Comptes rendus

Piégay-Gros, Nathalie. Le futur antérieur de l’archive, Rimouski : Tangence Éditeur, 2012, 71 p.  (Collection Confluences). ISBN 978-2-9809561-7-1[Notice]

  • Yvon Lemay et
  • Anne Klein

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En effet, comme le déclare d’emblée Piégay-Gros dans son texte, l’objet de ses recherches porte sur l’utilisation des archives en tant que « matériau présent dans la fiction elle-même » (p. 19). Une pratique qui, d’après elle, s’inscrit dans « une esthétique du ratage, de la fière revendication de l’échec, de l’inachevé, de l’impossible perfection qui pousse à toujours tout devoir redire, reprendre à zéro » (p. 33). En somme, ce qui attire tout particulièrement « l’imaginaire des créateurs » (p. 21), ce sont les aspects négatifs, les manques, les faiblesses dont témoignent les archives. En s’appuyant sur des exemples tirés de l’oeuvre d’écrivains tels que Winfried Georg Sebald, Hans Magnus Enzensberger, Claude Simon, Robert Pinget, Pierre Michon et Patrick Modiano, pour n’en nommer que quelques-uns, Piégay-Gros a donc choisi de développer sa thèse en fonction de cinq aspects des archives qui « incitent à la création » (p. 20) et qu’elle identifie comme suit : poussière, secret, fragilité, minuscule et manquante. Dans « Poussière », la première partie, elle cherche à montrer que « parce qu’elle est fragile et poussiéreuse, l’archive ne peut tout restituer du passé. C’est au prix de cette incomplétude qu’elle le laisse apparaître vivant, vibrant dans le présent » (p. 23). L’aspect lacunaire des archives est donc ce qui retient l’attention. Dans la partie suivante, intitulée « Secret », c’est l’échec que représente l’archive qu’elle vise à mettre en évidence. Échec au sens où, malgré « la masse accablante des documents », il en résulte que « la trace conservée est toujours trace d’effacement » (p. 32). Quant à « Fragilité », la troisième partie de son ouvrage, Piégay-Gros souligne « cette incertitude sur le statut de l’archive » (p. 36), c’est-à-dire ce soupçon à l’effet que les archives ne seraient qu’ « une représentation, une version parmi d’autres du passé, qui peut être trafiquée, manipulée, édulcorée, [bref] toujours incomplète » (p. 33). Quatrièmement, le « Minuscule », selon l’auteure, « est une inflexion importante de la négativité qui caractérise l’imaginaire contemporain de l’archive » (p. 37). Minuscule est l’archive « qui permet de constituer l’Histoire des puissants fait place à l’archive des obscurs » (p. 37), les oubliés de l’Histoire. Mais aussi au sens de fragments, de lambeaux jugés mieux à même « de nous apprendre autant, voire plus, que l’oeuvre achevée » (p. 38). Enfin, dans la cinquième partie titrée « Manquante », Piégay-Gros signale que dorénavant, l’important n’est pas « de ressusciter le passé à partir d’une archive existante mais d’explorer l’archive manquante. Ce qui, dans l’archive, manque toujours. Ce par quoi il faut passer — la déduction, l’imagination, l’invention — pour savoir comment cela a été » (p. 43). Autrement dit, « dans la fiction, l’archive elle-même [importe moins] que le mouvement qui conduit à la découvrir » (p. 46). Ainsi, conclut Piegay-Gros dans « À la recherche de l’archive perdue », la dernière section de son texte, « cette négativité de l’archive qui […] paraît caractériser l’imaginaire contemporain » (p. 47) est très révélatrice. Elle « dit notre hantise du passé mais aussi la certitude que ce qui a été est voué inéluctablement à la disparition » (p. 48). À ce titre, pour l’auteure, l’oeuvre de l’artiste Christian Boltanski apparaît tout à fait exemplaire du « mal d’archive » qui, d’après Derrida, caractérise notre époque : « Le paradoxe est pour cet artiste que l’accumulation d’archives exprime l’impossibilité de sauver quoi que ce soit » (p. 49). C’est donc dire que même à l’ère de « l’utopique disponibilité permanente de ce qui a été » (p. …