Corps de l’article

Il y a plus de 25 ans, William R. Miller (1983) publiait un premier article où il présentait les bases de l’entretien motivationnel. S’appuyant sur la psychologie sociale expérimentale et les travaux menés par Carl Rogers (1951) concernant le rôle de l’empathie, il proposait d’utiliser la dissonance, suscitée par une rétroaction structurée à la suite d’une évaluation, en vue d’enclencher un changement comportemental au lieu de l’enlisement classique du toxicomane dans le déni et le sentiment d’impuissance. Miller ne soupçonnait probablement pas l’importance que prendraient ses travaux dans le champ du traitement de l’abus et de la dépendance aux substances psychoactives (SPA). Depuis ce premier article, et surtout à la suite de la publication de son livre en collaboration avec Rollnick en 1991, plus de 130 études à distribution au hasard ont jaugé l’efficacité de l’entretien motivationnel auprès de diverses clientèles (alcoolisme, toxicomanie, tabagisme, etc.), et ce, sans compter près de 900 autres études et écrits concernant cette approche. Sur le plan clinique, on compte approximativement 500 formateurs accrédités à l’entretien motivationnel, répartis dans 28 pays différents dont plus de 200 à l’extérieur des États-Unis[1]. Le nombre de thérapeutes utilisant cette approche ne peut être dénombré. L’entretien motivationnel bénéficie donc d’un appui empirique, suscite l’intérêt chez les cliniciens et est largement diffusé, tout particulièrement dans l’univers du traitement de la dépendance aux SPA. L’impact est majeur et incontournable, c’est pourquoi nous recensons d’abord ce modèle.

Cependant, Miller affirme lui-même que son modèle d’intervention ne propose aucune explication satisfaisante sur le pourquoi et le comment il fonctionne (Miller, 1999). En plus de décrire le modèle de l’entretien motivationnel, cet article tente de mieux comprendre les mécanismes d’efficacité de ces stratégies d’intervention à l’aide de théories de la motivation. Les théories sélectionnées doivent avoir été appliquées au champ du traitement de la dépendance aux substances psychoactives. Deux théories satisfont à ces critères. Tout d’abord, la théorie de l’autodétermination (Ryan et Deci, 2000) est retenue puisqu’elle a été appliquée entre autres au traitement de l’abus de substances psychoactives (Ryan et coll., 1995). Comme le propose Rollnick lui-même (coauteur de l’entretien motivationnel), la théorie de l’autodétermination en tant que théorie générale de la motivation offre des hypothèses intéressantes afin de mieux comprendre la dynamique de la motivation en cours de traitement ainsi que les processus psychologiques à l’oeuvre dans l’entretien motivationnel (Foote et coll., 1999; Markland et coll., 2005[2]; Simoneau et Bergeron, 2003). La seconde théorie retenue est la théorie des préoccupations actuelles[3]. Cette dernière est aussi une théorie générale de la motivation (Klinger et Cox, 2004) et a présidé au développement du counseling motivationnel systématique utilisé pour le traitement de l’abus de substances (Cox et Klinger, 2004a; Cox et Klinger, 2004c). Resnicow et ses collègues (2004) soulignent que la théorie des préoccupations actuelles et le counseling motivationnel systématique apportent une conceptualisation différente et complémentaire de la motivation (en comparaison à l’entretien motivationnel) et, en ce sens, permettent l’enrichissement de la compréhension de ce concept. Le modèle transthéorique de Prochaska et DiClemente (1984) n’a pas été recensé puisqu’il ne renseigne pas sur les facteurs qui permettent de passer d’un stade à un autre, étant plutôt taxonomique (Simoneau et Bergeron, 2003).

Chacun des trois modèles/théories sera revu dans ses assises conceptuelles et ses principes cliniques, suivi par une brève recension des études d’efficacité dans l’univers du traitement de la dépendance aux SPA[4]. À la fin, un effort comparatif est fait afin d’estimer les similitudes, mais aussi les complémentarités des modèles/théories. Il faut cependant mentionner que l’entretien motivationnel sera qualifié de « modèle » au sens où les auteurs ne proposent pas une théorie de la motivation, mais plutôt un vaste ensemble d’attitudes et de principes d’intervention. Par contre, on peut qualifier de théories de la motivation les travaux des deux autres groupes d’auteurs. Ces théories ont par la suite débouché sur des modèles d’intervention. Un effort sera fait pour utiliser avec à-propos les termes « modèle » (réservé le plus souvent à l’ensemble des techniques d’intervention proposées par un groupe d’auteurs) et « théorie » (réservé pour l’élaboration explicative des mécanismes sous-jacents aux processus de changement), mais la marge est parfois mince entre les deux.

L’entretien motivationnel

L’entretien motivationnel a vu le jour en réaction aux techniques de confrontation autrefois répandues dans le traitement des toxicomanies. Afin de mieux comprendre ce qui pourrait aider les usagers à augmenter leur motivation au changement, Miller et ses collaborateurs ont effectué une recension des écrits sur les interventions brèves qui permettent d’atteindre cet objectif. L’analyse du contenu des interventions efficaces a révélé alors six points communs qui ont été regroupés sous l’acronyme « FRAMES » (Feedback, Responsibility, Advice, Menu, Empathy, Self-efficacy) (Miller, 1995a). À partir de ces éléments, Miller et Rollnick ont créé un modèle d’intervention complexe, l’entretien motivationnel, lequel inclut des principes, des attitudes et des stratégies d’intervention (Miller et Rollnick, 2002; Miller et Rollnick, 2006; Miller et Rollnick, 1991). Les auteurs mentionnent qu’il y a peu d’éléments véritablement originaux dans leur approche, qu’ils ont plutôt travaillé en s’inspirant des travaux de Rogers sur l’approche centrée sur le client (Rogers, 1951), de ceux de Rokeach sur les valeurs (Rokeach, 1971; Rokeach, 1973), de la théorie de la perception de soi de Bem (Bem, 1967; Bem, 1972) et du modèle transthéorique du changement (Prochaska et DiClemente, 1984). On pourrait aussi ajouter aux sources d’inspiration, la théorie de l’apprentissage social de Bandura à cause de l’importance accordée au concept d’auto-efficacité (Bandura, 1977; Bandura, 2003).

