Résumés
Résumé
Le présent document dépeint la prévalence de l’usage du cannabis chez les adolescents canadiens aux études, d’après des enquêtes menées antérieurement auprès de cette population. Les résultats montrent que 24 à 39 % de tous les élèves ont fait usage de cette drogue au cours des dernières années. Chez les élèves de septième année[2], le pourcentage varie entre 5 et 14 %, alors que le taux maximal chez les étudiants à la fin du secondaire atteint 41 à 57 %. Malgré des variations régionales, les données sur les tendances en matière de consommation de cannabis montrent que les taux ont augmenté au cours des années 1990. De plus, certaines données révèlent qu’à la fin des années 1990, le nombre d’élèves ontariens ayant déclaré faire un usage plus fréquent de cannabis et celui ayant signalé la présence d’indicateurs de dépendance s’étaient accrus. Il faut se pencher avec plus d’attention non seulement sur le rapport existant entre non-usage et usage, mais également sur celui qui existe entre usage et méfaits.
Abstract
Based on existing surveys of Canadian adolescent students, this paper describes the prevalence of cannabis use. The results show that among all students, past year cannabis use varied from 24% to 39%. Use among 7th-graders varied from 5% to 14%, while peak use for students at the end of high-school varied from 41% to 57%. Despite regional variation in rates of cannabis use, available trend data showed increasing rates of use during the 1990s. In addition, available data showed that more Ontario students reported using cannabis more frequently and more reported dependence indicators during the late 1990s. More attention needs to be given, not only to the linkages from non-use to use, but to the linkages from use to harm.
Corps de l’article
Introduction
D’importantes raisons justifient d’évaluer l’usage de drogues chez les adolescents. La première est de chercher à comprendre le caractère actuel et futur de cet usage ; pour ce faire, on dispose de certains indicateurs épidémiologiques majeurs. Les indicateurs les plus notables à cet égard sont liés à l’âge, tels qu’un début de consommation à un âge précoce, ainsi que la fréquence de cet usage, et constituent des critères prévisionnels importants pour ce qui est de l’usage de drogues et des problèmes qui en découlent (DeWit, Adlaf, Offord et Ogborne, 2000 ; Grant et Dawson, 1997). En effet, on peut facilement prévoir des augmentations de la prévalence de la consommation de drogues comme le cannabis dans des cohortes d’adultes, d’après les augmentations relevées dans des cohortes antérieures d’élèves (Adlaf et Ialomiteanu, 2002). De telles augmentations déterminantes de l’usage de drogues chez les adolescents sont susceptibles d’avoir des répercussions majeures dans l’avenir. Ainsi, selon les projections, les augmentations passées de la consommation de drogues dans les cohortes de baby-boomers se traduiront par des besoins de traitement accrus dans l’avenir (Gfroerer, Penne, Pemberton et Folsom, 2003). La deuxième raison est que la consommation fréquente de drogues pendant l’adolescence est associée à une évolution de vie négative, notamment à de piètres résultats sur les plans éducatif et professionnel (Bachman, Wadsworth, O'Malley, Johnston et Schulenberg, 1997). Partout dans le monde, les enquêtes menées dans les écoles sont devenues un outil essentiel pour évaluer l’usage de drogues chez les adolescents, surtout chez les plus jeunes qui ne sont généralement pas englobés dans les enquêtes menées auprès de la population générale.
Malheureusement, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis et en Europe, situation qu’abordent respectivement deux études baptisées Monitoring the Future (Johnston, O'Malley et Bachman, 2002) et ESPAD (Hibell et coll., 2000), aucune étude permanente d’envergure nationale n’évalue au Canada la consommation d’alcool et des autres drogues. Les premières enquêtes en milieu scolaire qui sont documentées ont été réalisées en 1968 à Toronto (Smart & Fejer, 1975) et en 1970 à Vancouver (Russell, 1971 ; Russell et Hollander, 1974). La première enquête nationale sur l’usage de drogues chez les élèves du secondaire, menée en 1972 par la Commission Le Dain, provenait en fait d’une enquête auprès des ménages (Lanphier et Phillips, 1971). Depuis ce temps, les enquêtes nationales sur l’usage de drogues chez les adolescents n’ont été menées, au mieux, qu’irrégulièrement (Stephens et Morin, 1996).
