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Introduction

Le programme Sciences et techniques de l’information (STI) a été initié dans les années 1980 au Bénin pour former au niveau universitaire dans les trois spécialités que sont la bibliothéconomie, l’archivistique et la documentation. Il est logé au sein de l’École nationale d’administration et de magistrature (ENAM) de l’Université d’Abomey-Calavi. La première promotion de licence (trois ans d’études) a été recrutée en 1982 (Gandaho, 1989, 1993). Depuis lors, environ 700 archivistes ont été formés et livrés au marché de l’emploi ; ils occupent des postes dans l’administration publique, dans les entreprises privées ou associations, ou encore dans des organismes sur le plan national aussi bien qu’international (Abati, 2019 ; Mahoussi et al., 2018).

Le contenu du programme de formation a été révisé à plusieurs reprises en tenant compte des évolutions socio-économiques et technologiques ; il a été évalué et critiqué également (Adjagba, 1993 ; Gnanguenon et al., 2017 ; Hounyo et Sonon, 1997 ; Mahoussi et al., 2018 ; Mêgnigbêto, 2007, 2008a, 2008b ; Mehissou, 2002, 2003a, 2003b). De nombreux travaux de recherche d’étudiants ont été consacrés à l’état des documents d’archives dans les institutions béninoises, qu’elles soient publiques ou privés ; les différents problèmes relevés ont été consolidés par la Direction des archives nationales (2008, 2018) dans la Politique nationale de développement des archives :

La majorité des services d’archives ne dispose pas d’outils de gestion tels que le plan de classement et le calendrier de conservation ; s’il en existe, ils sont obsolètes ou inadaptés. On note par ailleurs le manque d’uniformisation des pratiques, l’absence d’une prise en charge des documents dès leur création dans les bureaux, l’absence d’une culture de classement au quotidien, le faible niveau de dématérialisation, le non-respect par les producteurs des principes de versement d’archives, etc. […]. Les conséquences d’une telle situation sont entre autres, des pertes de documents et de dossiers, les pertes de temps dans la recherche documentaire, les frustrations des chercheurs et des citoyens, la reprise des études et des risques liés à la continuité administrative, etc. […] Quand les dossiers sont disponibles, ils livrent des renseignements tronqués, incomplets car démembrés, désarticulés, altérés. Les portions de texte se retrouvent çà et là, hors du contexte leur ayant donné naissance.

Direction des archives nationales, 2018

L’absence d’une prise en charge des documents dès leur création (par l’archiviste) et l’absence d’une « culture de classement » au quotidien (par les agents dans les services producteurs) impliquent l’absence de dossiers dans les administrations et ont pour corollaire le non-respect par les producteurs des principes de versement d’archives ; elles sont la racine de toutes les insuffisances relevées, car elles ont engendré une manière particulière de travailler de l’archiviste. Les documents n’étant pas organisés en dossiers avant d’être envoyés au service des archives, ils parviennent à l’archiviste en désordre et largement après l’expiration de la durée d’utilité administrative. L’archiviste a pour tâche de tenter de mettre un ordre qui ne peut plus être celui qui aurait dû être ; il se contente alors de catégoriser les documents suivant la typologie, créant ce qu’il appelle dossiers comme « Courriers arrivée », « Courriers départ », « Documents de synthèse et d’étude »[1], « Notes de service », « Actes officiels »[2], etc. Ce faisant, l’archiviste ignore la théorie des trois âges et viole le principe de respect des fonds selon lequel, entre autres, l’ordre dans lequel les documents ont été constitués par les services producteurs doit être respecté. Par ailleurs, l’archiviste va à l’encontre de la constitution organique ou logique des dossiers (Mas et Gagnon-Arguin, 2003). Ainsi, il ne fait plus un travail professionnel, mais devient un simple trieur de documents ; ses compétences ne lui permettent que de prendre en charge le vrac, c’est-à-dire des documents non regroupés en dossiers, qu’il reçoit pêle-mêle. Le contenu du programme de formation se révèle la source de la majorité des problèmes des archives dans l’administration et dans les entreprises. Or, le dossier est le « noyau autour duquel les documents sont organisés en fonction des activités de l’institution pour servir de preuve, de justification ou d’information, et pour garantir l’efficacité dans le travail » (Commission européenne, 2002) ; il doit être créé dans les bureaux par les agents dès la réception de la première pièce de l’affaire, et alimenté par eux.

