IntroductionLe ricochet carcéral chez les proches des personnes incarcérées[Notice]

  • Sandra Lehalle

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Qui sont les personnes dont il est question dans ce numéro thématique de la revue Criminologie ? Pour la première fois depuis la création de la revue, il ne s’agit pas de personnes qui ont enfreint les normes pénales, ni des victimes de ces infractions, ni même des nombreux agents étatiques et sociaux qui influencent, modifient ou appliquent ces normes. Ce qui les identifie, malgré elles, comme une population que la criminologie se doit de mieux connaître, ce sont leurs liens familiaux et affectifs avec une personne judiciarisée. Parents, frères et soeurs, enfants, oncles et tantes, conjoints ; ils ne forment pas une population homogène qu’il conviendrait d’étudier sur la base de variables sociodémographiques traditionnelles. Certes les recherches qui leur sont dédiées n’ignorent pas les biais de sélection selon lesquels le système pénal opère en discriminant certains groupes sociaux qui se retrouvent ainsi surreprésentés dans les institutions carcérales. Mais, en mettant l’accent sur le vécu de ceux qui ont un proche incarcéré, elles révèlent l’expérience bien particulière de se trouver face à la réalité tangible de la sanction pénale. La judiciarisation et l’incarcération qui en est très souvent le corollaire frappent la personne visée, mais elles frappent également, par un premier effet de ricochet, l’entourage qui endure les souffrances des politiques et pratiques pénales. Des ricochets successifs vont par la suite éclabousser l’univers personnel, matériel, relationnel et social des proches de manière publique et privée, formelle et informelle, légale et politique. Les contributions de ce numéro spécial invitent le lecteur à retracer leur parcours dans les méandres du système pénal et des institutions carcérales et à mieux connaître les bagages qu’ils portent en dehors des murs dans les multiples composantes de leur vie familiale et sociale. L’incarcération d’une personne chère est un événement bouleversant qui entraîne une immersion dans un univers que les proches connaissent bien ou découvrent, selon les cas : les institutions du système pénal. Ce parcours débute avec le choc de l’arrestation que les proches apprennent à distance ou vivent en direct à leur domicile. À ce choc initial succède un affrontement difficile avec l’institution carcérale, ses règles, ses pratiques auxquelles ils doivent se plier bien que n’étant pas détenus eux-mêmes. Une littérature scientifique de plus en plus abondante, à laquelle s’ajoutent à présent les contributions de ce numéro spécial, documente l’extension des diverses souffrances de l’incarcération (Sykes, 1958) à l’entourage des personnes incarcérées. Soumis aux contraintes institutionnelles et aux impératifs de surveillance et de contrôle (Comfort, 2003), les proches qui entrent en prison pour y visiter un être cher voient leur liberté, leur autonomie, leur dignité et leur intimité compromises en raison des enjeux sécuritaires de l’institution carcérale. Les contrôles exercés sur leur corps et sur leurs mouvements lors du processus de visites sont évoqués dans ce numéro par Touraut, Ferreccio, MacKenzie, Lehalle et Beaulieu. Par un effet miroir du traitement des personnes incarcérées, les familles sont escortées, dépouillées d’effets personnels, fouillées, retenues, confinées, enfermées ; elles doivent se soumettre au régime carcéral et au pouvoir de ses employés. L’acceptation tacite des règles du régime carcéral, en franchissant la première clôture du périmètre extérieur, implique pour les proches de laisser à l’extérieur leur téléphone, mais bien plus encore : leur autonomie, leur intimité et parfois leur sentiment de dignité. Une fois à l’intérieur, ils vont faire l’expérience de diverses pratiques et interactions désagréables, parfois déshumanisantes. Les politiques carcérales considèrent les familles et les gèrent avant tout comme des risques potentiels à la sécurité de l’établissement ; celles-ci deviennent suspectes (notamment de faire entrer de la marchandise de contrebande), en raison de leur seule relation avec une …

Parties annexes