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Introduction

Concept carrefour, la société de linformation est un objet de recherche prisé par plusieurs disciplines détudes. Marquée par linterdisciplinarité et son caractère fédérateur, elle serait même considérée comme une idéologie de légitimation du pouvoir politique et économique (Garnham & Gamberini 2000). Il semble que lexpression soit devenue le creuset épistémologique de différentes expressions sociales et sociétales. Parce quelle porte en elle des idéaux, voire des utopies — liberté, égalité daccès ou encore transparence de linformation —, la notion est représentative de la société actuelle et contient une charge subjective importante à limage de la grande diversité sémantique des dénominations renvoyant au concept. Les expressions des chercheurs à ce sujet sont révélatrices :« hypermonde » (Ayache 2006), « ère de linformation » (Castells 1998-1999), « âge de laccès » (Rifkin 2006), « société du risque » (Beck 2001), « société de la surveillance » (Foucault 1975) ou « linquiétante extase » de lInternet (Finkielkraut 2001). Les dernières expressions, qui présentent une certaine connotation négative, symbolisent les paradoxes dune société dans laquelle linformation peut être instrumentalisée, pouvant également se faire vecteur de désinformation, voire de surinformation. On peut penser linfobésité comme un phénomène connexe, constitutif de la société de linformation. Latténuation de cette dérive de linformation est un des défis de notre société au sein de laquelle les professions de la culture et de linformation jouent un rôle crucial.

Les discours médiatiques et théoriques prennent une grande place dans létude de ces concepts, au détriment peut-être des représentations des usagers des technologies de linformation et de la communication (TIC), eux-mêmes citoyens de la société de linformation. Or, létude de limagerie mentale des publics est essentielle pour les professionnels de linformation (Barat 2007).

Parallèlement à lomniprésence de linformation, la société actuelle est également celle du visuel, qui peut être de surcroît le véhicule de cette information. Un nouveau régime artistique émerge, notamment sous limpulsion des nouvelles technologies, et peut être caractérisé par le rôle primordial de la communication (Cauquelin 2007). Tout comme linformation, limage se fait le support de la communication, qui devient un véritable pivot de la société moderne. Le postmodernisme artistique déplace le paradigme de lesthétique vers la signification, faisant de loeuvre dart le vecteur de la communication : « Loeuvre est comprise comme information. » (Noury 2006, 18) Ce paradigme renforce la fusion entre information et visuel.

Dans la présente étude, les perceptions qu’ont des étudiants de la société de l’information et de l’infobésité, des notions centrales en sciences de l’information, seront évaluées à travers le filtre de l’art. Plus précisément, notre étude vise à explorer les perceptions qu’ont les usagers des concepts de société de l’information et d’infobésité ainsi que d’oeuvres artistiques portant sur des représentations liées à la société actuelle. Il s’agit donc de proposer des pistes de recherche centrées sur l’articulation de trois éléments : les perceptions qu’ont les usagers des concepts à l’étude, l’utilisation des TIC et les représentations artistiques. Notre exploration suit une méthodologie qualitative basée sur la création d’un sondage. Les résultats révèlent certains écarts dans les perceptions des notions à l’étude ainsi que des tendances inattendues, comme l’importance du concept de communauté ou encore l’émergence d’une temporalité particulière.

Les changements majeurs liés à léruption dune société de linformation se manifestent à plusieurs niveaux, notamment dans le domaine artistique. Il nous paraît donc intéressant de confronter les perceptions des usagers de différentes représentations du visuel exprimé par lart médiatique puisque, selon Bell, la radicale transformation de la sensibilité artistique et de la perception font de lart « le lieu privilégié de ce bouleversement » (1976, 235).

Revue de la littérature

Étude des concepts « société de l’information » et « infobésité »

Selon un discours ambiant symptomatique, notre société serait celle de l’information. Le Sommet mondial sur la société de l’information organisé par l’Organisation des Nations Unies et l’Union internationale des télécommunications en 2003 à Genève, puis en 2005 à Tunis, est révélateur de la place centrale qu’occupe cette réflexion depuis le début des années 2000 (International Telecommunication Union (ITU) 2013). L’Union européenne a développé une approche stratégique « intégrée de la société de l’information et des politiques audiovisuelles » intitulée « i2010 : une société de l’information pour la croissance et l’emploi » (Commission des communautés européennes 2005, 4) et le concept sert également à mesurer le niveau de développement des pays (Bwalya 2010 ; ITU 2012). L’érection de la société de l’information devient un objectif primordial qui justifie la mise en place de stratégies de développement (Servan-Schreiber 1980 ; Proulx 2008). En s’appuyant sur la notion d’espace public (Habermas 1978), certains chercheurs analysent la société de l’information comme un espace à forte dimension politique où Internet devient le nouvel espace public (George 2001). Les relations entre systèmes politiques et nouvelles technologies sont des facettes d’étude courantes (Montgomery, Gottlieb-Robles & Larson 2004 ; Jensen 2006 ; Hirzalla, van Zoonen & de Ridder 2011 ; Alomari, Woods & Sandhu 2012). La société de l’information est donc un concept multiple qui renvoie à différentes réalités, d’où son caractère ambivalent (Proulx 2008) ; il produit de longues controverses jusqu’à ce jour encore discutées (Miège 2002).

Tout comme le concept de société de l’information, le phénomène d’infobésité est multidisciplinaire (Eppler & Mengis 2004) et comporte une charge symbolique significative (Tidline 1999). Les objectifs de productivité ont encouragé les entreprises à s’intéresser au phénomène depuis longtemps déjà et le contexte salarial est un milieu souvent étudié (Edmunds & Morris 2000 ; Farhoomand & Drury 2002 ; Isaac, Campoy & Kalika 2007 ; Business Wire 2010). C’est un phénomène qu’on tente de mesurer (Karr-Wisniewski & Lu 2010) ou de contourner (Manpowergroup 2011). La surcharge d’information et le sentiment d’angoisse qui en résulte ne sont pas nouveaux (Friedman 1977 ; Saint-Jude 2012). Déjà étudiée par Charles O’Reilly (1980), qui s’intéressait aux réactions individuelles face au phénomène, l’évaluation de la perception de l’infobésité tend à se répandre à différentes échelles (Hargittai, Neuman & Curry 2012).

