Le partage des tâches domestiques au sein de la famille est un champ d’études qui a pris de l’importance au cours des dernières années dans plusieurs pays à économie développée. Dans ces pays, malgré leur entrée massive sur le marché du travail rémunéré, les femmes demeurent toujours les principales responsables du travail domestique. Plusieurs études ont interrogé les forces sociales et culturelles qui facilitent l’implication relativement limitée des hommes dans le champ domestique. D’autres travaux se sont intéressés à la pratique d’externalisation du travail domestique à laquelle ont souvent recours les ménages à deux revenus pour réduire la charge des femmes. En 2015, certains auteurs ont proposé un regard différent sur le partage des tâches domestiques en suggérant que l’inégalité de genre dans ce domaine est une cause première des changements familiaux – augmentation des divorces, réduction de la fécondité – observés au cours des 50 dernières années dans les pays industrialisés. Ce numéro s’intéresse à l’apport de cette nouvelle théorie explicative des dynamiques familiales occidentales – connue sous l’appellation de « théorie de la révolution des rôles de genre » - en présentant des études empiriques qui interpellent ses différents postulats. Les articles ici réunis traitent exclusivement des pays à économie développée ; les résultats ne sont donc pas généralisables à d’autres contextes. Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, les comportements familiaux ont changé radicalement dans tous les pays industrialisés. Les divorces sont devenus plus fréquents et le mariage a reculé au profit de l’union libre. De plus, après avoir diminué considérablement dans l’après-guerre, l’âge au premier mariage a augmenté de manière significative dans les décennies suivantes. Parallèlement, la fécondité a chuté dramatiquement, atteignant pour la première fois des niveaux très en deçà du seuil de remplacement de la population. Par ailleurs, les naissances hors mariage se sont multipliées, passant, par exemple, de moins de 5 % de l’ensemble des naissances à près de 50 % en France entre 1950 et 2000 et de moins de 5 % à plus de 60 % au Québec entre 1951 et 2016, la très grande majorité de celles-ci survenant dorénavant au sein d’unions consensuelles. Pour expliquer ces phénomènes, Van de Kaa et Lesthaeghe ont proposé la théorie de la deuxième transition démographique dans les années 1980. Selon cette théorie, les transformations des dynamiques familiales sont en grande partie tributaires du développement économique qu’ont connu les pays industrialisés après les années 1950. Plus particulièrement, le développement économique a permis à la majorité des individus de satisfaire aisément leurs besoins primaires et de se tourner vers d’autres besoins, comme la poursuite de l’autonomie et de l’épanouissement personnel. Dans ce contexte, les individus se sont éloignés des valeurs sociales et religieuses traditionnelles. De même, l’engagement au sein de relations à long terme et la perspective d’élever un enfant sont devenus des projets moins attrayants. En somme, les nouvelles dynamiques familiales – le faible niveau de fécondité et l’instabilité conjugale – qui ont pris racine durant la seconde moitié du XXe siècle résulteraient d’une montée de l’individualisme que la croissance économique a rendu possible. À ce titre, les nouvelles dynamiques familiales sont vues comme étant permanentes : elles constituent le nouveau régime familial propre aux désirs de réalisation personnelle des individus que stimulent l’industrialisation et la prospérité matérielle. En 2015, trois articles séminaux parus dans Population and Development Review ont formulé une théorie alternative à celle proposée par Van de Kaa et Lestaeghe – que Goldscheider, Bernhardt et Lappegård désignent sous l’appellation de « gender revolution theory » et que nous traduisons ici par théorie de la révolution des rôles de …
Le partage des tâches dans la famille : une transition inachevée ?[Notice]
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Maude Pugliese
Professeure-chercheure au centre Urbanisation, culture, société de l’Institut national de recherche scientifiqueAna Fostik
Chercheure postdoctorale à la Chaire de recherche du Canada en Statistiques sociales et changement familial au Département de sociologie de l’Université McGillMaude Boulet
Professeure en gestion des ressources humaines dans le secteur public à l’École nationale d’administration publique (ENAP)Céline Le Bourdais
Titulaire de la Chaire de recherche du Canada en Statistiques sociales et changement familial au Département de sociologie de l’Université McGill et membre de la Société royale du Canada