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Introduction

L’agression sexuelle pendant l’enfance est une problématique sociale importante qui continue de faire des victimes en grand nombre chaque année. Depuis le début des années 1980, la recherche a permis de développer une connaissance de plus en plus approfondie des conséquences associées à l’agression sexuelle et des interventions thérapeutiques efficaces. Les études dans le domaine ont permis de déterminer différents facteurs qui exercent une influence sur les conséquences de l’agression sexuelle. Par exemple, il est établi que la qualité du soutien que recevra l’enfant, les stratégies d’adaptation qu’il sera en mesure d’utiliser pour faire face aux événements difficiles, de même que les caractéristiques de l’agression sexuelle, telles que la fréquence et la gravité des épisodes d’agression, contribuent à distinguer les différents profils d’adaptation chez les enfants (Daignault et Hébert, 2008 ; Hébert, Parent, Daignault et Tourigny, 2006 ; Putnam, 2003). Cependant, d’autres facteurs, dont l’influence est soutenue par les modèles théoriques de la psychologie du développement (Bronfenbrenner, 1979 ; Cicchetti et Toth, 1995), et ceux plus appliqués aux conséquences de l’agression sexuelle (Browne et Finkelhor, 1986 ; Friedrich, 1990 ; Spaccarelli, 1994), telle que l’expérience judiciaire, n’ont reçu qu’une mince attention (Quas et Goodman, 2012 ; Sas, Wolfe et Gowdey, 1996). Or, puisqu’elle fait partie intégrante de l’expérience de l’enfant, il peut s’agir d’une dimension importante, susceptible d’exercer une influence sur son rétablissement à long terme (Sas, Hurley, Hatch, Malla et Dick, 1993). De plus, bien que les avancées cliniques et théoriques permettent de cibler des pratiques cliniques exemplaires (Cohen, Deblinger, Mannarino et Steer, 2004 ; Saunders, Berliner et Hanson, 2003), l’influence de l’implication judiciaire sur l’efficacité de la thérapie demeure peu explorée. Il importe de connaître les circonstances dans lesquelles les implications judiciaires contribuent ou nuisent au rétablissement des enfants.

Le dévoilement et ses suites

Le dévoilement d’une agression sexuelle de la part d’un enfant crée généralement une onde de choc au sein de la famille. Il est généralement suivi d’une séquence d’événements incluant une entrevue d’investigation policière filmée et effectuée en l’absence du parent non agresseur ; une rencontre d’évaluation avec les services de protection de la jeunesse ; un examen médical souvent associé à l’utilisation d’une trousse médicolégale ; l’obtention de services d’indemnisation (IVAC) ; une rencontre avec un procureur ; et, dans certains cas, un témoignage à la cour de la jeunesse, à la cour civile ou à la cour criminelle. Ces étapes sont cruciales pour documenter les gestes faits par l’agresseur ou alors pour s’assurer que des modalités de protection et de soutien sont mises en place. Il s’agit aussi de moments qui sont susceptibles d’exercer une influence sur l’opinion que l’enfant se fait de la réaction – positive ou négative – de son environnement (Friedrich, 1990 ; Spaccarelli, 1994). En effet, la succession des interrogatoires implique pour les victimes de partager, à plus d’une reprise, les faits d’une relation intime, imposée et parfois honteuse, ce qui peut affecter leur santé mentale (Ben-Arieh et Windman, 2007 ; Friedrich, 1990 ; Herman, 2003). Les enjeux du témoignage devant la cour sont d’autant plus importants. L’enfant doit raconter une relation intime et sexuelle en public, devant un avocat qui peut se montrer hostile en contre-interrogatoire (Cossins, 2006), en sachant que la personne accusée est soit dans la pièce ou les entend, en particulier lorsqu’il s’agit d’un cas d’agression perpétrée par un membre de la famille.

Les procédures judiciaires sont souvent au centre des préoccupations du ou des parents non agresseurs. Puisque ces procédures viennent s’ajouter à une situation déjà difficile, plusieurs professionnels, parents et victimes se questionnent sur les bénéfices de dénoncer aux autorités, de porter plainte et de judiciariser la situation. Quels sont les bénéfices pour l’enfant ? Il s’agit d’une question à laquelle nous avons peu de réponses et pour laquelle la décision peut être lourde de conséquences, puisqu’elle est en quelque sorte imposée à l’enfant et risque d’influencer sa perception de l’ampleur de l’événement. La décision d’aller de l’avant sur le plan judiciaire est d’autant plus importante dans les cas d’agression sexuelle pendant l’enfance, car cette forme de victimisation n’est corroborée par des preuves physiques que dans moins de 5 % des cas (Heger, Ticson, Velasquez et Bernier, 2002). Ainsi, l’enclenchement des procédures judiciaires repose en grande partie sur la capacité de l’enfant de rapporter les événements aux autorités (Faller et Palusci, 2007). Faute d’avoir d’autres preuves, les enfants sont donc souvent appelés à témoigner (Jackson, 2004). Par conséquent, plusieurs éléments sont à considérer par les professionnels de même que par les victimes et leurs proches avant de faire le choix d’enclencher des procédures judiciaires. Par exemple, le fardeau de tenter de prouver l’agression sexuelle sans preuve tangible, la crainte de s’engager dans un processus judiciaire ardu, complexe et de longue haleine, particulièrement pour un enfant, et les chances d’obtenir une sentence satisfaisante ou de vivre des changements importants sur le plan familial sont des freins possibles à l’enclenchement de procédures judiciaires (Finkelhor, 2007).

