de mémorisation et de généralisation des connaissances particulièrement importante (Goriounova et Mansvelder, 2019 ; Schultz et Cole, 2016). Ces grandes capacités métacognitives, jumelées à des niveaux de créativité et d’engagement pouvant être hors du commun (Renzulli et Reis, 2018), leur concèdent souvent une plus grande facilité dans certains domaines d’intérêt. Sur le plan socioémotionnel, certains traits distinctifs de la douance peuvent inclure un perfectionnisme sain, un sens de l’humour développé, une intensité émotionnelle, une forte éthique morale et des préoccupations profondes sur le sens de la vie (Daniels et Piechowski, 2009 ; Webb, 2016). Il importe toutefois de relever que de grandes différences intra-individuelles et inter-individuelles sont observées chez les personnes douées, constituant ainsi une population hétérogène (Pereira Da Costa, 2019 ; Rinn et Bishop, 2015).

Ainsi, non seulement la douance est possible chez certaines personnes uniquement, mais différents facteurs (ex. : développementaux, psychologiques, environnementaux) peuvent nuire à l’émergence de leur talent (Rinn, 2020 ; Simonton, 2018 ; 2021). Qui plus est, la socialisation et les comportements adaptatifs des personnes douées peuvent être marqués, dès l’enfance, par le phénomène d’assynchronie : un décalage entre différentes sphères développementales (ex. : aptitudes cognitives disproportionnées par rapport aux aptitudes affectives), ou encore entre leurs besoins et les ressources de leurs milieux (ex. : école peu stimulante) (Rinn et Majority, 2018).

Par le biais de leur théorie « hyper brain/hyper body », Karpinski et al. (2018) ont mis en lumière des relations entre une capacité cognitive accrue (hyper cerveau) et des réponses psychologiques et physiologiques accrues (hyper corps) (Karpinski et al., 2018). Les personnes douées peuvent effectivement présenter des hypersensibilités sensorielles (captation intense des stimuli) ainsi que des hyperexcitabilités (réponse intense aux stimuli) pouvant surtout s’observer sur les plans intellectuel et psychomoteur (Alias et al., 2013 ; Winkler et Voight, 2016 ; Wirthwein et Rost, 2011 ; Wood et al., 2024). Cette hyperréactivité du système nerveux central pourrait être associée à plus de problèmes de santé mentale chez les personnes douées, comme les troubles de l’humeur et les troubles anxieux (Wraw et al., 2016 ; Fries et al., 2022), de même que certaines pathologies impliquées dans l’inflammation et la dysrégulation du système immunitaire, telles que les allergies, l’asthme et les maladies auto-immunes (Karpinski et al., 2018). Une récente revue systématique appelle toutefois à la prudence : si des études mettent en lumière une association positive entre la douance intellectuelle et certains enjeux de santé mentale, d’autres proposent que la douance puisse jouer un rôle protecteur à leur égard (Tasca et al., 2024). Des biais d’échantillonnage liés à l’âge des personnes participantes et aux façons de conceptualiser et de mesurer la douance expliqueraient ces constats mitigés.

Certaines personnes douées peuvent être qualifiées de « doublement exceptionnelles » (2e) lorsque leur douance s’accompagne d’une condition pouvant les placer en situation de handicap, notamment dans des contextes neuronormatifs (Baldwin et al., 2015 ; Foley-Nicpon, et al., 2010 ; Foley-Nicpon et al., 2013). Les conditions les plus souvent étudiées dans un contexte de 2e sont l’autisme, les troubles spécifiques d’apprentissage (ex. : dyslexie) et les profils attentionnels divergents (communément appelé trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) par plusieurs communautés de pratique) (Foley-Nicpon et al., 2010). Les personnes 2e présentent typiquement des aptitudes cognitives hétérogènes, pouvant par exemple se traduire par des fonctions exécutives faibles (ex. : mémoire de travail) en comparaison à d’autres capacités cognitives particulièrement élevées (Atmaca et Baloglu, 2022). De ce fait, s’il est possible qu’une douance domine le fonctionnement d’une personne et qu’elle éclipse les manifestations d’une autre condition, cette dernière peut aussi camoufler les manifestations d’une douance (Atmaca et Baloglu, 2022). Dans certains cas, autant la douance que la condition combinée peuvent se neutraliser, entraînant une non-reconnaissance ou une non-prise en charge de l’une ou de l’autre (Atmaca et Baloglu, 2022).

Douance intellectuelle et consommation de substances psychoactives 

À notre connaissance, aucune revue de la littérature n’a été publiée relativement à la consommation de substances psychoactives (SPA) des personnes douées intellectuellement, peu importe où celle-ci se situe sur un continuum s’étendant de la non-consommation à une consommation dite problématique (Nathan et al., 2016 ; Tremblay et Blanchette-Martin, 2016), en passant par la consommation bénéfique sans conséquences négatives (Rappo et Stock, 2020). Les consommations à risque et problématique de SPA exposent pour leur part l’ensemble de la population canadienne à divers risques et conséquences au regard de leur santé (ex. : accidents de travail, troubles de santé physique et mentale, hospitalisations, décès) et entraînent d’importants coûts socio-économiques (Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances, 2020). De fait, 4,4 % de la population canadienne de plus de 15 ans rapporte un trouble d’usage de substances (TUS) au cours de la dernière année, dont environ 180 000 (2,7 %) Québécois et Québécoises présentant un trouble d’usage d’alcool (TUA) (Santé Canada, 2013). C’est aussi près de 900 000 (12,3 %) Québécois et Québécoises qui présentent une consommation à risque d’alcool (Santé Canada, 2017). Bien qu’il soit impossible d’estimer l’ampleur précise de la consommation à risque de SPA et des TUS chez les personnes douées, bon nombre d’entre elles, à l’instar de la population générale, vivent nécessairement avec les risques et les conséquences qui y sont liés. Si des aptitudes cognitives faibles peuvent constituer un facteur de risque pour le développement d’un TUS (Castellanos-Ryan et Conrod, 2020), les liens possibles entre la douance intellectuelle et la consommation de SPA, quel que soit son type ou son ampleur (ex. : récréative, à risque), semblent méconnus.

