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Introduction

Pendant la pandémie de la COVID-19, les policiers patrouilleurs ont été appelés à contribuer au contrôle de la propagation du virus, au maintien de l’ordre public et à la protection des communautés (Frenkel et al., 2021), tout en poursuivant les différentes interventions d’urgence et de prévention propres à leur fonction de travail (Laufs et Waseem, 2020). Le besoin soudain et urgent de revoir l’entièreté des procédures organisationnelles et des protocoles d’intervention afin d’assurer la sécurité et l’intégrité des membres des organisations policières s’est traduit en importants défis de gestion (Lum, Maupin et Stoltz, 2020). La rude nouveauté de la gestion d’une crise pandémique mondiale a également ajouté une couche de complexité, tant sur le plan de l’urgence d’intervention que de l’incertitude (Organisation des Nations unies, 2020). Cette situation sans précédent présentait donc un double défi pour la structure des organisations policières : s’adapter rapidement sans directives claires et dans un environnement social, institutionnel et politique qui évolue à un rythme effréné (Milliard et Papazoglou, 2020).

La gestion de la pandémie a laissé sa marque sur les policiers eux-mêmes (Frenkel et al., 2021 ; Jennings et Perez, 2020 ; Stogner, Miller et McLean, 2020). Alors que certains métiers des services publics, comme les professionnels de la santé, ont été encensés pour leur travail lors de la pandémie, d’autres ont plutôt été vilipendés pour le rôle qu’ils ont occupé dans la gestion publique de la pandémie. Ce serait entre autres le cas des policiers, puisqu’ils étaient responsables de contraindre les citoyens à respecter les mesures sanitaires imposées par les autorités gouvernementales comme le confinement et le couvre-feu, portant ainsi atteinte à la liberté individuelle des individus aux yeux du public (De Camargo, 2021).

Durant la pandémie, les policiers ont été exposés non seulement à des risques physiques tels que le risque d’infection, mais aussi à un stress aigu, notamment exacerbé par des situations intenses de travail en raison des nouvelles exigences imposées aux policiers par leurs supérieurs, la Santé publique et le gouvernement (Frenkel et al., 2021 ; Laufs et Waseem, 2020). Plus encore, la situation pandémique semble avoir représenté une menace réelle et constante pour la santé psychologique au travail du personnel des services d’urgence qui occupent un rôle clé en première ligne (De Camargo, 2021). À titre d’illustration, l’étude de Sadiq (2020) montre que dans le contexte de la crise liée à la COVID-19, la charge de travail des policiers est associée à une augmentation des conflits travail-famille et du stress lié aux conditions quotidiennes de travail.

Outre les pressions liées à la relation police-communauté, de récentes études relèvent certains enjeux de gestion intraorganisationnels tels que la trajectoire de communication interne, la réaffectation des effectifs, ou encore le déploiement et le respect des protocoles de santé et sécurité du personnel policier avec le matériel nécessaire au sein des organisations (Jennings et Perez, 2020 ; Laufs et Waseem, 2020 ; Lum et al., 2020 ; Stogner et al., 2020). D’autres études proposent que la communication entre les instances de la Santé publique et de la sécurité publique ait constitué un enjeu non négligeable pour les organisations policières dans la gestion de la pandémie (Frenkel et al., 2021 ; Milliard et Papazoglou, 2020 ; Stogner et al., 2020).

Maskály, Ivkovic et Neyroud (2021) soutiennent que les organisations et les activités policières ont été contraintes à de profonds changements en réaction à la pandémie de COVID-19. Leur étude met en lumière des changements organisationnels internes communs aux organisations policières à travers le monde. Cette analyse de la problématique sous l’angle des changements nous incite à adopter parallèlement les théories du changement organisationnel. À ce propos, Choflet, Packard et Stashower (2021) signalent l’importance d’une approche adaptative complexe dans l’étude du changement en contexte de pandémie, par opposition aux théories traditionnelles du changement planifié, en raison de l’urgence sanitaire et du manque de temps disponible pour l’évaluation et la planification dudit changement. Dans cette même lignée, Khanal, Bento et Tagliabue (2021) proposent un cadre théorique du changement organisationnel fondé sur la théorie de la complexité pour qualifier les réponses organisationnelles à la pandémie de COVID-19. Ces derniers proposent d’observer les organisations comme des systèmes complexes et de décrire comment elles s’adaptent en fonction des changements dans leur environnement.