Ces préoccupations ne sont pas nouvelles. Les travaux de recherche auprès d’une clientèle adulte, victime d’agression sexuelle, ont sensibilisé cliniciens et chercheurs au concept de victimisation secondaire, d’abord proposé par Martin Symonds en 1980 (Symonds, 2010). La victimisation secondaire réfère à des difficultés d’adaptation chez les victimes résultant d’une perception de ne pas être soutenues ou d’être traitées de façon insensible par leur entourage professionnel ou personnel (Herman, 2003 ; Symonds, 2010). Aujourd’hui, on reconnaît les services de plaidoyer pour les victimes nommés victims advocacy comme étant des pratiques exemplaires permettant de limiter les risques de victimisation secondaire (Parsons et Bergin, 2010). Pour les enfants, ils portent le nom de Child Advocacy Centers (CAC). Ce type d’organismes a émergé dès les années 1980 aux États-Unis afin de concerter et coordonner les différents acteurs impliqués dans la trajectoire sociojudiciaire. Selon Faller et Palusci (2007), qui ont comparé les services reçus dans un CAC à ceux reçus dans d’autres communautés, les pratiques des CAC mènent à de meilleurs résultats en ce qui concerne les cas d’agression sexuelle. Elles conduisent notamment à plus d’examens médicaux (Walsh, Cross, Jones, Simone et Kolko, 2007), à un nombre moins élevé d’entrevues d’investigation avec le même enfant (Cross, Jones, Walsh, Simone et Kolko, 2007), à de plus hauts taux de satisfaction des services médicaux chez les parents (Walsh et al., 2007), et à une meilleure coordination des interventions (Cross et al., 2007). Cependant, leurs résultats montrent aussi que les taux de réussite des poursuites judiciaires contre les agresseurs présumés ainsi que l’utilisation cohérente de méthodes d’investigation adaptées pour les enfants lors d’allégations d’agression sexuelle demeurent problématiques. Les équivalents des CAC ont été implantés au Canada au début des années 2000, avec le soutien du ministère de la Justice, sous le nom de Centres d’appui aux enfants (CAE). Ces centres visent notamment à minimiser les traumatismes potentiels causés par le système de justice pénale en centralisant l’ensemble des démarches sociojudiciaires et psychosociales sous un même toit, et en mettant tout en oeuvre pour colliger les preuves nécessaires afin d’incriminer l’agresseur (Faller et Palusci, 2007). Cette centralisation des services permet d’offrir un milieu plus sensible aux besoins et aux capacités des enfants et de leurs proches (Faller et Palusci, 2007). La qualité et la sensibilité du milieu de consultation prennent toute leur importance dans le fait que l’enclenchement du processus judiciaire repose sur la capacité des enfants de relater l’agression malgré leur compréhension limitée du ou des événements, leurs difficultés langagières et leur sensibilité au stress et aux changements dans l’environnement. Au Québec, le premier et le seul CAE, soit le Centre d’expertise Marie-Vincent, a ouvert ses portes en 2006 et reçoit une clientèle d’enfants de moins de 12 ans victimes d’agression sexuelle. C’est pourquoi il est pertinent d’évaluer l’impact des démarches sociojudiciaires sur la santé mentale des enfants et de leur famille en sol québécois.

Les conséquences associées à l’implication judiciaire

Différents niveaux d’implication judiciaire sont possibles, allant d’aucune plainte portée jusqu’à un témoignage de la victime à la cour. Il est également possible que des procédures judiciaires soient enclenchées, mais que le processus prenne fin avant d’en arriver à faire témoigner la victime, soit par une reconnaissance de culpabilité, soit avec une décision du procureur de ne pas poursuivre les démarches, ou encore avec un retrait de la plainte. L’état de la recherche sur l’impact des procédures judiciaires sur la santé mentale des enfants est mince et donne lieu à des résultats contradictoires. Les ouvrages de recension de la Dre Louise Sas au Canada (Sas, 1991 ; Sas et al., 1993) et ceux de Quas et Goodman (2012) aux États-Unis recensent une quinzaine d’études depuis 1987. Leurs synthèses indiquent que la majorité des études associent le fait de témoigner à la cour à des conséquences négatives sur la santé mentale des enfants (anxiété, dépression, agressivité, comportements délinquants, faible estime personnelle, réactions d’évitement ou de déni). Lorsque comparées à celles d’un groupe d’enfants victimes qui n’ont pas eu à témoigner, ces conséquences négatives seraient particulièrement notables pour les enfants qui ont témoigné à plus d’une reprise (Quas, et al., 2005). Cette dernière étude révèle que même dix ans après la fin des procédures légales, les participants ayant témoigné présentent toujours plus de difficultés que ceux qui ne l’ont pas fait (Quas, et al., 2005). Selon la recension de Troxel, Ogle, Gordon, Lawler et Goodman (2009), témoigner à la cour est source d’anxiété chez les enfants pour plusieurs raisons. Ces derniers rapportent avoir peur de devoir expliquer ce qu’ils ont vécu devant des inconnus et en présence de l’agresseur, de se sentir embarrassés, de pleurer, d’être remis en question ou d’être accusés de mentir. À ce jour, les recherches indiquent que le manque de preuves pour corroborer les dires de l’enfant, l’absence de soutien maternel, la proximité de l’agresseur et la sévérité et la durée des agressions sexuelles (Cossins, 2006 ; Quas et Goodman, 2012) sont des facteurs qui influencent négativement l’expérience judiciaire des enfants.