Questions, but et retombées attendues

Les questions de recherche qui sous-tendent cette revue de la portée sont les suivantes : (1) Quel est l’état des connaissances entourant les liens entre la douance intellectuelle et la consommation de SPA (peu importe où elle se situe sur le continuum de consommation) ? (2) Dans quelle mesure la double exceptionnalité (2e) est-elle prise en compte dans ces études ? Cette revue de la portée offrira aussi une meilleure vue d’ensemble des définitions mobilisées dans la littérature pour faire référence à la douance intellectuelle, à la 2e et à la consommation de SPA, en plus d’identifier les outils employés pour mesurer ces concepts.

En explorant comment la douance intellectuelle et la 2e peuvent être associées à la consommation de SPA, il pourrait être possible de dégager des pistes d’intervention plus adaptées aux besoins spécifiques des personnes douées et 2e, dont le manque est décrié par plusieurs personnes psychologues du Québec (Brault-Labbé et al., 2023). Ces apprentissages pourraient enrichir l’offre de formation continue de plusieurs personnes du secteur de l’intervention, dont celles de la relation d’aide et des dépendances (Brault-Labbé et al., 2023). En raison de préjugés ou de manque de connaissances, plusieurs semblent peu préparées à accompagner les personnes douées et 2e (Bishop et Rinn, 2020). Sur le plan politique, les résultats pourraient contribuer à l’amélioration des initiatives en promotion de la santé entourant la consommation de SPA en tant qu’enjeu de santé publique important au Québec (Bertrand et al., 2021).

Méthodes

Une revue de la portée permet d’examiner l’étendue et la nature des recherches concernant la douance intellectuelle et la consommation de SPA, en plus d’identifier les lacunes dans les connaissances (Munn et al., 2018). Le choix de la méthode de la revue de portée repose sur la nature exploratoire de la question de recherche ainsi que sur la rareté et l’hétérogénéité des travaux ayant été menés dans ce domaine (Arksey et O’Malley, 2007). La revue systématique a été écartée puisque cette méthode est moins indiquée pour ce type de démarche exploratoire (Bertrand et al., 2020). Le cadre méthodologique de la revue de portée de Arksey et O’Malley (2007) a guidé le travail réalisé, selon les cinq étapes proposées : 1) identifier les études pertinentes ; 2) sélectionner les études ; 3) organiser les données ; 4) résumer les études et 5) faire état des résultats. Cette revue de la portée suit également les lignes directrices du Preferred Reporting Items for Systematic Reviews and Meta-Analyses (PRISMA) 2020 (Page et al., 2021) et du Cochrane Handbook for Systematic Reviews of Interventions (Higgins et Cochrane Collaboration, 2020).

Cadre conceptuel

Étant donné l’hétérogénéité des façons de définir la douance intellectuelle dans la littérature, dans le cadre de cette revue de la portée, les études devaient minimalement avoir mesuré des aptitudes constituant l’intelligence, qu’elle soit verbale, numérique, de raisonnement perceptif ou de mémoire de travail (Lang et al., 2019).

Concernant la 2e, nous nous sommes attardées aux conditions les plus souvent documentées, soit l’autisme, les troubles spécifiques d’apprentissage (ex. : dyslexie) et les profils attentionnels divergents. Comme les études évoquent le TDAH plutôt que de parler de profils attentionnels divergents, ce terme sera privilégié dans les résultats. Dans la mesure où elles sont souvent impliquées dans les conditions susmentionnées, les fonctions exécutives (FE) ont été considérées. Il est à noter qu’il n’était pas toujours possible de déterminer si les conditions rapportées dans les études créaient ou non une situation de handicap chez les personnes participantes.

Par sa nature exploratoire, cette revue de la portée s’intéresse à la consommation des personnes douées, selon un continuum s’étendant de la non-consommation à une consommation qualifiée de problématique, cette dernière englobant parfois le TUS et la dépendance (Nathan et al., 2016 ; Tremblay et Blanchette-Martin, 2016). La consommation concernera l’ensemble des SPA : toute substance modifiant le fonctionnement mental d’une personne (sensations, perceptions, affects, motricité) et altérant son rapport à la réalité (Ben Amar, 2015). Afin de faciliter la lecture des résultats, nous avons divisé les SPA en trois catégories : l’alcool, le tabac et les autres SPA.

