Résumés
Résumé
Au Québec, on observe une hausse de la prévalence du trouble du spectre de l’autisme (TSA) et des ressources limitées; ainsi, malgré de nombreux demandeurs de services, seules certaines personnes y ont accès. Dans ce contexte, la présente étude vise à connaitre la nature et distribution des attentes et besoins exprimés par les familles d’enfants ayant un TSA, et le lien de ceux-ci avec l’accès à des services d’intervention comportementale intensive (ICI). Une analyse thématique inductive des déclarations dans le formulaire de demande de service de 352 parents au sujet de leurs attentes et besoins spécifiques a été faite. Les trois thèmes (besoins et attentes) émergeant de cette analyse sont : obtenir des activités de stimulation pour l’enfant, préparer l’insertion sociale et scolaire de celui-ci et obtenir de l’aide pour améliorer la situation familiale. Les familles n’ayant pas de revenu d’emploi, et celles dont la langue d’usage des parents n’est pas le français, sont plus nombreuses à évoquer des préoccupations sur la situation familiale, alors que les familles ayant un revenu d’emploi se préoccupent davantage de l’insertion sociale et scolaire de leur enfant, et celles dont la langue d’usage est le français recherchent les activités de stimulation pour celui-ci. Les implications de ces résultats quant aux enjeux des inégalités sociales de santé seront discutées.
Mots-clés :
- autisme,
- intervention comportementale intensive,
- inégalités sociales,
- analyse thématique
Abstract
In Quebec, the prevalence of Autism Spectrum Disorder (ASD) is increasing and resources are limited; thus, although there are many requests for services, only some people have access to them. In this context, the present study aims to understand the nature and distribution of expectations and needs expressed by families of children with ASD, and how these relate to access to intensive behavioural intervention (IBI) services. An inductive thematic analysis of 352 parents’ service request form statements about their specific needs and expectations was conducted. The three themes (needs and expectations) that emerged from this analysis were: obtaining stimulating activities for the child, preparing for the child’s social and school integration, and obtaining help to improve the family situation. Families with no employment income and those in which parents’ language is not French are more likely to mention concerns about the family situation, while families with employment income are more concerned about their child’s social and educational integration, and those whose language is French are seeking stimulation activities for their child. The implications of these results for social inequalities in health will be discussed.
Keywords:
- autism,
- intensive behavioural intervention,
- social inequalities,
- thematic analysis
Corps de l’article
Le trouble du spectre de l’autisme (TSA) est une condition neurologique qui traduit un développement atypique du cerveau du point de vue structural et fonctionnel (Valenti et coll., 2020). C’est un trouble permanent qui est souvent diagnostiqué dans la petite enfance (Girault et Piven, 2020) en se basant sur des critères qui demeurent, en l’absence de marqueurs biologiques fiables à ce jour, purement cliniques et comportementaux (Brian et coll., 2019; Thabtah et Peebles, 2019). La personne ayant un TSA possède un déficit au niveau de sa communication, de ses interactions sociales, de ses comportements (restreints et répétitifs) et de son processus d’apprentissage (Grzadzinski et coll., 2013). En se basant sur un échantillon de pays qui ne représentent que 16% de la population mondiale des enfants, l’Organisation mondiale de la santé avait estimé la prévalence du TSA dans le monde en 2010 à 0,76% des enfants (Baxter et coll., 2015) et les chiffres n’ont cessé d’augmenter depuis (Elsabbagh et coll., 2012). Au Québec, les données en provenance du milieu de l’éducation et concernant les enfants âgés de 4 à 17 ans, font état d’une prévalence qui se situe autour de 1% (Noiseux, 2016) à 1,2% (Ofner et coll., 2018) avec une croissance annuelle évaluée à 26% (Noiseux, 2018). Cette tendance québécoise a également été confirmée par une parution de l’Institut national de santé publique du Québec basée sur les données du Système intégré de surveillance des maladies chroniques du Québec (SISMACQ) (Diallo et coll., 2018). Une prévalence en forte hausse exerce au Québec des pressions sur les systèmes de santé, d’éducation, et les services communautaires, rendant l’accès aux services de plus en plus sélectif malgré de nombreux demandeurs en attente.
Depuis l’année 2003, le gouvernement du Québec a mis en place un programme d’intervention comportementale intensive (ICI) ciblant les enfants de 0 à 5 ans et leurs familles. Ce programme, qui s’appuie sur les principes de l’analyse appliquée du comportement, vise à répondre aux besoins et aux attentes des familles par, notamment, une stimulation de l’enfant lui permettant d’acquérir des aptitudes et habilités d’insertion sociale pour débuter l’école primaire. Les programmes de thérapie comportementale précoce et intensive répondent aux principes de l’analyse appliquée du comportement décrite par le professeur Lovaas (Lovaas, 1987). Ils ont fait leur preuve dans plusieurs pays du monde dont le Royaume-Uni (Grindle et coll., 2009), la France (Barthélémy, 2012; Salomone et coll., 2015), les États-Unis, et la Suisse (Studer et coll., 2017) en rendant possible l’inclusion sociale des personnes ayant un TSA. Pour rendre les services d’ICI plus efficaces, le gouvernement du Québec a recommandé, à travers son plan d’action sur le TSA 2017–2022, que l’offre de services soit adaptée aux besoins spécifiques des personnes ayant un TSA et de leurs familles (ministère de la Santé et des Services sociaux, 2017). Il est important de noter que plusieurs études ont évalué l’implantation et le rendement du programme d’ICI au Québec (Caron et coll., 2019; Paquet et coll., 2012) mais aucune à notre connaissance, ne s’est penchée sur la compilation puis l’analyse de la nature des attentes et des besoins exprimés par les familles lorsque celles-ci font leurs demandes de services d’ICI. Dans un contexte où la prévalence du TSA présente une forte croissance, il est également important de développer des études québécoises, à l’instar de celle-ci, qui permettront certes de connaitre le nombre de personnes concernées (personnes ayant un TSA et familles), mais également d’avoir une idée plus juste de leurs attentes et besoins pour être en mesure d’adapter l’offre de services d’intervention au profil de besoins, aux défis rencontrés et aux ressources disponibles ou nécessaires.
Le fait que les déclarations des familles sur les attentes et les besoins soient liées aux déterminants sociaux de demandeurs de services de santé est une réalité déjà rapportée dans la littérature scientifique (Sentell et coll., 2007; Turrell et Mathers, 2000). Une fois que les attentes et besoins de familles seront répertoriés, il sera important de savoir dans quelle mesure ces attentes et besoins reflètent une certaine appartenance à un groupe social donné. Sur le plan pratique, cette démarche permettra de connaitre les besoins spécifiques des familles selon, par exemple, l’âge de l’enfant, le niveau d’éducation des parents, le revenu des parents, l’origine ethnique et autres. Le Québec, et spécialement la ville de Montréal, étant une mosaïque socio-culturelle (Crafa et coll., 2019), une quelconque association entre les attentes et besoins exprimés par les familles et certains déterminants sociaux, comme ceux cités ci-haut, permettra d’entrevoir une possibilité d’adaptation de l’offre de service aux réalités spécifiques de familles (Parent et coll., 2015), à des groupes sociaux spécifiques (Yingling et coll., 2019) et à des milieux spécifiques (Durkin et coll., 2015).