En contrepartie, d’autres études n’ont pas relevé d’impact négatif associé au fait de témoigner (Henry, 1997 ; Mudaly et Goddard, 2006 ; Runyan, Everson, Edelsohn, Hunter et Coulter, 1988 ; Tedesco et Schnell, 1987). À titre d’exemple, Henry (1997) a évalué les réactions traumatiques (Trauma Symptom Checklist ; Briere, 1989) d’un groupe de 90 jeunes victimes d’agression sexuelle ayant été impliqués soit à la chambre de la jeunesse ou à la chambre criminelle. Parmi ces jeunes, 30 ont été amenés à témoigner. Ces derniers ne se distinguaient pas en termes de réactions traumatiques de ceux qui n’ont pas témoigné. Toutefois, 38 % jugeaient l’expérience comme ayant été négative et 48 % comme étant réparatrice. Les résultats indiquent que des démarches assurant une préparation, de l’encadrement et du soutien peuvent aider l’enfant dans cette épreuve (Henry, 1997). Pour leur part, Runyan et ses collègues (1988) ont évalué le degré de détresse psychologique associé au fait de témoigner chez un groupe d’enfants et d’adolescents victimes d’agression sexuelle. Ils ont observé de plus grandes améliorations sur le plan de la santé mentale des jeunes ayant témoigné que chez ceux qui demeuraient en attente de l’audience de la cour et du témoignage. Dans leur ouvrage pour lequel ils ont demandé à des jeunes victimes de violence de décrire leur perception de la façon dont ils ont été traités à travers les différentes étapes sociojudiciaires, Mudaly et Goddard (2006) soulignent que le fait d’être plus impliqués sur le plan judiciaire et de témoigner à la cour peut être perçu par ces jeunes comme une expérience réparatrice. Le témoignage peut permettre à l’enfant d’être entendu et de l’aider à comprendre que les gestes posés sont reconnus, ayant ainsi possiblement un impact sur son sentiment de culpabilité. Selon la recension des écrits de Troxel et al. (2009), plusieurs auteurs soutiennent qu’un témoignage à la cour peut donner à l’enfant une voix, un rôle et un sentiment de pouvoir plus importants. Cette expérience pourrait contribuer à atténuer les effets de leur victimisation, en ayant un impact notamment sur leur estime personnelle et leur sentiment d’équité, par la démonstration que leur plainte a été prise au sérieux.

Troxel et al. (2009) font d’ailleurs valoir que le débat n’est pas à savoir s’il devrait ou non y avoir des procédures judiciaires ou si un enfant devrait témoigner, mais plutôt de déterminer la meilleure façon d’accommoder et de soutenir ceux qui doivent le faire. L’encadrement au sein d’un CAE et les stratégies telles que la présence d’une personne-ressource[2], l’utilisation d’un système de caméras lors du témoignage à la cour, ainsi qu’une visite de la salle de cour, accompagnée d’information sur les rôles de chacun dans la procédure judiciaire, sont parmi les moyens mis de l’avant pour faciliter l’implication légale d’un enfant (Faller et Palusci, 2007). Les travaux de Sas et al. (1993) et de Sas, Wolfe et Gowdey (1996) indiquent notamment que les enfants ayant bénéficié d’un programme de préparation à la cour ne présentaient pas plus de détresse que ceux qui n’avaient pas témoigné. Il est proposé que ces modalités de soutien réduisent le stress et augmentent la précision ainsi que la crédibilité du témoignage de l’enfant. Cependant, les effets bénéfiques de ces mesures dépendraient d’autres variables, telles que les caractéristiques du cas (sévérité, preuves permettant de corroborer les faits, nombre de témoignages, identité de l’agresseur, etc.) et le type d’accompagnement (parent, intervenant ayant préparé le jeune à la cour, proche, etc.). À ce sujet, Foster et Hagedorn (2014) soulignent l’importance du soutien offert par les professionnels de la cour et font valoir que la bravoure des enfants amenés à témoigner devrait être soulignée à plusieurs reprises, par les intervenants du milieu de la santé, de la justice ainsi que par tous les autres acteurs impliqués dans le processus d’aide. Enfin, selon l’étude de Cossins (2006), bien que ces différentes mesures contribuent à améliorer l’expérience judiciaire des victimes, elles ne bonifient pas le résultat du processus, c’est-à-dire les taux de condamnation et la réduction des délais.

À la lumière des résultats publiés et de leurs conclusions divergentes, il demeure un questionnement sur le risque d’augmenter le stress et d’exacerber la situation d’enfants appelés à vivre un processus judiciaire. Des recherches additionnelles sont nécessaires pour préciser d’une part, les circonstances dans lesquelles l’impact potentiellement négatif des démarches judiciaires peut être réduit au minimum et d’autre part, les éléments associés à des impacts positifs de la trajectoire judiciaire.

