Le 4 novembre 1954, Stieg Dagerman, journaliste et écrivain suédois alors âgé de 31 ans, s’enlevait la vie. Ce dernier laissait comme texte posthume Notre besoin de consolation est impossible à rassasier (1955/1981). Cet essai de quelques pages nous donne matière à réfléchir sur le geste suicidaire, sur sa signification, sur la souffrance et la mélancolie que l’auteur associe à son geste afin de mettre fin à ce qu’il décrit comme un « esclavage de la vie ». Il écrit : « [l]e signe le plus certain de ma servitude est ma peur de vivre. […] À la lumière de mes actes, je m’aperçois que toute ma vie semble n’avoir eu pour but que de faire mon propre malheur » (p. 16). Il poursuit en disant : Cette dernière phrase est lourde de sens. Tout comme Albert Camus (1942/1985) se demandera un peu avant lui dans son essai Le mythe de Sisyphe si la vie vaut la peine d’être vécue, Dagerman nous renvoie, avec ses mots, à notre rapport à la vie, à la souffrance, à la mort et à notre « droit » de mourir. Il faut dire que la liberté humaine ne se déploie dans son entièreté que très rarement, étant tous et toutes confrontés à des possibilités d’existence limitées. Penser sa vie, penser sa mort, la vivre, y mettre fin, serait-ce l’ultime preuve de notre liberté ? Certains le pensent, d’autres, au contraire, discutent d’aliénation, de santé mentale pour expliquer le suicide. Pour le philosophe et économiste du 18e siècle, David Hume, « no man ever threw away life, while it was worth keeping » (transcription dans Critchley, 2015, p. 91). Plus récemment, Robert Maris (1982), ancien président de l’Association américaine de suicidologie, dira lui aussi qu’aucun « suicide ne peut être considéré comme rationnel au sens d’alternative à notre condition humaine commune » (p. 14). Discuter du suicide (et sans doute encore davantage du droit de mourir) est souvent perçu comme un faux pas social, le sujet étant encore tabou, à tout le moins difficile à aborder sans que les émotions ne prennent le dessus sur la raison. Mais en discuter permet aussi, nous semble-t-il, de prendre le pouls des discours et des savoirs sociaux qui influencent notre perception du geste suicidaire, ses explications et ses modes de prise en charge au fil du temps. De fait, plusieurs paires de lunettes peuvent nous permettre de lire le passage à l’acte suicidaire : crime, dépression, libre choix, quête de gloire, dévotion, maladie, fin de vie, etc. Un retour dans l’histoire montre par exemple à quel point l’héritage judéo-chrétien, qui voit la vie comme un cadeau de Dieu, a fait en sorte que le geste suicidaire a longtemps été considéré comme un crime de lèse-divinité, puis de lèse-majesté un peu partout en Occident (Minois, 1995 ; Levasseur, 1994). Au Canada, les personnes reconnues coupables de s’être enlevé la vie ont à cet égard été accusées de félonie jusqu’au début du 19e siècle. Alors que sous le régime français les suicidés recevaient une peine exemplaire, aux 19e et 20e siècles, plusieurs personnes ayant tenté de s’enlever la vie ont pour leur part reçu une peine d’emprisonnement (Cellard, Chapdelaine et Corriveau, 2013). Cette lettre de suicide retrouvée dans les archives du coroner sur le territoire montréalais évoque justement l’étiquette de crime longtemps associée au geste suicidaire. Dans ses derniers mots, Florimond Laval écrit : Au terme de l’enquête sur ce décès, le coroner et son jury en viendront toutefois à la conclusion suivante : suicide dans un moment de grande dépression nerveuse – maladie – découragement… …
Parties annexes
Références
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- Cauchie, J.-F., Corriveau, P. et Hamel, B. (2017). ‘Croyez surtout pas que j’ai perdu la tête’ : quand les lettres d’adieu de suicidés québécois défient les verdicts du coroner. Frontières, 29(1).
- Cellard, A. et Corriveau, P. (2013). 250 ans de suicides au Québec : Les fondations d’une recherche dans les Archives du Coroner. Histoire sociale, 46(91), 205-221.
- Cellard, A., Chapdelaine, E. et Corriveau, P. (2013). « Des menottes sur des pansements » : la décriminalisation de la tentative de suicide dans les tribunaux du Québec entre 1892 et 1972. Revue Canadienne Droit et Société, 28(1), 83-98.
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