Corps de l’article

D’abord quelques statistiques

En regard des statistiques actuelles, le phénomène des gangs de rue touche apparemment des milliers d’adeptes marginalisés dans le monde. Sa progression en aurait fait un sujet de préoccupation internationale (Hagedorn, 2005). Par exemple, 756 000 membres de gangs de rue ont été répertoriés en 2010 sur le sol américain (Egley et Howell, 2012), alors que les premières estimations rigoureuses, ayant été menées dans les années 1970, indiquaient que les membres actifs étaient au nombre de 52 000, disséminés dans 15 des villes les plus importantes des États-Unis (Miller, 1982). Dans une moindre mesure, le Service canadien de renseignements criminels [SCRC] estimait en 2006 que 300 gangs de rue étaient présents sur le territoire canadien, comptant 11 000 membres en tout (SCRC, 2006). Ce portrait est significativement différent de celui que traçait la Fédération canadienne des municipalités [FCM] dix ans auparavant. Dans le milieu des années 1990, celle-ci prétendait que très peu de bandes criminelles de jeunes très bien organisées étaient présentes sur notre territoire (FCM, 1994). Dans leur contexte respectif, ces chiffres laissent entendre que le problème a littéralement explosé depuis les vingt, voire les quarante dernières années.

Mais nous savons aussi que ce problème social ne connaît pas un accroissement linéaire et qu’il suit plutôt un mouvement de type cyclique (Curry et Decker, 2003)[2], qui est en bonne partie relié à des enjeux de visibilité et de notoriété médiatique (Rollwagen et Béland, 2012). Nous sommes aussi limités par l’absence d’une définition normalisée des trois concepts de gang, de membre de gang et d’incident de gang (Ball et Curry, 1995 ; Covey, Ménard et Franzese, 1992 ; Howell, 1994 ; Parks, 1995 ; Spergel, 1995 ; Spergel et Curry, 1993). Sans compter que les informations dont nous disposons proviennent bien souvent de données policières, dont l’objectif n’est pas d’établir le portrait de la situation, mais bien de faire des enquêtes criminelles. Ces considérations rappellent que les estimations de l’ampleur du phénomène, auxquelles nous arrivons encore aujourd’hui, s’appuient sur des méthodologies différentes et sont entièrement tributaires des définitions que nous utilisons. Des définitions qui varient selon les sources et les organisations qui en font la proposition et qui évoluent à travers le temps (Covey et al., 1992 ; Curry et Decker, 2003 ; Esbensen, Winfree, He et Taylor, 2001 ; Howell, 1994 ; Parks, 1995 ; Shelden, Tracy et Brown, 2004 ; Spergel, 1995 ; Spergel et Curry, 1993 ; Tobin, 2008).

La définition du concept de gang de rue : nouvelles tendances

Toutefois, la littérature scientifique récente indique qu’une nouvelle tendance en la matière se dessine peu à peu. Celle-ci se manifeste notamment par les efforts consentis par les chercheurs pour épurer le concept de gang de rue. Ces chercheurs ne tentent plus de définir les gangs avec force détails, comme ceci était le cas auparavant, ou encore d’élaborer de nouvelles typologies servant à les catégoriser de la manière la plus fine possible. Au contraire, les chercheurs s’efforcent aujourd’hui de cerner des éléments qui sont strictement essentiels, conditionnels à l’existence et à la reconnaissance des gangs par leurs membres eux-mêmes et plus largement par les communautés dans lesquelles ils évoluent. Autrement dit, les chercheurs sont préoccupés par le besoin de cerner les critères qui permettent de distinguer fondamentalement un gang de ce qui ne l’est pas (Curry et Decker, 2003 ; Franzese, Covey et Ménard, 2006 ; Mohammed et Mucchielli, 2007 ; Tobin, 2008). L’identification de ces critères incontournables constitue un passage obligé pour que nous puissions un jour établir des comparaisons locales, nationales et internationales valides. Cet argument n’est pas nouveau dans la littérature scientifique. Mais aujourd’hui, ce travail conceptuel fait écho aux préoccupations des experts à l’égard des risques pour la société que pourrait avoir une surestimation ou une sous-estimation du problème (Esbensen et al., 2001). Si bien que l’on ne se contente plus de cerner des critères d’inclusion, mais aussi des critères d’exclusion, au sens où la précision de la pensée passe non seulement par la définition de ce qu’un concept inclut mais de ce qu’il exclut également (Mohammed et Mucchielli, 2007).