Critères de sélection

Pour être incluses, les études devaient : (1) rapporter la mesure d’au moins une aptitude cognitive au moyen de tests standardisés ; (2) être rédigées en anglais ou en français ; (3) représenter une recherche originale évaluée par des pairs et (4) avoir été publiées entre 2007 et 2022. Elles pouvaient être constituées de (5) tout type de devis de recherche. Les études ont été exclues si : (1) il y avait absence de lien étudié entre le potentiel intellectuel et la consommation de substances ; (2) le potentiel intellectuel était étudié uniquement comme variable dépendante ; (3) aucune méthode n’était présentée ; (4) le jeu était uniquement traité. Aucune restriction relative à l’âge des personnes participantes n’a été appliquée.

Stratégie de recherche

La stratégie de recherche a été élaborée par les deux premières auteures de cet article pour ensuite être révisée par une bibliothécaire de recherche. Puis, en avril 2022, des recherches ont été effectuées dans huit bases de données électroniques : ProQuest Central, SCOPUS, EBSCO, Cochrane Library, CAIRN, Érudit et BASE sur une période de 15 années : (littérature grise). L’objectif était de couvrir la majeure partie des travaux dans les domaines de la médecine, de la psychologie, des neurosciences et de la toxicomanie. Des termes de recherche liés aux concepts de douance ou de potentiel intellectuel (mesurée par le QI), de double exceptionnalité ainsi que de consommation et de dépendance aux substances psychoactives ont été utilisés (voir l’annexe 1 pour les mots-clés spécifiques à chaque base de données).

Sélection des articles

Après l’importation des articles dans un logiciel bibliographique (Zotero), les doublons et les articles rétractés ont été supprimés. Les trois premières auteures ont examiné les premiers titres et résumés afin d’en vérifier l’admissibilité. La seconde auteure a récupéré le texte intégral des articles éligibles et les a examinés pour déterminer leur inclusion. Les bibliographies des articles ont ensuite été vérifiées manuellement à la recherche de documents supplémentaires selon les critères de sélection. Les deux premières auteures ont élaboré une fiche synthèse afin d’extraire les données pour chaque article sélectionné. Les données de chaque fiche synthèse ont ensuite été regroupées dans une grille synthèse par la seconde auteure. Pour répondre à la deuxième question de recherche, nous avons examiné si les études sélectionnées abordaient des conditions liées à la 2e, incluant les FE, lesquelles sont impliquées dans le TDAH (Antshel et al., 2014) et les difficultés d’apprentissage (Booth et al., 2010).

Résultats

Un total de 4572 résumés a été examiné, puis 89 articles ont été inclus pour lecture du texte intégral. À la suite de cet examen, 64 ont été exclus et 25 ont été retenus (voir la Figure 1 pour le diagramme PRISMA).

Figure 1

Diagramme de flux PRISMA

Diagramme de flux PRISMA

Traduction libre de Page et al. (2021)

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Caractéristiques des études

Le Tableau 1 présente les principales caractéristiques de chaque étude retenue. Les 25 articles sélectionnés ont été publiés entre 2007 et 2021. Une plus grande proportion d’études a été réalisée aux États-Unis (n = 9) et en Europe du Nord (n = 9), tandis que les autres ont été menées au Royaume-Uni (= 6), en Suisse (n = 1), au Canada (= 1), à l’Île Maurice (n = 1) et en Israël (n = 1). Trois de ces études ont été menées dans plusieurs pays (Buchy et al., 2015 ; Clouston et al., 2015 ; Kanazawa et Hellberg, 2010). Toutes les études ont utilisé un devis de recherche quantitatif. Parmi elles, 16 comportent des données longitudinales, 5 des données transversales provenant de deux groupes ou plus, et 4 des données transversales provenant d’un seul groupe. Un peu moins de la moitié des études comprennent une méthode d’échantillonnage probabiliste (n = 12). Aucune étude ne comporte un devis qualitatif ou mixte.

La taille des échantillons des études sélectionnées varie de 44 à 1 049 663 personnes et leur âge moyen varie entre 5 ans (au premier temps de l’étude) et 57,3 ans. Les différentes méthodes d’échantillonnage et de collecte des données peuvent expliquer ces écarts. Toutes les études identifient les personnes participantes selon un genre binaire et le pourcentage d’hommes dans les échantillons varie de 45,5 à 100 %. En raison de collectes de données liées aux conscriptions militaires, huit études ont des échantillons composés uniquement d’hommes. Une autre étude est composée d’un échantillon provenant d’une institution psychiatrique réservée aux hommes (Bihlar Muld et al., 2013).

Tableau 1

Caractéristiques des études sélectionnées

Caractéristiques des études sélectionnées

Tableau 1 (suite)

Caractéristiques des études sélectionnées

Tableau 1 (suite)

Caractéristiques des études sélectionnées

Tableau 1 (suite)

Caractéristiques des études sélectionnées

* Deux études menées séparément dans un seul article (deux sections Méthodes) – étude comparative

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Caractéristiques et mesures des concepts

Le Tableau 2 affiche les caractéristiques et les méthodes de mesure des variables liées aux concepts inclus dans cette étude de portée : (1) le haut potentiel intellectuel (HPI) / douance intellectuelle ; (2) la double exceptionnalité (2e) ; (3) la consommation de SPA, incluant les TUS.