Une évaluation interne du programme de formation (Gnanguenon et al., 2017) a relevé les insuffisances regroupées en trois ponts, qui sont : 1) l’absence de l’enseignement de compétences en gestion des documents actifs, 2) l’absence de l’enseignement des normes de description archivistique, et 3) l’absence de l’enseignement des outils d’indexation matière.

Le présent article vise à donner les éléments saillants du programme de formation en archivistique élaboré en remplacement et mis en oeuvre à l’ENAM de l’Université d’Abomey-Calavi en République du Bénin à compter de la rentrée académique 2019-2020. Il est organisé comme suit : brève présentation du Bénin ; historique de la formation ; insuffisances de la formation ; identification des causes ; description de la solution apportée par la révision du programme de formation ; et conclusion.

Présentation du Bénin

La République du Bénin est un pays de l’Afrique de l’Ouest d’une superficie d’environ 112 mille kilomètres carrés (Commission de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest [CEDEAO], 2012, p. 23) ; il est limité par le Nigéria à l’est, le Togo à l’ouest, le Niger et le Burkina Faso au nord et l’océan Atlantique au sud. Sa capitale est Porto-Novo ; cependant, Cotonou est sa ville la plus importante par les activités économiques et siège de la Présidence de la République et du gouvernement. Le pays compte 12,2 millions d’habitants en 2020 (African Development Bank, 2020), dont 60,6 % ne savent ni lire ni écrire en français, la langue officielle (World Bank, 2020).

Dès les premières années de son indépendance, le Dahomey a connu une instabilité politique. Un coup d’État intervenu en 1972 a mis fin à cette instabilité et instauré un parti unique et un régime socialiste basé sur le marxisme léninisme (Dossou, 1992, 2000). La Conférence nationale des forces vives de la nation de février 1990 a jeté les bases d’un régime démocratique ; depuis lors, l’alternance démocratique s’opère à la tête du pays (Dossou, 1992, 2000). L’Indice de Développement Humain du Bénin est de 0.520, le classant dans le rang des pays à faible développement humain, 163e sur 189 pays et 4e parmi les 15 pays de l’Afrique de l’Ouest, après le Cap-Vert, le Ghana et le Nigeria, et immédiatement devant la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Togo dans cet ordre (United Nations Development Programme, 2019). Le taux de croissance du PIB est de l’ordre de 5 à 7 % entre 2017 et 2019 (African Development Bank, 2020 ; World Bank, 2020) avec un PIB par habitant de 1211,3 dollars en 2018. L’espérance de vie est de 61,5 ans en 2018. Jusque-là pays à faible revenu, le Bénin est classé pour la première fois parmi les pays à revenu intermédiaire bas en 2020 (World Bank, 2020).

Comme la plupart des pays africains au sud du Sahara, le Bénin a une administration peu efficace dont le fonctionnement rappelle celui d’un État fantôme ou défaillant (Darbon, 2003) et caractérisée par un bas niveau des ressources matérielles, la bureaucratie, un personnel pléthorique et un faible niveau de contrôle interne (Ministère d’État chargé du plan et du développement, 2018 ; Ministère du Travail, de la fonction publique et des affaires sociales, 2011 ; Bierschenk et al., 2003). Même si des progrès sont enregistrés dans la lutte contre la corruption, le pays est encore classé 80e dans la liste des pays gangrénés par ce phénomène (Transparency International, 2019). La situation des archives est assez critique (Direction des archives nationales, 2008, 2018). Face à ces problèmes, le gouvernement a prévu « de dynamiser et de moderniser l’administration publique en ce qui concerne notamment les procédures, l’informatisation, l’archivage numérique et la dématérialisation » (Présidence de la République, 2016 ; Ministère d’État chargé du plan et du développement) et a mis en place récemment un data center pour la sauvegarde des données produites par toute l’administration publique.