En observant les organisations policières sous cet angle, leur réaction sur le plan opérationnel et de la préparation à la COVID-19 soulève des questions importantes quant aux défis de la gestion du changement auxquels elles ont dû faire face et aux moyens d’action préconisés par les gestionnaires. Sur près de mille organisations canadiennes et américaines, membres de l’Association internationale des chefs de police (AICP), seulement 57 % affirmaient que tous leurs agents avaient reçu des consignes ou des formations formelles portant sur la prévention et les mesures de protection en lien avec l’exercice de leurs fonctions en date du 23 mars 2020 (1re vague) ; contre 83 % en date du 10 mai 2020 (2e vague) (Lum et al., 2020). Quant à la disponibilité des équipements de protection individuelle (EPI), seulement 53 % des organisations qualifiaient « d’excellente » ou de « bonne » leur capacité à en fournir à leurs agents lors de la 1re vague, contre 74 % pour la 2e vague (Lum et al., 2020). Ces écarts témoignent d’une amélioration de la part des équipes de gestion entre la 1re et la 2e vague, certes, mais dissimulent également des défis importants liés à l’implantation de nouvelles procédures à l’échelle des organisations. À la lumière de ces constats, une question s’impose : quels sont, au sein des organisations policières, les enjeux de la gestion en temps de pandémie ? La présente étude propose donc d’apporter des éléments de réponse à cette question à partir des propos recueillis auprès de policiers québécois.

Méthodologie

Participants

Afin de constituer l’échantillon, les participants ont été recrutés au moyen d’une invitation publiée sur les réseaux sociaux par les profils d’usagers de l’École nationale de police du Québec. Un lien cliquable permettait aux policières et policiers de manifester leur intérêt à prendre part à l’étude sur une base volontaire. Les inscriptions ont permis de créer un bassin de participants potentiels qui ont ensuite été choisis en favorisant une représentation proportionnelle entre les régions du Québec. Notre intention était de constituer un échantillon représentatif des différentes réalités associées à l’importance de la contamination dans les régions au Québec, et des mesures imposées. Les policières et les policiers sélectionnés au hasard, par région, ont ensuite été sollicités par l’envoi d’un courriel leur permettant de prendre connaissance du formulaire d’information et de consentement, et de nous proposer leurs disponibilités pour la prise de rendez-vous pour l’entrevue. Des participants ont été ajoutés jusqu’à l’atteinte de la saturation d’information dans les entrevues.

Ainsi, l’échantillon est composé 34 policières et policiers oeuvrant au Québec, soit 8 femmes et 26 hommes. Quant à la fonction des participants dans leurs organisations policières respectives, 15 occupent une fonction de patrouilleur, 9 ont un poste à titre d’enquêteur et 10 ont des fonctions d’encadrement de premier niveau (p. ex., sergente, sergent). Enfin, l’ensemble des niveaux de services[3] des organisations policières au Québec était représenté par les participantes et les participants.

Instrument de mesure

Les participants ont été soumis à des entrevues de recherche qualitative semi-dirigées d’environ 45 minutes. Étant donné la situation pandémique, les entrevues ont été menées de façon virtuelle avec les applications ZOOM ou TEAMS, ou par téléphone. Une grille d’entrevue a été utilisée afin de couvrir les thématiques suivantes : l’évolution du rôle policier depuis le début de la pandémie ; les mesures de protection mises en place par l’organisation ; les types d’interventions les plus fréquentes en contexte pandémique ; les besoins de formation ; la capacité des gestionnaires à s’adapter à la mise en place de mesures sanitaires ; le besoin de prise en charge du policier par le gestionnaire ; et les mécanismes de communication en temps de pandémie. Les entrevues ont été réalisées entre le 2 juillet et le 27 août 2020.