Cette approche aurait des retombées intéressantes, faisant apparaître certains critères autour desquels il aurait été impossible d’obtenir un consensus il y a quelques années. Le premier concerne la dimension criminelle qui, jadis, introduisait un clivage théorique trop radical dans la communauté scientifique pour qu’une telle dimension puisse servir d’assise à une définition universelle du phénomène des gangs de rue. Mais aujourd’hui, plusieurs experts s’accordent à dire qu’il est devenu indispensable d’intégrer la dimension criminelle à la définition du concept (Anderson, Mangels et Dyson, 2001 ; Chatterjee, 2006 ; Curry et Decker, 2003 ; Esbensen et al., 2001 ; Guay et Fredette, 2010 ; Klein et Maxson, 2006 ; Tobin, 2008). Ceci parce qu’elle présente l’avantage de distinguer assez nettement un gang de rue d’un groupe de pairs qui, à priori, demeure un lieu de socialisation normal pour tout adolescent. Sans elle, nous pourrions nous méprendre en raison du fait qu’un groupe de pairs agit parfois de façon collective, informelle, qu’il peut aussi partager des codes, des symboles d’appartenance et avoir une visibilité publique sans toutefois constituer un gang de rue au sens propre du terme (Mohammed et Mucchielli, 2007). Mais certains appellent à la prudence, bien entendu, en voulant s’assurer que les actes délinquants occasionnels commis par un groupe de jeunes dont les activités ne sont pas habituellement orientées vers la criminalité sont exclus de la définition du concept de gang de rue (Franzese et al., 2006).

De cette manière, on veut contextualiser les activités illégales des gangs, en quelque sorte, comme le font aussi Klein et Maxson (2006) en précisant, dans leur définition la plus récente[3], que les activités illégales des gangs de rue constituent l’une de leurs caractéristiques identitaires. Selon cette définition qui, pour l’heure, est la plus reconnue à l’échelle internationale, les activités illégales des gangs de rue n’auraient donc pas que des visées lucratives, mais seraient aussi des marqueurs culturels permettant à ces groupes d’affirmer leur existence. Cela vient donner un autre statut, sinon un autre sens, à leur criminalité, ainsi qu’à la violence qui l’accompagne habituellement (Nafekh et Stys, 2004 ; Thornberry, Krohn, Lizotte, Smith et Tobin, 2003).

Par ailleurs, devant les difficultés et même les limites que posent l’élaboration et l’utilisation d’une définition commune du phénomène, des chercheurs québécois (Guay, Fredette et Dubois, 2014) proposent une nouvelle option. Il s’agit d’un modèle multidimensionnel visant à mesurer l’adhésion des jeunes aux gangs de rue en fonction de quatre dimensions centrales que sont : 1) les activités criminelles ; 2) l’adhésion à la culture du gang ; 3) les tendances psychopathiques ; et 4) la position dans le réseau. Ces chercheurs souhaitent ainsi outrepasser une logique binaire (être ou ne pas être membre de gang) et documenter plutôt les particularités des jeunes qui se joignent aux gangs de rue.

En somme, c’est avec une certaine parcimonie que des critères universels servant à définir ou à mesurer des variables clés reliées aux gangs de rue émergent peu à peu de la littérature scientifique. Ces efforts que les experts consacrent à l’épuration du concept ne sont pas, de toute évidence, destinés à réduire ou à simplifier le phénomène en tant que tel. La sensibilité des experts à l’égard de la diversité et de la complexité du problème semble les autoriser en quelque sorte à s’engager sur cette voie. Comme s’ils ne cherchaient plus à les englober dans leur définition, mais les reconnaissaient d’office et se consacraient plutôt à départager les frontières séparant la normalité de la marginalité. Or, cette approche relativement nouvelle concernant la complexité du problème se manifeste dans divers pans de la littérature scientifique actuelle sur les gangs de rue. Elle apparaît en premier lieu dans celui qui est dédié à la définition du problème qui déjà soulève, comme nous le voyons, des changements importants. Cette approche se manifeste aussi dans d’autres champs d’analyse, dont trois que nous avons choisi de développer dans cet article en raison des contrastes particulièrement importants qu’offre la littérature actuelle comparativement à celle d’il y a une quinzaine d’années. Il s’agit 1) des processus liés à l’engagement et au désistement des jeunes aux gangs de rue ; 2) de la violence que l’on associe à ces groupes ; 3) des caractéristiques internes des garçons et des filles qui s’y joignent.

Méthodologie

La démarche méthodologique que nous avons empruntée veut favoriser la révision et l’actualisation d’une recension de la littérature scientifique sur les gangs de rue élaborée au Québec en 1997 (Hébert, Hamel et Savoie, 1997), à l’aune de l’évolution des connaissances sur ce phénomène dans les années ayant suivi cette première recension. Les connaissances que nous considérons dans cet article découlent d’une démarche rigoureuse de recension des écrits ainsi que d’une démarche d’analyse inductive des corpus retenus afin de produire une synthèse critique des connaissances qui dépasse le simple résumé de leur état actuel.