Les auteurs considèrent que la motivation au changement est malléable et la relation thérapeutique est perçue comme une source importante d’influence de celle-ci. L’approche cible les clients qui sont peu disposés à changer ou qui sont ambivalents, afin de les préparer au changement (Miller et Rollnick, 1991).

La responsabilité de changer est laissée à l’individu. Les stratégies employées reposent davantage sur le soutien que sur l’argumentation. Les attitudes de l’intervenant vont jouer un grand rôle dans ces stratégies utilisées en vue de réduire l’ambivalence et guider le client vers le changement. En ce sens, l’approche est directive tout en étant centrée sur le client, comme l’illustrent les trois attitudes fondamentales proposées, soit l’acceptation, l’empathie et l’esprit de l’entretien motivationnel. La première attitude, soit l’acceptation, se définit comme une attitude inconditionnellement positive et de respect à l’égard du client, ce qui est à l’inverse de l’indifférence ou d’une attitude empreinte de critique. L’empathie est la compréhension ou l’effort pour comprendre la perspective du client, ses perceptions, ses sentiments (cela inclut l’écoute avec reflet/reformulation). L’intervenant empathique « suit » adéquatement les récits complexes, cherche activement à comprendre et reformule sa compréhension en mettant en évidence les constantes, les oppositions, les valeurs et sources de motivations. Finalement, la troisième attitude, l’esprit de l’entretien motivationnel, est composée de trois éléments, soit la collaboration, l’évocation et le soutien de l’autonomie. Par une attitude de collaboration, le thérapeute interagit dans un style de partenariat, évitant une position autoritaire ou d’expert, prenant le temps de négocier avec le client. L’évocation est la capacité à aider le client à exprimer lui-même les raisons du changement, adoptant un style curieux et patient et ne donnant pas son avis sans permission. Le thérapeute soutient également l’autonomie en mettant l’accent sur les choix du client. Entre autres, il accepte que le client puisse choisir de ne pas changer et met l’accent sur les variables de changement sous la responsabilité du client.

À ces trois attitudes fondamentales se joignent quatre principes, soit exprimer de l’empathie, faire ressortir les dissonances, rouler avec les résistances et rehausser les attentes d’auto-efficacité. L’élément le plus important de l’entretien motivationnel est l’expression d’empathie[5]. L’écoute empathique devrait être la réponse principale du thérapeute. Elle apporte divers avantages, dont le fait de susciter peu de résistance en communiquant respect et accueil, d’encourager l’usager à explorer ce qu’il vit et de permettre la construction d’une alliance thérapeutique.

Le second principe s’appuie sur l’observation que l’être humain préfère et se sent mieux lorsque son comportement est cohérent avec ses buts, ses croyances, ses valeurs. Il y a dissonance lorsque le comportement va à l’encontre des buts, des croyances ou des valeurs de la personne. Le rôle de l’intervenant consiste à aider le client à réaliser ses dissonances, ce qui augmente les probabilités de changement.

La résistance est une préoccupation légitime du clinicien, car elle prédit un manque d’engagement dans le processus thérapeutique et conduit à de piètres résultats de traitement (Miller et Rollnick, 2002). La résistance peut prendre plusieurs formes, par exemple, une personne peut argumenter, interrompre ou ignorer le thérapeute, nier ou minimiser ses problèmes. La résistance est fréquemment interprétée comme du déni ou un manque de motivation de la part de la personne. La façon de répondre à la résistance est une caractéristique clé de l’approche motivationnelle. Le thérapeute est entre autres invité à concevoir la résistance comme un signal que la personne voit la situation différemment de lui-même. Cette attitude permet au clinicien d’y répondre d’une façon nouvelle en roulant avec les résistances comme dans un judo psychologique (Miller et Rollnick, 2002; Miller, 1995b). Plusieurs stratégies sont utilisées telles que le reflet simple, amplifié ou à deux côtés, le changement léger de la cible de la conversation ou la prise de position du côté négatif de l’argumentation.

Le quatrième principe porte sur la nécessité de bien estimer et renforcer le sentiment d’être capable de changer (auto-efficacité). Même si quelqu’un désire changer, il peut être immobile tant qu’il n’estimera pas qu’il a les moyens pour effectuer le changement désiré. Le thérapeute aura recours aux expériences passées de succès, utilisera le recadrage cognitif ou d’autres techniques pour accroître les attentes d’auto-efficacité, construisant à partir des ressources du client.

Quelques exercices structurés sont également utilisés par les tenants de l’entretien motivationnel sans être fondamentaux à cette approche. À partir des scores à une évaluation structurée, on peut procéder à une rétroaction, il s’agit-là d’un des ajouts les plus fréquents à l’entretien motivationnel (Burke et coll., 2002; Hettema, Steele et Miller, 2005). Le feedback est utilisé afin d’aider la personne à mieux connaître sa consommation et les conséquences tant négatives que positives qui y sont associées. Il vise à semer le doute et favorise la réflexion, voire la prise de décision éclairée. Il peut être fait à partir de tout test validé[6]. Par l’exercice concernant les valeurs, l’individu identifie les quelques valeurs les plus importantes pour lui en se questionnant par la suite sur le rôle de la consommation de SPA à titre d’adjuvant ou d’obstacle à la réalisation de celles-ci. Cette façon de faire suscite la dissonance cognitive en favorisant la prise de conscience des écarts entre les valeurs et les comportements de consommation. Finalement, l’exercice de la balance décisionnelle (Janis et Mann, 1977) permet à la personne d’explorer les avantages et les inconvénients de la consommation et du changement dans un contexte sécuritaire, sans jugement, dans le but d’aider à résoudre l’ambivalence.