Analyse des données

Les entrevues ont été transcrites sous la forme d’un verbatim puis anonymisées afin de respecter la confidentialité des propos échangés par les participants. Une grille d’analyse a été développée à partir du contenu de trois entrevues suivant le modèle d’analyse thématique proposé par Miles, Huberman et Saldana (2014). Des accords interjuges ont été réalisés pour procéder à la validation de la grille et du contenu codé dans l’arborescence (L’Ecuyer, 1990) avant de procéder à l’analyse des autres entrevues. Ainsi, 10 % des entrevues ont été codifiés par deux membres de l’équipe pour procéder aux accords interjuges. Le pourcentage d’accord et les scores kappa ont été calculés par le logiciel Nvivo afin de nous assurer d’atteindre les seuils minimums requis, soit 85 % pour le pourcentage d’accord et 0,60 pour le score kappa (Cohen, 1960). La méthode de réduction du matériel a été guidée par les techniques propres à l’analyse de contenu thématique (Deslauriers, 1991 ; Paillé et Mucchielli, 2021).

Résultats

Afin de répondre à l’objectif de la recherche, soit la détermination des enjeux de gestion au sein des organisations policières en temps de pandémie, des analyses thématiques ont été réalisées. Les résultats issus de cette démarche ont permis de déterminer quatre domaines d’enjeux de gestion, illustrés à la Figure 1.

Figure 1

Analyse thématique sur les enjeux de gestion dans les organisations policières en temps de pandémie

Analyse thématique sur les enjeux de gestion dans les organisations policières en temps de pandémie

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Gestion des communications

L’ensemble des répondants a reconnu que la gestion des communications, voire la circulation de l’information, entre les différents niveaux de gestion policière pendant la pandémie, a manqué d’efficience et d’efficacité. À cet effet, les analyses menées à partir du discours des répondants permettent d’observer que l’instabilité de l’information et la rapidité avec laquelle cette dernière changeait nuisaient à l’accomplissement de la tâche des gestionnaires policiers, ce qui se répercutait sur le travail de terrain des policiers. À titre d’exemple, les policiers ont raconté qu’il leur a été très difficile de suivre l’évolution des règles à appliquer. L’abondance des courriels communiqués par les équipes de gestion et la complexité de leur contenu alimentaient une perception de « flou » pour l’ensemble des policiers. Selon leurs propos, ces règles portaient parfois à interprétation, ce qui ajoutait à leur incertitude, en plus d’alourdir leur tâche.

« Le temps que l’information descende jusqu’à nous, bien… c’était mal distribué, c’était mal mâché[4]. »

« La communication entre la haute direction et la base était déficiente. »

Certaines organisations ont relevé ce défi de gestion en optimisant leur méthode de communication, soit en ayant recours à des infolettres quotidiennes simples et facilement accessibles aux policiers.

« La mise en place d’un courriel quotidien, au lieu d’envoyer par exemple plusieurs courriels en peu de temps, chaque fois qu’il y a des informations à retenir, ils ont condensé ça en un genre d’infolettre quotidienne, et puis c’était plus digeste si on veut. »

Gestion du personnel et de la logistique

La gestion du personnel policier et de la logistique a été un enjeu de taille lors de la pandémie de la COVID-19. D’abord, la gestion des préoccupations des policiers pour ce qui est du risque d’infection a été un des premiers défis pour les gestionnaires policiers en temps de pandémie. La majorité des répondants ont indiqué qu’en plus d’avoir peur d’être contaminés dans le cadre de leurs opérations quotidiennes avec le public, ils craignaient le risque de contamination intra-organisationnelle. Plus encore, les policiers avaient peur de contaminer leur famille en étant le vecteur de transmission à la maison après le travail. Certains répondants ont aussi fait mention que des collègues étaient moins prudents, ou moins rigoureux, dans l’application des règles sanitaires au travail. En plus de contribuer à la crainte d’être contaminé au travail, ce conflit de valeurs semble avoir créé certaines tensions au sein des équipes.

« […] en tant que directeur de poste, il faudrait faire des petits briefings à toutes les relèves pour dire de respecter les gens qui ont peur et de respecter les gens qui ont moins peur parce que les deux peuvent être accaparants pour l’autre. »

La conciliation entre le travail et la vie familiale était également un défi de gestion pour les organisations policières. La logistique de l’école à la maison et des garderies fermées pour les policiers ayant des enfants semble avoir été un irritant important. Les policiers étaient contraints de faire des heures supplémentaires, alors que les exigences familiales étaient plus importantes dans le contexte de la pandémie. Cette situation semble avoir également alimenté certaines tensions dans les équipes. Les répondants ont toutefois perçu beaucoup d’ouverture de la part des gestionnaires à cet effet.