Objectifs de la recherche

Dans ce contexte, le premier objectif de cette étude est de détailler les différentes trajectoires judiciaires d’enfants victimes d’agression sexuelle bénéficiant des services d’un CAE en sol québécois. Il est aussi question d’évaluer l’influence des dites trajectoires sur le rétablissement des enfants par des instruments remplis par les enfants et mesurant les symptômes, le soutien et la culpabilité. Comme les enfants bénéficient d’interventions psychosociales (évaluation des besoins et psychothérapie) en contexte du CAE, l’étude pourra offrir des pistes de réponse quant à la trajectoire la plus susceptible d’être bénéfique pour les enfants.

Méthodologie

Participants et procédures

Les analyses ont été effectuées sur un échantillon de 146 enfants pour lesquels les données sur la trajectoire judiciaire étaient disponibles. L’échantillon était constitué de 102 filles et 44 garçons âgés de 6 à 13 ans, dont la moyenne d’âge était de 9 ans. Les familles ont été sollicitées lors de la rencontre d’évaluation initiale au Centre d’expertise Marie-Vincent. Pour bénéficier des services, les enfants devaient être accompagnés d’un accompagnateur non agresseur (parents, famille d’accueil, grands-parents), qui était la mère dans 76 % des cas et le père dans 10 % des cas. Un des enfants était accompagné par une tante et l’autre par sa mère de famille d’accueil. Une assistante de recherche a d’abord présenté le projet aux parents accompagnateurs, de même que les implications de leur participation, afin d’obtenir leur consentement écrit. Ce projet a reçu l’approbation du comité d’éthique de la recherche en sciences humaines de l’Université du Québec à Montréal et du comité d’éthique du Centre hospitalier Sainte-Justine. Lors de l’évaluation initiale (temps 1 – prétest), le parent accompagnateur et l’enfant ont rempli une série de questionnaires. À la fin des services offerts au centre, les dyades ont participé à une deuxième évaluation (temps 2 – post-test). La majorité des enfants (61 %) ont bénéficié d’une psychothérapie d’approche cognitive comportementale orientée vers le trauma (TF-CBT ; Cohen, Mannarino et Deblinger, 2006) d’une durée de 12 à 15 rencontres, les autres ayant bénéficié d’un plus grand nombre de séances de psychothérapie.

Instruments de mesure

Les données sociodémographiques ont été obtenues à partir des dossiers cliniques des enfants. Une version traduite et révisée par Parent et Hébert (2000) du History of Victimisation Form (HVF ; Wolfe, Gentile et Bourdeau, 1987) a été utilisée afin de codifier les informations tirées du dossier clinique des enfants. Ces informations incluent les caractéristiques des agressions sexuelles ainsi que les détails des démarches judiciaires effectuées par la suite.

Le Children’s Depression Inventory (CDI ; Kovacs, 1985) ; la version canadienne-française (Saint-Laurent, 1990) de mesure des symptômes de dépression de l’enfant a été utilisée. La version abrégée du CDI est composée de 10 items. Pour chaque item, l’enfant doit choisir parmi les trois énoncés proposés celui qui correspond le mieux à son état ou à sa pensée au cours des deux dernières semaines. Le score total est obtenu en additionnant les items et varie entre 0 et 20. La forme abrégée du CDI corrèle avec la version longue (r = 0,89) et a un alpha de 0,80 (Kovacs, 1992).

Les symptômes d’anxiété ont été évalués à l’aide des 11 items de la sous-échelle Inquiétude/Hypersensibilité du Revised Children’s Manifest Anxiety Scale (RCMAS ; Reynolds et Richmond, 1985 ; version française de Hébert et Parent, 1999). L’enfant répond aux items par vrai ou faux. Le score obtenu varie de 0 à 11. La consistance interne de cette sous-échelle est de 0,76 (Turgeon et Chartrand, 2003).

Les symptômes de stress post-traumatique (ESPT) et le sentiment de culpabilité ont été mesurés à l’aide d’échelles dérivées d’une version abrégée du Children’s Impact of Traumatic Events Scale – II (CITES-II ; Wolfe, 2002) ; version française de Hébert (2006). Pour chaque item, l’enfant indique si l’énoncé est faux, un peu vrai ou très vrai. L’échelle abrégée de ESPT comprend 21 items et évalue la présence de symptômes de pensées intrusives, de comportements d’évitement et de problèmes d’hyperréactivité. Le score varie de 0 à 42. De plus, à l’aide des critères du DSM-IV, un score dichotomique a été élaboré pour indiquer la présence ou l’absence d’un diagnostic de ESPT. La fidélité et la validité de ce questionnaire ont été démontrées (Wolfe, 2007). L’échelle abrégée de culpabilité est composée de 3 items. Ce score varie de 0 à 6.

L’échelle d’estime globale du Self-Perception Profile for Children (SPPC ; Harter, 1985 ; version révisée [2012] et française de Hébert et Parent [1995]) évalue le niveau d’estime de soi des enfants. Pour répondre aux six items, l’enfant doit choisir parmi deux énoncés celui qui lui correspond le mieux et par la suite, indiquer si l’énoncé choisi est « un peu comme lui » ou « tout à fait comme lui ». Ce score varie de 6 à 36. La version originale et la version française ont obtenu des consistances internes acceptables (v. originale – alphas = 0,78 à 0,87 ; v. française – alphas = 0,67 à 0,74) (Boivin, Vitaro et Gagnon, 1992 ; Harter, 2012).