Dans le cadre d’une recherche sur les inégalités sociales de santé, et dans un contexte de ressources limitées et de tri de bénéficiaires de services selon des critères cliniques et individuels pas toujours très clairement stipulés, il est aussi important de se demander dans quelle mesure le type d’attentes et de besoins exprimés par les familles ont un effet sur l’accès aux services d’ICI. Celles qui accèdent aux services sont-elles simplement celles qui présentent des signes cliniques et individuels éligibles? Un tri n’est-il pas implicitement opéré tenant compte des attentes et besoins exprimés?
Hormis ce qui est admis actuellement comme critère majeur de sélection (niveau de sévérité du trouble), il convient de se demander s’il ne se passe pas une forme implicite de sélection d’accès aux services d’ICI qui soit basée sur le type d’attentes et de besoins exprimés par les familles. Dans un souci de rendre l’accès aux services d’ICI plus juste et équitable, il est important de connaitre les profils d’attentes et des besoins favorisant le plus l’accès aux services d’ICI, en vue de recommander des ajustements possibles.
Des études d’évaluation réalisées au Québec et ailleurs dans le monde révèlent que les besoins et les attentes exprimés par les parents sont associés à certains déterminants sociaux de la santé et varient sensiblement selon leur niveau d’éducation, ainsi que selon l’âge et le sexe de leurs enfants ayant un TSA (Papageorgiou et Kalyva, 2010). Il a été rapporté, à titre d’exemple, que les parents ayant fait des études secondaires s’attendent à un soutien plus pratique, tandis que les parents ayant fait des études universitaires s’attendent à un soutien psychologique plus important. Quant à l’âge de l’enfant, la même étude révèle que les parents d’enfants plus âgés sont plus préoccupés par les problèmes d’autonomie et de comportement de leurs enfants, tandis que les parents d’enfants plus jeunes sont plus préoccupés par les problèmes de communication. Les parents d’enfants ayant un TSA font aussi face à de multiples réalités qui finissent par affecter leur propre santé physique et mentale (Courcy et des Rivières-Pigeon, 2013). En effet, ces parents ont des épisodes fréquents de dépression, ont du mal à concilier l’emploi et la famille, et connaissent des situations instables dans leur relation de couple caractérisées notamment par des séparations et des divorces (Cohrs et Leslie, 2017; Falk et coll., 2014; Marquis et coll., 2020). L’un des besoins fréquemment exprimés par les parents d’enfants ayant TSA est un besoin d’information (Auert et coll., 2012; Derguy et coll., 2013; Ellis et coll., 2002), suivi par des services communautaires, et du soutien. L’aide financière est le besoin le moins souvent nommé et l’analyse des variables qui prédisent les besoins révèlent que les parents de jeunes enfants ayant un TSA ont de nombreux besoins en comparaison avec les autres troubles du développement. L’âge de l’enfant, le revenu, la scolarité, le nombre de frères et soeurs et la participation aux services de soutien n’y ont pas prédit les besoins auto-déclarés (Auert et coll., 2012). Une autre étude réalisée à Edmonton (Hodgetts et coll., 2014) auprès de 143 parents d’enfants ayant un TSA âgés de 2 à 18 ans a révélé que les besoins de services globaux et non satisfaits les plus fréquemment identifiés étaient l’information sur les services, le soutien familial et les services de répit. Le financement et la qualité du soutien professionnel disponible ont été considérés positivement. Le bas âge de l’enfant, le faible revenu, le fait d’être une mère plus âgée prédisaient davantage de besoins totaux; le niveau de développement du langage de l’enfant ou ses capacités intellectuelles ne prédisaient pas les besoins des familles (Hodgetts et coll., 2014). Les enfants ayant un TSA connaissent également un plus grand nombre d’adversités au sein de la famille et du quartier, ce qui peut compromettre leurs chances d’obtenir des résultats optimaux en matière de santé physique et comportementale (Berg et coll., 2018). Les diagnostics concomitants chez les personnes ayant un TSA varient beaucoup d’une personne à une autre et plusieurs rapports récents ont documenté que les enfants ayant un TSA ont une incidence plus élevée de problèmes de santé mentale et physique, ainsi qu’une plus grande utilisation des services de soins de santé (Krauss et coll., 2003). Ces précisions sont essentielles pour réfléchir aux processus de sélection en vue de développer des systèmes de soins et des approches comportementales qui répondent aux différents niveaux de besoins des enfants ayant un TSA ainsi que de leur famille, et bien entendu, qui luttent contre les inégalités sociales de santé (Organisation mondiale de la santé, 2008).
Au cours d’une étude antérieure utilisant des données quantitatives prélevées d’un échantillon de demandeurs de service d’ICI, il a été montré que la durée d’attente avant d’obtenir des services était plus courte et l’accès aux services plus favorable pour les plus jeunes enfants et pour les enfants dont les parents n’avaient pas de revenu d’emploi ou ayant une langue d’usage différente du français (Luyindula et des Rivières-Pigeon, 2022). Les auteurs avaient alors fait remarquer que cette façon non-explicite de sélectionner les familles ne reposait sur aucune analyse des enjeux éthiques qu’elle pouvait soulever, notamment en ce qui a trait à ses répercussions possibles sur les inégalités sociales de santé. La même préoccupation au sujet des inégalités est à l’origine de la présente recherche. En effet, les indicateurs d’inégalités sociales de santé comprennent trois éléments essentiels à savoir : un indicateur de santé (déterminant de la santé) sur lequel il est possible d’agir grâce à des actions de promotion, de prévention et de protection de la santé; un indicateur de position sociale; et une mesure d’inégalité de santé, exprimant la distribution d’un indicateur de santé selon la position sociale (Braveman, 2006). Les indicateurs d’inégalités sociales de santé traduiront, par exemple, les écarts d’espérance de vie selon la scolarité, l’emploi (source de revenu) ou d’autres indicateurs sociaux (tels l’âge, la langue parlée). Ces aspects sont intimement liés, pour les personnes ayant un TSA, aux disparités dans l’accès à des services (Reichow et Wolery, 2009).