« À un certain temps, ils ont séparé les équipes, on a été sur les horaires des mesures d’urgence où nous devions faire des 12 heures à la place de 9 heures. Ç’a été difficile question travail-famille avec mon petit bonhomme, mais je comprenais que ça prenait plus d’effectifs. »

De plus, les policiers qui ont participé à l’étude sont unanimes quant à de la variabilité dans la mise en application des adaptations au travail. Plus précisément, il y avait une perception d’iniquité à l’égard de la pratique du télétravail selon les différentes fonctions telles que la division des enquêtes et la patrouille. Les répondants occupant une fonction de patrouilleur se disaient en constante adaptation relativement à leurs façons de réaliser leurs tâches qui évoluaient selon la pandémie et les règles sanitaires. Pour les répondants occupant des fonctions d’enquête, l’adaptation a surtout été vécue au début de la pandémie. À titre d’exemple, la distribution du matériel informatique pour réaliser leur tâche de la maison au début de la pandémie n’a pas été optimale selon les répondants enquêteurs. Leurs propos laissent toutefois transparaître des améliorations au fil du temps. Tout compte fait, ce nouveau mode de travail laisse croire aux enquêteurs que les organisations ont fait certains apprentissages positifs.

« […] on travaille en équipe, mais il y a toujours un peu de compétition entre la route et les enquêtes. D’un côté, tu avais les enquêteurs à la maison, sur leur ordi, ceux qui avaient des ordis et tu avais les patrouilleurs sur la frontline à ne pas fournir avec les appels. Il y avait clairement un sentiment d’iniquité qui s’est installé. »

Ensuite, les résultats permettent de déterminer certains enjeux de gestion concernant le climat de travail au sein des organisations policières en période de pandémie. Dans les premières semaines de la crise, les répondants ont remarqué un effritement des relations interpersonnelles entre les policiers, plus particulièrement chez les patrouilleurs. Plus encore, les gestionnaires étant moins disponibles pour soutenir leurs équipes et les états-majors, se concentrant sur la gestion des demandes de la Santé publique. De plus, les répondants partageaient l’impression de ne pas bénéficier de reconnaissance quant à l’importance de leur rôle dans la pandémie, à l’inverse du personnel de la santé, à titre d’exemple. À cause de ces constats sur le climat de travail, la motivation de certains participants a été impactée.

« Les gestionnaires manquent d’humanisme, de courage dans la prise de décision, ils avaient encore moins de temps pour échanger avec nous. Tout allait vite. Ils avaient moins d’écoute parce qu’ils étaient plus occupés. »

La gestion des effectifs policiers a également constitué un enjeu de taille pour les organisations policières. Considérant les exigences de la Santé publique, les horaires de travail ont été plus difficiles à gérer. À titre d’exemple, les binômes de patrouilleurs devaient demeurer stables, ce qui n’était pas le cas avant. Un policier se retrouvait donc jumelé à un même coéquipier pour tous ses quarts de travail afin d’éviter les contacts prolongés avec différents employés. Parallèlement, des réaffectations de certains groupes policiers, comme pour celui d’intervention qui a dû retourner à la réponse aux appels, ont pu entraîner des insatisfactions directement liées aux pratiques de gestion.

« […] c’est vraiment du basic au niveau de la gestion des effectifs et de la gestion du personnel. La logistique des horaires à gérer est différente […]. »

« Lorsque le virus entre et nous perdons une équipe, ils nous ont donné des outils, ils ont créé des équipes, ils ont assigné les ressources nécessaires provenant des équipes vélo ou encore équestres. »

Enfin, les participants ont également rapporté des enjeux de formation sur l’utilisation des nouveaux équipements de protection individuelle et de désinfection, soit de nouvelles habitudes à adopter par les policiers.

« On n’avait aucune information sur comment utiliser le matériel de protection. J’ai cherché moi-même une formation sur la pandémie pour apprendre comment se déshabiller par exemple après notre quart de travail. Mon organisation n’avait rien de ça. »

Clarté des directives découlant de la Santé publique

La clarté des directives découlant de la Santé publique a été notée dans les analyses comme un enjeu de gestion important pour les organisations policières en temps de pandémie. D’emblée, les répondants ont perçu certaines directives de la Santé publique difficilement applicables. À titre d’exemple, le respect de la distanciation sociale lors d’une intervention policière avec utilisation de la force n’était pas possible. S’ajoute également à l’explication de cet enjeu la variabilité dans l’application et le respect des mesures. Compte tenu de la compréhension de ces dernières par les gestionnaires en place dans les organisations, l’exécution de leur tâche et l’application des mesures punitives aux citoyens pouvaient varier.