Historique et objectifs de la formation

Le Bénin disposait d’un Centre de formation administrative et de perfectionnement (CEFAP) qui était chargé de former des cadres supérieurs au profit de l’État (Mahoussi et al., 2018). Le CEFAP bénéficiait de l’assistance de l’Agence canadienne pour le développement international (ACDI), dont des experts assuraient le rôle de conseiller auprès du centre. Il a été constaté que le Bénin ne disposait pas d’une « politique nationale dans le domaine de l’information documentaire, que les infrastructures étaient inadaptées et [que] les ressources matérielles et humaines insuffisantes » (Gandaho, 1989, p. 217). L’absence de mains d’oeuvre qualifiées était pointée comme la cause principale de cette situation. Même si l’État formait certains cadres supérieurs à l’étranger, le coût était élevé ; les quelques-uns qui bénéficiaient de cette opportunité ne revenaient pas toujours servir le pays. Le budget de l’État ne pouvait pas faire face au besoin d’agents dans le secteur en comptant sur les formations à l’étranger, vu que le besoin en la matière était estimé à 610 agents en 1980 (Gandaho, 1989). Par ailleurs, une expérience de perfectionnement en gestion de service d’information à l’attention d’« agents qui n’avaient pas une qualification suffisante » (Gandaho, 1989) avait montré à la fois le besoin des administrations et l’intérêt des agents. Sur la base d’une évaluation par l’UNESCO de la capacité du CEFAP à organiser une formation dans le domaine, la formation a effectivement démarré en janvier 1982. Ainsi naquit le Programme STI.

Le Programme STI avait pour objectifs d’assurer 1) une formation bilingue anglais-français des cadres en sciences de l’information dans les spécialités d’archivistique, de bibliothéconomie et de documentation ; 2) le perfectionnement et le recyclage des cadres en cours d’emploi ; 3) la recherche en sciences et techniques de l’information ; et 4) la préparation aux concours et tests permettant l’accès à la fonction publique (Hounyo et al., 1997, p. 7). La formation visait donc à

  1. doter le Bénin de spécialistes ayant des compétences en organisation et gestion d’unités documentaires, en traitement et diffusion efficace de l’information, bilingues français-anglais et capables de participer à la mise en place du système documentaire national ;

  2. proposer la mise en place d’une politique nationale dans le domaine de l’information documentaire ;

  3. centraliser et sauvegarder la production documentaire nationale en péril et éparpillée dans les ministères ;

  4. renforcer les structures documentaires existantes ;

  5. créer de nouvelles unités documentaires dans l’administration publique (Lafont, 1982).

En 1984, le CEFAP a fusionné avec l’Institut national des sciences juridiques et administratives (INSJA) pour donner naissance à l’École nationale d’administration (ENA), un établissement de l’Université d’Abomey-Calavi ; en 1989, le programme STI est devenu le Centre de formation aux carrières de l’information (CEFOCI) ; et, en 2001, l’ENA est devenue l’École nationale d’administration et de magistrature (ENAM) (Mahoussi et al., 2018). Depuis 2012, la structuration des enseignements par départements à l’Université a mené à la création d’un Département des sciences et techniques de l’information et du secrétariat (DESTIS) qui offre des formations en secrétariat de direction, archivistique et bibliothéconomie-documentation. À la fin de l’année 2019, le programme a formé environ 1000 diplômés, dont environ 700 archivistes (Abati, 2019, p. 9). C’est le seul programme de formation en sciences de l’information documentaire au Bénin.

Les insuffisances du programme

Les insuffisances liées directement au contenu du programme de formation sont de trois ordres (voir par exemple Gnanguenon et al., 2017) : 1) l’absence de compétence en gestion des documents actifs, 2) l’absence de l’enseignement des normes de description archivistique, et 3) l’absence de l’utilisation des outils d’indexation matière.

L’absence de l’enseignement des normes de description archivistique est une conséquence de l’absence de dossiers dans les administrations et dans les services d’archives : les normes de description archivistique s’appliquent aux unités archivistiques que sont le fonds, le sous-fonds, la série, la sous-série, le dossier, le sous-dossier et la pièce. N’ayant pas de dossiers « logiques », l’archiviste n’a pas de sous-dossiers, pas de séries ou de sous-séries. La matière première qu’il a dans les services d’archives ne se prête pas à une description selon des normes archivistiques. Or, celles-ci ont d’abord pour rôle d’uniformiser les pratiques et surtout de favoriser la coopération et les échanges.

Par ailleurs, la description de l’information se fait sous deux formes : d’une part, la description formelle par laquelle sont relevées les informations d’identification de la source et, de l’autre part, l’analyse et la représentation de l’information par son contenu. Il s’ensuit l’impossibilité d’utiliser les outils d’indexation car, dans un dossier forgé, l’archiviste a regroupé des documents de plusieurs affaires qui ne peuvent se retrouver avec les mêmes descripteurs. En conséquence, les instruments de recherche des services d’archives (comme le répertoire ou le catalogue) ne sont ni pertinents ni efficaces.