Dans un premier temps, des recherches bibliographiques ont été menées couvrant plus intensivement la période allant de 1997 à 2011[4], en s’appuyant sur la méthodologie de recension suggérée par Jackson (1980) et Piolat (2002), de même que par Rosenthal (1991) et Cooper (1998) et en faisant appel à diverses banques d’articles scientifiques et de sites de recherche pertinents permettant de considérer une documentation régionale, nationale et internationale[5]. Les titres qui en sont ressortis ont été sélectionnés en fonction de deux critères, soit la qualité et la pertinence. La qualité des articles a été analysée sans restriction à l’égard de l’orientation méthodologique des recherches qu’ils étayaient. En fonction de ce critère, nous avons sélectionné des articles faisant état d’une démarche scientifique claire et rigoureuse, quel que soit le devis ou la méthodologie ayant été utilisé. Puis, la pertinence a été déterminée selon les catégories conceptualisantes prévues par le cadre d’analyse. Celui-ci se fonde sur le plan de la première recension publiée en 1997 (Hébert et al., 1997) ayant documenté l’ampleur du phénomène, ses définitions, ses typologies, l’organisation et le fonctionnement des gangs de rue, les caractéristiques des jeunes qui y sont associés, l’expérience que les jeunes y vivent, les processus d’engagement et de désistement, ainsi que les programmes de prévention et d’intervention prometteurs[6].

Ensuite, une démarche d’analyse inductive générale (Blais et Martineau, 2006) du corpus sélectionné a été réalisée afin de produire une synthèse critique des connaissances. Au final, la démarche voulait répondre à trois objectifs. Le premier était de documenter différentes facettes du phénomène des gangs de rue à partir des connaissances qui se sont développées depuis 1997. Le deuxième était de cerner les changements qui s’en dégagent. Le troisième consistait à comparer ces nouveaux contenus à ceux issus de la première recension parue en 1997.

Les processus d’engagement et de désistement

Ceci dit, l’examen de la littérature récente indique que le développement des connaissances sur le phénomène des gangs de rue depuis ces dernières années est saisissant. Mais le contraste qu’offrent les connaissances récentes dans certains champs spécifiques l’est encore plus. Ceci est le cas particulièrement en ce qui a trait aux processus d’engagement et de désistement.

À vrai dire, ces processus ne sont plus présentés de manière linéaire et formelle comme c’était le cas auparavant, soit sous forme d’étapes relativement structurées où interviennent notamment le recrutement, l’initiation ainsi que l’obtention du statut de membre. Nous ne retrouvons plus tellement ces éléments dans la littérature scientifique récente, mais une plus forte tendance à concevoir que l’engagement s’inscrit dans un processus graduel, et même plus fluide que nous le prétendions à l’époque.

En 1995, quelques auteurs défendaient déjà cette position, notamment Spergel (1995). Mais ils se confrontaient à une autre position appuyant l’idée que « n’entre pas qui veut dans les gangs ». À cet effet, Sanchez-Jankowski (1991) rappelait que la décision d’inclure un nouveau membre revient d’abord au groupe, faisant que l’engagement ne peut pas être conçu uniquement comme un choix individuel et rationnel, mais qu’il s’inscrit dans un processus psychosocial plus complexe où interviennent à la fois des facteurs individuels et environnementaux. Sanchez-Jankowski (1991) convenait donc, comme Spergel (1995), que le recrutement pouvait se faire de manière amicale et fraternelle, par l’entremise du réseau de connaissances, tout en précisant toutefois qu’il arrivait aussi que les gangs de rue aient recours à des méthodes persuasives et coercitives. De plus, nous retrouvions un certain clivage entre deux positions à propos de l’initiation. Certains ne l’associaient qu’à quelques groupes en particulier (Spergel, 1995) tandis que d’autres soutenaient qu’elle était relativement généralisée (Knox, 1991). Les deux positions se rejoignaient sur le fait que pour obtenir le statut de membre de gang, les jeunes doivent faire la démonstration de leur courage et de leur loyauté. Seulement, la question du caractère ritualisé de l’initiation et de l’entrée dans le monde des gangs de rue ne faisait pas l’unanimité chez les experts.

Ceci dit, en cherchant à savoir si les gangs de rue ont changé leur approche pour recruter leurs membres, nous n’avons trouvé que très peu d’information. En fait, le recrutement et l’initiation des membres ne font plus l’objet de la même attention chez les chercheurs. Ce qui ne veut pas dire que ces étapes sont disparues, mais que de nouveaux paradigmes influencent apparemment les chercheurs qui se penchent sur la question de l’entrée dans les gangs.

Selon toute vraisemblance, les chercheurs qui s’intéressent aux processus et aux mécanismes d’entraînement dans les gangs s’inspirent de plus en plus de ceux que l’on retrouve dans les réseaux sociaux naturels. Ce cadre d’analyse fait écho à une nouvelle réalité voulant désormais que de nombreux jeunes faisant partie des gangs de rue aient bien souvent été en contact avec eux tôt dans leur enfance. Ceci ne veut pas dire que tous les jeunes provenant de secteurs où sévissent les gangs de rue font partie ou feront partie un jour de ces groupes (Felson, 2014). Non, car beaucoup de jeunes souffrent de la présence des gangs de rue dans leur quartier, qui se manifeste par la diversité de leurs délits dont les nombreuses conséquences rejaillissent bien souvent de manière négative sur l’ensemble des membres de leur communauté. Mais il n’en demeure pas moins que la rue ferait partie de l’évolution des jeunes de certains quartiers défavorisés. Et que cette condition aurait pour effet de normaliser le monde des gangs de rue (Guay et Fredette, 2010). Sans compter que, dans ces quartiers, les jeunes entretiennent des relations affectives entre eux, d’autant plus fortes qu’elles ont été développées en contexte de survie (Ruble et Turner, 2000).