« […] mon organisation est toujours restée floue. C’est qu’ils mettaient des règles, mais jamais claires, jamais de ligne directrice précisée. Ils donnaient beaucoup la responsabilité aux gestionnaires de gérer les mesures de la Santé publique face aux citoyens selon leur propre interprétation de la règle. »

Formations des gestionnaires

Le dernier enjeu de gestion issu des résultats de la présente recherche concerne la formation des gestionnaires. La majorité des participants ont relevé cette préoccupation en ce qui a trait aux habiletés de leadership humain, mais également quant au volet légal de la Santé publique en temps de pandémie. Bien que les participants aient souligné le bon travail de leurs gestionnaires en général, ils ont aussi manifesté leur désir qu’ils soient mieux outillés pour exercer un leadership bienveillant afin d’augmenter leur courage managérial. Il aurait été également souhaitable que les gestionnaires policiers soient en mesure d’interpréter la Loi sur la santé publique. Ceci aurait notamment permis de clarifier davantage les nuances de cette loi que les policiers ont eu à mettre en application sur le terrain, alors qu’ils n’étaient pas formés pour le faire.

« C’est nouveau pour tout le monde l’application des normes de la Santé publique. Pour bien appliquer les recommandations de la Santé publique, les officiers auraient dû avoir une courte formation pour avoir le leadership nécessaire avec nous. »

Discussion

La présente étude visait principalement à décrire et mieux comprendre les enjeux de gestion qu’ont connus les organisations policières en temps de pandémie. Les analyses thématiques menées à la suite des entrevues semi-dirigées réalisées auprès de policiers et policières ont permis de dégager quatre domaines d’enjeux : la gestion des communications ; la gestion du personnel et de la logistique ; la clarté des directives découlant des mesures de la Santé publique ; et la formation des gestionnaires. Ce sont tous des enjeux d’une gestion du changement complexe et adaptative selon Choflet et al. (2021) et Khanal et al. (2021). Ces enjeux ont effectivement émergé dans un contexte de travail en constante évolution où une importante quantité d’information était échangée à une vitesse excessive, selon une courbe d’apprentissage croissante en matière de gestion d’une pandémie. La gestion des organisations policières s’est transformée au même rythme que la connaissance de cette nouvelle menace sanitaire était acquise. Cette transformation rapide du travail policier a nécessairement perturbé les pratiques de gestion, qui prenaient généralement appui sur un modèle traditionnel rigide de style paramilitaire. Or, selon Choflet et al. (2021), les fluctuations pandémiques où les mesures connaissent certains relâchements, puis des resserrements, exigent un leadership inclusif et adaptatif. Néanmoins, les propos des participants interrogés dans le cadre de nos entrevues laissent entendre que les systèmes de gestion des organisations policières ont bénéficié des apprentissages acquis en contexte de pandémie, lesquels auront nécessairement transformé les pratiques à long terme.

À l’instar des études de Frenkel et al. (2021) et de Jennings et Perez (2020), la présente étude a dégagé des enjeux de gestion quant à la communication interne et externe. Le manque de clarté, d’efficience et d’efficacité dans les communications entre les organisations policières et la Santé publique, mais également au sein même des organisations au moment de divulguer les informations à l’ensemble des policiers, a été recensé. Toutefois, de bonnes pratiques sur le plan de la communication interne s’ajoutent maintenant à la littérature puisque les répondants ont fait part de leur appréciation de certaines méthodes utilisées par les instances (p. ex., infolettre synthèse quotidienne). Il pourrait même être opportun de poursuivre les réflexions sur le recours à des médias adaptés permettant de transmettre rapidement l’information de façon synthétisée et vulgarisée.