Perceptions et littératie informationnelle

Lexpérience et la perception des publics permettent détudier différents aspects de la société à travers les représentations que sen font les individus (Ischy 2000). Lenquête permet alors dinterroger plusieurs types de publics et de forger une représentation globale des comportements vis-à-vis des TIC. Les réactions individuelles face aux nouvelles technologies (Simon 2006, 479) sont ainsi étudiées à travers les perceptions des femmes (Simon 2006) ou du jeune public (Ahn 2012 ; Tayie, Pathak-Shelat & Hirsjarvi 2012). Vue comme une compétence essentielle à lévolution de notre société vers la connaissance (Las Vergnas 2006 ; UNESCO 2007), la maîtrise de linformation est un enjeu à caractère public (Andersen 2006). En plus dêtre un facteur daide à linclusion sociale (Lloyd, Lipu & Kennan 2010), la maîtrise informationnelle est un critère dévaluation du niveau de développement des sociétés (Simoncic & Vuckovic 2010) et un outil de compréhension (Catts 2012) utilisé auprès des jeunes adultes pour évaluer leur performance quant au traitement et à la compréhension de documents (Kirsch & Mosenthal 1990). Notion relative à lapprentissage, la littératie informationnelle est largement étudiée dans le domaine de léducation (Kong & Li 2009) pour évaluer les institutions scolaires (Nyamboga 2004 ; Baro & Keboh 2012), les étudiants (Kavanagh 2011) et la perception quils ont de leurs compétences (Singh 2005 ; Adetoro, Simisaye & Oyefuga 2010 ; Pinto 2012). La prise en compte de la perception aide les chercheurs à comprendre les comportements informationnels des jeunes : la perception de leurs propres stratégies de recherche dinformation a un impact sur leur perception de linformation (Kyung-Sun & Sei-Ching 2007). Depuis longtemps utilisée en bibliothèque, létude de la perception des usagers permet dévaluer leur taux de satisfaction, mais aussi de reconstituer leurs images mentales des services offerts (Repaire & Touitou 2010).

Information et représentations : entrelacement des signes visuels et linguistiques

La société de l’information est marquée par l’hégémonie du visuel, qui peut parfois s’allier au sonore dans le cas du multimédia. On parle de société de l’image (Faccioli 2007), héritée des cultural studies (Mitchell 1995 ; Hall & Evans 1999 ; Cartwright & Sturken 2009 ; Crowther 2009 ; Mirzoeff 1999). Au niveau informatique, les chercheurs étudient les relations entre la représentation visuelle d’un concept (icône) et la cognition et compréhension humaines (Krunoslav & Zajdela Hrustek 2010). Pour certains, comme Nicholas Mirzoeff, « le visuel perturbe et remet en cause toute tentative de définir la culture en termes purement linguistiques » (1999, 7, notre traduction). Cependant, la question de la réception se pose également ; les flux médiatiques ont des répercussions dans l’esprit des publics au niveau de leurs représentations, influencées par un torrent d’images et de sons pénétrants (Gitlin 2007), ainsi que par une abondance de signes textuels. Il semble donc que les représentations linguistiques puissent enrichir les représentations visuelles, formant un tout insécable. Puisque le média par lequel transite l’information n’est pas neutre et influence le message (McLuhan 1982), la perception visuelle permettrait d’entrevoir le sens profond que donne un individu au monde qui l’entoure (Schwartz 2009 ; Yu 2012) et pourrait être étudiée en parallèle à la perception des signes textuels.

Cadre conceptuel

Société de l’information et infobésité

Dans son ouvrage Vers la société post-industrielle (1976), Daniel Bell décrit la société moderne à travers trois grands phénomènes : l’information, les flux qui la font circuler et les technologies qui relayent ces flux. L’information devient le coeur à la fois économique, politique et social du système. La théorie de Bell pose une structure extrêmement hiérarchisée entre les différentes sphères qui composent la société. Bell entrevoyait déjà le phénomène d’infobésité : « Au-delà de certaines limites, l’information ne passe plus, nous sommes saturés » (1976, 404). Contrairement à Bell, Manuel Castells (1998-1999) propose une vision plus horizontale d’une communauté de l’information. La structure en réseaux représente la collectivité au sein de la société informationnelle de Castells et devient un modèle global à la fois économique, politique et social qui régit les interactions à l’échelle mondiale.

Ce que Bell appelait plus volontiers une société post-industrielle est finalement le résultat d’un « syncrétisme » (1976, 234), c’est-à-dire une culture de la diversité où « tout se dissout dans une nébuleuse d’interactions » (1976, 45). Au regard de la multiplication de l’occurrence dans les médias et de la diversité des expressions renvoyant à la société de l’information, nous posons le concept comme un lieu commun[1].

Société de l’image : perceptions et représentations artistiques

Puisque les représentations des individus s’appréhendent à travers leur subjectivité, l’étude de la perception est essentielle. Roland Barthes fonde son analyse de la photographie — dans La chambre claire — sur ses propres perceptions et fait de la représentation personnelle un « principe heuristique » (1980, 21) pour une nouvelle science du sujet (1980, 36). Pour cela, Barthes s’appuie sur le concept du punctum, soit ce qui fait que le sujet effectue « la mise en image » (1980, 39). Le punctum, c’est la part de subjectivité qui, dans une représentation artistique, va toucher le sujet, « ce hasard qui, en elle, me point » (1980, 49), et qui finalement donne vie et sens à la représentation. Par opposition au studium, qui désigne un intérêt certain mais vague, pour un sujet, le punctum fait qu’une représentation devient évocatoire pour le spectateur-sujet. Le punctum, c’est ce qui éclaire le champ lisse et poli du studium pour frapper l’imaginaire du sujet et entrer en résonnance avec ses propres représentations.