Analyses statistiques

Des analyses descriptives ont été effectuées afin de mieux documenter les différentes démarches judiciaires. Par la suite, des analyses comparatives ont été conduites afin d’établir les caractéristiques particulières des enfants dans les différentes trajectoires sociojudiciaires et selon la séquence des services reçus par les enfants et leurs parents.

Résultats

Analyses descriptives de l’échantillon

Le Tableau 1 présente les caractéristiques sociodémographiques de l’échantillon et les données relatives aux agressions sexuelles (AS) ainsi qu’aux implications judiciaires lors du prétest. L’échantillon d’enfants ayant participé à cette étude provient principalement de familles monoparentales (43 %) et de familles reconstituées (23 %). Sur le plan de la scolarité, 46 % des mères et 54 % des pères ont atteint un niveau secondaire. Pour 60 % des familles, le revenu familial annuel était de moins de 40 000 dollars, ce qui correspond à un milieu socioéconomique faible. En ce qui concerne le type d’événements vécus, 66 % des enfants ont vécu une ou des AS jugées sévères, ce qui signifie des attouchements sous les vêtements impliquant des tentatives de pénétration ou des pénétrations. Dans 68 % des cas, ces agressions étaient de nature intrafamiliale, impliquant un membre de la famille immédiate ou éloignée. Pour 39 % des enfants, l’AS a été jugée chronique, c’est-à-dire impliquant plus de quatre événements sur une période d’un an. Pour 41 % des enfants, l’AS se résumait à quelques événements, soit deux ou trois sur une période d’un an.

Tableau 1

Caractéristiques de l’échantillon

Caractéristiques de l’échantillon

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Concernant les variables relatives au processus judiciaire, les résultats sont présentés dans le Tableau 2. Pour évaluer le degré d’implication judiciaire, une variable a été compilée en trois niveaux permettant de conceptualiser les procédures judiciaires sur un continuum, allant de 1) aucune démarche judiciaire à 2) des poursuites judiciaires se terminant soit avec une reconnaissance de culpabilité, soit avec une décision du procureur de ne pas poursuivre ou encore avec un retrait de la plainte et 3) au témoignage à la cour. Selon les résultats compilés au prétest, 27 % de l’ensemble des participants (n = 39) n’ont porté aucune accusation criminelle. De ces enfants, 48 % ont été victimes par des jeunes de moins de 15 ans, ce qui explique l’absence de recours judiciaire. Il demeure que pour 52 % de ces 39 jeunes, il a été convenu de ne pas porter plainte pour diverses raisons que nous ne sommes pas en mesure de définir dans le cadre de la présente étude. Ainsi, des procédures judiciaires ont été enclenchées dans 73 % des cas (n = 107). Pour 46 % de ces enfants, les procédures judiciaires se sont arrêtées à l’étape de la mise en accusation (n = 67) alors qu’elles sont allées jusqu’à nécessiter le témoignage du jeune dans 27 % des cas (n = 40).

Les analyses statistiques visaient à déterminer s’il y avait des différences entre les trois groupes (sans procédure, avec procédures, témoignage) sur l’ensemble des variables considérées. En premier lieu, concernant les variables sociodémographiques et les variables descriptives de l’AS, des analyses comparatives par la méthode du chi carré ont indiqué qu’il n’y a pas de différence significative entre les groupes sur les variables suivantes : le sexe de l’enfant (χ2 = 0,85 ; p =,655), la structure familiale (χ2 = 5,43 ; p =,490), la sévérité de l’AS (χ2 = 0,74 ; p =,946), la fréquence des agressions (χ2 = 6,24 ; p =,182), le fait que l’AS est intra ou extrafamilial (χ2 = 3,56 ; p =,169), le fait que l’enfant a dévoilé lui-même l’AS (χ2 = 1,63 ; p =,443), la présence ou non d’un examen médical spécialisé (χ2 = 1,87 ; p =,393), le placement de l’enfant (χ2 = 4,45 ; p =,111), le degré d’implication du centre jeunesse (χ2 = 0,94 ; p =,624) et le fait que le répondant adulte a été victime d’AS (χ2 = 3,05 ; p =,218).