Les enjeux exposés sur la gestion du personnel et de la logistique dans la présente étude font également écho à la littérature. À cet effet, les travaux de Sadiq (2020) et Jennings et Perez (2020) avaient déterminé les incidences intraorganisationnelles de la pandémie sur la gestion de la conciliation travail et vie personnelle et la réaffectation des effectifs. Les policiers ont effectivement dû occuper une place importante dans la gestion de la pandémie par le contrôle des mesures sanitaires sur le terrain, dans un contexte où le risque de contamination était omniprésent. La perméabilité des enjeux reliés au travail sur la vie personnelle des policiers a pu créer une tension importante, génératrice d’anxiété. Également, la perception d’iniquité entre les différentes fonctions policières au regard de leur mode de travail (p. ex., enquête vs patrouilleur) a certainement contribué au contexte difficile auquel les équipes ont dû s’adapter.

Parallèlement aux propos des études antérieures (Jennings et Perez, 2020 ; Laufs et Waseem, 2020 ; Lum et al., 2020 ; Stogner et al., 2020), la clarté découlant des directives de la Santé publique quant au déploiement ainsi qu’au respect des protocoles de santé et sécurité du personnel policier, avec le matériel nécessaire au sein des organisations, mais également quant au maintien de l’ordre, a été reconnue comme un enjeu de gestion dans la présente recherche. En dernière analyse, la formation des gestionnaires sur le plan du leadership mobilisateur et des enjeux légaux associés à la santé publique aide à la compréhension des défis de gestion en contexte de pandémie.

Sur le plan pratique, les résultats ayant émergé de cette recherche s’avèrent pertinents en termes d’apprentissage pour le futur. Ainsi, des actions pourraient être mises en place rapidement dans un objectif préventif, permettant aux organisations policières de passer d’un mode réactif à un mode actif. À titre d’exemple, les gestionnaires gagneraient à être davantage sensibilisés aux particularités de la Loi sur la santé publique et sur sa mise en application. Parallèlement, la communication entre ces instances pourrait être bonifiée en nommant un représentant des forces de l’ordre à des comités décisionnels en ce qui a trait aux recommandations de la Santé publique. Il serait opportun que les décisions prennent en compte les spécificités du travail policier afin que le contexte de l’application de la Loi sur la santé publique soit davantage arrimé aux pratiques policières et à la réalité du terrain. Plus encore, certaines pratiques quant à la possibilité de réaliser du télétravail pourraient demeurer pour quelques secteurs des enquêtes. Bien qu’ayant connu des ratés dans la phase de transition précipitée, le télétravail pour les enquêteurs comporte des avantages indéniables, dont une meilleure efficacité des équipes pour des tâches, comme la rédaction de rapports.

Bien qu’ayant contribué à l’avancement des connaissances en matière de pratiques de gestion, surtout quant aux enjeux relatifs à la réalité policière en contexte de pandémie, cette étude comporte toutefois quelques limites. D’abord, la nature qualitative de cette recherche ne permet pas de conclure à une relation de cause à effet entre la pandémie et les enjeux de gestion relevés. Il est effectivement difficile de départager ce qui est propre au contexte de la pandémie et ce qui pouvait déjà être un enjeu prépandémique, notamment à propos des difficultés communicationnelles. Ensuite, bien que la saturation d’information ait été atteinte lors de la collecte de données, et que l’échantillon variait dans les différentes régions du Québec, les résultats ne nous permettent pas de prétendre à leur généralisation à l’ensemble des organisations policières. Le Québec est doté d’un modèle de gestion décentralisé en matière opérationnelle au sein des organisations policières. Apportant donc une variabilité certaine dans les pratiques de gestion, ce qu’il a d’ailleurs été possible d’entendre dans les récits de nos répondants. En définitive, les prochaines études pourraient valider empiriquement un modèle théorique de gestion où le leadership, la conciliation travail/famille et la gestion opérationnelle influenceraient la prestation de travail des policiers en contexte de pandémie ou encore favoriseraient une saine santé psychologique au travail.

Conclusion

La situation pandémique subite aura précipité les organisations policières dans une grande mouvance de leurs pratiques de gestion. Les leçons tirées de cette expérience militent en faveur de pratiques plus efficientes, mais, surtout, plus inclusives et adaptatives. Cette conjoncture aura permis à ces organisations d’évoluer quant à leur façon d’exécuter les tâches opérationnelles associées à la fonction policière, mais aussi de découvrir de nouvelles possibilités dans la réalisation du travail. Bien que le milieu policier n’ait pas reçu autant d’éloges quant à son rôle dans la pandémie que les travailleurs de la santé, force est de constater que, sans eux, le maintien de l’ordre et le contrôle de la propagation du virus auraient été de toute évidence différents.