Tableau 2

Caractéristiques des concepts à l’étude

Caractéristiques des concepts à l’étude

Tableau 2 (suite)

Caractéristiques des concepts à l’étude

Tableau 2 (suite)

Caractéristiques des concepts à l’étude

Tableau 2 (suite)

Caractéristiques des concepts à l’étude

Tableau 2 (suite)

Caractéristiques des concepts à l’étude

Tableau 2 (suite)

Caractéristiques des concepts à l’étude

* Deux études menées séparément dans un seul article (deux sections Méthodes) – étude comparative

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Tout d’abord, aucune étude recensée n’a examiné d’autres composantes de la douance que les aptitudes cognitives (Renzulli, 2016). Pour définir le potentiel intellectuel, les études utilisent des termes tels que « intelligence » (n = 15), « general cognitive ability » (aptitudes cognitives générales) (= 5) et « IQ » (QI) (n = 5). Toutes les études utilisent un score distribué selon une courbe gaussienne pour l’opérationnaliser, soit le QI ou un équivalent (Gottfredson, 2009), obtenu par l’évaluation psychométrique d’au moins une aptitude cognitive. Seules trois études ont établi des seuils pour identifier le HPI chez les personnes participantes, soit : (1) un score de QI de 120 ou plus (Antshel et al., 2009) ; (2) un score de QI supérieur à 115 (Keyes et al., 2017) ; (3) une stanine de 7 ou plus, ce qui équivaut à un score de QI de 111 et plus (Degerud et al., 2017). Les outils utilisés pour mesurer les aptitudes cognitives sont nombreux : six études en ont employé deux ou plus (Clouston et al., 2015 ; Isen et al., 2021 ; Kanazawa et Hellberg, 2010 ; Pluck et al., 2012 ; Weiser et al., 2010 ; White et Batty, 2012), et 23 tests différents ont été utilisés dans le cadre des 25 études sélectionnées. Les échelles d’intelligence de Wechsler sont les outils de mesure les plus fréquemment utilisés (n = 12 études), comme c’est le cas dans la recherche et la pratique en général (Niileksela et Reynolds, 2019 ; Pereira Da Costa, 2019), notamment dans les contextes occidentaux.

En ce qui concerne la 2e, six études ont examiné des conditions s’y apparentant, incluant les FE. Cependant, seules trois de ces études ont examiné le lien entre les aptitudes cognitives et ces conditions. Alors qu’une étude (Antshel et al., 2009) a examiné la combinaison du HPI et du TDAH, une autre (Bihlar Muld et al., 2013) a examiné le lien entre le QI et les FE (vitesse de traitement et mémoire de travail) chez des personnes ayant un TDAH. Dans l’étude de Latvala et al. (2009), seul le lien entre les aptitudes cognitives générales et les problèmes d’attention à l’enfance a été examiné.

Au sujet des SPA, un total de 21 études se sont intéressées à l’alcool, huit au tabac et neuf aux autres drogues. Sur l’ensemble, 11 études ont inclus plus d’une de ces catégories de SPA. Le même nombre se sont concentrées sur les symptômes des TUS selon les critères diagnostics du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM) (= 8) ou de la Classification Internationale des Maladies (CIM) (= 3), tandis que 14 études ont inclus des mesures de consommation récréative et à risque. Pour mesurer la consommation de SPA, les méthodes utilisées sont des entretiens structurés ou semi-structurés (n = 12 études), des questionnaires auto rapportés (= 11, dont deux ayant été validés empiriquement) et des données de registres nationaux (n = 5). Trois études ont utilisé plus d’une de ces méthodes (Gale et al., 2010 ; Keyes et al., 2017 ; Sjölund, Hemmingsson, Gustafsson et al., 2015). Parmi les 11 outils spécifiés dans les études, les plus utilisés sont le Structured Clinical Interview for DSM Disorders (SCID) (n = 3), le Alcohol Use Disorders Identification Test (AUDIT) (n = 2) et le Composite International Diagnostic Interview (CIDI) (n = 2).

Liens entre le HPI et la consommation de SPA

Parmi les 25 études compilées, les résultats sont partagés au sujet du lien entre le HPI et la consommation de SPA. Alors que 10 études indiquent que le fait de présenter des aptitudes cognitives élevées jouerait un rôle protecteur vis-à-vis la consommation de SPA (Christoffersen et al., 2021 ; Dick et al., 2007 ; Gale et al., 2010 ; Isen et al., 2021 ; Keyes et al., 2017 ; Latvala et al., 2009 ; Sjölund et al., 2012 ; Sjölund, Hemmingsson et Allebeck, 2015 ; Sjölund, Hemmingsson, Gustafsson et al., 2015 ; Weiser et al., 2010), 5 études rapportent que le HPI agirait comme un facteur de risque à l’égard de cette consommation (Clouston et al., 2015 ; Davies et al., 2019 ; Degerud et al., 2017 ; Johnson et al., 2009 ; White et Batty, 2012). Six études suggèrent que le HPI serait à la fois un facteur de protection et un facteur de risque pour la consommation de SPA (Acker et al., 2012 ; Buchy et al., 2015 ; Kanazawa et Hellberg, 2010 ; Luczak et al., 2015 ; Müller et al., 2013 ; Wraw et al., 2018). Enfin, quatre études ne rapportent aucun lien significatif entre le potentiel intellectuel et la consommation de SPA (Antshel et al., 2009 ; Bihlar Muld et al., 2013 ; Pluck et al., 2012 ; Rogne et al., 2021).