Des différences significatives indiquent une relation entre la proximité de l’agresseur avec la victime et la trajectoire judiciaire (χ2 = 57,68 ; p =,007). Parmi les enfants qui ont témoigné, 67,5 % ont été victimes d’une AS perpétrée par un membre de leur famille immédiate, ce qui est significativement plus élevé que pour ceux pour qui il n’y a pas eu de procédure judiciaire (41 %) et que pour ceux pour qui il y a eu enclenchement de poursuite judiciaire (26,9 %). Parmi les enfants pour qui l’expérience judiciaire s’est arrêtée à l’étape de la poursuite judiciaire, 32,8 % ont été agressés par un membre de leur famille élargie, ce qui est significativement plus élevé que pour ceux pour qui il n’y a pas eu de procédure judiciaire (25,6 %) et que pour ceux pour qui il y a eu témoignage (10 %). Parmi ceux pour qui il n’y a pas eu de procédure, 23 % ont été victimes par leur fratrie, ce qui représente un taux significativement plus élevé que pour ceux pour qui il y a eu enclenchement de procédures judiciaires (7,5 % par leur fratrie) et que pour ceux qui ont témoigné (12,5 % par leur fratrie). Il existe aussi une relation significative entre le fait pour l’enfant d’avoir eu une rencontre avec le procureur et la trajectoire judiciaire (χ2 = 10,08 ; p =,006). Ainsi, parmi les enfants qui ont témoigné, 66,7 % avaient eu une rencontre avec le procureur, ce qui est significativement plus élevé que pour ceux pour qui il n’y a pas eu de procédure judiciaire (27,3 %) et que pour ceux pour qui il y a eu enclenchement des procédures judiciaires (42,1 %). Il en va de même avec l’investigation policière (χ2 = 8,40 ; p =,015). Parmi les enfants pour qui il n’y a pas eu de procédure judiciaire, dans 7,7 % des cas il n’y avait pas eu d’investigation policière, ce qui est significativement plus élevé que pour les autres niveaux d’implication judiciaire (tous deux à 0 %).

Concernant l’exposition à d’autres formes de violence, il existe une relation significative entre le fait que l’enfant soit victime de maltraitance ou non et la trajectoire judiciaire (χ2 = 8,57 ; p =,014). Parmi les enfants pour qui il y a eu témoignage, 65 % avaient été victimes d’abus physique, ce qui est significativement plus élevé que pour ceux pour qui il n’y a pas eu de procédure judiciaire (47,4 %) et que pour ceux pour qui il y a eu enclenchement de procédures (35,8 %). Les analyses par chi carré permettant aussi d’évaluer le pourcentage d’enfants qui présentent des scores cliniques de symptômes de stress post-traumatique (ESPT) indiquent que bien qu’il n’y avait pas de relation significative entre la trajectoire et la présence de symptômes lors du temps 1, une différence significative entre les trajectoires est observée au temps 2, soit après la thérapie. Parmi les enfants qui ont été amenés à témoigner, seulement 23 % maintenaient un score clinique après la thérapie, ce qui est significativement moins élevé que pour les enfants pour qui il y a eu implications judiciaires (49,3 %) et que pour ceux pour qui il n’y avait eu aucune procédure (40,6 %).

Tableau 2

Résultats aux analyses de comparaison par chi carré

Résultats aux analyses de comparaison par chi carré

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Comparaison des trajectoires en préthérapie (temps 1)

En deuxième lieu, des analyses de variance ANOVA ont été effectuées pour comparer les scores des enfants sur l’ensemble des variables continues. En ce qui a trait à la santé mentale des enfants au temps 1 selon leurs trajectoires, les résultats indiquent que les enfants dans les trois trajectoires ne se distinguent pas sur l’ensemble des variables continues évaluées (dépression, anxiété, ESPT, culpabilité, estime personnelle). Toutefois, une différence significative est observée entre les trajectoires en ce qui a trait à l’écart en mois entre le dévoilement de l’AS et l’évaluation préthérapie (temps 1) (F = 5,4 ; ddl = 2 ; p =,006). Les enfants qui ont témoigné ont connu un délai moyen plus long entre le dévoilement de l’AS et le temps 1 (M = 26,7 mois ; E.T. = 21,36) que ceux pour qui il y a eu enclenchement des procédures (avec accusation) (M = 15 mois ; E.T. = 16,55) ou aucune accusation (M = 12,27 ; E.T. = 17,30). Toujours au temps 1, les résultats indiquent une relation significative entre le nombre de traumas interpersonnels vécus par l’enfant et la trajectoire judiciaire (F = 3,374 ; ddl = 2 ; p =,037). Les enfants qui ont témoigné (M = 2,7 ; E.T. = 1,82) de même que ceux pour qui il n’y a pas eu d’accusation (M = 2,7 ; E.T. = 1,82) ont vécu en moyenne plus de traumas interpersonnels que les enfants pour qui il y a eu enclenchement des procédures judiciaires (M = 1,8 ; E.T. = 1,54).

Comparaison des trajectoires post-thérapie (temps 2)

Au T2, des différences entre les trajectoires sont notées, notamment sur le plan du soutien perçu par l’enfant (F = 3,04 ; ddl = 2 ; p =,051) et du degré de culpabilité rapporté (F = 3,04 ; ddl = 2 ; p =,051). Les enfants pour lesquels il n’y a pas eu d’implication judiciaire rapportent un niveau de culpabilité significativement plus élevé au T2 (M = 1,16 ; E.T. = 1,74) que les enfants avec procédures judiciaires (M = 0,48 ; E.T. = 1,3) et que ceux qui ont témoigné (M = 0,47 ; E.T. = 0,98). Sur le plan du soutien perçu, les enfants qui ont témoigné (M = 5,42 ; E.T. = 1,13), de même que ceux pour qui il y a eu implication judiciaire (M = 5,33 ; E.T. = 1,02), rapportent s’être sentis significativement plus soutenus que ceux n’ayant pas vécu de procédure judiciaire (M = 4,78 ; E.T. = 1,29) ; (F = 3,32 ; ddl = 2, p =,039).