Les premières enquêtes sur l’usage de drogues chez les élèves ont généralement été le fait des provinces, le principal instigateur ayant été Reginald Smart de la Fondation de la recherche sur la toxicomanie de l’Ontario, organisation connue aujourd’hui sous le nom de Centre de toxicomanie et de santé mentale. La Fondation a commencé à sonder les élèves de Toronto entre 1968 et 1974, puis à interroger ceux de l’Ontario tous les deux ans depuis 1977. Fait heureux, on a commencé à mener des enquêtes nationales probabilistes sur la consommation de drogues, sur une base régulière et permanente, en Nouvelle-Écosse en 1991, au Nouveau-Brunswick en 1992, à l’Île-du-Prince-Édouard, à Terre-Neuve et au Labrador en 1996, ainsi qu’en Alberta en 2002. D’autres séries d’enquêtes sont réalisées au Manitoba depuis 1993. De plus, d’autres enquêtes provinciales permanentes en milieu scolaire portant sur des comportements liés à la santé générale ou sur l’usage de substances particulières comprennent des questions sur la consommation de drogues (Institut de la statistique du Québec, 2003 ; McCreary Centre Society, 1999). En Colombie-Britannique et en Saskatchewan, il n’existe pas d’enquêtes permanentes en milieu scolaire sur l’usage de drogues.
Bien que la consommation occasionnelle de cannabis soit associée à des risques nettement plus faibles que celle de cocaïne, d’hallucinogènes et d’ecstasy (MDMA), elle constitue un indicateur clé du comportement des adolescents à l’égard des drogues. Le cannabis est non seulement la drogue illicite la plus consommée, mais il est aussi considéré comme une drogue de « passage » à d’autres drogues. Même s’il existe peu de données appuyant l’interprétation causale de cette hypothèse de drogue d’introduction, à savoir que l’usage d’une drogue plutôt au cours d’une séquence comportementale donnée entraîne l’usage d’une drogue plus tard au cours de cette séquence, la consommation de cannabis expose bel et bien la personne à d’importantes associations socio-contextuelles qui peuvent influer sur le déroulement des séquences à venir menant à l’usage de drogues ainsi que sur les schémas associationnels de consommation (Kandel, 2002).
Le présent document vise à décrire la prévalence actuelle de l’usage du cannabis chez les adolescents canadiens aux études ainsi que les tendances dans ce domaine. Les renseignements fournis proviennent exclusivement de données tirées d’enquêtes réalisées en milieu scolaire.
Méthodologie
Cet aperçu de l’usage du cannabis chez les élèves canadiens provient de neuf enquêtes (Adlaf et Paglia, 2001 ; Alberta Alcohol and Drug Abuse Commission, 2002 ; Institut de la statistique du Québec, 2003 ; Liu, Jones, Grobe, Balram et Poulin, 2003 ; MacDonald et Holmes, 1998 ; McCreary Centre Society, 1999 ; Patton, Brown, Broszeit et Dhaliwal, 2001 ; Poulin, 2002 ; Van Til et Poulin, 2002). Sept d’entre elles ont été menées de façon aléatoire et portent spécifiquement sur l’usage de drogues (tableau 1). Bien que l’enquête du Manitoba ne soit pas une enquête aléatoire de probabilité totale, elle est présentée pour compléter le présent dossier. Les enquêtes menées actuellement en milieu scolaire en Colombie-Britannique et au Québec ne portent pas spécifiquement sur la consommation de drogues ; elles contiennent cependant un nombre limité de questions sur l’usage de drogues illicites.
Résultats
Prévalence actuelle
Comme le montre le tableau 2, l’usage du cannabis au cours des dernières années variait entre 24 et 39 % selon les plus récentes estimations (24 % à l’Île-du-Prince-Édouard, 28,6 % en Ontario, 35 % au Nouveau-Brunswick, 36,5 % en Nouvelle-Écosse, 37,9 % au Manitoba et 39,1 % au Québec). La prévalence chez les élèves de septième année fluctue entre 5 et 14 % (5 % en Ontario et à l’Île-du-Prince-Édouard, 8 % au Nouveau-Brunswick, 10 % en Nouvelle-Écosse et 14 % au Québec). Le taux maximal d’usage du cannabis atteint une proportion de 41 à 57 % (41 % chez les élèves de douzième année de l’Île-du-Prince-Édouard, 46 % chez les élèves de onzième année de l’Ontario, 55 % chez les élèves de douzième année du Nouveau-Brunswick, 56 % chez les élèves de cinquième secondaire du Québec et 57 % chez les élèves de douzième année de la Nouvelle-Écosse).