Faire une recherche dans un service d’archives devient alors une gageure : l’archiviste réclame le type de document et la date ou l’année, avant d’entamer tout processus de recherche physique des documents, ce qui est un obstacle à l’accès à l’information. Cette situation engendre la réticence du personnel des administrations à mettre les documents à la disposition du service des archives.

La manière de travailler est d’ailleurs soutenue par des modèles de plan de classement et de calendrier de conservation mis en place par la Direction des archives nationales (Direction des archives nationales, 2013a, 2013b), tous basés sur les types de documents alors qu’ils auraient dû se baser sur les fonctions et les activités.

Les causes

La cause des insuffisances dans la formation des archivistes vient de l’ignorance dans la pratique professionnelle des concepts et principes fondamentaux de la science archivistique, notamment la notion d’archives, la notion de dossier, la théorie des trois âges, et le principe du respect des fonds qui sont pourtant enseignés. Cet état de choses positionne mal l’archiviste dans le cycle de vie linéaire du document, et limite ses responsabilités et tâches dans la gestion des documents.

En effet, l’archiviste attend que le document soit produit, soit utilisé, perde son utilité et lui soit envoyé avant de déployer ses compétences ; il n’intervient pas sur le document actif. Ce positionnement de l’archiviste à la phase intermédiaire du cycle de vie rappelle la pratique archivistique élaborée au lendemain de la Révolution française de 1789 avec le

fort besoin de tri des documents saisis lors des séquestres révolutionnaires, tels que les documents des grandes familles ou de l’Église. Avec cette masse de documents anciens, entassés dans de vastes dépôts, s’est développé le métier d’archiviste en France. Ceux-ci formés dans une école spécialement créée à cet effet : l’École des Chartes.

Pasquier, 2016, p. 27

Or, dès les années 1970, des professionnels français ont attiré l’attention sur le fait que « la formation classique n’est plus en adéquation avec les nouveaux besoins » et que l’actualité documentaire remet en cause cette « formation érudite et médiéviste qui était le coeur de la formation (et des traitements) archivistique à l’École des Chartes », car « ces connaissances développées pour un type spécifique d’archives et qui ont formées (sic) des générations d’archiviste (sic) historiens ne sont plus adaptées au monde des archives contemporaines » (Pasquier, 2016, p. 26-27). Et, timidement, la France s’est mise à changer sa pratique. En d’autres termes, la pratique archivistique issue de la formation au Bénin, héritée de l’ancienne métropole, était dépassée avant même l’ouverture du programme STI en 1982.

De plus, l’assistance extérieure au profit du programme STI a pris fin plus tôt que prévu, entraînant le départ des coopérants canadiens au moment où la première promotion des élèves recrutés pour l’année académique 1982 passait en troisième année, la dernière avant l’obtention du diplôme. Si, en bibliothéconomie et en documentation, il y avait des nationaux qui intervenaient déjà dans la formation, en archivistique, il n’y avait pas de compétences. Une dizaine d’archivistes professionnels diplômés de l’École de Bibliothécaires, Archivistes et Documentalistes (EBAD) de l’Université Cheikh Anta Diop (Dakar, Sénégal) étaient cependant sur le terrain. Il a été fait appel à quelques-uns pour prendre la relève. Or, l’EBAD formait pour un diplôme après deux années d’études, et le Bénin pour un diplôme après trois ans d’études. Par ailleurs, les études de faisabilité avaient conclu que les diplômés de l’EBAD ont besoin d’une formation complémentaire pour atteindre le niveau des diplômés du programme STI (Lafont, 1982) : « beaucoup d’information et de techniques leur restent à découvrir » (p. 27) si bien qu’une année entière est nécessaire, au cours de laquelle ils reprendraient des cours prévus dans le programme STI en deuxième et troisième années afin de leur permettre « d’atteindre le niveau de technicien supérieur » (p. 28) et de « rejoindre le niveau des futurs diplômés du CEFAP » (p. 34).