Par ailleurs, une telle situation se trouverait renforcée lorsqu’un ou plusieurs membres de la famille font déjà partie de ces groupes (Chatterjee, 2006 ; Mendoza-Denton, 2008 ; Miller, 2001 ; Mohammed et Mucchielli, 2007 ; Mourani, 2006). De plus, le fait de prendre les aînés comme modèles et de percevoir leurs activités criminelles de manière positive en y associant certains bénéfices aurait un effet catalyseur sur l’appartenance des plus jeunes à un gang et sur la reproduction des comportements délinquants (Mohammed et Mucchielli, 2007 ; Sutherland et Cressey, 1999). Sanchez-Jankowski (2003), pour sa part, va jusqu’à penser que certains gangs de rue constituent un vecteur incontournable de l’organisation sociale sur le territoire qu’ils occupent. Or, pour les jeunes qui évoluent dans ce type de quartier, faire partie du gang signifie prendre une place dans leur communauté, y jouer un rôle actif et avoir la reconnaissance devant lui être associée.

C’est dire que la documentation scientifique actuelle sur les gangs de rue insiste encore davantage sur le caractère informel des mécanismes de l’engagement en démontrant qu’ils s’enclenchent de manière subtile bien souvent, par les opportunités qui sont données aux jeunes de jouer un rôle différent, de recevoir de nouvelles responsabilités dans un univers qu’ils connaissent déjà et qui fait partie de leur quotidien (Chatterjee, 2006). Ces activités auraient pour effet de tracer la voie et surtout d’intensifier les liens avec le groupe. Dans cette perspective, le sentiment d’appartenance comme motif d’engagement aux gangs de rue semble prendre une place importante. Les jeunes adhéreraient au groupe, mais plus fondamentalement à sa culture et à ses valeurs (Guay et Gaumont-Casias, 2009). Les travaux récents de Fredette et Guay (2014) renchérissent d’ailleurs cette assertion en précisant que les gangs ne conduiraient pas les personnes qui s’y joignent à perdre leur identité personnelle mais, au contraire, à renforcer leur identité sociale.

Les connaissances récentes sur l’engagement aux gangs lui donnent donc l’allure d’un processus naturel qui lui-même transforme la représentation que nous pouvons avoir des personnes concernées. Ces jeunes sont sans nul doute guidés par les gains, la valorisation, le plaisir et le pouvoir, comme l’indiquait auparavant la documentation scientifique (Hébert et al., 1997). Mais ceci n’empêche pas qu’ils puissent également être engagés dans un cycle de réciprocité, respectant ainsi certaines lois naturelles liées au fonctionnement d’un réseau social naturel. Par conséquent, le processus d’engagement aux gangs de rue apparaît aujourd’hui sous un jour différent, révélant des dynamiques bidirectionnelles, qui contrastent passablement avec celles (unilatérales, forcées ou arbitraires) que la littérature défendait auparavant.

Toutefois, les mécanismes de réciprocité qui caractérisent le fonctionnement des réseaux auraient, en retour, de lourdes conséquences sur les processus associés au désistement. Ces mécanismes obligent en quelque sorte à considérer que la sortie des gangs de rue puisse être extrêmement difficile. Dans cette perspective, il devient pratiquement impossible de concevoir qu’un jeune puisse complètement se détacher des gangs, sauf en de rares exceptions. Dans certains cas, il s’agirait de quitter tout un quartier ou toute une communauté et même de rompre les liens avec la famille. La première recension (Hébert et al., 1997) traitait déjà des circonstances difficiles dans le cadre desquelles les jeunes quittent ou tentent de quitter les gangs de rue, bien souvent après avoir été témoins ou victimes de la violence de ces groupes. Les écrits plus récents confirment encore que les jeunes les quittent généralement en de pareilles circonstances (Guay et Fredette, 2010 ; Hamel, 2014) et nous informent mieux sur les difficultés que rencontrent ces jeunes en tentant de réorganiser leur vie. Ces derniers ont alors besoin de confiance et que beaucoup de temps soit consacré à la régularisation de leur situation, sur le plan juridique particulièrement. Ceci serait lié au fait qu’ils sont bien souvent endettés, exténués, parfois même traumatisés, et par conséquent, incapables de créer les nouveaux liens qui pourraient faciliter leur intégration. Ces liens les obligent en quelque sorte à faire face à la réalité, à leurs propres victimes parfois, de même qu’à la honte qu’ils éprouvent de devoir révéler à leur communauté l’expérience qu’ils viennent de traverser (Hamel, 2014).