Le manque de clarté dans les critères de sélection des bénéficiaires de service d’ICI au Québec contraste avec la volonté gouvernementale de rendre l’accès à ces services socialement juste et équitable. Ainsi, il est utile de répertorier les attentes et besoins exprimés par des familles d’enfants ayant un TSA afin de les comprendre, et de regarder de quelle manière ces attentes et besoins sont associés aux déterminants sociaux et peuvent influencer le processus de sélection de quelques bénéficiaires parmi les nombreux demandeurs de service d’ICI. Il est donc important pour la première fois au Québec, de connaitre les attentes et besoins exprimés par les familles d’enfants ayant un TSA, puis de chercher à savoir s’il existe des liens entre, d’une part, ces attentes et besoins exprimés et les déterminants sociaux de la santé et, d’autre part, entre ces mêmes attentes et besoins et l’accès aux services d’ICI. C’est ainsi que l’on peut mieux comprendre le processus de sélection des bénéficiaires, cibler les politiques et les pratiques qui permettent à la fois de tirer le meilleur parti des ressources personnelles, professionnelles et financières inévitablement limitées, et de lutter contre les inégalités sociales de santé.
Objectifs
Cette recherche vise premièrement à recenser, dans leur diversité, les attentes et besoins exprimés par des familles d’enfants ayant un TSA lors de leur demande d’accès aux services d’ICI dans le plus grand Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS du Québec. Deuxièmement, elle vise à explorer les relations possibles entre ces attentes et besoins exprimés, et certains déterminants sociaux de la santé. Finalement, elle a pour objectif de révéler la possible présence de liens entre ces attentes et besoins et l’accès aux services d’ICI.
Méthodologie
Source des données
Il s’agit d’une étude mixte transversale de type exploratoire. Les participants de cette étude sont des familles d’enfants ayant un TSA et qui ont fait une demande de service d’ICI au CIUSSS du centre-sud de l’île de Montréal (CSIM), au cours de la période comprise entre 2012 et 2015.
Au Québec, l’accès au diagnostic de TSA est primordial avant de bénéficier des services dans le cadre du programme gouvernemental d’ICI, ciblant les enfants de moins de 5 ans (Chamak, 2016). La direction d’Accès, Évaluation et Orientation (AEO) du programme DI-TSA (déficience intellectuelle-TSA) constitue la porte d’entrée principale pour toutes les demandes ayant trait aux services d’ordre social ou psychologique. Un formulaire standard y est rempli par un intervenant social qui interroge la famille, permettant ainsi de faire l’évaluation de la situation, des besoins et des attentes de la personne référée en vue d’une décision finale qui influencera la durée d’attente avant d’avoir accès aux services, le degré de priorisation, l’éligibilité aux services et surtout le type de services offerts. Ainsi, la demande de service auprès de la direction d’AEO du programme DI-TSA, constitue une étape indispensable pour l’obtention des services publics pour les enfants. Bien qu’une partie seulement des demandeurs accèdent aux services, la demande de service spécialisé constitue néanmoins une source d’information pertinente pour l’identification des caractéristiques et des besoins d’un échantillon plus vaste que les seuls enfants qui reçoivent des services. Notre échantillon est donc plus large, incluant les demandeurs non retenus pour les services.
Une autorisation d’accès au dossier des usagers a été demandée à la direction des services professionnels du CIUSSS du CSIM et obtenue, de même qu’un avis favorable de convenance institutionnelle de l’Université du Québec à Montréal, et une approbation éthique du comité d’éthique de la recherche – Dépendances, Inégalités sociales et Santé publique (CÉR-DIS) rattaché au CIUSSS du CSIM. L’étude a fait usage du formulaire administratif de demande de service d’intervention comportementale intensive intitulé Évaluation sommaire des attentes et des besoins de l’enfant et de sa famille pour les 0–5 ans (RR-01F 0–5 ans). Ce formulaire contient, à sa section 19, une déclaration recueillie auprès des parents d’enfants ayant un TSA au sujet de leurs attentes et leurs besoins. La question donnant lieu à la déclaration stipule exactement ceci : « Indiquer, notamment, la nature des attentes et des besoins, les raisons qui motivent la demande ainsi que toute situation familiale ou sociale démontrant de l’épuisement, un état de crise ou de l’isolement. » C’est l’analyse thématique de cette dernière déclaration qui fait l’objet de ce travail scientifique. Rappelons toutefois que les formulaires sont remplis par des intervenants sociaux à la suite d’une rencontre avec la famille, et non par les membres de la famille eux-mêmes. Ces formulaires contiennent également les données relatives à l’enfant (âge, sexe, langue de communication, milieu de vie/situation de vie, code postal, diagnostic, services en cours et en attente, service demandé, occupation de jour, environnement, problèmes de santé physique et mentale, incapacités, comportements nécessitant une intervention), les données relatives aux parents (source de revenu familial, occupation, contexte familial, langue de communication) ainsi que les données relatives au référant (territoire administratif, établissement). Les informations qui n’ont pas pu être obtenues grâce aux formulaires de demande de service ont été tirées de la base de données SIPAD (Système d’information pour les personnes ayant une déficience) du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, qui était également accessible. SIPAD est une base des données spécialement conçue par le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec pour soutenir les processus administratifs et cliniques du personnel de la direction du programme DI-TSA et de la direction du programme sur la déficience physique. Les informations tirées du SIPAD concernent notamment le niveau de priorisation retenu après évaluation de la direction AEO, la date de naissance, la date de demande de service, et la date de début des services, ce qui a permis de calculer la durée d’attente avant l’accès aux services.
Toutes les déclarations correspondant aux années administratives 2012–2013 (n = 206), 2014–2015 (n = 243) ont été sélectionnées. Toutefois, l’échantillon initial de 449 participants a donné lieu à un échantillon final de 352 après avoir écarté toutes les non-réponses (formulaires sans notes sur la déclaration ciblée), soit 41 dossiers pour la première année administrative et 56 dossiers pour la deuxième.
Caractéristiques des données et définition des variables
Pour déterminer d’une part le lien entre les attentes et besoins exprimés par les familles et les déterminants sociaux de la santé et, d’autre part, pour établir si ces attentes et besoins régulent l’accès aux services d’ICI au Québec, les analyses ont respectivement porté sur les mêmes données sociales et socioéconomiques des familles (variables indépendantes), à savoir l’âge de l’enfant, la source de revenu des parents, la langue d’usage des parents, et aux mêmes paramètres d’accès aux services (durée d’attente de service, l’accès et la priorisation d’accès) qui ont été retenus dans une précédente étude (Luyindula et des Rivières-Pigeon, 2022). Pour cette présente étude, il sera donc question de savoir si les attentes et besoins exprimés par les familles se répartissent suivant un certain gradient social donné. Si tel est le cas, il sera avantageux d’adapter l’offre de services d’ICI aussi bien aux standards du programme qu’aux besoins réels des bénéficiaires dans un but d’efficience et d’équité. Cette recherche devra également analyser, pour la première fois au Québec, la relation qui existerait entre la durée d’attente de services, la priorisation d’accès et l’accès aux services d’une part, ainsi que le type d’attentes et besoins exprimés par les familles d’autre part.