Société de l’écran et langage médiatique

Tout comme Bell, Lev Manovich se fait l’observateur des changements sociétaux et technologiques dans son ouvrage Le langage des nouveaux médias (2010). Il constate l’actuelle valorisation de la subjectivité de l’individu que les nouveaux médias cherchent à capter (2010, 120). À l’idéal du syncrétisme décrit par Bell (1976, 234) fait écho « l’idéal d’une société composée d’individus uniques » que la technologie des nouveaux médias réalise (Manovich 2010, 121). Ces nouveaux médias créent des objets néomédiatiques tels que des « représentations graphiques, images en mouvement, sons, formes, espaces et textes » (Manovich 2010, 87). Leur principe structurel de représentation numérique permet le traitement des objets médiatiques par les technologies informatiques. Manovich propose une vision intégrée de la culture moderne basée sur une triple perspective. Il pose un dialogue entre les arts et les médias comme un « langage visuel », notamment à travers l’analogie faite entre la « culture visuelle contemporaine », soit la sémiotique du visuel, et la « culture informationnelle contemporaine », c’est-à-dire l’architecture de l’information et sa présentation dans le monde moderne (Manovich 2010, 73). Ces perspectives sont toujours reliées à l’expérience de l’utilisateur-spectateur, qui reste centrale dans l’approche de Manovich et offre donc un pendant numérique à la charge subjective prisée par la théorie barthésienne. L’auteur rapproche les concepts de « culture informationnelle » et « culture visuelle », tous deux désignant une certaine organisation, une architecture d’information et de références partagées. Ce sont « des modèles d’interaction de l’utilisateur avec les objets et les affichages de l’information » (Manovich 2010, 73) ; il y a donc un lien entre l’information et le visuel réalisé par l’interfaçage des nouveaux médias qui se manifeste, selon Manovich, par la société de l’écran : « On peut discuter pour savoir si nous vivons dans une société du spectacle ou de la simulation. Mais, une chose est sûre, il s’agit d’une société de l’écran. » (2010, 204)

Méthodologie

Objectifs

Cet article présente les résultats d’un projet de recherche s’articulant autour des objectifs suivants :

  1. Effectuer les premières ébauches d’interprétations en matière de perception des usagers quant à des représentations textuelles et artistiques de la société de l’information et de l’infobésité ;

  2. Amorcer une réflexion renouvelée de la recherche sur la société de l’information et l’infobésité en croisant les perceptions que les usagers ont des TIC et les représentations d’artistes au regard des théories relatives à ces concepts.

Questions de recherche

Lors de cette étape exploratoire, les questions guidant nos recherches étaient les suivantes :

  1. Quelles représentations les usagers se font-ils de la société de l’information et de l’infobésité ?

  2. Confrontés à des représentations artistiques de ces concepts, comment réagissent les usagers ?

Méthode

Nous avons sélectionné le mode de diffusion électronique pour une enquête hébergée en ligne sur la plateforme libre et gratuite « Mon enquête en ligne ».

Pour la création du sondage de 29 questions, nous nous sommes inspirées de la grille d’entretien présentée dans « Société de l’information : enquête sur un imaginaire. Considérations méthodologiques et pistes de réflexions » (Ischy 2000) ainsi que des principes méthodologiques de Dillman, Smyth et Christian (2009). Le questionnaire comprend des questions fermées et plusieurs questions ouvertes avec des réponses à développement (voir Annexe). Le visuel revêt une grande importance dans cette recherche ; nous avons donc choisi d’inclure trois représentations artistiques. Ce corpus visuel se compose d’une photographie d’un graffiti de rue réalisé par l’artiste KD, d’un extrait du support de communication réalisé par Mundaneum pour l’exposition « Renaissance 2.0 » et d’un lien vers le court métrage d’Hannah Letaïf, Cases ou : « je ne suis pas un monstre ». Nous avons choisi ces oeuvres car elles reprennent les motifs des écrans et des TIC au sein de leurs représentations. Ce sont également trois formes artistiques liées à des contextes différents : une oeuvre de rue, une représentation graphique réalisée pour une exposition en lien avec les sciences de l’information et le court-métrage d’Hannah Letaïf accessible en ligne en format vidéo. À ces représentations artistiques s’ajoutent des citations de Caroline Sauvajol-Rialland (Agence France Presse 2012), maître de conférences à l’Université catholique de Louvain et à Sciences Po Paris, et du critique Franck Unimon (2011).

La population à l’étude est celle d’un petit groupe d’étudiants à la maîtrise en muséologie inscrits à l’Université de Montréal (n = 51) (voir la section « Profil des répondants »). Nous avons choisi cette population parce que son petit nombre nous semblait adéquat pour un projet pilote, mais aussi du fait de sa sensibilité à des problématiques proches de nos questions d’étude. Le sondage a été communiqué par voie électronique aux étudiants au cours du mois de février 2013 durant 15 jours. Le taux de participation final était de 17,6 % (n = 9).

À chaque répondant a été attribué un identifiant permettant d’assurer l’anonymat des réponses. Pour le traitement des données, nous avons choisi de nous appuyer sur une analyse de contenu qualitative, une méthodologie flexible et inductive (White & Marsh 2006) tout à fait adaptée au nombre de résultats obtenus ainsi qu’aux réponses à textes longs. Des lectures attentives et répétées ont permis de faire émerger des codes qui ont été consignés dans un codebook réalisé à partir des réponses ouvertes en suivant dans un premier temps le principe de l’open-coding, dans un souci de non-influence des résultats. Afin de garantir la fiabilité de l’analyse, le traitement des résultats a été effectué en double lecture et de façon itérative par comparaison et validation des similitudes et des différences entre les deux codeurs, ce qui a mené à la création de catégories finales et aux résultats rapportés ici. Les différentes itérations de l’analyse ont été consignées et échangées entre les codeurs par la voie de mémos afin de garantir un traitement constant.

La limite la plus importante de l’enquête est la faible représentativité des répondants. Puisque certains des répondants n’ont pas répondu à toutes les questions, nous avons indiqué pour chaque question traitée le nombre de réponses obtenu.

Puisqu’il s’agissait d’une étude exploratoire auprès d’un petit nombre d’usagers, le sondage a été lancé sans prétest. Les réponses au sondage sont citées telles qu’elles y apparaissent. Aucune correction n’a été apportée.

Profil des répondants

Sept personnes sur neuf ont répondu à la section « Profil » et sont toutes de sexe féminin. La majorité d’entre elles (n = 5) sont âgées entre 23 et 32 ans.

Les répondants ont des parcours diversifiés qui couvrent plusieurs champs d’études. Tous les répondants ont un baccalauréat et trois répondants ont deux diplômes universitaires. Leurs domaines d’études sont l’histoire (n = 2), l’histoire de l’art (n = 2), l’anthropologie (n = 2), le droit (n = 1), la société et la culture (n = 2) ainsi que les sciences de la gestion (n = 1).