Les études d’efficacité

Cette synthèse s’appuie sur des méta-analyses ou recensions d’écrits, mais aussi sur des études plus récentes non incluses dans ces synthèses. Ces recensions ou méta-analyses portent sur l’efficacité des traitements appliqués aux clientèles générales en traitement pour leur dépendance aux substances psychoactives (Burke et coll., 2003; Hettema et coll., 2005; Rubak et coll., 2005), aux personnes toxicomanes ayant des troubles de santé mentale sévères (Cleary et coll., 2009; Cleary et coll., 2008) ou aux personnes toxicomanes étant aussi dans un processus judiciaire (McMurran, 2009).

Notons que l’entretien motivationnel est fréquemment utilisé dans des versions adaptées, comme introduction à un autre traitement en vue d’en favoriser l’adhésion, ou encore est intégré à un autre modèle de traitement, ou finalement est considéré à titre de traitement unique (Burke et coll., 2002; Hettema et coll., 2005).

L’entretien motivationnel est plus efficace que l’absence de traitement ou qu’un placebo (Burke et coll., 2002; Hettema et coll., 2005). Burke et ses collègues notent que 51 % des individus traités versus 38 % des personnes non traitées (résultats amalgamés des études recensées) présentent des améliorations cliniquement significatives, ce qui est confirmé par Hettema et ses collègues (2005). Des données plus récentes révèlent des résultats similaires auprès de consommateurs fréquents de cocaïne (Stein et coll., 2009).

Une méta-analyse de 28 études avec distribution au hasard met en évidence que l’entretien motivationnel, utilisé par le médecin, est plus efficace pour réduire la consommation problématique d’alcool que le conseil traditionnel prodigué par les gens de cette profession (Rubak et coll., 2005).

L’entretien motivationnel ne semble toutefois pas être plus efficace que différents traitements reconnus. Sept études vérifiant cette hypothèse (Heather et coll., 1996; Miller et coll., 1993; Project MATCH Research Group, 1997; Project MATCH Research Group, 1998; Schneider et coll., 2000; Sellman et coll., 2001; Stephens et coll., 2000) ne démontrent aucune supériorité d’efficacité de l’entretien motivationnel en comparaison à un autre traitement (Burke et coll., 2003). Des résultats plus récents vont dans le même sens, ceux-ci ne confirment pas les hypothèses d’appariement selon lesquelles les usagers moins prêts à changer ou encore manifestant beaucoup de colère profiteraient plus de l’entretien motivationnel que d’un traitement comportemental cognitif (Heather et coll., 2008). Il faut également noter que les études menées dans la clinique du Dr Miller ont une taille d’effet généralement plus élevée que celles menées au sein d’autres équipes de recherche (Burke et coll., 2003). L’entretien motivationnel favoriserait aussi la réduction des comportements associés au risque de contracter le VIH, quoique les résultats varient grandement d’une étude à l’autre (Hettema et coll., 2005).

La question de la dose de traitement a également intéressé la communauté scientifique. En fait, l’entretien motivationnel a d’abord été développé comme un prélude visant à faire progresser la personne dans les stades de changement afin qu’elle puisse par la suite mieux bénéficier d’un traitement actif (Miller et Rollnick, 1991). Ainsi, le temps lui étant attribué a fréquemment été court, soit une moyenne de 100 minutes (Burke et coll., 2003). Il semble qu’une dose plus importante de traitement (p. ex., de 3 à 5 heures) soit plus bénéfique qu’une dose plus faible (p. ex., 1 heure) (Burke et coll., 2003; Rubak et coll., 2005) quoique ces résultats ne soient pas corroborés par tous (Hettema et coll., 2005).

Certaines observations sont rapportées dans une seule méta-analyse, comme le fait que la présence de manuels de traitement soit associée à une moins bonne efficacité de l’entretien motivationnel (Hettema et coll., 2005) ou encore que ce modèle d’intervention démontre plus d’efficacité auprès de certains sous-groupes culturels (Hettema et coll., 2005). Il faut aussi noter que des variations importantes d’efficacités ont été observées d’un thérapeute à l’autre, même si tous appliquent l’entretien motivationnel (Project MATCH Research Group, 1998).

Finalement, l’entretien motivationnel, lorsqu’il est utilisé au début d’un programme de traitement, favoriserait la rétention en traitement, qui à son tour est associée à une meilleure efficacité (Brown et Miller, 1993; Hettema et coll., 2005).

L’entretien motivationnel et le double diagnostic santé mentale – toxicomanie

Une recension de huit études de distribution au hasard, visant la réduction de la consommation de SPA auprès de personnes atteintes de troubles mentaux sévères, utilisant l’entretien motivationnel (Baker et coll., 2002; Graeber et coll., 2003; Hickman, 1999; Kavanagh et coll., 2004; Swanson et coll., 1999), ou en combinaison au traitement comportemental cognitif (Baker et coll., 2006; Barrowclough et coll., 2001; Bellack et coll., 2006), met en évidence un certain avantage à utiliser ce mode d’intervention en comparaison au traitement habituel (Cleary et coll., 2009). Il semble qu’un minimum de trois rencontres d’entretien motivationnel soit nécessaire pour observer un effet, mais les études ne permettent pas de clarifier si l’offre d’un plus grand nombre de rencontres de la combinaison entretien motivationnel et traitement comportemental cognitif est efficiente (Cleary et coll., 2009). Dans une autre méta-analyse, l’auteure ajoute d’autres études dont le protocole ne répond pas aux strictes exigences de l’étude précédente (Cleary et coll., 2009), tout en arrivant à des conclusions similaires (Cleary et coll., 2008).

L’entretien motivationnel auprès des individus toxicomanes et judiciarisés

McMurran (2009) identifie dix études évaluant l’efficacité de l’entretien motivationnel auprès de personnes toxicomanes judiciarisées. Les résultats soutiennent l’efficacité de l’entretien motivationnel, souvent en tant que modalité intégrée dans un modèle complexe, que ce soit au sujet de la réduction de la consommation de SPA (Miles et coll., 2007; Sinha et coll., 2003) ou de la persévérance en traitement (Carroll et coll., 2006; Lincourt et coll., 2002). Cependant, d’autres modalités, tels les groupes de soutien (Miles et coll., 2007) ou le renforcement par contingence (Carroll et coll., 2006), semblent plus efficaces à long terme dans la réduction de la consommation de SPA (McMurran, 2009). L’entretien motivationnel semble également favorable à titre d’intervention préparatoire à un traitement plus standard, favorisant un meilleur engagement dans ce programme (Stein et coll., 2006), une augmentation de l’intérêt au changement (Ginsburg, 2000; Mendel et Hipkins, 2002; Vanderberg, 2003) ou une amélioration de la confiance à affronter les situations à haut risque de provoquer la rechute (Slavet et coll., 2005). Quelques informations semblent indiquer que l’entraînement des agents de probation à l’utilisation de l’entretien motivationnel aurait un impact à long terme sur la réduction de la consommation de SPA de leurs clients (Harper et Hardy, 2000).