Or, la littérature scientifique nous informe mieux aujourd’hui sur la complexité des processus reliés au désistement qu’elle ne le faisait auparavant. Les chercheurs reconnaissent qu’il s’agit d’une situation paradoxale causée par la perte d’un réseau qui comprend des bénéfices considérables, tout autant qu’il engendre des risques importants. Le départ du gang, dont font partie parfois des membres de la famille, oblige certains jeunes à faire face à l’isolement social et par conséquent, à une très grande vulnérabilité (Chatterjee, 2006). Une rupture brutale ne favorise donc pas nécessairement la réadaptation de ces jeunes, considérant la valeur qu’ils accordent aux liens qu’ils développent dans ces groupes. Si certains jeunes veulent cesser leurs activités dans les gangs de rue parce qu’ils risquent d’y perdre la vie, d’autres hésitent à le faire parce qu’ils craignent d’y perdre également une partie de leur identité (Decker et Lauritsen, 2002 ; Jacobs, 2010).

En outre, le désistement se complexifie aujourd’hui en fonction d’une nouvelle réalité, voulant que les jeunes restent plus longtemps dans les gangs qu’auparavant. C’est-à-dire que si leur passage demeure habituellement transitoire, tel que l’indiquait déjà la première recension (Hébert et al., 1997), sa durée serait aujourd’hui plus longue qu’elle ne l’était auparavant (Chatterjee, 2006 ; Guay et Fredette, 2010). Cette situation augmente forcément les risques que les jeunes soient témoins d’événements traumatiques tout en renforçant leurs liens avec les membres du groupe (Kelly, Anderson et Peden, 2009). Ceci est d’autant plus vrai pour les jeunes qui font partie de gangs de rue implantés depuis longtemps dans leur quartier et auxquels ont participé quelques générations de fratries.

La violence des gangs de rue

La prolongation du passage des jeunes dans les gangs de rue comporte donc des risques importants, puisqu’il s’agit d’un milieu qui, encore aujourd’hui, se démarque par la grande diversité de ses activités criminelles : vente de drogues, cambriolage, introduction par infraction, vandalisme, agressions, vol et exportation d’automobiles, proxénétisme, fraude, piratage et hameçonnage sur internet (Chatterjee, 2006). Dans cette foulée, les gangs de rue ont développé des alliances avec le crime organisé les amenant à diversifier encore davantage leurs créneaux et même à s’affirmer dans certains domaines, celui du trafic de drogues notamment (Delaney, 2005 ; Nafekh et Stys, 2004). Cette situation laisse penser que la violence des gangs de rue pourrait aussi s’intensifier (Decker et Pyrooz, 2014 ; Sullivan et Bunker, 2007) et s’endurcir pour établir le contrôle des territoires (Chatterjee, 2006).

De fait, les recherches actuelles démontrent qu’il est plus avisé de considérer que les réseaux criminels et les gangs de rue font de plus en plus des affaires entre eux (Mourani, 2006) que de s’inquiéter, comme nous le faisions auparavant, que les membres de gangs puissent être recrutés par ces réseaux criminels. Nous savons maintenant que le passage des gangs de rue vers les réseaux criminels organisés n’est pas évident ni automatique (Richter-White, 2003). Toutefois, ces alliances dont nous n’aurions pas pu imaginer l’existence auparavant ont de lourdes conséquences sur le traitement social du phénomène des gangs de rue en tant que tel. Cette situation entraîne une rigidification, qui notamment conduit à un nombre grandissant d’incarcérations des membres de gangs de rue (Guay et Gaumont-Casias, 2009). Comme l’explique Papachristos (2009), la présence des gangs de rue en milieu carcéral les amène bien souvent à se renforcer par l’acquisition de nouveaux membres criminalisés et à développer leurs alliances avec le crime organisé. On constate également, dans la foulée des nouvelles pratiques et des nouvelles politiques américaines encourageant l’incarcération des membres de gangs de rue, que certains groupes ont diversifié leurs activités criminelles et atteint de meilleurs niveaux d’organisation (Sanchez-Jankowski, 2003). Bref, ces observations appellent à une certaine vigilance relativement à l’intensification possible des liens entre les gangs de rue et le crime organisé. De plus, il faut considérer que la judiciarisation de la criminalité des jeunes et des jeunes adultes rend beaucoup plus difficile la perspective qu’ils puissent éventuellement réintégrer un statut au sein de la société (Decker, 2007)