Six des sept répondants à la section « Profil » ont des expériences professionnelles dans les secteurs des musées, de l’art ou de l’information. Cinq personnes ont déjà travaillé dans le champ muséal, dont trois personnes ayant assumé des fonctions reliées à la relation aux publics (accueil/médiation). Les postes occupés sont souvent polyvalents, étant notamment liés à la recherche (n = 2) ou à la gestion des collections (n = 1). Deux personnes ont exercé des professions spécifiques dans les domaines des arts visuels et des arts de la scène. Le secteur de l’information est représenté par quatre personnes ayant occupé des postes liés à la communication Web (n = 2), au tourisme (n = 1) et au milieu documentaire et audiovisuel (n = 1). Ces milieux de travail nous intéressent pour les compétences reliées qu’ils nécessitent, car en plus de leurs études actuelles en muséologie, les expériences professionnelles des répondants révèlent une familiarité avec la communication d’un message médiatisé par le biais de la représentation artistique. Finalement, l’étude des profils nous permet de penser que les répondants possèdent une certaine sensibilité pour les procédés liés à la mise en espace, en mots, en images et en forme d’un contenu pour un public donné et donc des procédés de représentation.

La section « Usages et pratiques », complétée par tous des répondants, révèle une forte implantation des TIC auprès de ces étudiants. Cent pour cent (100 %) des répondants ont une connexion Internet à leur domicile et leur temps de connexion moyen par jour varie entre moins de trois heures pour trois répondants et entre cinq heures et sept heures pour trois autres répondants. Une personne est connectée plus de neuf heures (Figure 1).

Figure 1

Temps moyen de connexion par jour

Temps moyen de connexion par jour

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Les répondants consomment les médias d’information de façon constante avec une préférence partagée par 100 % des répondants pour Internet. Le second médium plébiscité par les répondants est la télévision. La radio ainsi que la presse en format imprimé sont encore utilisées, mais de façon moins fréquente. On constate donc une domination des médias de l’écran, avec une préférence pour Internet (Figure 2).

Figure 2

Fréquence d’utilisation des médias d’information

Fréquence d’utilisation des médias d’information

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L’importance de cette polyvalence se retrouve dans la double dimension d’Internet, dont l’utilisation est relative à la fois au travail et aux loisirs pour sept répondants sur neuf. Le classement de leur usage révèle les tendances suivantes : l’activité principale réalisée sur Internet est la communication (n = 4). Pour deux personnes, le divertissement prime ; pour deux autres répondants, c’est plutôt l’information. En deuxième position vient l’activité d’information pour une majorité de répondants (n = 7). Le divertissement se place en fin de classement (n = 6). Tous les répondants utilisent les réseaux sociaux de communication, comme Twitter (n = 3), YouTube (n = 6), LinkedIn (n = 3), avec une nette préférence pour Facebook qui est le plus utilisé (n = 7) (Figure 3). À l’inverse, le site de partage d’images Flickr n’est pas utilisé.

Figure 3

Utilisation des réseaux sociaux et préférences

Utilisation des réseaux sociaux et préférences

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Sept répondants déclarent consulter leur réseau social favori plusieurs fois par jour. Une personne est connectée en permanence. Un seul répondant possède un blogue alors que deux répondants sont abonnés à cinq fils RSS au maximum.

Résultats

Dans la section « Opinions », les concepts de société de l’information et d’infobésité ont été interrogés à travers la connaissance qu’en ont les répondants et leur degré d’accord à des affirmations relatives à ceux-ci.

On constate une fracture apparente entre les deux concepts. Alors que l’expression « société de l’information » est connue par tous les répondants, aucun d’entre eux ne connaît le terme « infobésité ». Tous les répondants à la question (n = 6) déclarent ne pas être touchés personnellement par le phénomène tel que décrit par Caroline Sauvajol-Rialland (Agence France Presse 2012), soit « la pathologie de la surcharge informationnelle ». À l’inverse, l’expression « société de l’information » leur est familière à tel point qu’ils ne parviennent ni à situer le moment ni le lieu où ils l’ont entendue pour la première fois. Leur connaissance du terme semble ancienne, car les répondants déclarent ne plus s’en souvenir (n = 4), que cela fait longtemps (n = 1) ou que cela se compte en années (n = 2). Nous voulions également savoir où les répondants l’avaient entendu pour la première fois. Même si plus de la moitié ne le sait plus (n = 4), trois vecteurs de savoir se détachent : le livre (sur les technologies, n = 1), le milieu universitaire (n = 1) et les médias d’information (Radio-Canada, n = 1).

À la question 12, nous avons soumis six affirmations aux répondants qui sont représentatives de grands enjeux ou caractéristiques de la société de l’information (Figure 4). La totalité des sept répondants à la question déclare être d’accord (n = 3) ou plutôt d’accord (n = 4) avec l’affirmation « Nous vivons dans une société de l’information ». Concernant la multiplication des informations, nous posions l’affirmation suivante : « De nos jours, il y a trop d’informations disponibles ». Alors que deux répondants déclarent être d’accord, les réponses semblent partagées (en désaccord, n = 2 ; moyennement d’accord, n = 3). Concernant la recherche d’information, deux répondants ont de la difficulté à trouver l’information qu’ils recherchent tandis que la majorité est peu en accord (n = 2) ou en désaccord (n = 3) avec l’idée d’avoir de la difficulté à trouver l’information recherchée. Presque tous les répondants ont davantage confiance en certaines sources d’information (n = 6). La majorité (d’accord, n = 2 ; plutôt en accord, n = 4) dit maîtriser l’information (recherche, sélection et évaluation de la pertinence). La plupart des répondants sont d’accord (n = 2) ou plutôt d’accord (n = 4) avec l’idée que « Détenir l’information c’est avoir un pouvoir ».