L’entraînement à l’entretien motivationnel

Il est notable de constater que l’estimation subjective que font les cliniciens au sujet de leurs compétences à l’utilisation de l’entretien motivationnel n’est pas reliée à des mesures objectives de l’acquisition de cesdites compétences (Miller et coll., 2004). C’est pourquoi il est rapidement apparu pertinent de s’intéresser aux meilleures conditions de son apprentissage (Madson et coll., 2009). Les stratégies de formation permettant de mieux intégrer l’entretien motivationnel dans la pratique s’étendent sur de plus longues périodes, intégrant ateliers, observation et surtout des activités de supervision (Miller et coll., 2004). Au sujet de ces dernières, divers instruments ont été mis sur pied afin de mieux superviser les personnes en formation ou de s’autoévaluer plus efficacement (Madson, 2006; Madson et Campbell, 2006).

La théorie de l’autodétermination

Parallèlement aux travaux de Miller et Rollnick (2002) qui se sont davantage intéressés au développement d’un modèle d’intervention visant à faire croître un type de motivation, soit la motivation au changement, Ryan et Deci (2000) ont plutôt investi leurs efforts dans l’élaboration d’une théorie générale de la motivation[7]. La théorie de l’autodétermination ne considère pas la motivation comme un phénomène unitaire. Ainsi, les individus peuvent posséder un niveau de motivation qui diffère tant au plan quantitatif (quelle quantité de motivation?) que qualitatif (quel type de motivation?), chaque type de motivation entraînant des conséquences différentes (Ryan et Deci, 2000).

En effet, la position théorique de Deci et Ryan (1985) établit une distinction entre la motivation intrinsèque, la motivation extrinsèque et l’amotivation. Une personne intrinsèquement motivée agit par choix et pour le plaisir inhérent à l’activité elle-même. La motivation intrinsèque est associée à une plus grande productivité, créativité, spontanéité, flexibilité cognitive et persévérance.

Une personne motivée extrinsèquement agit pour obtenir un résultat extérieur à l’activité elle-même (obtenir une récompense ou éviter une situation désagréable), il s’agit d’une motivation instrumentale. Deci et Ryan (1985) ont postulé l’existence de quatre types de motivation extrinsèque que l’on peut situer sur un continuum. Dans l’ordre croissant d’autodétermination, on retrouve : la régulation externe, l’introjection, l’identification et l’intégration. Dans la régulation externe, l’individu émet un comportement en fonction de contraintes ou de récompenses extérieures à lui-même. Le comportement cesse habituellement lorsque les contingences sont retirées. Lorsque les contraintes jadis extérieures deviennent des sources de prescriptions internes, il s’agit de régulation introjectée. Dans ce cas, il ne s’agit pas d’autodétermination, car l’individu n’a pas l’impression de choisir librement l’activité. Même si la pression provient de l’intérieur, l’individu doit agir pour éviter le sentiment de culpabilité. Lorsqu’une personne a le sentiment de choisir un comportement, qu’elle le valorise et le trouve important, il s’agit de régulation identifiée. Même si le comportement est produit à des fins instrumentales, il est autodéterminé. Finalement, lorsqu’un individu se sent autodéterminé envers la régulation d’un certain comportement et que cette régulation est cohérente avec ses valeurs et croyances profondes, la régulation devient intégrée.

Une personne est amotivée lorsqu’elle ne perçoit plus de relation entre les gestes qu’elle pose et les résultats obtenus (Deci et Ryan, 1985). Elle se sent désabusée, se demande pourquoi elle continue d’agir et cesse éventuellement d’émettre le comportement. Les auteurs décrivent un deuxième type d’amotivation : dans ce cas, la personne poursuit un comportement malgré son désir de cesser (Deci et Ryan, 1990). Ce nouveau concept semble un apport intéressant dans l’étude des comportements de dépendance, souvent perçus comme non intentionnels.

Plusieurs variables contextuelles (p. ex., autorité, coercition, récompenses, punitions, etc.) ont une influence significative sur la façon dont une personne agit dans un environnement donné (Ryan, 1995). La théorie de l’évaluation cognitive de Deci et Ryan (1985) prévoit toutefois que ce ne sont pas les facteurs contextuels en eux-mêmes qui déterminent le comportement, mais plutôt la signification fonctionnelle que l’individu leur accorde.

Selon Ryan (1995), la plupart des comportements humains ne sont pas motivés intrinsèquement. Plusieurs valeurs et régulations comportementales ne sont ni spontanées ni plaisantes. L’acquisition de tels comportements est nécessaire à la socialisation et à l’intégration de l’individu à sa communauté. La théorie de l’autodétermination (Deci et Ryan, 1985) postule l’existence de besoins innés d’autodétermination, de relations interpersonnelles (relatedness) et de compétence, le terme compétence étant pris au sens biologique large où l’organisme tend à s’adapter à son environnement. Ces besoins sont à la base du processus d’internalisation, processus qui permet à l’organisme de s’approprier les contingences externes. Progressivement, l’individu apprend à émettre des comportements avec des contingences de plus en plus éloignées et éventuellement retirées. Puis, il comprend l’importance de produire le comportement pour obtenir le résultat désiré. Enfin, cette identification aux résultats est intégrée à la structure de la personne. À ce moment, les valeurs sociales sont acceptées comme siennes (Deci et Ryan, 1985).