En résumé, en regard aux méthodes, techniques et outils issus de la pratique archivistique au lendemain de la Révolution française, l’archiviste formé au Bénin ne peut mettre en oeuvre ses compétences que lorsque les documents sont cumulés sur plusieurs années, constituant des « dépotoirs sauvages de documents » (Azanmavo et al., 2018). Dans son travail au quotidien, l’archiviste viole tous les principes fondamentaux de l’archivistique : la théorie des trois âges, le principe de respect des fonds et la définition même des archives qui suppose que les dossiers sont créés et alimentés à la source. Cette méthode de travail a été héritée de l’ancien pouvoir colonial par l’intermédiaire de l’EBAD. À la différence de son ancêtre français, l’archiviste béninois ne juge pas de la valeur historique du document ; il fait cependant un tri dès la collecte, ce qui est en contradiction avec, d’une part, la théorie des trois âges, qui dicte que le tri intervient à la fin de la durée d’utilité administrative (DUA) pour les documents dont le sort final est marqué comme tel, et, d’autre part, le principe de respect des fonds selon lequel l’ordre originel et l’intégrité des dossiers doivent être préservés. Ndiaye (2017) admet que « la très grande influence de l’école archivistique française dont le modèle départemental incarné par les chartistes » constitue la « source d’inspiration pour l’organisation des archives dans les anciennes colonies françaises en Afrique de l’Ouest » et reconnaît que « de plus en plus de voix s’élèvent pour s’interroger sur la pratique archivistique dans les pays d’Afrique francophone au Sud du Sahara ».

La solution : le programme de formation

Le cadre méthodologique et institutionnel

Le processus de Bologne amorcé en 1998 en Europe vise à harmoniser les systèmes nationaux d’enseignement et instaure une reconnaissance mutuelle des qualifications (Ehouan Ehile, 2009). Il a notamment institué une division de l’enseignement supérieur en trois cycles sanctionnés respectivement par le Bachelor, le Master et le Doctorat. Des établissements d’enseignement supérieur des pays francophones de l’Afrique de l’Ouest (Bénin, Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Niger, Mali, Sénégal, Togo), regroupés dans le Réseau pour l’excellence de l’enseignement supérieur en Afrique de l’Ouest (REESAO), mettent en place un ensemble de normes pour adapter leur système d’enseignement au processus de Bologne. Le REESAO distingue quatre catégories d’Unités d’enseignement (UE) : connaissance fondamentale, découverte et spécialité, méthodologie et culture générale. L’anglais et l’informatique sont obligatoires et font partie des UE de méthodologie. Un stage pratique est exigé chaque année pour les formations professionnelles, ainsi que des cours de compétences transversales (par exemple : genre et développement, objectifs de développement durables, gestion des ressources humaines, gestion du changement, initiation à l’entreprenariat, gestion financière, égalité des chances, etc.). Le programme est entré en vigueur à l’année académique 2019-2020 (Université d’Abomey-Calavi, ENAM, 2019).

Le contenu du programme

Cette section présente en détail les UE conçues en réponse aux insuffisances relevées dans les programmes de formation : Gestion du document – pour changer le positionnement de l’archiviste dans le cycle de vie du document, ce qui lui permet d’intervenir dans la gestion des documents actifs –, Analyse et représentation de l’information – pour pouvoir résumer l’information à la fois sous forme de texte et à l’aide des descripteurs –, et Description archivistique – pour pouvoir alimenter les outils de recherche.

L’UE Gestion du document « vise à permettre à l’apprenant d’expliquer la notion d’archives et d’interpréter les règles de circulation du document dans une administration afin de prendre celui-ci en charge comme pièce dans un dossier d’archives. » (Université d’Abomey-Calavi, ENAM, 2019) Plus spécifiquement, à l’issue des enseignements, l’apprenant doit être capable de : 1) définir la notion d’archives ; 2) décrire le cadre juridique et institutionnel de la gestion des archives au Bénin ; 3) décrire l’organisation et le fonctionnement général d’une administration ; 4) interpréter les différentes règles qui régissent l’entrée, la production, et la circulation du document dans une administration ; 5) exposer les règles de création de dossiers d’archives ; et 6) organiser un système de création et de gestion de dossiers d’archives. Ainsi, le futur archiviste acquiert des compétences pour faire faire aux collègues de bureau une bonne partie du travail de l’archiviste aujourd’hui. Les enseignements inscrits fondent le travail de l’archiviste et lui donnent la garantie d’avoir à l’occasion des versements des dossiers dont il va assurer la description, le rangement, la conservation, la recherche et la communication.