Variables indépendantes. L’âge de l’enfant correspond au nombre de mois écoulés depuis la date de naissance jusqu’à la date de demande de service. Une variable a été créée à partir de la différence entre ces deux dates issues de la base SIPAD. Elle a été catégorisée pour les analyses comme suit : < 36 mois, 37–48 mois, et > 48 mois. Rappelons que les formulaires retenus dans notre échantillon portent sur l’accès aux services d’enfants âgés de moins de 5 ans.
Pour la source de revenu tirée du formulaire de demande de service, les réponses possibles comprennent le revenu d’emploi, d’assurance-emploi, du programme de sécurité du revenu, du revenu des rentes, de l’allocation familiale, de l’allocation pour personne handicapée, de même que le refus de répondre à la question et l’absence de revenu. Pour les analyses statistiques, une nouvelle variable a été créée opposant le revenu d’emploi à l’ensemble des autres sources de revenu, celles-ci étant considérées comme une absence de revenu d’emploi.
L’information sur la langue d’usage des parents a été tirée du formulaire de demande de service. Il s’agit de la principale langue utilisée par les parents pour communiquer avec le personnel offrant les services. Une variable en deux catégories a été créée avec d’une part les personnes communicant en français, qui est la langue principale de service au Québec, et, d’autre part, toutes les autres langues réunies.
Variables dépendantes. La durée d’attente de service correspond au temps écoulé entre la date d’admission indiquée sur le formulaire de demande, et la date de début effectif de services de thérapie comportementale intensive. Cette information provient de la base SIPAD.
L’accès aux services est une variable dichotomique créée en identifiant, dans la base SIPAD, la présence ou l’absence d’une date spécifique de début des services de thérapie comportementale intensive.
Le niveau de priorité accordé à une demande de service est également consigné dans la base SIPAD. Il provient de l’évaluation globale de chaque demande (formulaire) par la direction de l’AEO et est classifié en trois paliers selon le plan d’accès en vigueur (ministère de la Santé et des Services sociaux, 2008) :
On parle d’un niveau « urgent » lorsque l’intégrité et la sécurité de la personne ou de sa famille sont menacées et que tous les critères suivants sont présents : la situation de la personne est critique à cause de la présence d’une ou de plusieurs déficiences; l’absence d’une intervention immédiate, ou dans les 72 heures, compromet de manière irrémédiable le développement d’une aptitude, la récupération d’une fonction ou l’intégration sociale de la personne; la situation de crise est actuelle ou imminente (prévisible dans les 72 heures suivant la demande); le milieu naturel est inexistant, inapte ou ne peut compenser au-delà de 72 heures.
On évalue le degré de priorité à « élevé » lorsque l’intégrité et le développement de la personne risquent d’être irrémédiablement compromis en l’absence d’intervention dans les 90 jours suivant l’analyse de la demande. L’un des critères suivants doit être présent : l’intervention doit débuter rapidement considérant la situation critique du cheminement de l’usager, selon les données probantes disponibles, et dans l’absence d’une intervention à l’intérieur de trois mois, la personne risque notamment de développer un problème chronique et de voir son développement irrémédiablement compromis; la détérioration de la situation (facteurs personnels et/ou environnementaux), de même que ses effets négatifs sur la réalisation des habitudes de vie et l’intégration sociale sont prévisibles dans les 90 jours suivant la demande (p. ex. : sans intervention dans ce délai, la personne risque de se voir exclue du service de garde).
Un niveau « modéré » suggère que la détérioration ou l’aggravation de la situation de la personne ne sont pas prévisibles d’ici les 90 jours suivant l’analyse de la demande, mais l’intervention est nécessaire pour permettre la réalisation de ses habitudes de vie et/ou son intégration sociale. Une hiérarchisation des demandes peut être possible à l’intérieur de ce niveau de priorité, afin d’éviter l’aggravation des situations.
Analyses réalisées
Analyse thématique. Une analyse thématique en six étapes (Braun et Clarke, 2006) a été conduite dans le but d’explorer les sous-thèmes et thèmes émergeant des attentes et des besoins contenus dans les déclarations des familles. Les déclarations manuscrites provenant des formulaires ont été transcrites sur un seul fichier. Chacune d’elles a d’abord été lue attentivement et les points clés ont été notés. Ensuite, les caractéristiques qui semblaient importantes ont été déterminées sur la base d’un processus inductif d’attribution de sous-thèmes à des modèles récurrents dans l’ensemble des déclarations. Cela a impliqué de travailler avec les données pour trouver des unités d’information provenant directement des déclarations des demandeurs. Tous les sous-thèmes ont ensuite été vérifiés pour détecter les tendances ou schémas saillants. Toutes les relations entre les sous-thèmes ont été examinés et, progressivement, les sous-thèmes ont été reliés et rassemblés en thèmes lorsque ceux-ci semblaient se rapporter à un contenu identique ou similaire. Les idées et concepts semblables en contenu furent assemblés en des sous-thèmes, puis à des thèmes émergeants qui, finalement, ont été examinés par rapport l’ensemble des données ainsi codées. Les sous-thèmes mal représentés ou ambigus ont été redéfinis ou rejetés. Chaque thème a ensuite été nommé et a reçu une définition de travail claire. La structure générale de chaque thème, des sous-thèmes et les extraits qui les ont spécifiés ou clarifiés a été déterminée et rassemblée dans un tableau. Grâce à l’analyse thématique, une déclaration pouvait générer plusieurs sous-thèmes qui étaient ensuite combinés en thèmes de niveau supérieur (tableaux 1 et 2).
Analyse du lien entre le contenu thématique et les déterminants sociaux de la santé. L’analyse thématique a donné lieu à l’élaboration des sous-thèmes et des thèmes qui ont été utilisés comme des variables pour une analyse quantitative visant à rechercher une certaine répartition sociale par rapport aux attentes et besoins de services d’ICI. Ainsi, chacune des variables dépendantes (sous-thèmes ou thèmes) a été codifiée 1 ou 0, respectivement pour marquer sa présence et son absence dans la déclaration sous analyse. Le logiciel SPSS (version 27) a été utilisé pour des analyses descriptives et pour la recherche de lien statistique (Chi-deux) entre les sous-thèmes et thèmes d’une part, et d’autre part l’âge de l’enfant (< 36 mois, 37–48 mois, > 48 mois), la source de revenu des parents (revenu d’emploi ou autre) et la langue d’usage des parents (français ou autre).