Certaines variables facilitent le processus d’internalisation. Deci, Eghrari, Patrick et Leone (1994) ont observé que (1) fournir un motif rationnel pour adopter un certain comportement, (2) reconnaître le conflit vécu par la personne (tendances habituelles vs adoption du nouveau comportement) à qui on suggère ce comportement et (3) laisser le droit de choisir promeut l’internalisation. Ces trois critères constituent l’essence d’un contexte qui soutient l’autonomie (Deci et coll., 1994). Tandis qu’en contexte contrôlant (récompenses et punitions), le changement de comportement ne persiste qu’en présence des contingences externes. Il est par contre intégré à la personnalité et maintenu à long terme lorsqu’il est acquis en contexte de soutien à l’autonomie (Deci et Ryan, 1985). Deci et Ryan mentionnent un troisième type de contexte : le contexte amotivant où il n’y a pas de contingence entre un comportement et ses conséquences, situation qui engendre un sentiment d’incompétence.

En plus des facteurs contextuels, tout ce qui contribue à hausser la perception de compétence d’un individu accroît la motivation intrinsèque (Deci et Ryan, 1985). Le sentiment de compétence se développe à la suite des rétroactions inhérentes à la tâche (l’individu observe la réussite de façon objective), des rétroactions sociales (commentaires des autres ou comparaison à des normes) ou la progression vers l’atteinte d’un but distal (Harackiewicz et coll., 1992).

Trois arguments militent en faveur de l’utilité de la théorie de l’autodétermination dans le champ des dépendances. Premièrement, cette théorie fournit une base théorique solide pour comprendre la motivation conceptualisée comme le produit d’échanges interpersonnels (Foote et coll., 1999). Deuxièmement, elle ne considère pas la motivation comme un phénomène unitaire. Ainsi, les gens peuvent non seulement présenter différents degrés de motivation, mais aussi divers types de motivation, chacun entraînant des conséquences différentes (Ryan et Deci, 2000). Finalement, elle permet l’analyse des processus psychologiques responsables du changement (Foote et coll., 1999).

Les études d’efficacité

Bien que la théorie de l’autodétermination ait été l’objet de nombreuses études en milieu naturel, peu d’entre elles ont été conduites dans le champ des toxicomanies. La première étude de ce type visait à décrire la relation entre la motivation initiale, l’implication du patient et la persévérance dans un centre de traitement externe pour personnes alcooliques (Ryan et coll., 1995). Les résultats révélaient que la motivation internalisée était associée à une meilleure implication du patient (telle que notée dans le dossier par le thérapeute) et à une plus grande rétention en traitement huit semaines après l’évaluation initiale. De plus, les individus ayant une motivation internalisée accompagnée d’une motivation externe élevée se présentaient à leur rendez-vous avec plus d’assiduité et étaient plus nombreux à persévérer en traitement que les individus ayant une faible motivation internalisée (sans considération de la motivation externe).

Quelques années plus tard, une étude effectuée auprès de 140 personnes en traitement pour alcoolisme ou toxicomanie confirme l’utilité de la théorie de l’autodétermination dans l’étude des processus psychologiques impliqués dans la dynamique de la motivation en cours de traitement (Simoneau et Bergeron, 2003). En effet, une analyse acheminatoire permet de constater : (1) que la progression vers l’atteinte d’un but, la diminution des problèmes de consommation et les rétroactions des personnes de l’entourage contribuent à la prédiction de la perception de compétence six semaines après le début du traitement, (2) que la perception de compétence, le contexte de traitement (favorisant l’autonomie ou orienté vers le contrôle) et l’orientation générale de causalité (autonomie versus orientation impersonnelle) influencent la motivation à ce même moment. Ainsi, plusieurs concepts issus de la théorie de l’autodétermination contribuent à la prédiction de la motivation six semaines après le début du traitement.

Une troisième étude, effectuée auprès de 74 personnes en traitement de maintien à la méthadone, permet d’observer que les individus avec une motivation internalisée ont un plus faible taux de rechute (mesuré par le nombre d’échantillons d’urine positifs) et une meilleure assiduité que ceux qui ont une motivation externalisée (Zeldman et Ryan, 2004). De plus, le fait de percevoir que l’équipe de traitement soutient l’autonomie est associé à un plus faible taux de rechute et à moins de rendez-vous manqués.

Une autre étude effectuée auprès de 300 personnes en traitement pour alcoolisme ou toxicomanie rapporte que les individus qui présentent une motivation identifiée ont une plus grande dépendance à la substance. En fait, ces derniers voient plus de bénéfices à réduire leur consommation, ont fait des tentatives pour la réduire avant l’entrée en traitement (90 jours avant) et montrent plus d’intérêt envers le traitement (Wild et coll., 2006). De plus, conformément à la théorie de l’évaluation cognitive, ce ne sont ni les mesures objectives de pressions sociales à consulter, ni les prescriptions légales qui prédisent l’engagement en traitement, mais la perception et la signification accordée à l’événement par l’individu. En effet, les pressions sociales objectives sont associées aux motifs de traitement (motivation internalisée ou externalisée), mais, contrairement à ces derniers, elles ne prédisent aucune des variables d’engagement au traitement mesurées dans cette étude.

Par ailleurs, d’autres études ont été conduites dans un champ assez similaire, soit la cessation tabagique. Globalement, ces études soutiennent les processus psychologiques proposés par la théorie de l’autodétermination. Lorsqu’un message ou un avis professionnel visant l’arrêt du tabac est perçu comme soutenant l’autonomie, tant les adolescents (Williams et coll., 1999) que les adultes (Williams et coll., 2002a) présentent des motifs de traitement plus internalisés et sont plus nombreux à cesser de fumer. De plus, une méthode d’intervention afin d’aider les gens à cesser de fumer a été conçue à partir des concepts de la théorie de l’autodétermination (Williams et coll., 2002b). Une étude permet de constater que cette méthode permet d’augmenter, par rapport à un groupe contrôle qui reçoit le traitement habituel, le nombre de fumeurs abstinents six mois (Williams et coll., 2006b) et douze mois après la fin du traitement (Williams et coll., 2006a).