Concernant la consommation spécifique d’alcool, certaines études indiquent qu’un potentiel intellectuel plus élevé pourrait être associé à une réduction de la quantité et la fréquence de consommation chez une personne (n = 3) (Acker et al., 2012 ; Isen et al., 2021 ; Sjölund, Hemmingsson et Allebeck, 2015), alors que d’autres suggèrent le contraire (= 5) (Davies et al., 2019 ; Degerud et al., 2017 ; Johnson et al., 2009 ; Kanazawa et Hellberg, 2010 ; Wraw et al., 2018). Il en est de même pour le degré de sévérité de la consommation : un potentiel intellectuel plus élevé serait autant associé à une réduction (= 4) (Acker et al., 2012 ; Keyes et al., 2017 ; Sjölund, Hemmingsson et Allebeck, 2015 ; Wraw et al., 2018) qu’à une augmentation de la consommation excessive d’alcool (= 2) (Clouston et al., 2015 ; Degerud et al., 2017). Alors qu’une étude indique qu’un potentiel intellectuel élevé pourrait retarder l’âge d’une consommation problématique ainsi que le diagnostic d’un TUA (Christoffersen et al., 2021), une autre expose la diminution potentielle du risque d’hospitalisation liée à un TUA (Gale et al., 2010).

Une association non linéaire entre les aptitudes cognitives et la consommation d’alcool est documentée dans deux études. Chez les personnes au QI élevé, l’abstinence, tout comme la consommation quotidienne, seraient moindres (Müller et al., 2013 ; Wraw et al., 2018). Toutefois, entre ces deux pôles, plus le QI est élevé, plus la fréquence de consommation pourrait augmenter (Müller et al., 2013 ; Wraw et al., 2018). Deux autres études suggèrent aussi qu’un QI plus élevé est associé à moins d’abstinence (Acker et al., 2012 ; Luczak et al., 2015). Finalement, la dépendance à l’alcool et les symptômes de TUA seraient négativement associés au potentiel intellectuel selon deux études (Dick et al., 2007 ; Luczak et al., 2015), particulièrement chez les femmes (Luczak et al., 2015). En plus de la consommation excessive d’alcool, deux études ont étudié le lien entre les aptitudes cognitives et l’hyperalcoolisation rapide (binge drinking) (Degerud et al., 2017 ; Wraw et al., 2018). Chez les personnes aux aptitudes cognitives plus élevées, Degerud et al. (2017) rapportent plus d’hyperalcoolisation rapide tandis que Wraw et al. (2018) en rapportent moins.

Concernant l’usage du tabac, deux études établissent que plus le potentiel intellectuel d’une personne est élevé, moins elle en consommerait (Weiser et al., 2010 ; Wraw et al., 2018), alors que trois études indiquent qu’elle en consommerait davantage (Clouston et al., 2015 ; Degerud et al., 2017 ; Johnson et al., 2009). À noter que l’étude de Kanazawa et Hellberg (2010) indique aussi des résultats contradictoires. À titre d’exemple, une distinction est observée dans le lien entre l’intelligence et la consommation de tabac en fonction du lieu de provenance des personnes participantes : aux États-Unis, les personnes au QI plus élevé présentaient une plus grande consommation de tabac, alors qu’au Royaume-Uni, elles présentaient une consommation moindre. Une étude suggère toutefois qu’une augmentation d’un écart-type du score de QI réduirait de 4,9 % le risque de consommer du tabac (Davies et al., 2019). Enfin, deux études n’établissent aucune corrélation significative entre le potentiel intellectuel et l’usage du tabac (Antshel et al., 2009 ; Isen et al., 2021).

Concernant les drogues illégales, deux études recensées rapportent que les personnes au QI plus élevé, particulièrement les femmes (White et Batty, 2012), auraient davantage tendance à en essayer une ou plusieurs au cours de leur vie (cannabis, cocaïne, ecstasy, amphétamines, LSD, nitrate d’amyle, psilocybine, témazépam, kétamine, crack, héroïne, méthadone) (Buchy et al., 2015 ; White et Batty, 2012). L’étude de Kanazawa et Hellberg (2010) présente cette même association chez les personnes participantes du Royaume-Uni, tous genres confondus, en plus de suggérer une fréquence de consommation plus élevée. Chez celles des États-Unis, les résultats suggèrent toutefois que le QI ne serait pas significativement lié à la consommation de drogues (Kanazawa et Hellberg, 2010). Le HPI d’une personne pourrait toutefois jouer un rôle protecteur à l’égard d’une consommation précoce ou excessive de drogues. En effet, selon une étude réalisée auprès de 678 personnes à haut risque de psychose, si les personnes présentant un QI plus élevé étaient plus nombreuses à consommer du cannabis, le début de leur consommation était plus tardif (Buchy et al., 2015). Plusieurs études (= 5) montrent aussi que le HPI est associé non seulement à moins de diagnostics de TUS (Keyes et al., 2017 ; Latvala et al., 2009), mais aussi à moins d’hospitalisations liées au TUS (Gale et al., 2010 ; Sjölund et al., 2012 ; Sjölund, Hemmingsson, Gustafsson et al., 2015).

Enfin, il est à noter que les femmes HPI semblaient par moments se distinguer par rapport aux hommes HPI, en faisant preuve de plus d’exploration relativement à la consommation de drogues illégales et de moins de consommation problématique de SPA (Luczak et al., 2015 ; White et Batty, 2012), ce qui est appuyé par d’autres recherches (par ex. Gallagher, 2022).