Le Tableau 3 présente les résultats des analyses de Test-t pairés à échantillons dépendants. Ces analyses visaient à établir s’il y avait des différences entre les trajectoires en ce qui concerne les gains thérapeutiques en comparant les scores intrasujets des enfants en pré et post-traitement. Les résultats indiquent que chez les enfants qui ont été amenés à témoigner, on observe une diminution significative des symptômes entre la préthérapie et la post-thérapie sur la totalité des symptômes et difficultés évalués, c’est-à-dire sur les plans de l’anxiété, la dépression, l’ESPT, la culpabilité, l’estime personnelle et le soutien perçu. On observe aussi des gains thérapeutiques significatifs chez les enfants qui ont vécu des implications judiciaires sur quatre des six mesures de santé mentale, c’est-à-dire l’ESPT, la culpabilité, le soutien perçu et l’estime personnelle. Finalement, il est intéressant de constater que pour les enfants dans la trajectoire sans implication judiciaire, on n’observe pas de gains significatifs sur l’ensemble des mesures, à l’exception du soutien perçu. Sur cet aspect, les enfants dans les trois trajectoires font des gains thérapeutiques significatifs. Toutefois, les enfants ayant témoigné rapportent un niveau de soutien plus élevé.

Tableau 3

Analyses comparatives entre les groupes (Test-t pairés à échantillons dépendants)

Analyses comparatives entre les groupes (Test-t pairés à échantillons dépendants)

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Discussion

Cette étude visait d’abord à définir les caractéristiques des expériences judiciaires d’enfants victimes d’agression sexuelle recevant des services de psychothérapie dans un CAE. En deuxième lieu, l’étude avait pour objectif d’évaluer l’influence de ces expériences judiciaires sur leur santé mentale après avoir bénéficié d’une psychothérapie d’approche cognitive comportementale. Cette étude se base sur l’analyse de données secondaires pour venir documenter l’influence des procédures judiciaires sur le rétablissement d’enfants victimes d’agression sexuelle. Les résultats contribuent à définir la trajectoire judiciaire d’un groupe d’enfants québécois, victimes d’agression sexuelle et pris en charge par un CAE. Pour le tiers des enfants, aucune plainte n’a été portée. Pour le deuxième tiers, les procédures judiciaires se sont arrêtées à l’étape de la mise en accusation, alors que le dernier tiers a été amené à témoigner en cour. Les études recensées pour le bien de cette recherche indiquent une discordance dans les résultats (Quas et Goodman, 2012). En effet, alors que les expériences judiciaires des enfants victimes d’agression sexuelle peuvent exercer une influence négative sur leur santé mentale, d’autres attribuent des effets positifs à cette expérience, notamment lorsque des mesures d’accompagnement et de préparation sont mises en place (Quas et Goodman, 2012 ; Sas, Wolfe et Gowdey, 1996). D’une part, l’implication judiciaire, en particulier le témoignage, a été associée à des niveaux de stress et de préoccupations importants chez les enfants et à un risque élevé de victimisation secondaire (Sas, 1991). Les craintes des enfants peuvent se résumer à la peur : du processus, de ne pas réussir ou d’être discrédités (Troxel et al., 2009). D’autre part, des effets positifs ont été attribués au fait de participer au processus judiciaire, notamment au sentiment d’équité que cela peut procurer (Mudaly et Goddard, 2006).

Les résultats de cette étude indiquent qu’avant la thérapie, les profils d’adaptation des enfants dans les trois trajectoires d’implication judiciaire ne se distinguent pas les uns des autres. L’adaptation des enfants dans les trois trajectoires est la même, bien que le délai entre le dévoilement et le début de la thérapie fut plus long pour les enfants ayant témoigné. Après la thérapie, ceux qui ont témoigné présentent des gains thérapeutiques plus importants (1/4 maintiennent un score clinique d’ESPT), que ceux pour qui il n’y a pas eu d’implication judiciaire ou que ceux pour qui les procédures ont pris fin à l’étape de la mise en accusation (près de la moitié maintiennent un score clinique). Cette différence quant aux gains thérapeutiques est d’autant plus intéressante que les enfants qui ont été amenés à témoigner auraient aussi été plus souvent victimes de violence physique en plus de l’agression sexuelle (65 % des cas). Comme ceux pour qui il y a eu implication judiciaire, les enfants ayant été amenés à témoigner auraient aussi été exposés à plus de traumas interpersonnels.

À la fin du processus thérapeutique, les résultats indiquent qu’une plus grande implication sur le plan judiciaire (avec témoignage ou avec procédures judiciaires) est associée à une diminution plus importante du sentiment de culpabilité ainsi qu’à une perception plus positive du soutien reçu. Ces observations concordent avec les résultats d’une série d’analyses intrasujets comparant les scores avant et après la thérapie pour chaque trajectoire judiciaire. On observe des gains thérapeutiques sur l’ensemble des mesures remplies par les enfants ayant été davantage impliqués sur le plan judiciaire. En effet, contrairement aux enfants qui n’ont pas été impliqués, ceux des trajectoires avec implication judiciaire présentent des améliorations significatives quant à leurs scores d’ESPT, de culpabilité et d’estime personnelle. Les enfants ayant été amenés à témoigner présentent, en plus, des améliorations significatives en ce qui concerne les scores d’anxiété et de dépression. Dans les trois trajectoires, on observe des améliorations significatives en termes de soutien perçu. Toutefois, les enfants ayant témoigné rapportent un niveau de soutien parental plus élevé. Les résultats de l’étude soutiennent ceux observés par Runyan et ses collègues (1988) selon lesquels le fait que le processus judiciaire soit clos apporte certains bénéfices en psychothérapie, comparativement au fait de demeurer en attente des prochaines procédures. En bref, cette étude soutient donc davantage les conclusions avancées par Mudaly et Goddard (2007) et Henry (1997) selon lesquelles l’implication judiciaire de l’enfant aurait des impacts positifs sur son bien-être mental.