En résumé, l’ensemble de ces études permet de constater que les concepts issus de la théorie de l’autodétermination sont associés ou prédisent certains comportements avant l’entrée en traitement (tentatives de réduction, intérêt envers le traitement), pendant le traitement (implication, assiduité) et après le traitement (diminution du taux de rechutes). De plus, ces concepts facilitent la compréhension des processus psychologiques qui favorisent l’internalisation de la motivation (perception de compétence, contexte qui soutient l’autonomie). Enfin, les études sur la cessation tabagique soulignent particulièrement l’importance d’une intervention qui soutient l’autonomie afin d’accroître la perception de compétence et l’internalisation de la motivation, ce qui amène de meilleurs résultats post-traitement.

La théorie des préoccupations actuelles et le counseling motivationnel systématique

Une autre théorie de la motivation, soit la théorie des préoccupations actuelles et son application clinique (counseling motivationnel systématique), est développée depuis plus de deux décennies par Klinger et Cox (1988). Ces auteurs cherchent à comprendre les motivations fondamentales sous-tendant le comportement humain et les principes permettant leur modification, tout particulièrement dans le champ de l’abus de SPA (Cox et Klinger, 1988). Ils postulent que les comportements et les expériences sont organisés autour de la poursuite de buts et de la joie que procurent l’anticipation et l’atteinte de ceux-ci. La modification de comportement doit donc naturellement être comprise comme l’adhésion à la poursuite de buts différents de ceux actuellement poursuivis par l’usager. Les auteurs ont appliqué leur conceptualisation à la compréhension de la consommation abusive d’alcool ou de drogues et ont développé un modèle d’intervention clinique (c.-à-d. le counseling motivationnel systématique) visant évidemment à modifier les fondements motivationnels de la consommation problématique de SPA.

Selon Klinger et Cox (2004), le changement affectif anticipé par l’atteinte ou non d’un but revêt une place centrale dans cette conceptualisation. L’affect y est défini comme étant un système de base permettant à l’humain de reconnaître la valeur de quelque chose, de buts ou de menaces potentielles, et la valeur des progrès vers l’atteinte des buts. Ces changements anticipés peuvent être désirables (augmentation de l’affect positif ou réduction de l’affect négatif) ou indésirables (réduction de l’affect positif ou augmentation de l’affect négatif). Les changements souhaités suscitent le désir de rapprochement ou d’appétence alors que les autres entraînent une réaction instinctive de fuite, d’évitement.

Un incitatif[8] est un objet (p. ex. : un meilleur salaire, un quart de gramme de cocaïne) ou un événement (p. ex. : rencontrer des gens, aller au cinéma) pour lesquels la personne anticipe, lorsqu’il sera obtenu ou vécu, un impact affectif personnel, positif ou négatif. Les gens veulent acquérir des incitatifs positifs pour augmenter leurs affects positifs et veulent se débarrasser des incitatifs négatifs qui augmenteraient leurs affects négatifs. La consommation de SPA a un grand pouvoir incitatif dans son rôle de régulation à court terme des affects (réduire les affects négatifs et augmenter les affects positifs). La valeur incitative d’une surconsommation de SPA est en compétition avec d’autres incitatifs dans la vie de la personne et vient leur porter ombrage. Par contre, cette surconsommation est également un incitatif négatif puisqu’elle cause des dommages et en ce sens, il vient un moment où l’individu voudrait également se débarrasser de cette habitude, d’où le sentiment bien connu d’ambivalence envers ce que la personne chérit, mais qui à la fois la fait souffrir.

Un but est simplement un incitatif qu’une personne tente d’atteindre. L’objet de toute quête est un incitatif, c’est-à-dire quelque chose duquel les gens espèrent soutirer des changements désirables sur le plan affectif. La structure motivationnelle est l’ensemble des buts d’une personne, des incitatifs qu’elle cherche à obtenir, à un moment donné de sa vie, et la manière dont elle se relie à ses buts.

L’engagement envers la poursuite d’un but déclenche un processus cérébral latent nommé « préoccupations actuelles »[9]. Ce sont des processus largement inconscients qui rendent l’individu plus enclin à remarquer, se souvenir, penser, rêver et agir au sujet de stimuli associés à la poursuite du but en question. Cet état est différent pour chaque but poursuivi par une même personne. La consommation d’alcool ou de drogues devient pour certaines personnes un but en soi, déclenchant ainsi ce processus motivationnel interne (préoccupation actuelle) qui orientera les processus attentionnels, les pensées, les émotions et les comportements vers les comportements de consommation de SPA (Cox et Klinger, 2004a).

Les diverses manifestations de la détresse, dont l’abus de SPA, sont comprises comme résultant, entre autres, d’un dérèglement de la fonction fondamentale de poursuite avec succès des buts. Pour plusieurs raisons, les personnes ne cherchent pas toujours à atteindre des incitatifs bénéfiques pour eux, soit parce que 1) elles ne savent pas comment atteindre le but qu’elles désirent, 2) elles imaginent que l’atteinte d’un but leur apportera un malheur plus grand que le bien recherché, 3) elles croient qu’elles ne réussiront pas et 4) elles estiment que compte tenu de contraintes diverses, elles sont obligées de choisir autre chose. Les buts sont ainsi une sélection limitée parmi les incitatifs disponibles pour une personne.

La personne alcoolique ou toxicomane attribue une haute valeur à la consommation de SPA à titre d’incitatif. Les attentes de bénéfices sont élevées, et ce, malgré toutes les détériorations dans la non-atteinte d’autres buts cruciaux de la vie. En fait, les attentes au sujet de la consommation de SPA sont des variables prédictives proximales fortes (Wiers et coll., 2005) de la consommation de SPA. En l’absence d’incitatifs puissants non reliés à la consommation de SPA ou de la structure motivationnelle nécessaire pour les acquérir, il est plus probable que la personne qui tente d’arrêter sa consommation de SPA ne réussisse pas. Elle manque d’alternatives affectivement stimulantes. En fait, les motivations à consommer des SPA sont intimement liées aux souhaits, aspirations et buts que les gens ont (ou n’ont pas) dans d’autres sphères de leur vie. Il faut donc examiner le contexte motivationnel de leur consommation de SPA afin de mieux pouvoir les aider. C’est ce que les auteurs nomment l’analyse de la structure motivationnelle (Cox et Klinger, 2004b; Klinger et Cox, 2004).