Liens entre la double exceptionnalité et la consommation de SPA

Les résultats d’Antshel et al. (2009) suggèrent d’abord l’absence de différence significative entre les personnes HPI et les personnes 2e (HPI et TDAH) en ce qui concerne la consommation excessive de SPA. Les personnes 2e présenteraient toutefois plus de facteurs de risque pour le développement d’un TUS : un faible statut socio-économique, une humeur dépressive et de l’isolement social (Antshel et al., 2009). Deux autres études indiquent des résultats non significatifs concernant la relation entre les FE (vitesse de traitement, mémoire de travail, problèmes d’attention à l’enfance) et la présence d’un TUS en considérant le potentiel intellectuel (Bihlar Muld et al., 2013 ; Latvala et al., 2009).

Discussion

Cette étude visait à explorer le lien entre la douance intellectuelle, la 2e et la consommation de SPA. À notre connaissance, il s’agit de la première revue de la portée traitant spécifiquement de la consommation de SPA chez les personnes douées intellectuellement. Bien que des résultats soient mitigés ou contradictoires, certains constats et réflexions ont pu être dégagés.

Liens entre la douance intellectuelle et la consommation de SPA

Il est difficile d’établir clairement un lien entre la consommation de SPA et la douance intellectuelle : les trois seules études ayant établi un seuil critique pour définir le HPI présentent des résultats partagés (Antshel et al., 2009 ; Degerud et al., 2017 ; Keyes et al., 2017). Ces seuils diffèrent entre eux (Tableau 2), en plus d’être moins élevés que celui généralement utilisé dans l’évaluation de la douance intellectuelle au Québec, soit un score de QI de 130 (deux écarts-types au-dessus de la moyenne ; Bégin-Auclair, 2021). Cette variabilité apparaît représentative de l’hétérogénéité des définitions et des méthodes d’évaluation de la douance, au Canada comme ailleurs (Pereira Da Costa, 2019).

Sans égard au seuil clinique de la douance, l’association non linéaire relevée par deux études entre les aptitudes cognitives et la fréquence de consommation d’alcool suggère que, bien qu’un HPI pourrait augmenter la fréquence de consommation, celle-ci resterait modérée (Müller et al., 2013 ; Wraw et al., 2018). Par ailleurs, si l’abstinence à l’alcool et aux drogues semble moins fréquente chez les personnes aux aptitudes cognitives plus élevées, l’abstinence au tabac le serait davantage (Davies et al., 2019).

D’une part, le trait d’ouverture à l’expérience, qui serait plus important chez les personnes douées (Ogurlu et Özbey, 2022) et qui serait lié à l’usage de SPA (Novais et Pombo, 2015), pourrait expliquer une fréquence de consommation plus élevée chez ces personnes. Il en est de même pour les phénomènes d’assynchronie et d’hyperréactivité expérimentés par plusieurs personnes douées (Karpinski et al., 2018 ; Rinn et Majority, 2018). D’autre part, la nature modérée de la consommation des personnes douées intellectuellement pourrait s’expliquer par les liens observés entre les aptitudes cognitives élevées et la prise en compte de la littératie en matière de santé, au même titre qu’elles contribueraient à des habitudes de vie plus saines (Wraw et al., 2018).

Concernant l’hyperalcoolisation rapide, les résultats sont également partagés (Degerud et al., 2017 ; Wraw et al., 2018). Les façons multiples de définir l’hyperalcoolisation rapide et de mesurer les aptitudes cognitives pourraient expliquer ces résultats (Tableau 2). Il en est de même pour la composition de l’échantillon, l’une d’elles n’incluant que des hommes (Degerud et al., 2017). Quant à la fréquence de consommation d’autres SPA, les données ne permettent pas non plus de déterminer un lien évident avec le HPI, car une seule des neuf études traitant de ce sujet rapporte des résultats significatifs (Kanazawa et Hellberg, 2010).

Les données recensées apparaissent plus homogènes lorsqu’il est question de consommation problématique de SPA. En effet, les résultats pointent tous vers une prévalence moins élevée de TUS parmi les personnes aux aptitudes cognitives plus élevées (Dick et al., 2007 ; Keyes et al., 2017 ; Latvala et al., 2009 ; Luczak et al., 2015). De plus, la consommation problématique d’alcool et le développement d’un TUA chez ces personnes pourraient être plus tardifs (Christoffersen et al., 2021). Par ailleurs, des études indiquent qu’un QI plus élevé serait lié à moins d’hospitalisations en raison d’un TUS ou d’un TUA (Gale et al., 2010 ; Sjölund et al., 2012 ; Sjölund, Hemmingsson, Gustafsson et al., 2015). En considérant ces associations, la douance intellectuelle pourrait possiblement jouer un rôle protecteur par rapport au développement d’une consommation problématique de SPA à un jeune âge. Toutefois, comme les études ont étudié le potentiel intellectuel plutôt que la douance intellectuelle, le nombre de personnes réellement douées parmi les échantillons est possiblement moindre.

Double exceptionnalité

Il s’avère actuellement impossible de déterminer clairement le rôle potentiel de la 2e dans la consommation de SPA. Dans les études recensées, l’absence de lien significatif entre les FE et la consommation excessive de SPA ainsi que la présence d’un TUS, peu importe le niveau d’aptitudes cognitives générales (Antshel et al., 2009 ; Bihlar Muld et al., 2013 ; Latvala et al., 2009), portent à croire que la 2e combinant HPI et difficultés entourant les FE pourrait ne pas jouer de rôle direct dans la consommation à risque ou problématique de SPA.