Analyse du lien entre le contenu thématique et les paramètres d’accès aux services. Les mêmes sous-thèmes et thèmes issus de l’analyse thématique ont été utilisés comme variables pour une nouvelle analyse quantitative visant à tester les liens entre les paramètres d’accès aux services d’ICI et la nature des attentes et besoins exprimés par les familles. Ainsi, chacune des variables indépendantes (sous-thèmes ou thèmes), précédemment codifiée 1 ou 0, a été analysé à la recherche de lien statistique (Chi-deux) à l’aide du logiciel SPSS (version 27) avec la durée d’attente de service (< 2 ans ou > 2 ans), l’accès aux services (oui ou non) et la priorisation d’accès aux services (urgent, élevé ou modéré).
Résultats
Nature des attentes et besoins exprimés par les familles
Après avoir recensé dans leur diversité les attentes et besoins exprimés par les familles d’enfants ayant un TSA lors de leur demande d’accès aux services d’ICI au Québec, une analyse de contenu a été réalisée. L’analyse thématique faite à partir de 352 déclarations des familles d’enfants ayant un TSA a permis de faire émerger sept sous-thèmes différents, regroupés en trois thèmes principaux qui résument leurs attentes et besoins lors de la demande d’accès aux services d’ICI. Ces thèmes sont :
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Obtenir des activités de stimulation pour l’enfant (thème présent dans 85,5% des formulaires) : 90,6% des formulaires faisant référence aux activités de stimulation pour l’enfant contiennent des besoins et attentes liés à l’apprentissage des habiletés sociales comme la communication verbale, l’acquisition de la propreté, et l’attention conjointe. Des commentaires tels les suivants représentent ce thème : « Je suis très inquiet au niveau du langage et de la motricité » et « Nous souhaitons recevoir des services pour optimiser le développement de notre enfant, améliorer ses habilités sociales et la communication, et les habiletés motrices. »
Un autre 18,2% de ces mêmes formulaires font référence à des besoins et d’attentes liés à la modification des comportements perturbants ou dangereux pour la santé et la sécurité de l’enfant comme les crises de colère, l’agressivité, l’inconscience du danger, les restrictions alimentaires et les troubles du sommeil, tel que le montre l’extrait suivant : « Il pleure sur une longue période abandonnant ses activités, il perd toute motivation, il peut se fâcher pour un refus. »
Finalement, 8,9% de ces formulaires soulèvent des besoins et des attentes liés à la construction de l’autonomie personnelle. Voici un extrait : « Qu’il mange seul, aille seul aux toilettes, soit capable de décoderce qui se passe autour de lui. »
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Préparer l’insertion sociale et scolaire de l’enfant (thème présent dans 19,6% des formulaires) : on retrouve sous ce thème les besoins et attentes en lien avec les inquiétudes qu’ont les parents quant aux difficultés liées au trouble qui compromettent l’insertion sociale (6,7%) et scolaire (9,2%) de l’enfant. Les parents ont voulu avoir de l’information visant à améliorer l’évolution de leur enfant sur le plan de l’orientation et intégration scolaire, de la capacité de suivre les consignes et les routines de l’école, de la capacité à entrer en relation avec les pairs à l’école et avec les adultes, de la capacité à mieux se comporter dans les lieux publics. Ces deux extraits sont des exemples de ce thème :
« La rentrée scolaire inquiète, X doit développer les acquis pour la rentrée scolaire, être en mesure de suivre les routines et les règles de l’école. »
« Que X puisse être capable d’entrer en contact avec les autres, adopte un comportement adéquat dans les lieux publics, qu’il respecte des consignes. »
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Obtenir de l’aide pour améliorer la situation familiale (thème présent dans 67% des formulaires) : les préoccupations exprimées sous ce thème sont en lien direct avec les difficultés vécues au sein de la famille ainsi que les répercussions du TSA de l’enfant sur la santé physique et mentale des parents. Les services qui sont demandés visent notamment à briser l’isolement des familles, à les soutenir face à des troubles comme la dépression, des tensions conjugales, un manque de moyens financiers suffisants et d’autres situations qui affectent directement la vie de l’ensemble des membres de la famille. Voici quelques extraits :
« Nous sommes épuisés, son père est moins disponible à cause du travail, je suis en attente d’une greffe rénale, et nous avons un autre enfant ayant un TSA. »
« J’ai vécu une séparation avec le père de X, et je me retrouve seule à assumer les responsabilités de l’enfant. J’ai besoin de services car je dois débuter moi-même aussi l’école en septembre. »
Les besoins de soutien matériel et d’information en vue d’un encadrement de l’enfant à domicile, exprimés dans 29,6% des formulaires, ont été ajoutés sous ce thème (p. ex. : « Absence d’amis, couple isolé ne recevant pas d’aide extérieure, n’a pas de connaissances sur le TSA », « Situation sociale très difficile, la mère doit être extradée avec sa soeur, le père a peu de réseaux de soutien », « Faible revenu familial, parents peu outillés, formation des parents, moyens financiers pour payer la thérapie privée. »)
Les pourcentages également présentés pour chacun des thèmes et sous-thèmes traduisent sa fréquence dans l’ensemble des déclarations sur les attentes et besoins des familles. La figure 1 donne un aperçu global des thèmes et sous-thèmes déterminés par l’analyse thématique des 352 déclarations exprimées par les familles d’enfants ayant un TSA lors de la demande d’accès aux services d’ICI.
Association entre la nature des attentes et besoins des familles, et les déterminants sociaux de la santé. Un test khi-deux a été réalisé visant à mesurer la présence de liens entre certains déterminants sociaux de la santé, et les thèmes et sous-thèmes émanant de l’analyse thématique des déclarations de familles sur leurs attentes et besoins en rapport avec les services d’ICI (tableaux 1 et 2).
Tel qu’indiqué dans le tableau 1, l’analyse a permis de révéler la présence de liens significatifs entre la source de revenu des parents et deux des besoins identifiés (thèmes), soit « préparer l’insertion sociale et scolaire de l’enfant » et « recevoir de l’aide pour améliorer la situation familiale. » En effet, les parents ayant un revenu d’emploi sont proportionnellement plus nombreux à déclarer avoir besoin de préparer l’insertion scolaire de leur enfant (10,4%) que les parents n’ayant pas de revenu d’emploi (3,6%). On remarque une situation inverse en ce qui a trait aux besoins d’aide concernant la situation familiale. Dans ce cas, ce sont les familles sans revenu d’emploi qui sont proportionnellement plus nombreuses à exprimer ce besoin (62,5% versus 45 % pour les familles ayant un revenu d’emploi).
On retrouve également une relation significative entre la langue d’usage des parents et deux des besoins identifiés, soit le besoin de stimulation de l’enfant et le besoin d’aide pour améliorer la situation familiale. Il se dégage en effet que 87% des familles dont la langue d’usage est le français ont formulé des attentes et besoins se rapportant à une stimulation de l’enfant, contre 75% pour les familles utilisant une autre langue (p = 0,034). La situation est inversée en ce qui a trait aux besoins liés à la situation familiale puisque c’est dans le groupe de parents non-francophones que ce besoin est le plus fréquemment exprimé. Ainsi, plus de 65% des familles dont la langue d’usage des parents n’est pas le français ont mentionné des préoccupations sur la situation familiale alors que ces préoccupations ne sont exprimées que par 49% des parents francophones (p = 0,030). Aucun lien significatif n’a été trouvé entre l’âge de l’enfant et les thèmes découlant de la nature des attentes et besoins exprimés.
