Szabo, ou la volonté d’exister[Notice]

  • François Fenchel

…plus d’informations

  • François Fenchel
    Université Laval

Note de la revue

Nous aurions dû lire, au paragraphe 10 et à la page 8 du PDF : « …il y a dans la reconnaissance de l’oeuvre celle de sa propre vie, de la valeur du chemin qu’il a tracé pour lui-même. La vie de Denis Szabo est une injonction à voir grand, ne fût-ce que dans l’espoir d’éviter un destin joué d’avance. » Nous vous prions de bien vouloir nous excuser pour cette erreur.

Denis Szabo est mort le 13 octobre 2018. Sa disparition évoque la fin d’un chapitre de la criminologie québécoise, celui des origines et de la jeunesse, développement fécond auquel Szabo aura consacré l’essentiel de sa vie. Et quelle vie que celle d’un homme qui, à partir des ruines de la guerre, voire d’un empire, s’est façonné un chemin qui l’a conduit autour du monde, comme pèlerin d’une discipline qu’il a ancré à Montréal. Né en Hongrie en 1929, Denis Szabo trouvera sa voie d’adulte dans les études de sociologie, passant par la Belgique où il obtiendra son doctorat de l’Université catholique de Louvain. Arrivé au Québec en 1958, c’est à l’Université de Montréal qu’il construira l’objet de sa fierté. Fondateur de l’École de criminologie de l’Université de Montréal, du Centre international de criminologie comparée et de la revue Criminologie, il a légué le socle pour assurer la reconnaissance et le développement de la discipline à l’institution qui l’a accueilli. Actif partout où la criminologie prenait pied, il aura notamment été président de la Société internationale de criminologie et fondateur de l’Association internationale de criminologie de langue française, en plus d’être l’instigateur d’un nombre considérable de séminaires et symposiums internationaux. Il a été auréolé et décoré à de multiples reprises, étant entre autres admis comme membre de la Société royale du Canada et de l’Académie des sciences de Hongrie, nommé Officier de l’Ordre du Canada, Chevalier des Arts et des Lettres de France, et Officier de l’Ordre national du Québec. Fide splendet et scientia ! J’abrège sans remords : ceux qui voudront retracer la carrière de Denis Szabo et en mesurer l’importance pourront lire les hommages qui lui ont été rendus de son vivant, dans cette revue et ailleurs. Et ceux qui voudraient découvrir le récit qu’il faisait de sa propre vie pourront se plonger dans les Entretiens réalisés par Marcel Fournier pour retrouver ses mots et sa manière. Il faut dire ici la dette d’honneur de la criminologie québécoise envers ce livre qui conservera vivant le souvenir de Denis Szabo. Mais j’abrège surtout parce qu’au-delà des dates et hauts faits que consignent les archives, je veux parler brièvement de l’homme. La vie d’autrui se décline de multiples façons, et ce n’est que de façon personnelle que je peux évoquer Szabo, en espérant rendre justice à l’impression laissée chez ceux qui l’ont apprécié. J’ai rencontré Denis Szabo en 1998, lorsque j’amorçais mes études de maîtrise à l’École de criminologie. Il régnait alors sur un petit local, les murs couverts de centaines de photos chroniquant une histoire de la criminologie au milieu de laquelle il trônait fièrement – et recevait volontiers. À cette époque, Szabo faisait très peu de distinctions entre sa personne et son oeuvre, et n’hésitait pas à traiter de sa vie comme d’un inépuisable sujet. Disons que je lui étais rapidement apparu susceptible de m’intéresser à lui en raison de mes travaux historiques. Et je dois admettre que j’étais spontanément admiratif, comme on peut l’être devant une oeuvre d’art ou un monument, vivant de surcroît. Ce qui explique quelques visites chez lui à Georgeville, et ces nombreux entretiens téléphoniques dont il m’a gratifié pendant ses dernières années. Il en avait les moyens : curieux et érudit, façonné par la culture française (mais toujours sentimentalement hongrois), Denis Szabo vous menait d’un sujet à l’autre, vous mettait au fait, dans un flot intarissable, de ses idées, de ses préférences, de ses recommandations, conseils et suggestions. Il faut dire que nous avions quelques goûts littéraires en commun, surtout des écrivains d’une autre époque, et je lui dois de m’avoir fait connaître …