Ainsi, il semble que dans certaines circonstances, le fait d’être plus impliqué sur le plan judiciaire, allant jusqu’à témoigner, est associé à un meilleur rétablissement. Dans le cas présent, ces circonstances semblent définies par le fait de bénéficier de services d’intervention dans un CAE, d’une psychothérapie axée sur le trauma et pour plusieurs, d’avoir témoigné avant de recevoir les services de psychothérapie. Il importe de se rappeler que le groupe ayant témoigné serait entré dans la trajectoire de services plus tard, souvent près de deux ans après que l’agression sexuelle ait été dénoncée aux autorités. Toutefois, leur état de santé mentale étant comparable à celui des enfants engagés dans les autres trajectoires avant la thérapie, on observe des gains plus importants chez ceux davantage impliqués sur le plan judiciaire. Le fait d’être plus impliqué semble contribuer à diminuer les sentiments de culpabilité qu’expriment plusieurs enfants, et bonifie leur estime personnelle et le soutien qu’ils perçoivent recevoir, ce qui pourrait expliquer aussi l’amélioration plus importante concernant les symptômes. Ces résultats peuvent avoir des implications importantes sur le plan clinique. En effet, il semble que pour un groupe d’enfants, le fait que les gestes d’agression sexuelle soient reconnus par une instance judiciaire exerce une influence positive sur leur rétablissement. Cela semble indiquer que ce processus de reconnaissance pourrait être encore plus valorisé et mis de l’avant en psychothérapie, tant pour ceux qui sont impliqués sur le plan judiciaire que pour ceux qui ne le sont pas. Ces résultats invitent à innover sur les plans clinique et social pour qu’un message très clair soit envoyé aux enfants : la société prend leurs dires au sérieux et a fait plusieurs démarches à la suite de leur dévoilement. Ces démarches peuvent être perçues comme étant une forme de reconnaissance des gestes faits, de leur importance pour l’enfant et pour l’ensemble de la collectivité. Plusieurs idées pourraient être articulées dans le but de clarifier ce message à l’intention des enfants.

Limites de l’étude

Il importe de souligner que cette étude présente les résultats d’analyses secondaires effectuées sur des données qui n’avaient pas initialement été compilées dans l’objectif de documenter l’expérience judiciaire des enfants. Toutefois, ces données sont déjà suffisamment exhaustives pour mieux comprendre cet aspect de l’expérience des enfants. De plus, compte tenu du peu d’études ayant exploré la sphère judiciaire, ces analyses représentent déjà une contribution importante. Il importe également de souligner que ces résultats ne peuvent être généralisés à la situation de tous les enfants victimes d’agression sexuelle. Il s’agit ici de la trajectoire d’enfants ayant bénéficié des services d’un Centre d’appui pour enfants et donc de circonstances qui pourraient être décrites comme idéales, compte tenu de la concertation de services que favorise ce type de centre. Cette étude n’évalue pas l’influence de plusieurs éléments qui permettraient de mieux distinguer l’expérience des enfants victimes d’agression sexuelle. Par exemple, les données ne nous permettent pas de savoir les raisons pour lesquelles ces jeunes ont été davantage impliqués sur le plan judiciaire ni de cibler de façon valide dans quel type de cour ces enfants ont été impliqués. Les études antérieures indiquent que pour les enfants qui ont été amenés à témoigner à plus d’une reprise, l’expérience judiciaire pourrait avoir une influence négative plus importante sur leur santé mentale (Goodman et al., 1992). Malheureusement, nous ne sommes pas en mesure d’évaluer cet élément avec les données actuelles ni de savoir dans quelles circonstances et avec quel type d’accommodement les jeunes ont été amenés à témoigner.

Les présents résultats ouvrent la voie à des avenues à considérer. Ainsi, les travaux de recherche futurs devront documenter davantage les détails de l’expérience judiciaire des enfants afin de mieux en saisir l’influence. Dans une trajectoire de services, cela implique de mesurer les changements sur ces variables à plusieurs reprises entre le dévoilement et la fin de la trajectoire de service. Pour la présente étude, l’adaptation de l’enfant a été évaluée selon des mesures autorapportées, il sera intéressant de voir si les résultats sont similaires lorsque ces mesures sont remplies par les parents.

En conclusion, cette étude souligne l’importance de tenir compte de l’ensemble de l’expérience de l’enfant pour bien saisir les défis qu’il rencontre à la suite du dévoilement de l’agression sexuelle. L’expérience judiciaire des enfants de même que son influence méritent d’être mieux documentées afin de s’assurer que cette expérience soit la plus réparatrice possible pour le développement et l’avenir des enfants.