Une deuxième série d’analyse a été réalisée afin d’explorer les liens entre les sept sous-thèmes initiaux de l’analyse thématique avec les trois mêmes déterminants sociaux de la santé retenus dans le cadre de cette recherche, soit l’âge de l’enfant, le revenu d’emploi et la langue d’usage. Les résultats, présentés dans le tableau 2, démontrent la présence d’une relation significative entre le revenu d’emploi et quatre des sous-thèmes identifiés lors de l’analyse thématique. Ainsi, les familles ayant un revenu d’emploi sont proportionnellement plus nombreuses à s’inquiéter des comportements atypiques de l’enfant (18,3% contre 9,7% p = 0,039), de défis liés à l’acquisition de l’autonomie (9,5% contre 3,5% p = 0,048) et de l’insertion sociale (10,3% contre 3,5% p = 0,03), contrairement aux familles n’ayant pas de revenu d’emploi qui, elles, évoquent plus fréquemment des préoccupations en lien avec les défis familiaux auxquelles elles sont confrontées (40,7% contre 25,4% p = 0,004).
Une relation significative a également été déterminée entre la langue d’usage et les préoccupations liées aux habiletés sociales de l’enfant. En effet, les parents ayant le français comme langue d’usage sont proportionnellement plus nombreux à mentionner les habiletés sociales parmi leurs besoins et attentes à l’origine d’une demande d’accès aux services d’ICI que les parents non-francophones (78,8% contre 63,6% p = 0,026). Aucun lien significatif n’a été trouvé entre l’âge de l’enfant et les sous-thèmes découlant de la nature des attentes et besoins exprimés.
Association entre la nature des attentes et besoins des familles, et les paramètres d’accès aux services. Enfin, une troisième série d’analyse a été réalisée afin d’explorer les liens possibles entre la nature des attentes et besoins des familles (thèmes et sous-thèmes) et les paramètres d’accès aux services d’ICI, soit l’accès ou non aux services, le type de priorisation d’accès et la durée d’attente de services. Les résultats présentés par les tableaux 3 et 4 indiquent qu’aucun des liens testés ne s’est révélé significatif, à l’exception de l’absence de préoccupations liées à la présence de comportements atypiques qui s’est révélée associée à l’accès aux services. En effet, la majorité des demandes ayant mené à un accès aux services (84,6% contre 67,3% p = 0,002) n’ont pas mentionné des comportements atypiques dans leurs attentes et besoins exprimés.
Discussion
Cette recherche compte parmi les toutes premières au Québec à recenser la nature des attentes et besoins contenus dans les demandes de services d’ICI et à les analyser sous l’angle des déterminants sociaux de la santé et de l’accès aux services. Elle fait suite à une précédente étude qui a été menée auprès de la même population pour déterminer les modalités d’accès aux services d’ICI (Luyindula et des Rivières-Pigeon, 2022). L’ICI est un service à caractère social, offert par le réseau public de services du Québec, à des enfants de 0 à 5 ans qui sont aux prises avec un trouble de spectre de l’autisme et leurs familles. Il était nécessaire de faire une recension puis une analyse thématique des déclarations sur les attentes et besoins émises par les familles lors de la demande de service, dans le but de connaitre leur nature, et de déterminer dans quelle mesure leurs contenus sont liés aux déterminants sociaux de santé et à la régulation de l’accès aux services d’ICI.
L’analyse thématique réalisée sur l’ensemble des déclarations des familles portant sur leurs attentes et besoins en matière d’ICI a permis de constater trois thèmes émergents, soit : (1) obtenir des activités de stimulation pour l’enfant, (2) préparer l’insertion sociale et scolaire de l’enfant, et (3) obtenir de l’aide pour améliorer la situation familiale (soutien multiforme). Ces thèmes sont globalement similaires à ceux issus d’autres études réalisées ailleurs et portant également sur les attentes exprimées par des parents d’enfants ayant un TSA (Bush et coll., 2017; Papageorgiou et Kalyva, 2010). Il est ressorti que 85,5% des formulaires font référence à l’obtention des activités de stimulation pour l’enfant comme étant l’un des besoins de l’enfant. De ces formulaires, 90,6% nomment des besoins et attentes liés à l’apprentissage des habiletés sociales comme la communication verbale, l’acquisition de la propreté, et l’attention conjointe; 18,2% contiennent des besoins et attentes liés à la modification des comportements perturbants ou dangereux pour la santé et la sécurité de l’enfant; et 8,9% soulignent des besoins et attentes liés à la construction de l’autonomie personnelle. Ainsi, les attentes et besoins de soutien multiforme (information, soutien social) ne sont pas la préoccupation principale de la majorité des familles de notre échantillon, ce qui contredit les résultats des études qui mentionnent que les besoins les plus fréquemment reportés par les parents d’enfants ayant un TSA sont l’information sur les services et le soutien familial (Auert et coll., 2012; Derguy et coll., 2013; Hodgetts et coll., 2015; Yazici et Akman, 2020). Même si le soutien social constitue un facteur déterminant pour une bonne vie de famille (Farrell et Barnes, 1993), notre étude révèle plutôt qu’une grande proportion des attentes de ces familles sont orientées vers la stimulation de l’enfant. Ce résultat est sans doute lié à la politique sociale du gouvernement du Québec qui, dans sa couverture sanitaire universelle, doit théoriquement inclure les services d’ICI, contrairement aux autres milieux où l’accès aux coûteux services de stimulation de l’enfant par l’ICI exige la participation financière des parents, ce qui défavorise les familles à faible statut socioéconomique (Liptak et coll., 2008; Nguyen et coll., 2016).
Plusieurs études qui ont exploré les défis auxquels sont confrontés les parents d’enfants ayant un TSA lorsqu’ils recherchent et reçoivent des services sont également arrivées à la conclusion selon laquelle les parents de ces enfants ont des besoins liés à l’impact d’avoir un enfant ayant un TSA sur leur vie de famille (Chu et coll., 2020) et à l’insertion sociale et scolaire de l’enfant (Ho et coll., 2018). D’autres études indiquent également que les parents d’enfants ayant un TSA font face à de multiples réalités qui finissent par affecter leur propre santé physique et mentale (Courcy et des Rivières-Pigeon, 2013). En effet, ces parents ont des épisodes fréquents de dépression, ont du mal à concilier l’emploi et la famille, et connaissent des situations instables dans leur vie familiale et leur relation de couple, caractérisées notamment par des séparations et des divorces (Cohrs et Leslie, 2017; Falk et coll., 2014; Marquis et coll., 2020). Les résultats de notre étude abordent dans le même sens en montrant que dans 67% des formulaires analysés, les besoins et attentes exprimés concernent l’aide pour améliorer la situation familiale, contre seulement 19,6% l’aide visant l’insertion sociale et scolaire de l’enfant.