Les recherches récentes ne se contentent donc plus d’observer et de mesurer la violence que génèrent les membres de gangs de rue, elles tentent également de comprendre les dynamiques et les processus qui l’accompagnent. Par exemple, des chercheurs ont employé des méthodologies différentes pour s’introduire dans l’univers des gangs de rue et tenter de comprendre comment l’intensification de leurs activités criminelles pouvait changer les interfaces entre groupes rivaux, de même que les rapports des membres évoluant au sein de mêmes groupes. Leurs recherches soulignent en premier lieu les risques importants que courent les membres de gangs de rue, plus que tout autre adolescent délinquant, d’être impliqués dans des crimes violents (Esbensen, Peterson, Taylor et Freng, 2010). Des crimes dont ils peuvent être responsables, mais dont ils peuvent être victimes le plus souvent (DeLisi, Barnes, Beaver et Gibson, 2009 ; Melde, Taylor et Esbensen, 2009). Du reste, les jeunes membres de gangs de rue sont plus nombreux à anticiper les risques de victimisation que les autres délinquants (Melde et al., 2009). À cet égard Decker et Pyrooz (2014) expliquent que les gangs de rue peuvent atteindre leurs plus hauts niveaux de violence en contexte de menace externe et que, dans cette foulée, les membres se trouvent parfois entraînés malgré eux dans des actes qui sont complètement dépourvus de sens. Mais Papachristos (2009) évoque que le groupe constitue aussi la source directe de la victimisation de ses membres, considérant la forte compétition qui prévaut dans ce milieu. À ce propos, cet auteur précise que : « le contexte de gang crée une organisation du meurtre en plaçant des adversaires en position de défendre, de maintenir ou de réparer leur réputation à travers de constantes négociations s’exprimant par des disputes de dominance » (Papachristos, 2009, p. 76 [traduction libre]).

Cette illustration des dynamiques internes du milieu des gangs de rue est relativement nouvelle dans la littérature scientifique, bien que Spergel (1995) ait souligné dans ses premiers travaux que la violence des gangs de rue est souvent accompagnée de processus inexorables qui placent les jeunes dans une double position d’agresseurs et de victimes. Ceci rappelle que la violence des jeunes en contexte de gangs peut être interprétée comme un acte d’agression, mais aussi comme un acte de protection (Bjerregaard, 2010 ; Melde et al., 2009). Que cette violence répond également à des règles, voire à des normes que Sanchez-Jankowski (2003) associe notamment au contexte de la rue où la violence est valorisée. À ce titre, certains groupes l’utilisent pour maintenir des acquis, et les individus, pour atteindre des objectifs personnels. Parmi eux, nous en retrouvons qui veulent maintenir un statut, rétablir leur honneur et gagner le respect. De plus, nous dénotons chez eux des valeurs de force, de dominance et d’hypermasculinité à propos desquelles nous devrions sans doute réfléchir comme société (Esterle-Hedibel, 2007 ; Franzese et al., 2006).

Mais, de façon plus immédiate encore, il serait plus urgent de nous arrêter sur le fait que la violence des gangs de rue fait non seulement des victimes, qui le plus souvent sont les membres eux-mêmes, mais également de nombreux témoins qui pourraient en subir des conséquences tout aussi graves. Comme le dénotent Laurier et Morin (2014), certaines recherches démontrent désormais que les jeunes concernés peuvent présenter des problèmes de comportements externalisés et parfois même des problèmes internalisés de santé mentale reliés au syndrome de stress post-traumatique. Dans certains cas, ces symptômes sont reliés de manière positive à leur désir de se joindre aux gangs à leur tour (Kelly et al., 2009 ; Teplin, Abram, McClelland, Dulcan et Mericle, 2002).

Les caractéristiques internes des jeunes qui se joignent aux gangs de rue

Les résultats de ces recherches récentes dévoilent donc une fragilité chez les jeunes garçons qui se joignent à ces groupes, ce que la littérature scientifique abordait peu auparavant. Cette fragilité dissimulerait une souffrance ou encore des traumatismes cachés qui mettent en évidence que certains garçons pourraient présenter des problèmes de santé mentale. La vulnérabilité psychologique des jeunes qui en font partie est maintenant mise au jour de manière explicite, alors qu’il y a une vingtaine d’années, la littérature attribuait aux garçons membres de gangs de rue des caractéristiques qui généralement étaient communes à tout autre délinquant.

Encore aujourd’hui, ces jeunes sont décrits comme ayant des traits de personnalité sociopathique (Esbensen et al., 2010 ; Sanchez-Jankowski, 2003), notamment chez ceux qui persistent le plus longtemps dans le monde des gangs de rue. Règle générale, ces jeunes jouent des rôles centraux au sein de ces groupes, associés au plus haut risque de violence (Esbensen et al., 2001 ; Franzese et al., 2006). On confirme aussi que ces jeunes sont impulsifs, centrés sur la satisfaction de leurs besoins immédiats, qu’ils ont un faible contrôle de soi (Tobin, 2008) et une tendance à l’externalisation, sans compter qu’ils présentent des traits égocentriques, démontrent peu d’empathie ainsi qu’un faible niveau d’anxiété (Guay et Fredette, 2010). Mais aujourd’hui, certaines recherches indiquent que ces jeunes peuvent également souffrir de dépression (Klemp-North, 2007), ou encore éprouver des problèmes cognitifs reliés à un trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (Florian-Lacy, Jefferson et Fleming, 2002).