Tendances
La figure 1 montre les tendances en matière d’usage du cannabis chez les élèves ontariens de la septième à la treizième année, de 1977 à 2001. À titre comparatif, nous faisons aussi état des tendances chez les jeunes Américains de huitième, dixième et douzième année, tendances qui dérivent de l’étude MTF (Johnston et coll., 2002).
Ces données montrent un pic en 1979, un déclin pendant les années 1980 et une remontée au cours des années 1990. Cette tendance est la plus notable chez les élèves de onzième année, l’usage du cannabis dans cette catégorie d’adolescents étant passé de 39,4 % en 1977 à 50,2 % en 1979, pour chuter à 20,3 % en 1991 et ensuite remonter à 48,1 % en 1999. Cette tendance de changement à long terme est presque équivalente à celle qu’on retrouve chez les élèves américains. En fait, il existe une covariance très étroite des taux observés en Ontario et aux États-Unis, au fil du temps.
Bien que les données sur les tendances existant dans d’autres régions soient limitées, on observe des augmentations similaires de l’usage du cannabis pendant les années 1990 au Manitoba (augmentation de 26 % en 1993 à 37 % en 1997), en Nouvelle-Écosse (augmentation de 17 % en 1991 à 32 % en 1996, puis à 38 % en 1998) et au Nouveau-Brunswick (augmentation de 17 % en 1992 à 29 % en 1996, puis à 35 % en 2002).
Selon certaines indications, la fréquence et l’intensité de l’usage du cannabis se sont également accrues. Du fait que le Sondage sur la consommation de drogues parmi les élèves de l’Ontario (SCDEO) fournit des données sur les tendances à long terme, nous nous en sommes tenus à cette source. En premier lieu, ces données montrent que l’usage fréquent a connu une hausse au cours des années 1990, après avoir chuté régulièrement entre 1979 et 1989. D’après la figure 2, les utilisateurs de cannabis ont diminué leur consommation moyenne au cours des dernières années de17,1 à 9,6 fois, et le pourcentage d’utilisateurs en ayant consommé 40 fois ou plus a baissé de 25,8 à 9,7 %. Cette tendance s’est inversée en 1989 ; ainsi, le pourcentage d’utilisateurs de cannabis ayant déclaré en avoir consommé 40 fois ou plus a progressé de façon significative, soit de 9,7 à 20,9 % en 2001, et le nombre moyen de fois où ils en ont consommé a aussi grimpé de 9,6 à 15,4 fois. Entre 1999 et 2001, la fréquence de consommation est demeurée stable (15,0 fois, comparativement à 15,4 fois), de même que le pourcentage d’utilisateurs ayant signalé en avoir consommé 40 fois ou plus (21 %). La consommation quotidienne de cannabis a également augmenté parmi ses utilisateurs au cours de la dernière décennie. Ainsi, entre 1997 et 2001, de 8 à 9 % des utilisateurs de cannabis (3 % de tous les élèves) ont déclaré en consommer tous les jours, comparativement à des pourcentages estimés de 3 à 4 % entre 1987 et 1989 (moins de 1 % de tous les élèves). Si on considère que le rapport entre la consommation quotidienne parmi l’échantillon total et la consommation au cours de la dernière année (c.-à-d. taux d’usage quotidien/taux d’usage des douze derniers mois) est un indicateur de l’intensité relative de l’usage du cannabis, alors on peut dire que ce taux est plus élevé en 2001 (0,10), par comparaison avec les enquêtes antérieures des années 1990 (0,07-0,08), et particulièrement comparativement à celui de 1987 (0,04).