En mesurant les liens entre les déterminants sociaux et nos trois thèmes émergeant de la première étape de notre analyse, les résultats montrent que les familles ayant un revenu d’emploi sont proportionnellement plus nombreuses que celles qui n’en ont pas à déclarer avoir besoin de préparer l’insertion scolaire de leur enfant. Une tendance inverse est observée en ce qui a trait aux besoins d’aide concernant la situation familiale, où ce sont les familles sans revenu d’emploi qui ont été proportionnellement plus nombreuses à exprimer ce besoin. Cette tendance se confirme également au niveau des sous-thèmes car il s’y dégage la présence d’une relation significative entre le revenu d’emploi et quatre des sous-thèmes identifiés lors de l’analyse thématique. Ainsi, les familles ayant un revenu d’emploi sont proportionnellement plus nombreuses à s’inquiéter des comportements atypiques de l’enfant, des défis liés à l’acquisition de l’autonomie et de l’insertion sociale, contrairement aux familles n’ayant pas de revenu d’emploi qui, elles, évoquent plus fréquemment là aussi des préoccupations en lien avec les défis familiaux auxquels elles sont confrontées. La présence d’un enfant ayant un TSA entraîne souvent des contraintes financières à même de remettre en cause l’équilibre familial (Järbrink, 2007; Sharpe et Baker, 2007). Certains parents sont contraints de quitter leur emploi tandis que d’autres doivent réduire les heures de travail rémunéré. Le lien entre le revenu et la santé est rapporté dans la littérature comme étant une source d’inégalités sociales de santé (Namian, 2019). Considérant les ressources limitées, il est pertinent de savoir si l’existence d’un revenu donne lieu à un type particulier d’attentes et besoins de la part des familles. Nos résultats illustrent que le besoin d’amélioration de la situation familiale pourrait provenir du manque de revenu d’emploi et, de ce fait, constituer une préoccupation particulière pour certaines familles qui sont en quête de services d’ICI. Ainsi, considérer les situations familiales qui naissent du manque de revenu d’emploi est important afin de mieux organiser l’offre de service d’ICI. On pourrait par exemple traiter les situations familiales à part des services d’ICI proprement dits.
Quant à l’âge de l’enfant, des études révèlent que les parents d’enfants plus âgés sont plus préoccupés par les problèmes d’autonomie et de comportement de leurs enfants ayant un TSA, tandis que les parents d’enfants plus jeunes sont plus préoccupés par les problèmes de communication (Auert et coll., 2012). Ceci semble refléter une tendance normale compte tenu des défis liés à la croissance normale de l’enfant ayant un TSA (Rapin, 1991; Soto-Icaza et coll., 2015). Par contre, les résultats de notre étude n’ont trouvé aucun lien significatif entre l’âge de l’enfant et chacune des attentes formulées par les familles, probablement parce que les enfants de notre échantillon ont tous, plus ou moins le même âge.
De nombreuses études à travers le monde font état de disparités d’attentes, de besoins et d’accès à des services liés aux différences linguistiques (Khanlou et coll., 2017; St. Amant et coll., 2018). Nous observons ces mêmes disparités dans notre échantillon provenant du Québec, où le français est la langue d’usage principale. Dans notre étude, on retrouve une relation significative entre la langue d’usage des parents et deux des besoins identifiés, soit le besoin de stimulation de l’enfant et le besoin d’aide pour améliorer la situation familiale. Il a été montré au cours de cette recherche que les parents d’enfants ayant un TSA dont la langue utilisée pour les services n’est pas le français ont mis davantage de l’avant des besoins liés à leurs situations familiales, alors que les parents qui font usage du français sont davantage préoccupés par les besoins de stimulation de leur enfant. Il est une fois de plus possible que les parents qui n’utilisent pas le français comme langue de communication au Québec soient majoritairement des immigrants qui, selon plusieurs études, font souvent face à une précarité de vie sociale ou familiale (Borjas et Bronars, 1991; Santa-Maria et Cornille, 2007) et à des barrières pour accéder aux services ou soutiens sociaux (Sritharan et Koola, 2019). Ces parents sont donc davantage préoccupés pas une stabilité au niveau de la famille plutôt que par la recherche de la stimulation de l’enfant ayant un TSA, comme c’est le cas pour les familles francophones qui semblent plus socialement intégrées au milieu.
Dans une précédente étude portant sur l’accès aux services d’ICI et les inégalités sociales de santé au Québec, il a été démontré que les familles sans revenu d’emploi attendaient moins longtemps avant d’accéder aux services en comparaison avec les familles ayant un revenu d’emploi et que l’accès aux services était plus facile et rapide pour les familles dont les parents ne parlaient pas la langue principale de service au Québec (Luyindula et des Rivières-Pigeon, 2022). En complément, les résultats actuels montrent que les attentes et besoins exprimés par les familles sans revenu d’emploi et de celles dont les parents ne parlent pas le français mettent de l’avant leurs préoccupations familiales. Par ailleurs, il a été démontré que malgré leur distribution sociale, les préoccupations familiales ainsi exprimées par les familles sans revenu d’emploi, et par celles dont les parents ne parlent pas le français, n’ont pas été utilisées pour réguler l’accès aux services d’ICI, ce qui aurait posé une question éthique similaire à celle soulevée lors de la précédente étude ci-évoquée. Au cours de la présente étude, les résultats ont indiqué qu’aucun des liens testés entre les attentes et besoins de familles (thèmes et sous-thèmes) et les paramètres d’accès aux services d’ICI ne s’est révélé significatif à l’exception de l’absence de préoccupations liées à la présence de comportements atypiques, qui s’est révélée associée à l’accès aux services. En effet, la majorité des demandes ayant mené à un accès aux services ne mentionnent pas les comportements atypiques dans leurs attentes et besoins exprimés. Les analyses réalisées dans cette recherche ne nous permettent pas de conclure s’il s’agit d’une stratégie du programme (la sélection viserait avant tout les cas de TSA moins sévères) ou d’un un simple biais statistique dû à notre échantillonnage. D’autres études devront être réalisées pour clarifier le lien entre l’accès aux services et la présence des comportements atypiques chez l’enfant ayant un TSA.
Le lien entre les attentes et besoins exprimés par les familles d’enfants ayant un TSA et les déterminants sociaux (la source de revenu et la langue d’usage des parents), et avec l’accès aux services d’ICI, peut planter le décor pour des enjeux d’inégalités sociales de santé. D’autant plus qu’il n’existe aucun document, à notre connaissance, qui mentionne les attentes et besoins de familles parmi les critères d’accès rapide ou sélectif aux services d’ICI offerts par le gouvernement du Québec.