Figure 4

Degré d’accord à des affirmations en lien avec la société de l’information

Degré d’accord à des affirmations en lien avec la société de l’information

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Volet « Société de l’information »

De nombreux répondants mettent en avant la valeur de l’information comme un critère essentiel de description de la société de l’information. C’est une des tendances principales de leurs définitions personnelles (question 11), qui qualifient la société de l’information à travers la place accordée à celle-ci au sein de la société (nous soulignons) :

  • R1 : L’information devient une valeur d’importance

  • R2 : Une société où la circulation, la production et la consommation d’informations occupent une place centrale

  • R4 : L’information est primmordiale

  • R7 : Une ère dans laquelle nous sommes et quimet en priorité la multiplication des données

La caractérisation de l’information au sein de la société passe également par la description des modes de diffusion, la façon dont elle se présente et comment elle est vectorisée ou accessible :

  • R7 : Des plate-formes de diffusion de l’information

  • R8 : L’information est plus que jamais accessible

  • R9 : L’information arrive en continu, de partout (médias traditionnels et sociaux confondus)

Les répondants ne tentent pas de définir l’essence de l’information — qui semble être une évidence —, tout au plus évoquent-ils « les données » comme éléments constitutifs. Il est intéressant de constater que la majorité des définitions (n = 5) reprennent les notions « société » et « information » (ou des formes lemmatisées) dans leurs réponses. Les termes composant l’expression « société de l’information » semblent s’affranchir de définitions. Au regard des réponses, il semble que le concept soit devenu un lieu commun pour les sept répondants à cette question. Pour eux, la société de l’information se définit davantage par des phénomènes qui résultent et attestent de son existence : sa place, sa présence, voire son omniprésence.

Volet « Infobésité »

Bien que les répondants n’évoquent pas directement l’infobésité, des éléments nous permettent de rapprocher certaines de leurs réponses du phénomène. Ainsi, le rapport à la quantité semble être un second critère de définition, partagé par cinq répondants. La perception de la quantité oscille entre la constatation neutre et la critique (nous soulignons) :

  • R6 : Nous sommes iper-informés

Deux répondants font référence à l’abondance de l’information en termes négativement connotés (nous soulignons) :

  • R5 : L’information est partout, en surabondance

  • R7 : J’ai de la difficulté à assimiler toute l’information reçue dans une journée et j’en perçois beaucoup trop

Trois personnes évoquent l’omniprésence de l’information qui est « partout ». Concernant la valeur d’autorité de l’information, confrontée à la multiplicité des données disponibles, une personne aborde la question de la qualité et de la nécessaire sélection de l’information :

  • R7 : Je me demande constamment si elle est de qualité et si je dois la retenir

Ainsi, l’évocation du phénomène d’infobésité semble se faire de façon allusive. Même si les répondants affirment ne pas connaître le terme « infobésité » et rejettent la définition de Caroline Sauvajol-Rialland (Agence France Presse 2012), certaines de leurs réponses laissent à penser que l’omniprésence de l’information est un phénomène qu’ils reconnaissent comme actuel. La plupart des répondants (n = 5) évoquent la quantité de l’information comme un critère édifiant à la description de la société de l’information.

Volet « Représentations artistiques »

Dans le questionnaire, chaque oeuvre artistique fait l’objet d’une approche distincte.

La première oeuvre (Figure 5) est introduite par une question fermée à choix multiples sur le thème de l’oeuvre et propose les options de réponses suivantes : l’évolution, les technologies, le progrès, la surconsommation d’informations, l’éducation, autre. À cette question complétée par tous les répondants, six personnes désignent la surconsommation d’informations comme thème principal. Deux personnes y voient une représentation des technologies. Pour une personne, il s’agit d’une représentation de l’évolution.

Figure 5

« Modern Life-UPBRINGING » par KD (Key Detail)

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La seconde oeuvre graphique (Figure 6) est associée à une question ouverte sans choix de réponses prédéfinis. Cette représentation artistique présente une référence explicite à la fresque de la chapelle Sixtine peinte par Michel-Ange et la référence à l’oeuvre originale est clairement identifiable dans la réponse d’une personne. La main de Dieu y est remplacée par la main pixélisée du curseur informatique. Cette représentation est fortement connotée et, effectivement, la plupart des répondants réagissent à la présence de la divinité. Sur les sept personnes ayant répondu à cette question, trois mentionnent la divinité — une référence implicite à l’oeuvre originale — et le message qu’ils perçoivent dans son remplacement par un attribut des TIC. La signification qu’ils donnent à cette représentation peut aller jusqu’à une réflexion renouvelée de la relation homme-dieu-machine :

  • R1 : La technologie, l’ordinateur, prend la place de Dieu dans la mesure où il devient une référence pour orienter nos comportements, nos valeurs, etc...

  • R2 : Relation entre Dieu et l’informatique. Nouvelle conception de l’humanité

  • R6 : Dieu est maintenant l’Internet

  • R9 : La main « virtuelle » qui clique partout sur Internet a remplacé la main de Dieu. Comme si le monde virtuel était devenu notre nouveau « dieu »

Figure 6

Extrait de l’affiche éditée par le Mundaneum dans le cadre de son exposition originale « Renaissance 2.0 : voyage aux origines du Web » (Mons, octobre 2012-juillet 2013)

Extrait de l’affiche éditée par le Mundaneum dans le cadre de son exposition originale « Renaissance 2.0 : voyage aux origines du Web » (Mons, octobre 2012-juillet 2013)
Photo © Mundaneum

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La troisième représentation artistique (Figure 7) est le court métrage d’Hannah Letaïf, Cases ou : « je ne suis pas un monstre », qui comprend quatre parties, soit quatre représentations différentes. Intégrant un extrait d’une critique cinématographique, la question adressée aux répondants est la suivante : Au sujet de ce court métrage, le critique Franck Unimon écrit sur le site Format court : « il est difficile de s’en extraire — avachis devant le spectacle de cette déliquescence mécanique, dynamique et hypnotique » et conclut ainsi : « seule solution : nous débrancher. » Que vous inspire cette vidéo au regard de la pensée de Franck Unimon ? 