En l’absence de normes nationales, la description archivistique est basée sur les quatre normes publiées par le Conseil International des Archives que sont 1) l’ISAD, norme internationale et générale de description archivistique (Conseil International des Archives, 2000) ; 2) l’ISAAR-CPF, norme internationale sur les notices d’autorité utilisées pour les archives relatives aux collectivités, aux personnes ou aux familles (Conseil International des Archives, 2004) ; 3) l’ISDF, norme internationale pour la description des fonctions (Conseil International des Archives, 2007) ; et 4) l’ISDIAH, norme internationale pour la description des institutions de conservation des archives (Conseil International des Archives, 2008). En intervenant en amont, l’archiviste assure le versement de documents organisés en dossiers, ce qui facilite leur description suivant les normes professionnelles ; cette UE est créée pour lui donner les compétences nécessaires. Elle

vise à permettre à l’apprenant de décrire une unité archivistique, un producteur de documents d’archives et une institution de conservation de documents d’archives suivant les normes internationales de description archivistique en vue d’élaborer ou de mettre à jour un ou plusieurs instruments de recherche (…). Plus spécifiquement, à l’issue de l’enseignement, l’apprenant doit être capable : i) de rédiger l’histoire d’un producteur de documents d’archives ; ii) de décrire un producteur de documents suivant la norme ISAAR-CPF ; iii) de décrire une unité archivistique suivant la norme ISAD ; et, iv) de décrire une institution de conservation de documents d’archives suivant la norme ISDIAH.

Université d’Abomey-Calavi, ENAM, 2019

L’UE d’Analyse et représentation de l’information vise à permettre à l’apprenant de distinguer les techniques de condensation et d’appliquer les méthodes de l’indexation documentaire en vue de contribuer à l’élaboration des outils de recherche dans un service d’information documentaire. À l’issue de l’enseignement, l’apprenant doit être capable de 1) produire le résumé d’un document ; 2) produire la synthèse de documents ; 3) sélectionner les mots-clés pour représenter le contenu d’un document ; 4) distinguer les outils d’indexation documentaire (comme le thésaurus ou le répertoire des vedettes-matière) ; 5) expliquer la structure d’un outil d’indexation documentaire ; et, 6) utiliser un outil d’indexation documentaire. Plus explicitement, l’UE donne les compétences nécessaires pour produire le contenu par l’élément Présentation du contenu de l’ISAD, dont l’objectif est de « permettre aux usagers d’apprécier l’intérêt de l’unité de description » (Conseil International des Archives, 2000).

Une variété d’activités est prévue en complément de celles décrites ci-haut pour permettre à l’archiviste de mettre en place des outils de recherche analytiques, fiables, pertinentes et efficaces.

Conclusion

La formation en archivistique au Bénin a été construite sur le modèle élaboré en France au lendemain de la Révolution française pour former des archivistes-historiens dont la compétence est, d’une part, de trier les documents saisis auprès de la bourgeoisie et de l’Église et, d’autre part, d’en juger la valeur historique pour déterminer leurs durées de conservation. Ce modèle a été répandu en Afrique francophone par l’EBAD pour former les professionnels de l’information documentaire au profit des jeunes États indépendants qui en manquaient cruellement. Malgré l’absence d’adéquation avec l’archivistique moderne, le modèle a encore cours dans la plupart des pays de l’Afrique francophone, dont le Bénin ; il considère le document et pas nécessairement le contexte qui l’a vu naître.

Or, un document d’archives n’a de sens que lorsqu’il est considéré dans son dossier, qui est le contexte qui l’a vu naître. Le programme de formation en archivistique mis en exécution à l’Université d’Abomey-Calavi dès l’année académique 2019-2020 s’inscrit dans l’archivistique moderne et met l’accent sur la maîtrise de la notion de dossier par l’archiviste. En matière de gestion des documents actifs, il assigne à l’archiviste le rôle de veiller à la création, à l’alimentation et à l’intégrité du dossier par la formation et le contrôle du personnel d’une part, et, d’autre part, par l’assistance-conseil au même personnel. Ce faisant, le programme de formation déplace le paradigme du travail de l’archiviste du document vers le dossier, et la position de l’archiviste des archives intermédiaires à la naissance du document. Il rend l’archiviste plus professionnel, car il lui apprend à maîtriser la notion de dossier et à donner forme au dossier dès la création du document qui l’engendre. Le contenu du programme de formation accroît donc les responsabilités de l’archiviste, renforce son rôle et le rend plus utile au service de l’administration employeuse.