L’offre de services adaptés aux attentes et besoins des enfants ayant un TSA et de leurs familles, telle que préconisée par le gouvernement du Québec à travers son plan d’action sur le TSA 2017–2022, doit aussi élaborer des critères plus précis et clairs, tenant compte des enjeux d’inégalités sociales de santé, afin de gérer la liste d’attente des demandeurs de services d’ICI. Cette approche est d’autant plus importante qu’une démarche qui ne vise que l’équité (donner plus de chance aux demandes ou déclarations faisant mention des problèmes familiaux ou des problèmes plus graves) ou l’égalité puisse, malgré la discrimination positive, donner lieu à certaines formes d’inégalités sociales de santé, affectant cette fois-ci les demandeurs exclus ou non retenus pour les services (Frohlich et Potvin, 2008).
Les limites de l’étude et perspectives
Les données utilisées pour réaliser cette étude, soit le contenu des dossiers des usagers, n’ont pas été recueillies dans le but d’être analysées comme elles l’ont été dans la présente étude. Plutôt que de réaliser une collecte de données qualitatives classique, où tous les parents se seraient exprimés directement, en leurs propres termes, pour mieux cerner le sens de leurs attentes et besoins spécifiques, l’étude a eu recours à une source de données préexistante sous forme de formulaires remplis par différents agents sociaux du CIUSSS du CSIM. Bien qu’étant innovatrice en termes de recherche au Québec, l’étude ne peut, en se servant exclusivement de propos recueillis par un intermédiaire, prétendre représenter fidèlement les besoins et attentes des familles, et être représentative de l’ensemble des demandeurs de service d’ICI au Québec. En effet, l’étude s’est limitée à une seule grande institution (CIUSSS du CSIM) sur les neuf que compte la province du Québec. Malgré tout, les données utilisées comportent, l’avantage d’éviter un biais de sélection, notamment lié au fait que seules les personnes disposées à réaliser les entretiens auraient été entendues. Ceci aurait eu pour effet d’exclure les personnes plus démunies, moins motivées. Il va falloir envisager d’autres études plus classiques (entrevues semi-dirigées, groupes de discussion), larges et représentatives de la population globale de la province.
Bien qu’ayant permis de détecter certains liens, le recours exclusif aux analyses bi-variées pourrait avoir masqué d’autres liens possibles entre certains paramètres de l’étude, et par conséquent avoir induit un biais d’interprétation des résultats. C’est ainsi que l’on pourrait penser que les familles qui n’ont pas de revenu d’emploi sont majoritairement constituées d’immigrants (Picot et coll., 2008) et ayant, selon plusieurs études, une précarité de vie sociale ou familiale (Borjas et Bronars, 1991; Santa-Maria et Cornille, 2007) et des obstacles d’accès aux services ou soutiens sociaux (Sritharan et Koola, 2019), expliquant ainsi leur besoin accru de soutien social pratique et de soutien financier (Beresford, 2006). Nos données de recherche n’incluent pas le niveau d’éducation des parents, ce qui aurait pu permettre d’analyser l’influence de l’éducation des parents dans la diversification des attentes et besoins des familles en terme de besoins de scolarité de l’enfant, au-delà du revenu d’emploi, sachant qu’il a été rapporté que les parents ayant fait des études secondaires et ceux ayant fait des études universitaires ont des attentes et visions divergentes sur le devenir de l’enfant et sur le soutien sollicité (Chenet coll., 2018; Papageorgiou et Kalyva, 2010).
Si la base de données utilisée avait offert davantage de paramètres sociodémographiques au sujet des parents, dont notamment le niveau de scolarité, le montant total du revenu d’emploi, et l’origine ethnique, des analyses plus poussées auraient pu être faites pour mieux comprendre la diversification sociale de besoins et attentes des parents pour leurs enfants.
Les études futures devraient cibler plusieurs établissements à l’échelle du Québec étant donné que les attentes et besoins des familles peuvent varier d’une région à une autre. Idéalement, des entretiens directs ou entrevues semi-dirigées avec les parents donneront plus d’éléments de qualité pour les études à venir.
Conclusion
Dans cet article, nous avons fait une recension des déclarations des familles d’enfant ayant un TSA quant à leurs besoins et attentes spécifiques exprimés face aux services d’ICI. L’analyse thématique de ces déclarations a permis de cibler les principaux thèmes émergeant des attentes et besoins exprimés par les familles. Les familles n’ayant pas un revenu d’emploi et celles dont la langue d’usage des parents n’était pas le français sont proportionnellement plus nombreuses à évoquer des préoccupations sur la situation familiale. Cependant, les préoccupations des familles ayant un revenu d’emploi sont plus tournées vers l’insertion sociale et scolaire de leurs enfants, et celles de familles dont les parents ont le français comme langue d’usage vers l’obtention de la stimulation de l’enfant TSA. Ce lien entre les attentes et besoins des familles et les données socioéconomiques suggère la possibilité d’aller au-delà des standards axés sur des critères cliniques et individuels (sévérité du trouble), et d’ajuster l’offre de services d’ICI en fonction des attentes et besoins spécifiques des différents groupes sociaux des demandeurs en vue de la rendre plus équitable et adaptée. Dans la lutte contre les inégalités sociales de la santé, l’OMS recommande de tenir compte des déterminants sociaux de la santé dans toute intervention publique, en favorisant notamment un accès universel aux ressources de santé (Organisation mondiale de la santé, 2010). Dans cette recherche, aucun des liens testés entre les attentes et besoins des familles (thèmes et sous-thèmes) et les paramètres d’accès aux services d’ICI((accès ou non aux services, type de priorisation d’accès et durée d’attente de services) ne s’est révélé significatif à l’exception de l’absence de préoccupations liées à l’émission de comportements atypiques. Ce dernier s’est révélé être associé à l’accès aux services.
Il est par conséquent important d’intégrer, dans les critères de sélection du programme d’ICI, des mesures adaptées aux demandes et qui visent à minimiser les écarts sociaux dans l’offre de services et de faire preuve d’une plus grande transparence dans les critères de sélection des cas prioritaires, tout en offrant des services à toutes les personnes qui en ont besoin.
Parties annexes
Remerciements
Nous tenons à remercier Pierre-Louis Lavoie et Daphné Morin pour leur implication dans l’accès aux données qui ont permis la réalisation de ce travail.
Note biographique
Patrick Luyindula est affilié au Département de sciences de base de la Faculté de médecine de l’Université de Kinshasa, République Démocratique du Congo, et à la Direction régionale de santé publique de Montréal, Centre intégré universitaire du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal. Catherine des Rivières-Pigeon est professeure au Département de sociologie de l’Université du Québec à Montréal.
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