En considérant l’ensemble de la vie de la personne, Klinger et Cox (2004) suggèrent que la qualité du sentiment de bien-être dépend de la réalisation de buts fondamentaux tels que 1) maintenir des relations intimes, 2) obtenir un emploi satisfaisant, 3) avoir du soutien interpersonnel dans la poursuite de ses propres buts, 4) avoir un fort sentiment d’engagement envers ses buts de même que l’impression de progresser vers leur atteinte, 5) avoir des buts cohérents avec ses valeurs personnelles, par opposition à ceux imposés par autrui.

Malgré l’automatisme inhérent à la répétition si fréquente d’un comportement, Klinger et Cox (2004) stipulent que tout comportement est le fruit d’une décision (en tenant compte de tous les déterminismes génétiques, physiologiques, psychologiques et culturels) et que ce processus décisionnel peut être changé en modifiant la gamme d’alternatives à partir desquelles l’individu peut choisir. Le consommateur de SPA, pour être motivé à changer, doit percevoir à la fois les conséquences négatives de sa consommation de SPA et les bénéfices de les changer, ce qui requiert de croire à la fois qu’il existe des bénéfices suffisamment attractifs et qu’ils vont croître si la consommation de SPA change (Cox et Klinger, 2004a).

C’est pourquoi le counseling motivationnel systématique commencera par une évaluation de la structure motivationnelle de l’usager (Cox et Klinger, 2004b). L’usager doit identifier les sphères de vie à l’intérieur desquelles il a des préoccupations importantes ou pour lesquelles il souhaite changer quelque chose, notant de façon descriptive les changements souhaités, son degré d’engagement envers ce but, la probabilité de l’atteindre, son sentiment de contrôle, etc. Finalement, il doit s’attarder au degré d’aide ou de nuisance apporté par sa consommation d’alcool ou de drogues dans l’atteinte de ce but.

Cet exercice peut occuper plus d’un entretien et permet de dresser un portrait complexe des motivations ou buts recherchés par la personne, de même que les buts abandonnés ou souhaités que la personne croit être incapable d’atteindre, et de leurs interactions positives ou négatives avec la consommation de SPA. Cette évaluation n’est pas vue comme un portrait statique, elle donne plutôt un aperçu de la perception de la personne envers ses préoccupations et intérêts, sa capacité de les atteindre et son estimation d’un éventuel bénéfice émotionnel.

Par la suite, une évaluation des interactions entre les différents buts est menée et une attention particulière est accordée aux buts de la consommation de SPA et à ses interactions avec les autres cibles. Cette étape vise à donner la priorité aux buts qui sont facilitateurs de la réalisation de plusieurs autres buts, mais aussi à ceux qui en entravent la réalisation. À cette hiérarchisation des buts s’enchaîne un traitement comportemental cognitif par l’opérationnalisation des étapes à gravir, l’identification de tâches entre les rencontres, l’apprentissage d’habiletés nécessaires à l’atteinte des buts sélectionnés, la résolution de conflits entre les buts, le désengagement envers des buts inappropriés et l’identification de nouveaux incitatifs. De façon générale, le thérapeute invitera l’usager à passer d’un style d’évitement d’incitatifs négatifs à un style d’appétence ou de recherche d’accomplissement de buts positifs (p. ex., passer de stratégies visant à éviter la maladie à celles favorisant la recherche de la santé). Il est aussi à prévoir que le processus de désengagement envers la consommation de SPA, comme tout processus de désengagement vis-à-vis un but ayant été fortement investi sur le plan affectif, entraîne une séquence de changements émotionnels : stimulation à le retrouver, colère, dépression et rétablissement.

En somme, s’appuyant sur le postulat que le changement de comportement est déterminé par le pouvoir attractif des incitatifs faisant partie du répertoire d’un individu, l’ensemble du processus clinique vise à réorganiser la structure motivationnelle de la personne de manière à ce que les incitatifs autres que la consommation de SPA soient plus attractifs. Le but est de maximiser la satisfaction émotionnelle envers des incitatifs non reliés à la consommation de SPA et donc, de réduire par le fait même la motivation à rechercher la satisfaction émotionnelle par la consommation de SPA. Ainsi, la personne pourra reprendre sa quête productive d’incitatifs qui ont le potentiel de soulever en elle un sentiment de bonheur et d’accomplissement.

Les études d’efficacité

Des études ont porté sur l’hypothèse selon laquelle la présence d’un but (p. ex., consommer une SPA), conscient ou non, accroît et intensifie les pensées de la personne à ce sujet et oriente ses comportements vers l’obtention de la substance. En conséquence, elle développe un biais attentionnel envers les stimuli reliés à l’obtention du but (Fadardi et Cox, 2009). Les résultats semblent confirmer cette hypothèse, démontrant que lorsqu’une personne surconsomme de l’alcool, elle porte plus attention aux stimuli reliés à ce but (Fadardi et Cox, 2008; Weinstein et Cox, 2006). Cette situation ne peut d’ailleurs pas être expliquée par des déficits cognitifs chez les alcooliques (Fadardi et Cox, 2006). L’entraînement à la réduction de ce biais semble également favoriser une diminution de la consommation d’alcool, confirmant en partie l’utilité de ces travaux pour l’amélioration des pratiques cliniques (Fadardi et Cox, 2009).

La qualité de la structure motivationnelle (rôle actif et engagement dans l’atteinte de ses buts, joie anticipée à leur atteinte et estimation positive du potentiel de succès) est également associée à la capacité de contrôler sa consommation d’alcool chez les étudiants universitaires de quatre pays et à une meilleure satisfaction envers la vie (Cox et coll., 2002). Elle permet aux personnes alcooliques de mieux profiter d’un traitement de l’abus de SPA (Klinger et Cox, 1986), et ce, à long terme (Cox et coll., 2003). Les toxicomanes en désintoxication ayant une meilleure structure motivationnelle présentent moins de négation de leurs problèmes et sont plus motivés à changer que ceux ayant une structure motivationnelle plutôt inadaptée (Cox et coll., 2000). Ces associations entre la structure motivationnelle et différents indices de santé et de résultats thérapeutiques peuvent également laisser croire que celle-ci est un indice général de bon fonctionnement psychique et relationnel, un indice global de santé et de bien-être, par conséquent normalement associé à des indices divers de succès.