Figure 7

Image extraite du court métrage Cases ou : « je ne suis pas un monstre » d’Hannah Letaïf

Image extraite du court métrage Cases ou : « je ne suis pas un monstre » d’Hannah Letaïf

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Il s’agit là encore d’une réponse ouverte à texte libre. Pour les cinq répondants à la question, le message du court métrage se situe dans la représentation de l’excès et des conséquences de comportements trop exclusifs. La citation repositionne le débat au niveau du branchement technologique et informationnel. Quatre répondants reviennent sur cette idée pour la nuancer :

  • R5 : Pour moi cette vidéo est plus sur l’enfermement que sur l’usage de la technologie, le « branchement » est mis au même niveau que les trois autres vignettes. Le court métrage met en avant les conséquences de 4 comportements différents

  • R7 : Je ne relie pas ce vidéo (que j’ai beaucoup aimé) qu’au réseau de l’information web. Pour moi, c’est la représentation de toute forme de dévotion à un seul aspect de sa vie

  • R8 : L’excès cause cette « déliquescence » décrite par Franck Unimon selon moi. Les trois autres scènes participent à cette affirmation. Le problème n’est pas d’être branché, mais de perdre léquilibre

  • R9 : Ça vaut pour toute perte de temps sur Internet comme pour toute activité qui crée une dépendance

L’opposition des répondants porte davantage sur la citation et l’éclairage qu’elle jette sur le court-métrage que sur la représentation artistique en elle-même.

Discussion

Cette dernière section reprend les réponses au questionnaire et les met en dialogue avec le cadre conceptuel et les théories présentées.

Valeur de l’information

La valeur donnée à l’information ainsi que sa place prépondérante au sein de la société sont des notions récurrentes dans les réponses. Les définitions données par les répondants entrent en résonance avec la théorie visionnaire de Daniel Bell (1976) et sa représentation de la société de l’information qui fait de l’information le coeur d’un système à la fois économique, scientifique, technologique et sociétal :

  • R2 : La circulation, la production et la consommation d’informations occupent une place centrale

  • R9 : L’information arrive en continu, de partout (médias traditionnels et sociaux confondus)

L’information est devenue un objet de consommation et d’interaction sociale. Accessible en permanence, elle est diffusée de façon continue par flux via des organes technologiques et médiatiques. En écho à la vision de Bell qui considérait le savoir comme une « ressource de base » (1976, 259) et l’information comme une « ressource clef » (1976, 422), les répondants décrivent l’information comme un bien, presque une denrée, au centre de l’attention sociétale : on trouve dix occurrences du terme « information » dans l’ensemble des réponses. Les conceptions des étudiants et du théoricien de la société postindustrielle se rejoignent autour de l’idée que « dans cette société le centre de gravité se déplace de plus en plus nettement vers le “secteur du savoir” » (Bell 1976, 259).

Information et pouvoir

À la question 12, six personnes sur sept semblent adhérer à l’un des concepts clefs de la théorie de Bell (1976) selon lequel l’information, au coeur du système, devient un enjeu de pouvoir essentiel. Polarisée par l’information et sa dimension politique, « la société postindustrielle, on l’a vu, est un jeu entre personnes » (Bell 1976, 404). En écho aux théories sur les mass médias, un répondant amène une idée liée à la notion de pouvoir cristallisé par l’information. Ce répondant représente une société qui, à des fins de contrôle, instrumentalise l’information :

  • R1 : Une société où les rapports humains sont largement orientés et conditionnés par l’information

Perception de la temporalité

Les réponses au sondage font émerger une caractéristique transversale inattendue se manifestant à travers le rapport au temps. Les mentions d’échelles — oscillant entre une très grande unité de temps et une plus petite — faites par un même répondant, d’abord au sujet de la société de l’information, puis de l’infobésité, sont significatives d’une tension entre les extrêmes (nous soulignons) :

  • Q11, R7 : Une ère dans laquelle nous sommes et qui met en priorité la multiplication des données et des plate-formes de diffusion de l’information.

  • Commentaires, R7 : J’ai de la difficulté à assimiler toute l’information reçue dans une journée

Ce répondant perçoit d’abord le concept de société de l’information à très grande échelle, faisant écho à certaines expressions de chercheurs qui, presque au sens géologique, relèvent d’une macro-échelle : « âge de l’information » (Lallana & Uy 2003), « âge de l’accès » (Rifkin 2006) ou encore « ère de l’information » (Castells 1998-1999). À l’inverse, le phénomène d’infobésité est évalué sur une échelle journalière. L’utilisation des pronoms personnels révèle la présence de deux échelles distinctes : la temporalité collective de l’humanité (« nous ») et la temporalité de l’individu (« je »). Le concept de « temps intemporel » proposé par Manuel Castells (2001) désigne l’émergence d’un temps indéterminé, flexible, voire dissout, notamment sous l’action des flux, qui ne s’oppose pas à l’existence des temporalités particulières (Castells 2001, 536). Pour Daniel Bell, le monde moderne est caractérisé par des changements d’échelles majeurs qu’il instaure (1976, 217). Cette modification des proportions associée à une cassure entre passé et présent ainsi qu’à l’apparition de nouveaux rythmes de vie bouleverse notre conception du monde (Bell 1976, 234). Castells fait également de la scission temporelle un jalon important de sa théorie en posant l’hypothèse suivante : « La société en réseaux est caractérisée par la rupture de toute rythmicité, qu’elle soit biologique ou sociale, associée à l’idée de cycle d’existence. » (2001, 548) Cette idée est présente dans les réponses des répondants et se manifeste par une tension entre passé et présent (nous soulignons) :

  • R1 : J’y vois d’abord une référence à l’origine du mot ordinateur qui référait Dieu avant d’être utilisé pour désigner l’appareil aujourd’hui. L’ordinateur est celui qui ordonne nos vies. Je crois que le message est que désormais, que la technologie, l’ordinateur, prend la place de Dieu dans la mesure où il devient une référence pour orienter nos comportements, nos valeurs, etc.

  • R6 : Dieu est maintenant l’Internet

  • Q8, R8 : L’art ancien revisité par le Web 2.0

  • Q11, R8 : L’information est plus que jamais accessible et présente partout

La dichotomie est renforcée par les références faites à un renouvellement actuel dans trois réponses. La notion du devenir est soulignée dans trois autres réponses. Une personne utilise le terme de révolution en parlant d’Internet comme d’une étape nouvelle de l’évolution humaine :

  • R4 : Internet = nouvelle révolution (après la bipédie, le langage, la révolution industrielle)

Cette notion de révolution est présente chez Bell (1976, 238). Même si les répondants ne parviennent pas à dater l’origine de leur connaissance du concept, leurs réponses traduisent une rupture temporelle associée à la société de l’information, peut-être symbolique d’une mutation globale « qui ferait surgir du plus profond de la conscience une autre manière de concevoir l’homme et sa présence au monde » (Bell 1976, 419).

