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INTRODUCTION. CHANGEMENT DE PARADIGME : COMPRENDRE LE MONDE POST-COVID-19[Notice]

  • François Boudreau

Le dernier tiers du XIXe siècle a vu la surprenante lancée du libéralisme dans le monde occidental prendre sa forme corporative, marquant ainsi la fin définitive de l’ère des grandes révolutions européennes du XVIIIe siècle, qui permirent de léguer le monde traditionnel à l’histoire et de lancer l’ère de l’individualisme. Par libéralisme, nous entendons à la fois la démocratie représentative et son parlementarisme, ainsi que le capitalisme d’entreprise privée qui, dans sa forme corporative, acquiert le statut de personne morale qui pose ses propres intérêts dans le monde. Ce déploiement du libéralisme corporatif parvint aux quatre coins de la planète avant de s’accrocher les pieds dans la Première Guerre mondiale, puis de s’embourber dans la grande crise des années trente, avant de finalement trouver sa limite d’incohérence dans le second grand conflit planétaire armé issu de l’Europe en deux générations. Son dénouement dans l’usage de la bombe atomique sur des populations civiles marque la consécration des États-Unis et ses alliés inconditionnels comme gendarme et puissance économique du monde. La fin de la Deuxième Guerre mondiale s’était alors conclue sur un constat net : laissée à elle-même, l’entreprise privée corporative n’avait mené le monde qu’à l’affrontement violent des intérêts. On adopta alors le grand compromis keynésien, aussi dit social-démocrate, selon lequel le capitalisme doit être réglementé, et encadré par des politiques sociales de redistribution des richesses, parce que l’intérêt premier des corporations n’est pas naturellement compatible avec le bien-être des populations. Ce nouveau paradigme social présida à l’extraordinaire croissance économique et technologique du troisième quart du XXe siècle : les populations ont été éduquées, les femmes se sont émancipées, la mobilité sociale s’est accrue, la pauvreté a reculé, le colonialisme a été remis en question et a reculé, tout cela dans le cadre de la guerre froide avec l’URSS. Le libéralisme s’est cependant montré résilient, et un puissant mouvement de dérèglementation contre les prétentions de l’État à intervenir au nom de l’éthique collective, sous le couvert de l’efficacité de l’entreprise privée, s’est alors déployé dans le dernier quart du XXe siècle. Supporté par la spectaculaire croissance des technologies de l’information, ce nouveau libéralisme, sous le leadership acharné des grandes corporations et des milliardaires, a lancé le monde dans une nouvelle vague de globalisation des marchés, de délocalisation des lieux de production et de mondialisation des rapports sociaux au point où, face à la pandémie de Covid-19, le monde s’est aperçu qu’aucun pays ne possédait plus les moyens de son autosuffisance, sauf peut-être la Chine, elle-même en quête de supplanter les États-Unis comme puissance mondiale dominante. Le développement de nouvelles sphères d’alliances et d’influence mène alors à de nouvelles tensions sous des formes de plus en plus militarisées. Mais l’apparition de la puissance chinoise sur la scène mondiale n’est pas le seul élément qui pointe vers un nouveau paradigme des rapports sociaux à l’échelle planétaire. L’ampleur et l’incroyable complexité des changements climatiques semblent de plus en plus jouer un rôle important dans l’ordre du monde, tant dans les dérangements des conditions de production de la nourriture (sécheresses, inondations, disparition des écosystèmes, effondrement des espèces) que dans les conditions d’occupation du territoire (montée des océans, amplitudes et fréquence des tempêtes, déplacement des populations). Sans compter que le nouveau climat semble propice au déploiement de nouveaux virus : le VIH depuis le milieu des années 1980; l’Ebola et le SRAS depuis le début du siècle et la Covid-19 depuis peu. La polarisation des richesses, tant à l’échelle planétaire qu’à l’intérieur des pays, partout dans le monde, se manifeste par d’immenses mouvements de populations qui quittent les régions pauvres (Afrique, Amérique centrale et du Sud, …