Cela dit, rappelons que les résultats d’Antshel et al. (2009) suggèrent que les personnes 2e seraient plus à risque de développer un TUS comparativement aux personnes uniquement HPI, mais en raison d’autres variables (faible statut socio-économique, humeur dépressive, isolement social). La défavorisation matérielle et sociale semble effectivement pouvoir mener à des problèmes de santé physique et mentale chez les personnes HPI, incluant la dépendance à l’alcool et aux SPA (Ambrose, 2013). En outre, particulièrement chez les personnes 2e, les contextes neuronormatifs inhérents à la vie en société, ainsi que le stress minoritaire qui en découle, peut considérablement affecter leur bien-être (Baudson et Ziemes, 2016 ; Botha et Frost, 2020) et possiblement contribuer à leur consommation de SPA. Cependant, l’accès de ces personnes à des services en dépendance pourrait être complexifié par des environnements et des approches d’intervention peu informés par la neurodiversité (Bolton, 2023 ; Hallett et Kerr, 2020).

L’étude de Buchy et al. (2015) suggère que parmi les personnes participantes présentant des symptômes prodromiques de psychose, celles qui consommaient du cannabis détenaient un QI plus élevé que celles qui n’en consommaient pas au moment de l’étude ou qui n’en avaient jamais consommé. Il est possible d’avancer que l’hyperréactivité des personnes douées intellectuellement ou encore leur propension à user de stratégies de camouflage puissent inciter celles qui sont en voie à une psychose à consommer dans une visée d’autorégulation cognitive, émotionnelle ou sensorielle (Rosqvist et al., 2020).

Limites des études recensées et de la revue de la portée

Une première limite des études concerne la conceptualisation et la mesure de la douance intellectuelle (Carman, 2013). Parmi les 25 études recensées, outre les aptitudes intellectuelles des personnes participantes, aucune ne considérait d’autres composantes de la douance, comme celles de l’engagement et de la créativité proposées par Renzulli (2002 ; 2016). Si seulement trois études ont établi des seuils pour identifier le HPI (Antshel et al., 2009 ; Degerud et al., 2017 ; Keyes et al., 2017), ces seuils varient d’une étude à l’autre. De plus, le potentiel intellectuel est opérationnalisé comme une variable continue dans 22 études sur 25, complexifiant l’identification de données spécifiques aux personnes douées intellectuellement, dans la mesure où la douance est conceptualisée en fonction d’un seuil clinique. Cela dit, un total de 23 tests a été utilisé pour mesurer l’intelligence parmi les études recensées.

À ce sujet, en raison d’écarts importants observés dans les sous-échelles d’intelligence chez les personnes douées (Lang et al., 2019), l’abaissement du seuil critique pour la douance intellectuelle est proposé par plusieurs personnes oeuvrant en recherche, psychologues et neuropsychologues (Bégin-Auclair, 2021 ; Lang et al., 2019). Or, l’utilisation d’un seuil en deçà du seuil habituel de 130 de QI pourrait augmenter le risque de faux positifs, ayant comme conséquence potentielle d’associer à tort des enjeux relatifs à la douance intellectuelle ou de nuire à la pertinence des interventions (Bégin-Auclair, 2021).

Une deuxième limite importante concerne la grande variabilité des mesures observée pour la consommation de SPA (Tableau 2) et pouvant expliquer les résultats mitigés parmi les études recensées. En effet, un total de 11 outils différents a été utilisé pour mesurer la consommation de SPA, sans compter les questionnaires autorapportés pour lesquels aucune information sur la validité empirique n’était disponible. Pour l’évaluation des TUS, différentes versions du DSM et de la CIM ont été utilisées, reflétant l’hétérogénéité des définitions utilisées (Nathan et al., 2016).

D’importants biais d’échantillonnage sont également présents dans les études recensées, dont la surreprésentation d’hommes au sein d’études menées dans des contextes particuliers comme les conscriptions militaires et la psychiatrie. Par conséquent, toute généralisation sur la consommation des personnes douées intellectuellement doit être formulée avec grande réserve. De plus, aucune étude comportant un devis qualitatif n’a été recensée, ce qui limite les possibilités d’explorer en profondeur le vécu des personnes douées ou 2e par rapport à leur consommation de SPA. Il importe aussi de souligner que plusieurs études recensées semblent conceptualiser la douance intellectuelle, et plus particulièrement les conditions relatives à la 2e, selon le modèle médical du handicap, pouvant ainsi contribuer à perpétuer des injustices épistémiques chez les personnes neurominorisées (Chapman et Botha, 2022 ; Chapman et Carel, 2022). Il convient toutefois de relever que la prépondérance de cette perspective ainsi que l’absence de données qualitatives dans les articles recensés découlent, au moins en partie, des critères de sélection définis dans le cadre de cette revue de la portée. À titre illustratif, le critère exigeant l’évaluation d’au moins une aptitude cognitive à l’aide de tests standardisés réduit la probabilité de recenser des études qualitatives, tout comme celle de retrouver des études abordant la consommation de SPA chez ces personnes sous une perspective différente.