Vision de la communauté

Nous constatons également une forte présence de la collectivité dans les réponses des étudiants, qui se manifeste par des références faites à l’humanité :

  • R1 : Adam représente les Hommes

  • R2 : Nouvelle conception de l’humanité

  • R1 : Une société où les rapports humains sont largement orientés et conditionnés par l’information

Dans l’ensemble des réponses, on trouve sept occurrences du pronom personnel « nous », trace de l’identification. Alors que le terme de Gesellschaft  société hiérarchique et contractuelle — semble prendre le pas chez Bell pour qualifier la communauté scientifique, les réponses à l’étude semblent converger vers l’idée d’une Gemeinschaft, soit un « groupement originel uni par des liens organiques et qui obéit aux forces de la tradition et de l’opinion » (Bell 1976, 382). S’il s’agit davantage d’une communauté du savoir pour Bell, Castells s’attache à décrire des communautés d’hommes communiquant via des communautés réelles ou virtuelles. Bien qu’une seule personne évoque explicitement le réseau (R7, « réseau de l’information Web »), il semble que cette architecture, qui permet de placer l’information au centre des échanges, soit une structure sous-jacente.

Perceptions de l’infobésité

La représentation de l’infobésité que nous pouvons reconstituer à partir des réponses à l’enquête nous paraît quelque peu ambivalente. Alors que trois expressions semblent corroborer le phénomène d’infobésité (R5, « yper informés » ; R6, « surabondance » ; R9, « en continu, de partout »), aucun répondant n’est touché personnellement par la « pathologie de la surcharge d’information » (Sauvajol-Rialland). Il y a une scission entre le général et le particulier. Nous constatons que le répondant 7 n’a pas répondu à la question 14 relative à la définition de l’infobésité proposée par Caroline Sauvajol-Rialland et il explique les raisons pour lesquelles il n’a pas répondu à la question :

  • Commentaires, R7 : Premièrement, je tiens à commenter la question qui nous demande si nous souffrons d’infobésité. Je n’ai pas répondu car je ne le sais pas. J’ai de la difficulté à assimiler toute l’information reçue dans une journée et j’en perçois beaucoup trop. Je me demande constamment si elle est de qualité et si je dois la retenir. J’en « emmagasine » même au cas où. Mais de là à dire que cest une pathologie... je ne croirais pas.

L’évaluation de l’infobésité semble difficile, même si le répondant constate une surcharge effective d’information. Il décrit quatre conséquences du phénomène : la difficulté d’assimilation, la perception d’une masse d’information, l’interrogation quant à sa qualité et le fait d’en stocker plus qu’il n’en faut. Un sentiment d’urgence, voire une forme de compulsivité corollaire à la société de l’information, émerge. À titre de précaution, il faut retenir, enregistrer et « emmagasiner » l’information même si elle n’est pas utile. Il semble que ce répondant évoque le phénomène de l’infobésité en filigrane. Ce n’est pas la notion d’infobésité qui est rejetée, mais le terme fort de « pathologie ».

Motivée par le croisement des perceptions à la fois conceptuelles, artistiques et critiques des répondants, la superposition des citations de Caroline Sauvajol-Rialland (Agence France Presse 2012) et Franck Unimon (2011) semble parfois détourner les questions de leurs visées premières. Les répondants se sont davantage focalisés sur les termes marquants des citations (« pathologie » et « débrancher ») que sur les questions dans leur ensemble. L’inconvénient pour l’enquête n’est pas tant l’orientation du débat — les répondants sont généralement en désaccord avec les citations — que sa réorientation.

Représentations artistiques et perceptions individuelles

Les réactions subjectives face aux représentations artistiques nous intéressaient particulièrement. Pour les répondants, la troisième oeuvre artistique présentée (la vidéo de Letaïf) n’est donc pas uniquement une représentation du branchement informatique. Il s’agit plus généralement d’une représentation de l’excès déclinée en quatre tableaux. Pour les cinq répondants à la question 9, le problème de l’homme moderne n’est pas l’avènement de la technologie, mais son penchant pour l’excès ou la monomanie, dont on trouve plusieurs itérations (nous soulignons) :

  • R5 : Le court métrage met en avant les conséquences de 4 comportements différents, si intensifs et uniques

  • R7 : Je ne relie pas ce vidéo (que j’ai beaucoup aimé) qu’au réseau de l’information web. Pour moi, c’est la représentation de toute forme de dévotion à un seul aspect de sa vie

  • R9 : Lorsque nous n’avons rien à faire, il est facile de passer notre temps à la seule activité qui nous semble disponible. Chacun des sujets était dans une situation où une seule chose était possible

Si leurs perceptions leur sont propres, on constate des ressemblances dans leurs interprétations des oeuvres. Ainsi, le branchement technologique n’est pas nécessairement le risque majeur à leurs yeux. Tout dépend de l’usage qui est fait du réseau par l’utilisateur. Les représentations des participants à l’étude convergent vers une forme de consensus. Ils n’ont pas réagi à la vision extrême portée par le court-métrage, qu’ils tentent tous d’équilibrer, de nuancer.

Réactions affectives aux oeuvres

L’analyse qualitative des données nous a permis de repérer des manifestations de réactions affectives dans les réponses. Tout comme le punctum est le point de départ de la théorie de Barthes, on remarque dans les réponses la présence de réactions affectives qui semblent fonder le raisonnement interprétatif. L’importance de l’émotion suscitée par les représentations émerge à trois reprises (nous soulignons) :

  • R7 : Détourner un extrait d’une oeuvre d’art de la renaissance (hors contexte) associée à un élément du web (ringard) afin de rassembler les deux idées du titre : Renaissance et 2.0 Cette affiche ne représente pas grand-chose que le titre ne fait pas. Aucune valeur ajoutée

  • R5 : Le court métrage met en avant les conséquences de 4 comportements différents, si intensifs et uniques

  • R7 : Je ne relie pas ce vidéo (que j’ai beaucoup aimé) qu’au réseau de l’information web

Visible par tous, l’image laisse cependant le champ libre à la multiplicité des interprétations individuelles. C’est un paradoxe relevé par Blanchot, cité par Barthes :

L’essence de l’image est d’être toute dehors, sans intimité, et cependant plus inaccessible et mystérieuse que la pensée du for intérieur ; sans signification, mais appelant la profondeur de tout sens possible ; irrévélée et pourtant manifeste, ayant cette présence-absence qui fait l’attrait et la fascination des Sirènes.