En deuxième lieu, les indicateurs de dépendance au cannabis semblent montrer une faible augmentation, surtout entre 1997 et 1999. À partir de 1997, dans le cadre du SCDEO, on a évalué trois indicateurs de dépendance au cannabis, à savoir un usage incontrôlé, un usage quotidien soutenu et des tentatives récentes pour le diminuer. Le tableau 3 montre, qu’entre 1997 et 1999, le pourcentage d’utilisateurs de cannabis ayant affirmé en faire un usage incontrôlé avait significativement augmenté (passant de 6,0 à 11,2 %) et qu’il avait connu une légère baisse à 8,4 % en 2001. De même, en 1999, un plus fort pourcentage d’utilisateurs de cannabis ont signalé, par rapport à 1997 (42,7 %, comparativement à 31,2 %), avoir tenté de réduire leur consommation. À l’heure actuelle, ce pourcentage demeure élevé, soit 39,5 %. En outre, les consommateurs de cannabis étaient aussi plus susceptibles de présenter les trois indicateurs de dépendance en 2001 (7,7 %), par rapport à 1997 (1,7 %). Toutefois, ces données limitées dans le temps ne font que donner une idée sur la question et ne doivent pas servir à conclure à une augmentation déterminante du problème de l’usage du cannabis.
Argumentation
En résumé, selon nos conclusions, l’usage du cannabis parmi tous les élèves canadiens récemment sondés variait de 24 à 39 % au cours des dernières années. Chez les élèves de septième année, le pourcentage varie entre 5 et 14 %, le taux maximal atteignant par ailleurs de 41 à 57 %. Malgré des variations régionales, les données sur les tendances en matière de consommation de cannabis montrent que les taux ont augmenté au cours des années 1990. De plus, nous avons également constaté, qu’à la fin des années 1990, le nombre d’élèves ontariens ayant déclaré faire un usage plus fréquent de cannabis et celui ayant signalé des indicateurs de dépendance s’étaient accrus. Qu’est-ce qui peut donc expliquer cette augmentation de la consommation de cannabis pendant les années 1990 ? Comme l’ont montré Johnston et ses collègues (Bachman, Johnston, O'Malley et Humphrey, 1988 ; Bachman et coll., 1997), certains facteurs clés demeurent liés à la perception du risque, à la désapprobation de l’usage de cette drogue et à sa disponibilité. En effet, selon les données que nous avons tirées du SCDEO, l’usage du cannabis a augmenté de 11,7 % en 1991 à 28,6 % en 2001. Le pourcentage d’élèves pensant qu’il était très risqué de l’essayer une ou deux fois a chuté de 30,7 % à 18,6 %, celui des élèves fortement opposés à l’idée d’y goûter une ou deux fois a baissé de 43,2 % à 28,6 % et celui des élèves estimant qu’il était facilement ou très facilement disponible s’est accru de 29,0 à 54,1 % (Adlaf et Paglia, 2001).
Bien entendu, cet aperçu est limité par plusieurs facteurs. Premièrement, les estimations étant fondées sur les dires des élèves quant à leur usage du cannabis, on doit les considérer comme étant modérées. Deuxièmement, la population cible d’élèves incluse dans les enquêtes ne comprend pas les décrocheurs, dont le nombre croît avec le niveau scolaire, ni les élèves absents la journée même de l’enquête. Troisièmement, l’analyse se limite aux données comparatives rapportées et disponibles. Les observations sur les différences régionales, par exemple, sont néanmoins comparables à celles notées dans les enquêtes nationales (MacNeil et Webster, 1997). Quatrièmement, il a été impossible d’avoir une vue d’ensemble d’indicateurs comme l’intensité ou le début de la consommation. En fait, même si la prévalence de l’usage du cannabis est un indicateur nécessaire de la nature de cet usage, il est insuffisant.
À notre avis, le Canada se trouve aujourd’hui à un carrefour important en matière d’enquêtes sur l’usage de drogues. Pour mieux comprendre la question de l’usage de drogues chez les adolescents, et dans la population générale, nous devons nous assurer qu’un plus grand nombre d’enquêtes seront capables de saisir et de mettre en évidence des sujets comme la fréquence et l’intensité de cette consommation, ainsi que d’établir la différence entre un début de consommation précoce « normal » et un début de consommation précoce « prédisposant aux problèmes » (Labouvie et White, 2002). En somme, il faut se pencher avec plus d’attention, non seulement sur le rapport existant entre non-usage et usage, mais également sur celui qui existe entre usage et méfaits. Malheureusement, il manque souvent d’espace sur les questionnaires des enquêtes nationales sur la santé existantes, comme l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes, pour recueillir de telles données indispensables. En deux mots, pour continuer à faire progresser, au Canada, l’épidémiologie des comportements associés à l’usage de drogues, les enquêtes spécifiques sur la toxicomanie doivent devenir une force majeure pour enrichir nos connaissances.
Parties annexes
Notes
Références
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