Concernant cette revue de la portée, une seule personne a procédé à la sélection des études. Le fait de procéder à un accord inter-juges aurait possiblement amélioré la fiabilité du processus (Page et al., 2021). Enfin, aucun outil d’évaluation du risque de biais et de la qualité des études sélectionnées n’a été utilisé.

Implications pour la recherche et la pratique

Devant les résultats partagés de cette revue de la portée, davantage de recherche sur les habitudes de consommation des personnes douées et 2e est nécessaire. Au-delà de leurs aptitudes cognitives, il semblerait important de documenter l’influence potentielle de leurs particularités neurophysiologiques et socioémotionnelles — incluant les phénomènes d’hypersensibilité et d’hyperexcitabilité — sur leur usage de SPA. Une étude rapporte par exemple une association entre l’hyperexcitabilité de personnes HPI et leur consommation de tabac (Deligeorges et al., 2022). Il en est de même pour le stress minoritaire lié à la neuronormativité (Baudson et Ziemes, 2016) pouvant influencer leur consommation, comme c’est le cas pour d’autres populations minorisées (Botha et Frost, 2020 ; Cotton et al., 2024). Ces études permettraient non seulement de mieux comprendre la fonction de la consommation de ces personnes dans leur parcours de vie, mais aussi la fonction potentielle de leur HPI dans leur consommation et dans leur rétablissement.

Il semble par ailleurs important de réfléchir à la façon d’évaluer la consommation de SPA — tout comme l’intelligence — en contexte de 2e ou compte tenu des enjeux de surcharges cognitives, sensorielles et émotionnelles que les personnes douées peuvent expérimenter (Atmaca et Baloglu, 2022 ; Bolton, 2023). Comme d’autres populations neurodivergentes, les personnes douées, et plus particulièrement les personnes 2e, présentent des fonctionnements cognitifs, sensoriels et affectifs pouvant ne pas correspondre aux attentes neuronormatives (Rosqvist et al., 2020). En contexte de 2e et face à des environnements qui ne tiennent pas compte de leur profil neurocognitif, elles sont particulièrement enclines à se retrouver en situation de handicap (Baldwin et al., 2015). Elles peuvent alors adopter (consciemment ou non) des stratégies de camouflage et de compensation qui les mettent à risque de surcharge, d’épuisement et de dépression (Atmaca et Baloglu, 2022 ; Catala, 2023).

En ce sens, des approches informées par la neurodiversité et des interventions neuroaffirmatives visant à faciliter l’émancipation des personnes douées et 2e — ou autres personnes neurodivergentes — sont nécessaires (Bolton, 2023 ; Chapman et Botha, 2022 ; Mills, 2023), d’autant plus si elles rencontrent des enjeux de consommation. Sur le plan de l’évaluation, il peut par exemple être utile de procéder à une évaluation multiméthode de la consommation de SPA, notamment chez les personnes autistes (Izuno-Garcia et al., 2023). En outre, il s’avère essentiel de les aider à reconnaître leurs forces et leurs besoins, au même titre que le stress minoritaire pouvant être subi dans différentes sphères de leur vie et pouvant influencer leurs habitudes de consommation.

Au-delà de l’importance d’étudier la consommation de SPA en contexte de neurodivergence, il apparaît nécessaire de réfléchir aux approches méthodologiques privilégiées pour ce faire. Dans une perspective neuroaffirmative, il semble effectivement essentiel d’étudier la douance — et toute autre forme de neurodivergence — au-delà du fonctionnement individuel, en tenant compte des contributions environnementales, sociétales, relationnelles et collectives dans le bien-être des groupes neurominorisés (Chapman, 2021). Cette perspective écosystémique se dégage de la pathologisation de la neurodivergence et reconnaît cette dernière comme étant partie prenante de la diversité humaine (Chapman et Botha, 2022 ; Shaw et al., 2022). En ce sens, les recherches participatives permettant de valoriser les perspectives des personnes neurodivergentes sur des enjeux qui les concernent s’avèrent essentielles (Dark, 2024).

Relativement à certaines particularités liées à l’âge et au genre des personnes douées relevées dans certaines études, les associations entre ces variables (ex. : les normes de genre) et leur consommation de SPA gagneraient à être explorées. Il en est de même pour le camouflage pouvant être utilisé par les personnes neurodivergentes dans une visée adaptative (Cage et Troxell-Whitman, 2020), ainsi que les phénomènes d’hypersensibilité et d’hyperexcitabilité explicités précédemment. Enfin, comme les aptitudes cognitives pourraient contribuer à l’engagement dans le traitement en dépendances (Katz et al., 2005), des études qualitatives explorant le rétablissement chez les personnes douées et 2e en contexte québécois seraient pertinentes.

Conclusion

Si les résultats de cette revue de la portée mettent en évidence une grande hétérogénéité de résultats entourant les habitudes de consommation des personnes douées et 2e, il demeure possible de supposer que la douance puisse jouer un rôle protecteur par rapport à la consommation problématique de SPA ou à son développement précoce. D’autres études sont nécessaires pour explorer les différents facteurs pouvant influencer les habitudes de consommation de ces personnes, incluant la consommation bénéfique, à risque et problématique (Rappo et Stock, 2020 ; Tremblay et Blanchette-Martin, 2016), sans oublier leur rétablissement. En effet, les habitudes de consommation des personnes neurodivergentes et les conséquences pouvant y être associées sont diversifiées et s’inscrivent dans un contexte qui, en plus du type de SPA consommé, peut grandement influencer leur expérience.