1980, 164

La dimension affective est donc un élément constitutif de la représentation qui pourrait colorer les perceptions qu’ont les répondants du message véhiculé par l’oeuvre.

Lexique technologique et esthétique des nouveaux médias

Les technologies sont représentées par le lexique utilisé dans les réponses. Sont principalement évoqués le Web ainsi que le Web 2.0, l’informatique et Internet, mais aussi les vecteurs technologiques et techniques tels que la machine, l’ordinateur, les médias (« plateformes de diffusion », « médias traditionnels ou sociaux ») ou encore « le réseau ». S’en dégage une représentation de la société investie non seulement par l’information, mais aussi par les nouvelles technologies. Les attributs auxquels les technologies sont associées sont la connexion et la virtualité :

  • R5 : La technologie peut nous connecter plus facilement

  • R9 : La main « virtuelle » qui clique partout sur Internet

À plusieurs reprises, une personne met également en avant la propension des technologies à orienter, voire à conditionner les comportements :

  • R1 : La technologie, l’ordinateur, prend la place de Dieu dans la mesure où il devient une référence pour orienter nos comportements, nos valeurs, etc...

Pour Castells, le caractère convergent du nouvel environnement technologique — intégrant tous les médias et expressions culturelles — n’est pas tant singulier pour la réalité virtuelle que pour la virtualité réelle qu’il construit (2001, 469). Le fonctionnement propre aux nouveaux médias signe une transformation profonde de la manière de signifier et de faire sens à travers les flux et les écrans.

Dans la manière dont ils présentent l’information (nouvelles formes, structures et modèles), les nouveaux médias procèdent d’une esthétique particulière que Manovich préfère appeler « langage » (2010, 71). La construction des représentations peut donc passer par un recours à une forme d’intertextualité, voire une interpicturalité comme le recours à la référence, qui est par ailleurs souligné par un répondant :

  • R1 : Il s’agit d’une référence à la fresque de Michel Ange où la main de Dieu touche celle d’Adam (si ma mémoire est bonne). Adam représente les Hommes

L’association d’éléments différents est également un procédé qu’ont relevé les étudiants au sujet des représentations artistiques (nous soulignons) :

  • R7 : Détourner un extrait d’une oeuvre d’art de la renaissance (hors contexte) associée à un élément du web (ringard) afin de rassembler les deux idées du titre : Renaissance et 2.0

  • R5 : Le court métrage met en avant les conséquences de 4 comportements différents

Une des grandes forces créatrices des nouveaux médias réside dans leur capacité à détourner et à recombiner des extraits à l’infini dans une logique de variabilité permanente (Manovich 2010, 262) « en opérant une nouvelle sélection à partir de tout le corpus disponible » (Manovich 2010, 252). Tout comme les flux de données numériques qui les composent, ces nouvelles formes sont dynamiques ; leurs significations renvoient au-delà d’elles-mêmes. Ce mode de construction n’est finalement pas différent des arts traditionnels, comme la peinture ou la littérature qui procèdent également par reprise et réécriture. Ce qui en revanche nous apparaît comme spécifique aux nouveaux médias — grâce au filtrage de l’écran —, c’est la création d’une représentation mouvante et fragmentée, notamment par la possibilité d’ouvrir plusieurs fenêtres en même temps dont « la coexistence et le chevauchement constituent un principe fondamental de l’interface graphique moderne » (Manovich 2010, 206). Dans les réponses relatives aux représentations artistiques, les étudiants évoquent certaines caractéristiques des nouveaux médias et leur pouvoir de subversion à travers les procédés de remplacement, de détournement ou d’associations nouvelles (nous soulignons) :

  • R1 : Ici la main de Dieu est remplacée par l’icone de la main que l’on retrouve sur un ordinateur

  • R7 : Détourner un extrait d’une oeuvre d’art de la renaissance (hors contexte) associée à un élément du web (ringard)

  • R8 : L’art ancien revisité par le web 2.0

  • R9 : La main « virtuelle » qui clique partout sur Internet a remplacé la main de Dieu

Conclusion

La société de l’information est une réalité pour la majorité des participants à l’enquête. Le phénomène d’infobésité semble être plus difficile à mesurer et les perceptions des étudiants n’indiquent pas qu’il soit vu comme le revers négatif de la société moderne. Les réponses dessinent les contours d’une société nourrie par des représentations partagées qui sont signifiantes pour l’étude des concepts. Notre approche visait à amorcer une réflexion nouvelle à travers la prise en compte des représentations individuelles.

La société est elle-même une représentation, à l’image de ce que Bell décrit comme « un pur objet de pensée, une oeuvre d’imagination à traduire dans la pratique » (1976, 420). C’est dans cette dimension abstraite que s’insèrent l’opinion et le jugement (ainsi que les charges subjectives de l’affect, la subversion ou l’utopie liées aux concepts et aux attentes qu’ils suscitent). Le croisement des représentations artistiques et des perceptions des usagers permet un enrichissement de la recherche par la prise en compte des individualités qui composent la société. La société de l’information est « une construction de l’esprit » (Bell 1976, 425), partagée par la collectivité et façonnée par des représentations individuelles.

De nos jours, le texte, l’image et la vidéo sont des modes de communication privilégiés se manifestant souvent par une représentation à l’écran. Bien que les répondants aient été peu nombreux, cette étude nous a permis d’explorer de nouveaux horizons de recherche et d’entrevoir des perspectives pour une réflexion future. Des recherches subséquentes, à plus grande échelle et par le biais par exemple de groupes de discussion, pourraient permettre d’aller plus loin et de proposer une conception multidisciplinaire et décloisonnée de la société de l’information. Ces recherches pourraient prendre appui sur des notions issues des différents domaines des sciences humaines et sociales, ainsi que sur des modes d’expression variés. Néanmoins, grâce à cette étude exploratoire, nous pouvons affirmer qu’une approche reliant la représentation artistique à la perception individuelle est pertinente pour l’appréhension et la compréhension du concept de société de l’information, car elle se situe à un carrefour culturel qui en constitue, du moins au regard des réponses des étudiants, une grande part de l’attrait et de la complexité[2].