Une seule étude portant directement sur l’efficacité du counseling motivationnel systématique a été recensée. Cette approche est plus efficace que l’absence de traitement dans la réduction de la consommation de SPA (groupe de comparaison sans distribution au hasard) auprès de personnes abusant de SPA et ayant subi un traumatisme crânien, améliorant leur structure motivationnelle et réduisant la consommation de SPA (Cox et coll., 2003). Des rapports informels indiquent que le counseling motivationnel systématique est apprécié par les cliniciens en tant qu’outil permettant de connaître les besoins et les interactions positives ou négatives entre les diverses motivations de l’usager, favorisant ainsi l’élaboration d’un plan d’intervention individualisé (Cox et coll., 2003).

Comparaison entre les trois modèles

La recension de trois élaborations clinico-théoriques autour de la motivation à changer un comportement nous procure deux théories de la motivation (théorie de l’autodétermination et la théorie des préoccupations actuelles) ayant chacune une application clinique (p. ex., le counseling motivationnel systématique) et finalement, un modèle d’intervention plutôt issu de travaux cliniques (entretien motivationnel – EM). Le tableau 1 met en évidence les similitudes et différences entre les trois modèles.

Tableau 1

Comparaisons entre l’entretien motivationnel, la théorie de l’autodétermination et la théorie des préoccupations actuelles / le counseling motivationnel systématique

Comparaisons entre l’entretien motivationnel, la théorie de l’autodétermination et la théorie des préoccupations actuelles / le counseling motivationnel systématique

EM = entretien motivationnel; TAD = théorie de l’autodétermination; TPA / CMS = théorie des préoccupations actuelles / counseling motivationnel systématique

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La théorie de l’autodétermination et la théorie des préoccupations actuelles sont deux théories générales, tentant d’expliquer la source de la motivation humaine sous ses diverses formes. L’entretien motivationnel représente plutôt l’élaboration exhaustive de stratégies cliniques démontrées comme étant les plus efficaces dans le traitement de l’alcoolisme et de la toxicomanie. C’est probablement ce qui a fait dire à Ryan et Rollnick (respectivement coauteurs de la théorie de l’autodétermination et de l’entretien motivationnel) que la théorie de l’autodétermination pourrait permettre de mieux comprendre les processus responsables de l’efficacité de l’entretien motivationnel (Markland et coll., 2005). D’autre part, les attitudes et les principes qui guident l’entretien motivationnel permettraient de satisfaire les besoins d’autodétermination, de relations interpersonnelles et de compétence postulés par la théorie de l’autodétermination (Ginsburg et coll., 2002; Vansteenkiste et Sheldon, 2006).

La théorie de l’autodétermination postule que l’être humain a des besoins fondamentaux expliquant la motivation, dont les besoins d’être en relation, d’autodétermination et de compétence. La théorie des préoccupations actuelles stipule que l’être humain cherche à accomplir des buts fondamentaux, dont l’intimité et la recherche du soutien d’autrui dans l’accomplissement de ses buts, la recherche de cohérence entre ses buts et ses valeurs, le sentiment de progresser dans l’atteinte des buts et la réalisation d’un emploi satisfaisant. Plusieurs similarités sont présentes. On pourrait cependant noter l’accentuation de la perspective future apportée par le counseling motivationnel systématique dans l’importance à identifier les buts vers lesquels la personne oriente ses énergies.

Il faut également noter que les trois théories/modèles recensés ne sont pas des approches comportementales en tant que telles. La théorie des préoccupations actuelles stipule que le changement de comportement se fait d’abord par un changement de buts et, en ce sens, d’orientation cognitive. Dans le même esprit, la théorie de l’autodétermination s’intéresse davantage à la nature de la motivation sous-jacente au comportement pour expliquer ce dernier. L’entretien motivationnel, de façon plus pratique, s’intéresse à toute intervention qui fera accroître l’attrait d’un changement, de façon à préparer la modification ultérieure de comportement.

L’entretien motivationnel pourrait très bien être une excellente approche préparatoire au counseling motivationnel systématique (Resnicow et coll., 2004). En fait, les auteurs de l’entretien motivationnel estiment que le counseling motivationnel systématique est une approche plus englobante, situant la consommation de SPA dans une analyse complète des intérêts et motivations de la personne au sein des différentes sphères de vie alors que l’entretien motivationnel vise plus spécifiquement à résoudre l’ambivalence envers la consommation de SPA (Miller et Rollnick, 1991). D’autre part, le counseling motivationnel systématique pourrait avantageusement être utilisé pour accroître la motivation chez des personnes ambivalentes. En fait, l’exercice d’identification des buts de la personne dans chaque sphère de vie et de leurs interactions positives et négatives avec la consommation de SPA peut aisément se concevoir comme un exercice favorisant la réflexion, sans engagement au changement, tel que le préconise l’entretien motivationnel (Sellen et coll., 2006).

Bref, ces trois théories/modèles présentent diverses complémentarités sans oppositions significatives (Resnicow et coll., 2004). L’entretien motivationnel est toutefois un modèle dominant dans le champ du traitement de l’alcoolisme et de la toxicomanie. La théorie de l’autodétermination a seulement été sporadiquement appliquée au traitement de l’alcoolisme et de la toxicomanie. Les premières applications du counseling motivationnel systématique ont visé les personnes alcooliques, mais ce modèle est peu répandu. Il y aurait avantage à s’enrichir de ces modèles complémentaires améliorant notre compréhension des processus explicatifs du changement et permettant de comprendre un peu mieux l’efficacité de l’entretien motivationnel. Du même souffle, on pourrait améliorer l’efficacité de nos approches.