Ainsi, l’étude de la fragilité psychologique des garçons qui se joignent aux gangs de rue fait partie du paysage scientifique contemporain, bien que nous ne puissions pas affirmer qu’elle soit nécessairement à l’origine de leur adhésion. Les recherches récentes dépeignent un portrait des jeunes que nous connaissons déjà mais qui reconnaît aussi que ces comportements pourraient être accompagnés d’autres problèmes internalisés, dissimulant une souffrance que nous commençons à peine à considérer (Klemp-North, 2007 ; Mohammed et Mucchielli, 2007). Il faut dire que jadis, cette souffrance n’était attribuée qu’aux filles, affligées des sévices que pouvaient leur faire vivre les gangs de rue.

La littérature scientifique n’apportait en effet que très peu d’information sur les filles, sinon qu’elles ne représentent habituellement que 10 % à 25 % des membres et que leur rôle se limite à celui d’auxiliaire. On insistait plutôt sur le fait que leurs comportements sont entièrement dictés par les garçons auxquels elles s’attachent aveuglément pour tenter de combler leurs besoins affectifs. Ou encore que leur délinquance est moins sévère que celle de leurs homologues masculins (Bjerregaard et Smith, 1993). Si bien que ces comparaisons pouvaient donner à croire que la participation des filles aux gangs de rue n’était pas un sujet de recherche vraiment digne d’intérêt.

Mais avec le temps, les recherches ont peu à peu levé le voile sur la réalité des filles et ont mis en évidence en premier lieu que leurs caractéristiques internes et externes ne sont apparemment pas si différentes de celles des garçons (Bell, 2009 ; Mendoza-Denton, 2008 ; Miller, 2001). Les filles qui se joignent aux gangs de rue proviennent donc en majorité, elles aussi, de milieux difficiles où elles trouvent avec peine leur place (Cepeda et Valdez, 2003). Ces filles présentent également un parcours scolaire relativement chaotique et auraient subi durement les conséquences de la désorganisation de leur milieu familial (Archer et Grascia, 2006 ; Fleisher et Krienert, 2004). Or, certains chercheurs ont démontré que les filles qui fréquentent les gangs de rue présentent, elles aussi, d’importants déficits sur le plan des habiletés sociales, de même que des problèmes d’opposition ainsi qu’un véritable potentiel agressif (Lanctôt et LeBlanc, 1997).

Un rapport américain (Snyder, 2008) confirme cette tendance. Entre 1997 et 2006, les arrestations pour les délits graves auraient diminué aux États-Unis. Mais cette situation concerne principalement les garçons, chez qui nous dénotons une baisse de 24 %, tandis que chez les filles, la baisse n’est que de 10 %. De plus, les arrestations pour les délits simples auraient diminué de 4 % chez les garçons, alors que le taux chez les filles aurait augmenté de 19 %.

Ceci laisse croire que la frontière établie entre les genres devient de moins en moins étanche. De plus en plus de recherches confirment que les filles qui font partie de l’univers des gangs de rue présentent un profil délinquant relativement similaire à celui des garçons, avec une diversité de délits qui inclut notamment les attaques contre la personne (Esbensen et al., 2010). Mais certains appellent aussi à la prudence et considèrent que cette hausse pourrait aussi s’expliquer par une nouvelle attention politique accordée à la délinquance des filles (Ashcroft, 2004 ; Young, 2009).

Quoi qu’il en soit, en racontant leur histoire, les jeunes filles révèlent que le rôle qu’elles jouent au sein des gangs de rue ne se limite pas à celui d’accessoire ou d’objet sexuel (Fournier, Cousineau et Hamel, 2006). Il serait plus juste de dire que les filles occupent diverses fonctions ayant une certaine utilité pour le fonctionnement de ces groupes. C’est pourquoi certaines insistent pour dire qu’elles font bel et bien partie de ces groupes, même si encore plusieurs d’entre elles ne s’attribuent aucun statut officiel. En règle générale, les filles reconnaissent en effet qu’elles ne peuvent pas espérer accéder à des postes de leader et demeurent, dans la hiérarchie du gang, à un échelon inférieur à celui des garçons (Dorais et Corriveau, 2006 ; Totten, 2000). Cependant, ces dernières peuvent y trouver leur place en tant que complices, par exemple, ou encore en tant que commis ou surveillantes (Fournier et al., 2006), pour ainsi vivre une expérience au sein des gangs qui ne les restreint pas à une position de victimes. Plus encore, certaines d’entre elles se battent durant leur séjour, parfois même à la demande explicite des garçons qui attendent de leur part qu’elles menacent et intimident d’autres filles dont ils souhaitent se débarrasser. À ce titre, elles sont donc des partenaires plutôt que des subalternes (Deschenes et Esbensen, 1999).

Cependant, malgré ces nouvelles pistes sur la participation des filles aux gangs de rue, il semble que l’exploitation sexuelle soit la dimension de leur expérience au sein de ces groupes la plus documentée. La littérature s’intéresse aux pièges que les gangs réservent aux adolescentes vulnérables, les conduisant sur le marché du sexe à leur insu ou contre leur gré. Mais encore une fois, il convient de nuancer, à partir des plus récentes recherches, l’idée que les gangs initient la majorité de ces jeunes filles à de telles expériences. Ces recherches montrent en effet qu’il y aurait une incidence élevée d’abus sexuels chez les filles ayant des comportements délinquants et participant aux activités de gangs de rue (Totten, 2000). Et ceci ne serait pas seulement le cas de celles que les gangs utilisent comme accessoires, mais bien davantage celui des jeunes filles capables d’adopter des comportements violents à l’endroit des membres masculins (Smith, Leve et Chamberlain, 2006).

En guise de conclusion

Les connaissances récentes sur lesquelles se concentre cet article apportent des nuances que la littérature scientifique sur les gangs de rue ne renfermait pas auparavant. Elle indique aujourd’hui notamment que l’affiliation aux gangs de rue s’inscrit dans un processus qui est encore plus fluide que nous l’envisagions avant et qu’il répond en quelque sorte aux lois liées au fonctionnement d’un réseau social naturel. Par conséquent, nous devons considérer que le désistement s’inscrit lui aussi dans un processus complexe, qui vient désavouer l’idée que la réadaptation des jeunes ayant fait l’expérience des gangs de rue doit commencer par une rupture complète et radicale des liens avec le groupe.

Or, l’intérêt particulier que présentent ces connaissances nouvelles tient au fait qu’elles pourraient modifier notre conception du problème et des jeunes qu’il concerne et, par conséquent, des interventions dont ils devraient bénéficier. De prime abord, ces connaissances remettent en cause l’idée que nous puissions réellement intervenir sur l’affiliation aux gangs de rue, comme si nous pouvions vacciner les jeunes contre ces groupes. Dans cette foulée, nous pensons qu’il serait sans doute tout aussi important d’investir dans le travail de proximité que dans les campagnes de sensibilisation. En ayant les pieds sur le terrain, les intervenants de proximité peuvent faire face à des situations qui habituellement échappent à la plupart des établissements. Nous les avons souvent vus participer à des programmes d’intervention de crise pour assurer une présence dans les secteurs où les activités de gangs de rue sont les plus intenses. Si certains experts estiment que cette approche n’est pas efficace parce que l’intervention de ces travailleurs n’est pas suffisante pour avoir une incidence notable sur la criminalité dans ces quartiers (Klein, Maxson et Miller, 1995), d’autres considèrent plutôt qu’une telle approche peut avoir des impacts positifs et entraîner une certaine diminution des crimes les plus sérieux et les plus violents (Spergel, 1995). À la lumière de ce que nous savons maintenant sur les traumatismes que peut entraîner la violence associée à ces groupes, il nous apparaît nécessaire aujourd’hui de porter un regard attentif sur le rôle que ces intervenants peuvent jouer au plan de l’intervention et de la prévention auprès des jeunes qui habitent de tels quartiers.

Les travaux contemporains jettent en effet un regard bien différent sur la violence des gangs de rue, particulièrement celle exprimée par les garçons qui en sont membres. Nous devons considérer la possibilité que cette violence puisse dissimuler une vulnérabilité psychologique, et parfois les signes de problèmes internalisés qui détonent avec les problèmes externalisés que les travaux antérieurs leur attribuaient jadis de manière presque univoque. Cette hypothèse est d’autant plus intéressante qu’elle pourrait aussi concerner les filles puisque les recherches récentes mettent en évidence qu’elles présentent des caractéristiques similaires à celles des garçons et d’importants déficits psychosociaux.

Ceci étant dit, ces connaissances apportent des nuances considérables aux thèses de la dangerosité et de la vulnérabilité qui depuis toujours ciblent respectivement les garçons et les filles. Il est vrai que ces thèses s’appuient sur un important corpus de recherches empiriques qui ont démontré que les garçons sont surreprésentés parmi les jeunes manifestant des problèmes externalisés, tels que des comportements agressifs et criminels (Card, Stucky, Sawalani et Little, 2008 ; Loeber et Stouthamer-Loeber, 1997) et que les filles sont surreprésentées parmi les jeunes souffrant de problèmes internalisés tels que la dépression et l’anxiété (Galambos, Leadbeater et Barker, 2004). Mais les considérations nouvelles qui se dégagent de la littérature sur les gangs de rue viennent néanmoins remettre en cause la vision dichotomique que ces recherches ont générée, avec le temps, à propos des problèmes externalisés et internalisés et qui confine les garçons au rôle de l’agresseur et les filles au rôle de la victime. En principe, ce changement devrait également avoir une incidence sur l’intervention auprès des jeunes ayant fait l’expérience des gangs de rue.